1: Photographie .
2: Les noirs désirs du photographe Moriyama
3: La Fondation Cartier expose Daido Moriyama , peut-être le plus grand photographe japonais vivant .
4: Enfin une rétrospective choc à Paris de l' oeuvre , très noir et blanc , de cet immense photographe influencé par William Klein .
5: C' est une sacrée expérience de vérifier , pénétrant dans l' exposition d' un photographe , que l' on sait sur le champ à quel homme on a affaire .
6: La sincérité ne trompe pas !
7: C' est particulièrement vrai du Japonais Daido Moriyama , soixante-cinq ans , dont quarante ans d' errances photographiques , scandées de sommets et de trous noirs , sont montrées , depuis le week-end dernier , à la Fondation Cartier pour l' art contemporain , à Paris .
8: Accueilli , dans l' immense première salle , par l' accrochage culotté d' un bloc de tirages géants très noirs , on est terrassé par la violence d' une photographie qui ne met pas celle -ci en scène , mais en est carrément le siège .
9: Car les clichés de Moriyama , cadrés serré , plombés , sous tension , qu' ils représentent une tête de poisson , une fillette sautant à la corde , une scène de cul , un chat errant , les visages d' un travesti , d' un enfant anormal , ou le corps rampant d' un être humain , sont , chacun , incendiaires .
10: Mis ensemble , ce sont des bombes .
11: Merci à Hervé Chandès , directeur de la Fondation Cartier , d' avoir organisé pareille rétrospective .
12: On se demande comment on a pu vivre , jusqu'ici , en ne connaissant de ce photographe culte que ses livres , aussi justes et nombreux soient -ils .
13: On se demande comment il est possible que les plus grandes institutions de la photographie en France , mais aussi en Europe , aient pu passer à côté de cette personne , de son oeuvre .
14: Avec le corps
15: Les mots , parfois , peuvent peu .
16: Il faut éprouver avec son corps , sa chair de poule .
17: Plonger son regard dans l' oeil humain du cheval de Daido Moriyama .
18: Se poster face à son chien errant bâtard , hirsute , à la fois monstre et nounours , saturant l' espace d' ambiguïté avec ses crocs sortis et son corps pataud et menaçant , crevant le cadre .
19: Quel photographe , depuis qu' il a vu le Stray Dog de Moriyama , ne cherche -t-il pas , à longueur de planète , son propre chien errant , aussi existentiel , aussi métaphorique de l' humanité ?
20: Parfois , il faut accepter son propre trouble face à un homme velu habillé en geisha , ou ses interrogations , son malaise , face à sa toute première série - peu montrée - des foetus sortis du formol pour jouer la vie .
21: Entorse à la règle :
22: de la mise en scène est ici arrivée .
23: Pour autant , ces photos ne sont pas gratuites .
24: Elles ont une fonction .
25: Elles permettent à son auteur de faire le deuil d' un jumeau décédé à un an ...
26: De Mishima à Artaud
27: Chemin faisant , au rythme des séries montrées dans les autres salles ,
28: - Accidents , Farewell Photography , Platform , Hunter , Lettre à Saint-Lou , Light and Shadow , Hysteric , Shinjuku - trente-cinq ans défilent pendant lesquels ce photographe , ni artiste , ni photojournaliste , se laisse impressionner par la rue , se recharge de son énergie , de son vacarme , de ses inventions .
29: S' y égare , traînant dans les zones d' ombre , les bars à filles du quartier fétiche de Shinjuku , fantasme sur les objets dans les vitrines , prend peur devant la société du spectacle et l' évolution violente de la société .
30: Se met en retrait lorsque l' angoisse l' anéantit .
31: Croit se tenir à l' écart du politique en laissant ses amis Shomei Tomatsu et Ikko Narahara s' intéresser aux malades de Hiroshima et de Nagasaki , dénoncer la présence des bases militaires américaines .
32: Mais il a trop lu Mishima , Baldwin et Kerouac , trop travaillé avec le poète d' avant-garde et dramaturge Shuji Terayama , lui-même influencé par le mouvement dada , les surréalistes et Antonin Artaud , trop appris de William Klein et d' Andy Warhol , pour ne pas être un photographe politique , radical , ne lui en déplaise .
33: Au bord du précipice
34: Les époques surgissent , fruits de tentatives , d' explorations , de tâtonnements .
35: Flou , grain , éraflures , accidents , gammes de gris envahissent ses cadres de travers .
36: La matière est dense , rugueuse .
37: Moriyama ne tombe jamais pour autant dans l' exercice de style , le procédé , le spectaculaire , la mode .
38: Sans obligation de rendement , sans commande , libre de n' appartenir à aucune chapelle , il prend le temps - toute sa vie - d' aller plus loin que l' homme n' est jamais allé pour se poser , en acte , la question de la restitution de la réalité , de sa représentation .
39: Du coup , il se penche dangereusement au bord du précipice , du vortex mystérieux de la photographie .
40: Peut-être va -t-il même trop loin lorsque dans Farewell Photography , il se coupe du monde en ne photographiant plus rien que le vide , parfois , se souvient Nobuyoshi Araki ( dans un entretien avec Moriyama publié dans le catalogue ) , en tirant des images à partir des fins de rouleaux de pellicule !
41: Peu importe .
42: Il fait marche arrière .
43: Carbure à ce qu' il y a de " dramatique , remarquable , fictionnel dans l' existence quotidienne chaotique des gens normaux , ce qui fait tout le Japon " .
44: Et trente ou quarante après , alors qu' il se demande si la réalité n' est pas , finalement , dans l' acte même de photographier , il a toujours le feu sacré et l' énergie de rebattre les cartes , de mélanger les époques , d' accoler ses premières images avec les toutes dernières .
45: Moriyama se repose donc les questions que s' est posé , à l' origine , Nicéphore Niepce .
46: Arpente la ville comme Eugène Atget .
47: Exulte dans la rue comme Klein .
48: S' invente des scènes du crime comme Weegee .
49: Voit les roses comme Tina Modotti .
50: Les objets fétichistes comme Manuel Alvarez Bravo .
51: Les chiens comme personne .
52: Adore errer et se perdre comme Depardon .
53: Ne sait pas de quoi est fait l' instant décisif de Cartier-Bresson , lui qui photographie en courant , sans regarder dans le viseur .
54: Rescapé de la guerre , de la drogue , et de très noirs désirs , ce sexagénaire borderline , photographe à la vie à la mort , est homme de paradoxe :
55: violent , brûlant à l' intérieur , zen à l' extérieur .
56: Exposition " Daido Moriyama " , jusqu'au 11 janvier 2004 , Fondation Cartier pour l' art contemporain , 261 , boulevard Raspail , 75014 Paris .
57: Tél. :
58: 01 42 18 56 77 .
59: Catalogue de 160 pages , bilingue français-anglais , éditions Fondation Cartier-Actes Sud .