_: Photographie . Les noirs désirs du photographe Moriyama La Fondation Cartier expose Daido Moriyama , peut-être le plus grand photographe japonais vivant . Enfin une rétrospective choc à Paris de l' oeuvre , très noir et blanc , de cet immense photographe influencé par William Klein . C' est une sacrée expérience de vérifier , pénétrant dans l' exposition d' un photographe , que l' on sait sur le champ à quel homme on a affaire . La sincérité ne trompe pas ! C' est particulièrement vrai du Japonais Daido Moriyama , soixante-cinq ans , dont quarante ans d' errances photographiques , scandées de sommets et de trous noirs , sont montrées , depuis le week-end dernier , à la Fondation Cartier pour l' art contemporain , à Paris . Accueilli , dans l' immense première salle , par l' accrochage culotté d' un bloc de tirages géants très noirs , on est terrassé par la violence d' une photographie qui ne met pas celle -ci en scène , mais en est carrément le siège . Car les clichés de Moriyama , cadrés serré , plombés , sous tension , qu' ils représentent une tête de poisson , une fillette sautant à la corde , une scène de cul , un chat errant , les visages d' un travesti , d' un enfant anormal , ou le corps rampant d' un être humain , sont , chacun , incendiaires . Mis ensemble , ce sont des bombes . Merci à Hervé Chandès , directeur de la Fondation Cartier , d' avoir organisé pareille rétrospective . On se demande comment on a pu vivre , jusqu'ici , en ne connaissant de ce photographe culte que ses livres , aussi justes et nombreux soient -ils . On se demande comment il est possible que les plus grandes institutions de la photographie en France , mais aussi en Europe , aient pu passer à côté de cette personne , de son oeuvre . Avec le corps Les mots , parfois , peuvent peu . Il faut éprouver avec son corps , sa chair de poule . Plonger son regard dans l' oeil humain du cheval de Daido Moriyama . Se poster face à son chien errant bâtard , hirsute , à la fois monstre et nounours , saturant l' espace d' ambiguïté avec ses crocs sortis et son corps pataud et menaçant , crevant le cadre . Quel photographe , depuis qu' il a vu le Stray Dog de Moriyama , ne cherche -t-il pas , à longueur de planète , son propre chien errant , aussi existentiel , aussi métaphorique de l' humanité ? Parfois , il faut accepter son propre trouble face à un homme velu habillé en geisha , ou ses interrogations , son malaise , face à sa toute première série - peu montrée - des foetus sortis du formol pour jouer la vie . Entorse à la règle : de la mise en scène est ici arrivée . Pour autant , ces photos ne sont pas gratuites . Elles ont une fonction . Elles permettent à son auteur de faire le deuil d' un jumeau décédé à un an ... De Mishima à Artaud Chemin faisant , au rythme des séries montrées dans les autres salles , - Accidents , Farewell Photography , Platform , Hunter , Lettre à Saint-Lou , Light and Shadow , Hysteric , Shinjuku - trente-cinq ans défilent pendant lesquels ce photographe , ni artiste , ni photojournaliste , se laisse impressionner par la rue , se recharge de son énergie , de son vacarme , de ses inventions . S' y égare , traînant dans les zones d' ombre , les bars à filles du quartier fétiche de Shinjuku , fantasme sur les objets dans les vitrines , prend peur devant la société du spectacle et l' évolution violente de la société . Se met en retrait lorsque l' angoisse l' anéantit . Croit se tenir à l' écart du politique en laissant ses amis Shomei Tomatsu et Ikko Narahara s' intéresser aux malades de Hiroshima et de Nagasaki , dénoncer la présence des bases militaires américaines . Mais il a trop lu Mishima , Baldwin et Kerouac , trop travaillé avec le poète d' avant-garde et dramaturge Shuji Terayama , lui-même influencé par le mouvement dada , les surréalistes et Antonin Artaud , trop appris de William Klein et d' Andy Warhol , pour ne pas être un photographe politique , radical , ne lui en déplaise . Au bord du précipice Les époques surgissent , fruits de tentatives , d' explorations , de tâtonnements . Flou , grain , éraflures , accidents , gammes de gris envahissent ses cadres de travers . La matière est dense , rugueuse . Moriyama ne tombe jamais pour autant dans l' exercice de style , le procédé , le spectaculaire , la mode . Sans obligation de rendement , sans commande , libre de n' appartenir à aucune chapelle , il prend le temps - toute sa vie - d' aller plus loin que l' homme n' est jamais allé pour se poser , en acte , la question de la restitution de la réalité , de sa représentation . Du coup , il se penche dangereusement au bord du précipice , du vortex mystérieux de la photographie . Peut-être va -t-il même trop loin lorsque dans Farewell Photography , il se coupe du monde en ne photographiant plus rien que le vide , parfois , se souvient Nobuyoshi Araki ( dans un entretien avec Moriyama publié dans le catalogue ) , en tirant des images à partir des fins de rouleaux de pellicule ! Peu importe . Il fait marche arrière . Carbure à ce qu' il y a de " dramatique , remarquable , fictionnel dans l' existence quotidienne chaotique des gens normaux , ce qui fait tout le Japon " . Et trente ou quarante après , alors qu' il se demande si la réalité n' est pas , finalement , dans l' acte même de photographier , il a toujours le feu sacré et l' énergie de rebattre les cartes , de mélanger les époques , d' accoler ses premières images avec les toutes dernières . Moriyama se repose donc les questions que s' est posé , à l' origine , Nicéphore Niepce . Arpente la ville comme Eugène Atget . Exulte dans la rue comme Klein . S' invente des scènes du crime comme Weegee . Voit les roses comme Tina Modotti . Les objets fétichistes comme Manuel Alvarez Bravo . Les chiens comme personne . Adore errer et se perdre comme Depardon . Ne sait pas de quoi est fait l' instant décisif de Cartier-Bresson , lui qui photographie en courant , sans regarder dans le viseur . Rescapé de la guerre , de la drogue , et de très noirs désirs , ce sexagénaire borderline , photographe à la vie à la mort , est homme de paradoxe : violent , brûlant à l' intérieur , zen à l' extérieur . Exposition " Daido Moriyama " , jusqu'au 11 janvier 2004 , Fondation Cartier pour l' art contemporain , 261 , boulevard Raspail , 75014 Paris . Tél. : 01 42 18 56 77 . Catalogue de 160 pages , bilingue français-anglais , éditions Fondation Cartier-Actes Sud .