_: PCDAI : logique professionnaliste et innovation Elisabeth Fichez * * GERIICO EA n° 4073 Université Lille 3 BP 149 - 59653 Villeneuve d' Ascq cedex elisabeth.fichez-vallez@univ-lille3 . fr RÉSUMÉ . Cette contribution introductive a pour but de cadrer l' expérimentation PCDAI en cours dans le paysage général des formations universitaires faisant usage des environnements et des outils numériques en explicitant comment la logique professionnaliste qui , traditionnellement , caractérise l' activité des enseignants du supérieur , non seulement perdure , mais semble même se renforcer dans ce contexte . L' argumentation de ce point de vue n' empêchera pas de pointer malgré tout les obstacles qu' une telle logique rencontre au contact des outils dans l' institution universitaire . Ainsi nous ne perdrons pas de vue que , même si un processus de démocratisation de l' innovation mettant en avant l' autonomie et l' initiative de l' usager est avancé aujourd'hui par des théoriciens comme phénomène lié à la simplification des TIC , la question de l' engagement de l' institution dans un accompagnement flexible mais résolu des initiatives d' individus ( ou de petites communautés d' individus ) innovateurs est crucial pour une efficacité pédagogique accrue dans l' enseignement-apprentissage au niveau du supérieur . MOTS-CLÉS : environnements numériques , logique sociale , logique professionnaliste , démocratisation de l' innovation , innovation centrée usager , dispositif d' innovation institutionnel . Introduction Cette contribution introductive au symposium proposé sur le thème « Dispositifs de formation numériques et écrits professionnalisés » ? ? a pour but de cadrer l' expérimentation en cours dans le paysage général des évolutions liées à l' usage des environnements numériques & 226;& 128;& 147; et plus généralement à la numérisation & 226;& 128;& 147; dans les formations universitaires , et d' analyser ce faisant les conditions de l' innovation pédagogique . Nous prendrons pour angle d' attaque les logiques sociales à l' oeuvre dans ces évolutions en nous intéressant plus précisément à celles qui sous-tendent l' intervention des professionnels enseignants et nous argumenterons la thèse que la logique professionnaliste classique , non seulement caractérise la démarche des intervenants engagés dans notre expérience PCDAI , mais que les traits de cette logique s' en trouvent éventuellement renforcés . Cela n' empêche pas qu' elle rencontre des obstacles sur le terrain qui freinent le développement du processus d' innovation . Le principal d' entre eux nous semble être la difficulté à coordonner initiatives institutionnelles et initiatives individuelles autour d' un enjeu qui serait , certes , celui d' une « démocratisation de l' innovation » ( pour reprendre l' expression du théoricien E . Von Hippel ) , mais accompagnée par l' institution et mise au service d' une meilleure qualité pédagogique des enseignements-apprentissages universitaires . 2 . Logiques sociales , logique professionnaliste , rapport aux outils Précisons tout d' abord que nous intervenons dans ce colloque placé sous le signe conjoint des sciences de l' éducation et des sciences de l' information et de la communication à partir d' une problématique forgée dans le champ des SIC , que nous mettons en oeuvre pour notre part sur le terrain de la formation . 2.1 Médiatisation de la communication éducative Ce qui nous intéresse depuis de nombreuses années sur ce terrain , c' est de comprendre ce qui se produit concernant la communication éducative du fait de sa médiatisation . Par communication éducative , nous entendons bien sûr la dimension relationnelle de l' activité , très importante , distribuée différemment selon les modèles pédagogiques et les modes d' intervention ( cf. un cours magistral v / s un atelier collaboratif ) , mais aussi plus largement les supports de l' activité éducative , dont l' écrit ( le manuel par exemple depuis le 19ème siècle ) et l' image ( cf. J. Perriault , 1981 ) sont des exemples classiques . Par « médiatisation » de la communication éducative , nous ne faisons que constater dans ce secteur un processus massif qui s' est produit au long du siècle dernier , à savoir que des techniques , par vagues et grappes successives ( la radiodiffusion , l' audiovisuel , la téléphonie , l' informatique , la numérisation qui aujourd'hui les affecte tous et démultiplie leurs potentialités ) se sont inscrites dans l' ordinaire des pratiques de communication et d' information et ont contribué à des évolutions qui ne sont jamais appréciables que dans l' après coup et sur un temps long . Aujourd'hui , notre attention se porte sur ce qui est rendu possible & 226;& 128;& 147; ce qui ne signifie pas « réalisé » & 226;& 128;& 147; par un fait majeur : les politiques ministérielles volontaristes en matière d' infrastructures en réseaux et d' équipements en matériels , relayées par les politiques publiques régionales , ont doté tous les établissements universitaires de systèmes d' information techniques ( plates-formes logicielles interopérables , dénommées aussi «  portails  » ) , performants tant en ce qui concerne la gestion que l' administration et la pédagogie , même si c' est précisément dans ce domaine que les développements sont balbutiants . L' appel d' offres ministériel « Usages de l' Internet » , dans lequel se cadre l' opération PCDAI , est très représentatif de cet état des lieux : l' objectif est de favoriser des expérimentations intégrant l' usage du réseau dans divers secteurs , dont l' éducatif . Plus précisément , il s' est agi pour notre équipe de recherche-action , dont certains membres étaient déjà utilisateurs de plates-formes logicielles constituant un lieu d' échange et d' archivage virtualisé d' une partie de l' activité pédagogique , de réfléchir à l' enrichissement de ces « environnements » ou à en concevoir d' autres selon des hypothèses et des modalités que les interventions notamment de P . A . Caron et F. Hoogstoel vont permettre d' expliciter . 2.2 Logiques sociales , logique administrativo-professionnaliste Ce que nous cherchons à approfondir pour notre part , c' est la façon dont des logiques sociales sont « déjà là » , à la manière d' un tiers , dans ce qui pourrait se concevoir de manière réductrice comme la rencontre entre des usagers ( enseignants ou étudiants ) avec des outils ( ici constitués en environnement modulable , finalisé par rapport à telle ou telle activité pédagogique , et comment elles se trouvent mises ou non en question , amplifiées ou déstabilisées , offrant ainsi à lire des tendances d' évolution plus générales . Nous reprenons ici la notion de « logique sociale » , particulièrement travaillée dans notre champ par des auteurs comme B. Miège , dans son rapport avec les mécanismes de la formation des usages sociaux des techniques : l' idée est que des déterminants sociaux profonds - et pas seulement des comportements ou des stratégies propres aux individus , ni des caractéristiques intrinsèques des outils - sont à l' oeuvre dans la façon dont les techniques trouvent ou ne trouvent pas leur inscription dans la vie sociale . Il nous a semblé intéressant de retenir dans cette perspective les caractéristiques fondant la logique « professionnaliste » de l' activité de l' enseignant du supérieur , en référence au sociologue américain E. Freidson ( 2001 ) et telle que l' a reformulée P. Grevet en parlant de modèle administrativo-professionnaliste en France  : «  Il [ le modèle ] est ' professionnaliste ' en un sens influencé par les débats partant de la sociologie nord-américaine des professions et tenant compte des différences profondes de contexte . La caractéristique " professionnaliste " dans la situation française signifie qu' une autonomie importante est conférée aux enseignants-chercheurs dans l' organisation et le fonctionnement des universités [ ... ] . Cette autonomie des enseignants-chercheurs comporte six dimensions : ( NDLR : nous ne reprenons que trois d' entre elles utiles pour notre propos ) Un accès aux ressources informationnelles libre et gratuit pour eux ou à des coûts qu' ils sont en mesure de couvrir personnellement ( par exemple dans l' achat de livres ) Une très large autonomie individuelle dans le processus de travail signifiant , entre autres aspects , qu' ils contrôlent les usages des ressources informationnelles dans leurs relations avec les étudiants , qu' ils ont la possibilité de façonner ces ressources [ ... ] Un principe de justification mettant en avant les avantages pour la collectivité nationale des cinq caractéristiques précédentes : nécessités de la liberté intellectuelle et d' une grande autonomie professionnelle pour l' avancée de la connaissance scientifique , pour la constitution et la mobilisation des compétences des enseignants-chercheurs , rôle central dans les apprentissages des interactions entre enseignants très qualifiés autonomes et personnes en formation , etc.  » Considérant ces traits , nous avons cherché à comprendre sur le terrain de l' enseignement supérieur ce qu' il en advenait : repère -t-on des indices de changement par rapport à cette logique professionnaliste et , si oui , de quel ordre sont -ils ( dégradation , maintien en l' état , nouveau type de qualification ) ? Comment par ailleurs le rapport aux outils se trouve -t-il impliqué ( à côté d' autres paramètres ) dans ces éventuels changements : sont -ils perçus dans un rapport potentiel de substitution là où il manque à l' évidence de personnel face à des cohortes importantes d' étudiants à former  ? Ce type de substitution va -t-il dans le sens d' une dégradation de la qualité du service de formation rendu ou peut -il ouvrir la voie à des propositions alternatives intéressantes ? Qu' en est -il de l' importance de la qualification de l' enseignant-chercheur pour les interactions avec les étudiants : ne se trouve -t-elle pas niée ou dévalorisée si l' accompagnement du service de formation se trouve assuré par des tuteurs n' ayant pas comme lui la maîtrise de savoirs spécialisés  ? L' autonomie et la responsabilité de l' enseignant quant au contrôle qu' il exerce sur sa propre activité professionnelle sont -elles maintenues et de quelle façon ? Ou bien se trouve -t-il mis en situation de dépendance par rapport à d' autres acteurs professionnels dans l' institution ( informaticiens , médiatisateurs / designers de contenus ) dans ce qui ressemblerait à une division du travail ? Telles sont les questions qu' il nous paraît aussi intéressant de poser aussi par rapport à notre opération de recherche pour la resituer dans un cadre d' évolutions plus générales et dégager , à travers l' analyse des obstacles auxquelles elle se heurte , quelques uns des enjeux dont elle est porteuse . 3 . Permanence et renforcement de traits professionnalistes dans PCDAI 3.1 . En préalable  : statut et rôle des acteurs , importance de certaines variables L' opération PCDAI a affiché dès le départ un principe clair : il s' agissait pour un groupe d' enseignants & 226;& 128;& 147; de statut universitaire ou non & 226;& 128;& 147; de partir de leur réalité familière , à savoir l' intervention dans des filières professionnalisées de deux universités lilloises auprès d' étudiants de formation initiale ou continue . A Lille 1 , les collègues , engagés dans des parcours avec des partenaires par ailleurs financeurs conventionnels , ne pouvaient ni courir , ni faire courir le risque d' un échec du dispositif de formation pour les étudiants et leurs commanditaires , tout comme les collègues de Lille 3 , engagés auprès d' étudiants en attente d' un diplôme , ne pouvaient faire passer coûte que coûte au premier plan la volonté d' expérimentation . Autrement dit , dans un tel contexte , l' idée de permanence quant à la logique professionnaliste paraît beaucoup plus attendue a priori qu' elle ne le serait dans tel ou tel autre type de contexte impliquant une rupture plus grande ( dispositif de formation à distance , tutoré ou non ; centre de ressources ... ) . Ce qui pour autant , on le verra , ne signifie pas simple continuité . Un autre aspect important est également à souligner : le professionnel qui a joué le rôle d' informaticien était un enseignant-chercheur impliqué à ce double titre dans le projet de recherche . Ce n' était pas un choix au départ , car un ingénieur de recherche à temps complet ou à mi-temps était prévu . Mais , outre qu' il n' y avait pas de solution alternative , il fallait trouver un concepteur informatique qui soit engagé dans une réflexion sur sa propre pratique et qui soit disposé à laisser suffisamment de place aux pédagogues et aux utilisateurs pour une co-conception du dispositif . Il s' agissait donc d' un rôle beaucoup trop spécifique pour le faire endosser par quelqu' un de complètement étranger à la problématique et recruté pour la circonstance . Enfin , il est important d' avoir présent à l' esprit une dernière variable : le groupe des professionnels directement au coeur de l' opération avait une double motivation à sa réussite , pédagogique et scientifique , du fait qu' il s' agissait d' une recherche-action . Le retrait des PAST , de même que l' attitude beaucoup plus attentiste des intervenants pédagogues non-chercheurs , sont autant de signes dont il faut tenir compte pour bien comprendre que l' analyse qui suit suppose des conditions d' intervention gratifiantes pour ces professionnels , même s' il ne s' agit pas d' une gratification financière . 3.2 . Autonomie et responsabilité professionnelle  : un premier trait à double tranchant Cette caractéristique garde complètement sa place dans l' opération engagée . On pourrait même dire d' une certaine façon que celle -ci , du fait de son lien avec la recherche , est exemplaire de la liberté d' action dont dispose un enseignant ou une équipe d' enseignants-chercheurs : d' abord parce que la décision de répondre à un appel d' offres ministériel en matière de recherche relève de l' initiative des chercheurs qui élaborent la réponse , le visa qu' apposent les responsables politiques de l' université ne correspondant pas à une forme de contrôle sur le projet à engager . Ensuite parce que , en tant que pédagogues , ils disposent de la même capacité d' autonomie et d' initiative : aucune autorisation particulière n' est à négocier avec le directeur d' UFR en ce qui concerne le mode d' intervention pédagogique en formation initiale , et c' est peut-être davantage dans le cas des formations commanditées par des partenaires du monde professionnel à Lille 1 que ce type de négociation a existé et qu' un suivi de la part de ceux -ci s' est effectué par le biais de leur participation au comité de pilotage . Par la suite , la mise en oeuvre de l' action a été réalisée par la petite équipe d' acteurs les plus engagés qui en a simplement référé à trois reprises au comité de pilotage , plus d' ailleurs dans le souci de valoriser l' expérimentation auprès des partenaires que de la soumettre à approbation . Toutefois , cette large autonomie a des contre-parties : si les acteurs enseignants n' ont , d' une certaine façon , de compte à rendre qu' au financeur de la recherche par le biais d' un rapport , les responsables politiques de l' établissement ne sont de leur côté redevables d' aucun engagement à leur égard . C' est ainsi qu' au moment du démarrage en octobre 2004 , ils ne se sentaient pas concernés par une opération qui n' entrait dans aucune programmation préalable ni dans leurs préoccupations immédiates . Des verbalisations rétrospectives ont systématiquement été recueillies à l' issue des journées de championnat , au cours d' entretiens d' autoconfrontation d' une durée moyenne d' une heure quinze minutes , conduits séparément avec le barreur et l' équipier . Nous reviendrons en conclusion sur cette « dis-chronie » entre temps des individus et temps de l' institution qui a des incidences en ce qui concerne les conditions de possibilité d' un processus d' innovation technico-pédagogique . 3.3 . La recherche d' une interpénétration des rôles liée à l' hypothèse de malléabilité du système technique Un autre trait de la logique professionnaliste se trouve non seulement maintenu , mais renforcé dans le type d' opération en jeu : Analyse des données En effet , un des objectifs poursuivis en particulier par les collègues informaticiens est de retravailler à travers le projet PCDAI une des limites perçue dans les premiers modèles considérés par eux comme malléables , à savoir qu' ils ne l' étaient qu' à leur propre regard et non à celui des autres acteurs « non-spécialistes » . Très concrètement , si l' opération a pu démarrer dans les délais qui correspondaient au calendrier de la recherche , c' est grâce à la bonne volonté du CUEEP , un organisme de formation continue à Lille 1 impliqué de longue date dans les expérimentations TICE , qui a mis à notre disposition son serveur et qui a accepté que le responsable technique de ce serveur nous donne de son temps . Dans une communication récente , nous avons cherché à évaluer quelle part de réalité correspond effectivement à cet attendu dans le projet tel que vécu et réalisé ( cf. Fichez , Varga , 2006 ) . Nous nous contenterons ici de souligner qu' elle va exactement à l' encontre de l' idée d' une spécialisation , voire d' une division du travail entre les acteurs impliqués , car il ne s' agit pas qu' un acteur soit dessaisi de son rôle au profit d' un autre , mais au contraire qu' un continuum s' établisse entre les rôles des divers acteurs souhaitant pouvoir accommoder le système existant . Et si de fait peu de collègues ont « pris » la main sur le système , la préoccupation commune autour de l' « objet-frontière » que constituait l' environnement numérique a fait que tous ont bougé dans leurs représentations et ont fait un réel pas dans la compréhension de celles de l' autre . Sans doute peut -on lire ainsi la préfiguration d' un vrai travail d' interfaçage indispensable à divers niveaux dans nos institutions , même si des obstacles en limitent la portée , notamment l' éloignement des Centres de Ressources Informatiques par rapport aux enseignants qui se situent à la périphérie des UFR et l' absence d' institut pédagogique multimédia dans les universités françaises en général . 3.4 . Le rôle central des interactions médiées par la plate-forme Pour en terminer avec cette analyse concernant la logique professionnaliste et son devenir , nous évoquerons un dernier trait relatif à l' importance des interactions . S' il est en effet un trait que les auteurs des monographies réalisées à propos des différents chantiers mettent en avant fortement , c' est à quel point la réussite des projets repose sur la qualité de la présence de l' enseignant dans l' environnement de travail et sur son implication comme amorce et aiguillon d' interactions plus directes entre les apprenants eux-mêmes . R. Varga souligne même le caractère paradoxal des effets induits par l' EN en termes de convivialité , tandis qu' a contrario , Les résultats de Poizat et al. ( 2007 ) renforcent l' idée d' une dualité coopérative / compétitive des activités entre partenaires en sport . Donc , même si une visée rationalisatrice peut être présente ( par exemple , tirer parti de la plate-forme pour optimiser certaines tâches redondantes dans des pratiques d' accompagnement se jouant la plupart du temps duellement entre enseignant et apprenant ) , il ne s' agit pas pour l' enseignant de se décharger de sa tâche d' animation sur les apprenants sous couvert de pratiques collaboratives entre eux . Autrement dit , aucun impératif lié à un gain économique en termes de diminution de coût du travail qualifié du formateur n' est en jeu , même si d' une part le temps passé doit être régulé et si , d' autre part , les observations menées avec une deuxième génération d' étudiants montrent que ce temps peut être moins important en durée dès lors que les pratiques collaboratives des étudiants entre eux s' intensifient . 4 . Obstacles et enjeux ou les conditions d' un processus d' innovation pédagogique dans l' organisation universitaire Nous avons évoqué à plusieurs reprises dans notre analyse des traits professionnalistes l' idée d' un processus d' innovation pédagogique dont participerait la démarche des professionnels ( enseignants et informaticiens ) engagés dans l' opération PCDAI . Il nous paraît important d' approfondir ce point dans une dernière partie en partant d' un éclairage externe au champ pédagogique , celui de la modélisation d' une « innovation centrée sur l' usager » ( « user-centered » ) que développe Von Hippel ( 2005 ) . Cela nous permettra en contrepoint de mieux cerner quels sont les traits spécifiques du processus d' innovation dans le champ qui nous concerne et de mieux comprendre en quoi les obstacles ou les limites que nous avons rencontrés sont autant de points critiques révélateurs de modes de fonctionnement culturels et organisationnels appelés à évoluer . 4.1 . Le modèle d' innovation «  user-centered  » E. Von Hippel , chercheur de longue date dans le domaine de l' innovation économique , fait l' hypothèse que nous sommes entrés dans une ère de «  démocratisation de l' innovation  »   Democratizing Innovation est le titre de son ouvrage de 2005 . parce que les usagers , du fait des améliorations concernant les TIC , sont en mesure de développer les produits et les services ajustés à leurs besoins . Plusieurs traits de son argumentation sont intéressants à relever pour notre propos : Les usagers innovateurs sont aussi bien des individus que des communautés au sein desquelles desquelles se manifeste de la coopération informelle et formelle Cette coopération est très largement facilitée aujourd'hui grâce à la connexion des participants à des infrastructures et des outils librement modifiables Il s' agit de produire pour soi-même et par soi-même du bien ( ou du service » d' information , distribué gratuitement sur le WEB , sans besoin de passer par un producteur puisqu' il n' y a pas de reproduction matérielle de masse . le phénomène observé peut être relié à d' autres champs , notamment ceux de l' open source et de l' économie de la connaissance . Les traits de ressemblance entre le processus d' innovation dans ce modèle et celui qui caractérise la démarche PCDAI sont assez frappants : nous avons en effet mis en évidence la mise en marche d' une petite communauté de professionnels innovateurs ( qui l' avaient déjà été à titre individuel pour certains dans leurs pratiques préalables ) , qui a organisé sa propre coopération sur le mode collaboratif dans un esprit de non-division du travail , s' est appuyée sur une infrastructure et des outils modifiables , a produit par elle-même et pour elle-même du «  service  » d' information immatériel mis en ligne à destination d' étudiants dont elle souhaite qu' ils entrent eux aussi dans une co-élaboration du dispositif au fur et à mesure de l' usage qu' ils en font . Mais , et c' est l' occasion pour nous de revenir sur les problèmes et obstacles rencontrés , Von Hippel traite de la démocratisation de l' innovation à travers des exemples très généraux , en n' évoquant le processus que sous l' angle de ce qui en fait le succès . 4.2 . Contextualisation de l' opération   PCDAI au regard de ce modèle d' innovation Dans notre propre démarche du « faire autrement » , nous étions très concrètement situés dans l' institution universitaire française avec ses modèles organisationnels encore largement marqués par des forces de la bureaucratie professionnelle et une grande difficulté à intégrer les capacités de souplesse et d' ajustement propres à un modèle « adhocratique » . Ainsi avons -nous noté ci-dessus l' existence d' une dis-chronie , l' initiative prise par les innovateurs PCDAI ne s' ajustant pas à ce que de leur côté les responsables de la politique universitaire en matière d' infrastructures ( choix et mise en service d' une plate-forme dans le contexte des UNR ( Universités Numériques Régionales ) ont choisi de privilégier . Nous avons noté aussi les limites du point de vue de l' interfaçage dans un contexte institutionnel jusqu'à présent marqué par la concentration de l' expertise technique aux mains des ingénieurs dans des Centres de Ressources informatiques - elle ne se révèle donc pas suffisante .. Si l' une des conditions importantes de la démocratisation de l' innovation est , comme l' a amplement montré Von Hippel , la plus grande facilité de prise en mains des plates-formes et des outils par les non-experts et le plus grand degré de malléabilité de ces systèmes- ce que confirme notre démarche 5 . Conclusion  : l' innovation pédagogique assistée dans et par l' organisation Nous avons montré comment la logique professionnaliste peut entrer en conjonction avec un certain type de développements technologiques en permettant aux enseignants de construire des dispositifs sur mesure au plus près de leur activité ordinaire , illustrant en cela le modèle général de l' innovation « user-centered » . Mais l' expérience de PCDAI montre que ce type d' innovation à l' université a besoin d' être coordonné , accompagné et soutenu . Dans l' université française en effet , on le sait , les compétences d' ordre pédagogique et l' amélioration de la qualité de l' enseignement / apprentissage ne sont pas reconnues comme des priorités par rapport à la dimension « recherche » . Or , il ne s' agit pas simplement de faire usage d' outils , mais de se demander comment ceux -ci peuvent apporter une valeur ajoutée aux pratiques courantes , ce qui amène à réfléchir en profondeur aux modèles méthodologiques et à la façon dont ils peuvent pas à pas évoluer . Certes , l' opération PCDAI a concerné des formations professionnelles faisant une assez large place notamment à la conduite de projet et à l' écriture comme mode d' intégration de la formation ( voir plusieurs autres articles de ce symposium ) et visait d' emblée l' expérimentation de l' apprentissage coopératif , c' est-à-dire un modèle en rupture avec le modèle transmissif dominant . Mais il n' y a pas a priori de raison de penser que les formations professionnelles restent les seuls laboratoires possibles d' innovation pédagogique . Pourtant , il n' existe pas beaucoup d' exemples en France d' universités ayant imaginé comme à Louvain la Neuve , en Belgique , un véritable dispositif institutionnel ( voté , financé et évalué ) d' apprentissage de l' innovation , celle -ci étant précisément conçue comme un apprentissage passant par différentes étapes . Une logique professionnaliste renforcée au contact d' une instrumentation qui , comme le développera Pierre-André Caron , peut accompagner le « bricolage » enseignant , mais soutenue par un pilotage proactif et incitatif de l' institution permettant d' articuler de manière flexible et évolutive les projets individuels et institutionnels , tels nous semblent donc être les ingrédients d' un processus idéaltypique d' innovation pédagogique . L' expérience PCDAI est un exemple d' amorce d' un tel processus , encore en quête de son inscription organisationnelle . 5.1 Bibliographie Barna , J. ( 2005 ) . Les processus de modernisation dans l' enseignement des langues pour adultes , Thèse de doctorat en sciences de l' Information et de la Communication , Lille , Université Lille 3 , 348 pages . Bourguin , G. , Derycke , A . ( 2005 ) . Systèmes Interactifs en Co-évolution . Réflexion sur les apports de la théorie de l' activité au support des pratiques collectives distribuées . Revue d' Interaction Homme-Machine , Vol . 6 , n° 1 . Fichez , E . , Varga , R. ( 2006 ) . Plate-forme collaborative « postnuke » : dynamiques de co-construction . In Sidir , Bruillard , Baron ( Ed . ) JOCAIR' 2006 . Premières journées Communication et apprentissage instrumentés en réseau . Amiens . Université de Picardie Jules Verne , 27 - 51 . Lebrun , M. ( 2005 ) . eLearning pour enseigner et apprendre . Allier pédagogie et technologie . Louvain la Neuve , Bruylant-Academia . Miège , B . ( 2004 ) . L' information-communication , objet de connaissance . Bruxelles , De Boeck Université . Mintzberg , H. ( 1982 , tr . fr. ) Structure et dynamique des organisations . Paris , Les Editions d' Organisation . Perriault , J. ( 1981 ) . Mémoires de l' ombre et du son . Une archéologie de l' audiovisuel . Paris , Flammarion . Thibault , F . ( 2006 ) . Autour des campus numériques français . Repères dans les initiatives du ministère en charge de l' enseignement supérieur . Distances et Savoirs , Vol . 4 , n° 2 , 109 - 112 . Weber , S. ( 2004 ) . The success of Open Source . Cambridge Massachussets , Harvard University Press . 5.2 Références sur le WEB . Delache , D . ( 2006 ) , Intégrer une interface numérique pour accompagner un parcours de formation professionnelle . Préparation de formateurs de CFA à la Licence IUP : groupe ANFA , accessible à l' adresse Delache , D . , D' Halluin , Ch. , Fichez , E . , Hoogstoel , F . , Leclercq , G. , Varga R. , ( 2006 ) : «  Environnements numériques et pratiques collaboratives d' apprentissage  » Rapport de recherche concernant l' opération PCDAI , MEN / ANR , : Octobre 2006 , 23 pages + annexes à l' adresse suivante accessible à l' adresse  : http Grevet , P. ( 2005 ) . Socio-économie de l' information et des services interpersonnels . Une approche de l' enseignement supérieur utilisant le numérique . Note de recherche , IFRESI , Contrat de plan CNRS-Région Nord-Pas de Calais . Accessible à l' adresse : ( consultation le 7 février 2007 ) . Varga , R. ( 2006 ) . Suivi de stages sur une plate-forme pédagogique POSTNUKE . Monographie , 56 p. , , ( consultation le 7 février 2007 ) . Von Hippel , E . ( 2005 ) . Democratizing Innovation . Cambridge Massachussets , MIT Press , http / / / mitpress . mit . edu , ( consultation le 4 février 2007 ) . La numérisation est au sens premier un procédé de traitement et de compression de l' information. , qui présente des avantages importants en matière de transport , de diffusion et d' édition des données . Aujourd'hui , le mot est employé par métonymie pour désigner à la fois le processus technique et ses incidences dans un domaine d' application . Il est ainsi question de la « numérisation pédagogique » au sens à la fois de la numérisation des ressources pédagogiques , du recours à des plates-formes logicielles pour la diffusion numérique des cours et de matériaux associés , la gestion des interactions synchrones ou asynchrones au travers d' outils configurés sur ces plates-formes , etc. On parle même globalement de la « numérisation du supérieur » en se référant au processus de virtualisation des campus physiques . On se reportera à F. Thibault ( 2006 ) pour un repérage chronologique concernant entre autres les événements marquants des politiques publiques . Des précisions sur les environnements techniques utilisés seront donnés dans les communications qui vont suivre . En bref , deux plates-formes collaboratives ont été utilisées , l' une propre au CUEEP , ACCEL , et l' autre POSTNUKE , mise au point par le TECFA à Genève . Cet auteur y revient dans la plupart de ses écrits depuis une vingtaine d' années . On se reportera en particulier à la synthèse récente proposée dans B. Miège ( 2004 , p . 123 - 133 ) . Il entend par là des tendances de fond , «  autour desquelles desquelles les stratégies des acteurs sociaux ( dominants ou dominés ) sont plus ou moins contraints de s' organiser et de se développer  » ( p. 125 ) . P. Grevet , dont les travaux de recherche portent sur la socioéconomie de l' enseignement supérieur et de la formation continue , parle « d' existant ' administratif ' au sens des administrations publiques instituées et structurées directement par l' état , avec des tâches définies en termes de service public et un financement venant d' abord et directement de l' impôt » . ( Grevet , 2005 , p . 21 - 22 ) . Voir le domaine des langues , que ce soit en IUFM où l' obligation récente de certification en langues des Professeurs d' Ecole rend cruciale et urgente la mise en place de dispositifs d' autoformation alternatifs en centres de ressources ou dans les premiers cycles universitaires où il a fallu développer l' enseignement des langues pour non-spécialistes . Voir sur ce point le travail très important fourni en langues précisément par les acteurs universitaires pour mettre sur pied des méthodes de certification telles que le CLES ( Certificat de compétences en Langues de l' Enseignement Supérieur ) ou le DCL ( Diplôme de Compétences en Langues ) considérées comme moins « industrialisées » que les tests TOEIC ou du TOEFL mises sur le marché par des firmes privées ( cf. J. Barna , 2005 ) . Ont participé effectivement à l' enseignement au total une douzaine de personnes dont des enseignants-chercheurs ( Professeurs et MCF ) , quelques enseignants de statut type second degré ou vacataires , une ATER / doctorante . Trois disciplines étaient représentées : les sciences de l' information et de la communication , les sciences de l' éducation et l' informatique . Deux PAST ( Professeurs Associés à Temps Partiel ) étaient au départ associés à la recherche , mais ils n' ont pas traduit leur engagement ( limité dans le temps ) sur le terrain de l' intervention pédagogique . Certes , les établissements élaborent des volets « TICE » pour les contrats quadriennaux , mais il s' agit de fixer des objectifs relativement généraux afin de justifier les sommes demandées . Ce volet ne comporte ni programmation d' expérimentation pédagogique ni de programmation de recherches dans le domaine , celles -ci relevant , le cas échéant , des volets « formation » ou « recherche » . Cf . G. Bourguin , A . Derycke , ( 2005 )  : «  Cette souplesse n' était accessible qu' aux concepteurs ... Lors de nos mises en oeuvre expérimentales , il est apparu que les divers acteurs souhaitaient pouvoir accommoder le système existant ( et opérationnel ) pour tenir compte des changements intervenus tant dans le contexte organisationnel de leurs activités que dans la définition de l' activité elle-même » . Cf . R. Varga : «  Nous avions souhaité alléger notre travail de tuteur en regroupant les informations données mais cet accompagnement a au contraire demandé un investissement personnel plus important . Et l' interface numérique , qui pourrait introduire plus de distance dans les relations , s' est révélé un outil convivial favorisant les contacts humains » ( 2006 , p . 24 ) et D. Delache : «  L' interface n' est jamais qu' un outil au service du dispositif . Les étudiants expliquent l' échec relatif de l' usage de l' outil par la nécessité d' une impulsion initiale par le dispositif , d' une présentation formelle et d' animation de l' interface , au moins au départ par les responsables enseignants du dispositif . [ ... ] Il y a donc bien une dynamique de groupe à instaurer , et c' est là le travail des animateurs du dispositif , un sens à proposer à l' activité de groupe pour que cet usage numérique en formation porte ses fruits sur l' ensemble de la formation  » (   2006 , p . 12 ) . Voir aussi les contributions de l' un et l' autre dans ce symposium . Il évoque à ce propos la thèse centrale de S. Weber concernant le mode d' organisation de la production dans le champ de l' open source : «  Le succès de l' open source montre l' importance d' une solution radicalement différente [ de l' économie ordinaire ] reposant principalement sur l' interprétation non conventionnelle des droits de propriété configurés sur le principe de la distribution . Il repose ainsi sur un ensemble de structures organisationnelles qui coordonnent les comportements autour du management de l' innovation distribuée , ce qui est différent de la division du travail » ( S. Weber , 2004 , p . 224 , cité par Von Hippel , p . 169 - 170 ) . Nous faisons ici allusion aux différentes configurations développées par H. Mintzberg ( 1982 ) . Ce spécialiste canadien en sciences des organisations propose une théorie de la structure de l' entreprise en 5 configurations : structure simple ( caractérisée par une supervision directe ) , bureaucratie mécaniste ( standardisation du travail ) , bureaucratie professionnelle ( standardisation des qualifications ) , structure divisionnalisée ( standardisation des productions ) et adhocratie ( ajustement mutuel ) ( p. 409 sqq. ) . Ajoutons qu' il développe assez largement un exemple d' organisation universitaire à propos de la configuration « bureaucratie professionnelle » ( l' Université Mc Gill à Montréal ) , alors qu' il fait référence ( p. 398 ) à de toutes autres organisations que l' université pour la configuration adhocratique ( il parle des « nouvelles industries de notre époque , aérospatiale , électronique , conseil , recherche , publicité ... » ) . Voir D. Delache , Ch. D' Halluin , E . Fichez , F . Hoogstoel , G. Leclercq , R. Varga , ( 2006 ) : «  Il n' est pas dans les habitudes des CRI de partir des besoins des usagers enseignants ni de se donner comme priorité de co-concevoir des environnements avec eux . Il faut dire que ce genre de démarche est encore peu courant et récent . Il faut dire aussi que les sensibilités et l' écoute peuvent déjà être tout autres chez certains ingénieurs d' étude frottés de longue date à la pédagogie et qui jouent aujourd'hui dans nos institutions des rôles très importants d' interface entre les enseignants et les techniciens / ingénieurs des CRI » , 2006 , p . 16 . Diffusion prévue par l' INIST Voir E. Fichez , R. Varga ( 2006 ) , article déjà cité . Cf . M. Lebrun : «  Afin de favoriser l' entrée des enseignants dans des dispositifs innovateurs , il fallait leur proposer un outil simple ( «  i-campus  » ) qui leur permettait de faire des expériences . Même si cette façon de faire risquait de reproduire uniquement les anciennes pratiques , ce passage par l' expérimentation nous paraît inévitable [ ... ] . L' assimilation ( utiliser l' outil nouveau pour faire comme avant ) précède bien souvent l' accomodation ( imaginer de nouvelles niches , de nouveaux usages ) . Cette démarche d' assimilation-accomodation fait ressembler le processus d' innovation à un processus d' apprentissage » ( 2005 , p . 31 - 32 ) .