Mastre: après avoir longtemps débattu la discussion s' est un peu calmée parce que le duc de Bourgogne en personne s' est levé lui aussi racontait des histoires autour de cette table et il leur a dit écoutez mes seigneurs écoutez comment parfois les hommes savent se torturer le coeur et l' esprit au risque de perdre le bonheur qu' ils ont pourtant dans le creux de la main vous connaissez tous l' histoire de ce petit seigneur campagnard un hobereau un peu rustaud un peu lourdaud hmm il s' était marié en mille quatre cent cinquante-huit il était riche il possédait bonnes terres grands troupeaux belle maison il disposait de serviteurs nombreux mais surtout il avait une excellente épouse gouvernant sa maison avec beaucoup de clairvoyance et de doigté elle était bien plaisante à regarder plaisante par devant et par derrière tout autant et elle était fidèle absolument fidèle à la place du mari combien d' hommes auraient béni leur sort hein et bien lui non il ne bénissait rien et il surveillait tout il contrôlait il vérifiait il surveillait l' apothicaire l' aubergiste le forgeron il surveillait le prévôt le curé le ménestrel qui passait par là mais surtout le meunier qui sifflait à tue-tête en travaillant du matin jusqu' au soir il suivait les servantes porteuses de secrets et puis sa femme bien sûr il la suivait il la poursuivait ah elle était bien à plaindre de vivre aux côtés d' un d' un époux grincheux et soupçonneux comme celui-là quand elle sortait dans cette robe blanche avec du jaune par-là il ne savait pas pourquoi mais ça le plongeait pour la journée dans l' humeur la plus noire comme tous ceux qui sont rongés par cette malédiction il s' épuisait la vie dans des plaisirs bien misérables au bout d' une année de mariage à peine il était tout plat tout gris comme une vieille oreille d' âne un matin juste à la pointe de l' aube un merle bienheureux se met à chanter le bonhomme dormait toujours d' un oeil il se retrouve debout sur ses deux pieds courant partout dans le jardin persuadé que c' était pas le merle qui chantait mais le meunier venu là pour siffler une aubade à sa femme il a fini par se rendre compte que le merle moqueur continuait sa chanson tout en haut du grand chêne et là il s' est vu lui tout en bas pieds nus dans la rosée du petit matin en chemise et bonnet de nuit une apparition il a pris peur je veux guérir je veux la certitude je veux guérir coûte que coûte il avait dit ça à voix haute le merle a entendu tu veux guérir et où t' adresser aucun conseil d' ami aucune médecine ne vient jamais à bout du mal de jalousie tu es cuit mon ami tu es cuit cuit cuit cuit alors je vais implorer Dieu je vais faire des pèlerinages pèlerinages pèlerinages tu vas laisser ta maison sans espionnage mais à ton retour tu seras cuit mon ami tu seras cuit cuit cuit cuit oh mais alors je vais charger mes serviteurs de faire en mon nom dévotions et offrandes chaque matin j' honorerai le saint du jour ça vaudra bien dix pèlerinages le merle en haut du chêne s' est mis à rire graisse la patte au saint du jour l' évêque te dira bonjour mais le bon dieu restera sourd ha ha ha mais le merle pouvait toujours rire et chanter le bonhomme ne l' entendait plus il venait de réaliser qu' on était le vingt-neuf septembre c' était la Saint-Michel un très grand saint il a couru vers la maison pour éveiller ses serviteurs vous allez visiter toutes les chapelles toutes les églises vous pousserez jusqu' à la cathédrale de la ville je veux que tous les Saint-Michel du pays reçoivent bonne offrande sonnante et trébuchante et puis dévotions bien chevrotantes et pendant que vous y serez vous ferez brûler en plus un gros cierge de bonne cire devant le diable en forme de dragon que Saint-Michel écrase de son saint pied et à ce diable aussi vous direz une prière à mon intention ça fera bonne mesure allez serviteurs sont partis ils ont exécuté les ordres scrupuleusement ils sont revenus ils ont fait un rapport détaillé bon a dit le bonhomme bon je vais bien voir qui de Dieu ou du diable sera capable de me guérir et il a passé le reste de la journée comme à son habitude d' une abominable façon le soir est venu il s' est couché sans la toucher près de son excellente épouse et il a tourné longtemps dans sa tête farcie les idées noires qui s' y trouvaient mais la nature a eu le dessus il s' est endormi comme il atteignait le beau milieu de son meilleur sommeil voilà que celui à qui il avait offert un gros cierge de bonne cire lui apparaît en songe et quel songe le diable s' approchait il tenait par la bride le premier cheval d' un lourd attelage il y avait trois chevaux rouges comme braise trois chevaux noirs comme charbon luisant la charrette était verte lourdement chargée les quatre essieux grinçaient le diable était vêtu de noir et de rouge et il avait entre les cornes un bonnet de charretier il s' est arrêté juste à la hauteur du bonhomme ébahi je suis venu te remercier de ton offrande euh euh voilà belle lurette que pareille aubaine ne m' était pas arrivé mais mon ami tu n' as pas perdu ta peine ce que tu m' as demandé tu l' auras et le bonhomme a bien senti que le diable tout en parlant lui glissait un anneau à l' un des doigts de la main gauche aussi longtemps que cet anneau restera en place tu seras guéri de ta jalousie cet anneau te dira chaque instant où est ta femme d' où elle vient où elle va et surtout ce qu' elle fait tu ne seras jamais cocu mon ami tu ne seras jamais cocu à moins d' y consentir toi-même tu peux dormir tranquille sans craindre l' infortune tu peux aller en paix en toute certitude et le diable a reculé d' un pas il a touché son bonnet comme pour saluer et il a rejoint l' attelage à nouveau le jaloux a vu passer devant ses yeux les trois chevaux rouges les trois chevaux noirs la charrette verte et les essieux grinçer et rouge vert et noir tout s' est fondu dans le brouillard du rêve mais le brouillard du rêve c' était comme si un tout petit agneau avait posé sa laine douce sur le coeur du jaloux il flottait sur un petit nuage bleu il était bien il sent il sentait à à son doigt la chaleur de l' anneau ça le rendait câlin un peu taquin peu coquin un merle gentiment faisait des vocalises il était bien dans les fumées douces du rêve dans lequel il entendait passer des soupirs mais les fumées douces du rêve se sont tout à coup dissipées car le jaloux a cru sentir qu' on lui dérobait son anneau il s' est réveillé en sursaut et il a découvert que l' un de ses doigts était profondément enfoncé dans le derrière de sa femme ce qui les a plongés l' un et l' autre dans une très grande stupéfaction on ne sait pas ce qu' il advint par la suite du jaloux et de son excellente épouse on ne sait pas quel parti ils ont pu tirer du diabolique anneau l' histoire ne le dit pas et c' est diablement regrettable merci