Mastre: imaginez nous sommes en mille quatre cent soixante-sept et nous sommes en Bourgogne nous sommes au quinzième siècle en Bourgogne au quinzième siècle la Bourgogne commence euh vers Dijon comme aujourd' hui mais elle continue bien plus loin qu' aujourd' hui vers le nord elle continue elle traverse la Champagne la Picardie l' Artois elle traverse aussi la frontière belge elle continue encore vers la Hollande autrement dit au quinzième siècle la Bourgogne c' est un grand duché et le duc de Bourgogne est très puissant très riche il est plus puissant et plus riche que tous les rois d' Europe de ce temps-là il faut que vous imaginiez Louis quatorze trois siècles avant imaginez le soir le duc de Bourgogne à sa table en train de souper il a invité une quinzaine de seigneurs qui sont ses vassaux mais qui sont ses complices aussi on aime bien manger en Bourgogne et bien boire tous ces seigneurs se retrouvent entre hommes et ils aiment bien s' amuser ils aiment aussi les femmes et les choses de l' amour et alors chaque soir lorsqu' il y a ce souper à tour de rôle comme dans le Décameron de Bocasse ils racontent une histoire chacun son tour librement c' est Monseigneur de Laroche qui ce soir se lève et dit écoutez mes seigneurs écoutez comment les femmes peuvent parfois tirer profit de la grande faiblesse des hommes il y avait à Paris du côté de la Porte de la Chapelle un riche orfèvre et dans l' après-midi du cinq mai mille quatre cent quarante-six ce riche orfèvre était pensif c' est qu' il voyait se rapprocher la date de la grande foire qui commence à la Saint-Barnabé et se termine à la Saint-Jean et qui s' étend de Saint-Ouen jusqu' à Saint-Denis il avait bien besoin d' invoquer les quatre saints l' orfèvre parce qu' il était pas sûr de se trouver fin prêt le grand jour venu il lui restait encore beaucoup à fabriquer beaucoup de plateaux en étain beaucoup de calices en argent beaucoup de coupes de ciboires il avait embauché un renfort un grand nombre d' ouvriers qu' il hébergeait chez lui pour être sûr de les voir au travail dès la première heure la maison en était remplie la forge ronflait du matin jusqu' au soir pour préparer les alliages précieux et il fallait chaque jour à l' orfèvre de grandes quantités de charbon de bois plusieurs charretiers lui en assuraient la livraison mais l' un d' eux était particulièrement débrouillard et ce jour-là il a réussi à fournir quatre charrettes de plus que tous les autres un exploit selon la chronique il venait de rentrer dans Paris avec son dernier chargement quand les portes de la ville se sont refermées derrière lui comme chaque soir en ce temps-là pas question pour le charretier de quitter Paris avant le lendemain mais qu' à cela ne tienne l' orfèvre l' a accueilli les bras ouverts une fois le charbon déchargé les chevaux bien installés dans l' écurie voilà le charretier assis à la table familiale de l' orfèvre un repas plantureux crêtes de coqs et rognons frits pâtés en croûte poisson grillé chapon gigot fromages excellents le tout arrosé tant et plus de bon vin de Bourgogne chaleureux et coloré quand la cloche a sonné minuit tout le monde était bien surpris de ne pas avoir vu le temps passer l' orfèvre alors a proposé au charretier de passer la nuit sous son toit les rues n' étant pas sûres à cette heure tardive mais la maison était remplie toutes les chambres occupées l' orfèvre était bien obligé de faire partager au charretier le lit que lui-même occupait avec son épouse en homme de bon sens qu' aucune espèce de soupçon ne vient tourmenter il a fait coucher son épouse entre le charretier et lui-même oh mais ne croyez pas que l' affaire s' est faite toute seule non le brave charretier refusait catégoriquement de se faire héberger de cette façon-là lui il aurait eu dormi sur un banc ou dans le foin de la grange mais rien à faire l' orfèvre était trop content d' avoir fait rentrer tout le charbon nécessaire et de finir à temps une production qu' il souhaitait vendre à un bon prix le charretier a fini par céder qu' est-ce que vous auriez fait à sa place hein donc donc donc il s' est déshabillé et pour dormir il est entré dans le lit où se trouvaient déjà l' orfèvre et sa femme quand celle-ci a senti que le charretier à cause du froid ou de l' étroitesse du lit se rapprochait d' elle elle s' est tournée résolument vers l' orfèvre en guise d' oreiller elle a pris la poitrine de son mari pour y poser sa tête mais dans le mouvement elle n' a pas pu empêcher que son gros derrière se trouve spontanément placé juste à la hauteur du giron du charretier l' orfèvre bien bu bien content bien mangé n' a pas tardé à succomber au plus profond sommeil et si l' on s' en tient à l' apparence sa femme en avait déjà fait autant de son côté le charretier tout recru de fatigue qu' il était lui aussi ne se trouvait pas tout à fait dans les mêmes dispositions d' esprit car comme l' étalon quand il sent la jument s' échauffe s' agite se dresse dans l' écurie ainsi faisait son étalon à lui relevant bien haut la tête de sentir là tout près monts et merveilles inconnu toute une femme d' orfèvre dès lors il n' était plus dans le pouvoir du charretier de d' empêcher son étalon de la rejoindre de s' approcher d' elle de la serrer de près de très près ce qu' il fit les choses en restèrent là pendant un grand moment dans l' obscurité de la chambre la femme continue à dormir en tout cas son comportement ne montrait pas si elle s' était réveillée le mari quant à lui ronflait comme un sonneur de Notre-Dame et il aurait dormi tout droit jusqu' au matin s' il n' avait pas eu posé sur la poitrine la tête de sa femme car bientôt sous les coups de boutoir de l' étalon la tête s' est mise à secouer l' orfèvre à le secouer à le secouer si fort qu' il a fini tout de même par ouvrir un oeil il a d' abord pensé dans les profondeurs psychiques de lui-même que sa femme était en train de rêver mais l' affaire traînait en longueur et il entendait le charretier qui s' agitait qui soufflait qui s' agitait qui soufflait là-bas de l' autre côté alors il a ouvert l' autre oeil et là tout doucement il a levé la main calculant bien son coup et il a rabattue si exactement qu' il a surpris l' étalon du charretier en flagrant délit de braconnage dans un pré fleuri qui n' était pas le sien sans aucun ménagement il a fait déguerpir l' étalon de la prairie où il gambadait et dans le noir il a sermonné le charretier malheureux mais que faites-vous là triple idiot que vous êtes par ma foi je vous trouve bien insensé de vouloir poinçonner ma femme sans être orfèvre en la matière le charretier a bredouillé deux mots d' excuse en tirant fort sur le bord de l' édredon sacrebleu continuait l' autre si elle s' était réveillée pendant que votre étalon la pilonnait de la sorte vous savez ce qui se serait passé hein vous le savez silence lourd sur l' édredon du charretier mais elle vous aurait griffé toute la figure mon bleu et même de ses deux mains elle vous aurait arraché au moins les deux yeux vous ne savez pas quelle furie elle devient quand elle se met en colère et vous ne savez pas que pour la mettre en colère rien de tel mais rien de tel que de la faire jouer à ce petit jeu-là le charretier se défendait bien d' avoir eu dans la tête la moindre intention de mettre en colère la femme de l' orfèvre mais le sermon continuait s' étirait dans la nuit et la nuit était interminable il faut vous dire que le soleil là-bas du côté d' Aubervilliers suivait toute la conversation et il en oubliait de faire lever le jour pourtant le petit matin est tout de même arrivé le charretier s' est levé il a souhaité le bonjour à son hôte il a souhaité le bonjour à son hôtesse et il est retourné à sa charrette il a attelé ses chevaux il leur a flatté l' encolure et la croupe d' une main quelque peu nostalgique et puis il est parti trois semaines après l' orfèvre vendait en une seule matinée toute sa production en faisant un énorme bénéfice voilà l' histoire une histoire que le charretier ne s' est pas privé de raconter dans les tavernes et les auberges comme je vous la raconte ce soir à ceci près que selon lui la femme ne dormait pas mais là-dessus les chroniqueurs ne sont pas unanimes et puis à la table du duc de Bourgogne on en a longtemps débattu alors le mieux c' est que vous fassiez vous-mêmes votre idée