_: INTRODUCTION sens et objet de la géographie humaine . 1 . - examen critique de la conception de géographie humaine : la géographie humaine est une des branches qui ont récemment poussé sur le vieux tronc de la géographie . S' il ne s' agissait que d' une épithète , rien ne serait moins nouveau . L' élément humain fait essentiellement partie de toute géographie ; l' homme s' intéresse surtout à son semblable , et , dès qu' a commencé l' ère des pérégrinations et des voyages , c' est le spectacle des diversités sociales associé à la diversité des lieux qui a piqué son attention . Ce qu' * Ulysse a retenu de ses voyages , c' est " la connaissance des cités et des moeurs de beaucoup d' hommes " . La géographie botanique s' appuie déjà sur un nombre imposant d' observations et de recherches ; l' exotisme ne se traduit pas moins par les moyens de nourriture et l' aspect physique des hommes , que par les montagnes , les déserts , les fleuves qui forment leur entourage . La géographie humaine ne s' oppose donc pas à une géographie d' où l' élément humain serait exclu ; il n' en a existé de telle que dans l' esprit de quelques spécialistes exclusifs . Mais elle apporte une conception nouvelle des rapports entre la terre et l' homme , conception suggérée par une connaissance plus synthétique des lois physiques qui régissent notre sphère et des relations entre les êtres vivants qui la peuplent . C' est l' expression d' un développement d' idées et non le résultat direct et pour ainsi dire matériel de l' extension des découvertes et des connaissances géographiques . Il semblerait que la grande lumière qui se projeta au XVIe siècle sur l' ensemble de la terre eût pu donner lieu à une véritable géographie humaine . Tel ne fut pas le cas . Les moeurs des habitants tiennent assurément une grande place dans les récits et les compilations que nous a légués cette époque . Mais quand ce n' est pas le merveilleux , c' est l' anecdote qui y domine . Dans ces divers types de sociétés qui défilent sous nos yeux , aucun principe de classification géographique ne se fait jour . Ceux qui , d' après ces données , essayaient de retracer des tableaux ou des " miroirs " du monde , ne se montrent en rien supérieurs à * Strabon . Lorsque , en 1650 , * Bernard * Varenius écrit sa géographie générale , l' oeuvre la plus remarquable qui ait paru avant * Ritter , il emploie à propos des phénomènes humains qui doivent figurer dans les descriptions de contrées , des expressions montrant une condescendance presque dédaigneuse . Ainsi deux siècles de découvertes avaient accumulé des notions sur les peuples les plus divers , sans qu' il s' en dégageât , pour un esprit préoccupé de classification scientifique , rien de satisfaisant et de net ! Cependant la pensée scientifique avait été de longue date attirée par les influences du monde physique et leur action sur les sociétés humaines . Ce serait faire injure à une lignée de penseurs qui va des premiers philosophes grecs à * Thucydide , * Aristote , * Hippocrate et * Eratosthène , que de ne pas tenir compte des vues ingénieuses , parfois profondes , qui sont semées dans leurs écrits . Comment le spectacle varié et grandissant du monde extérieur n' eût -il pas éveillé , par un juste retour sur la marche des sociétés humaines , un écho dans ces écoles philosophiques nées sur les rivages d' * Ionie ? Il s' était trouvé là des penseurs qui , comme * Héraclite , véritable prédécesseur de * Bacon , jugèrent que l' homme , plutôt que de river la recherche de la vérité à la contemplation de " son microcosme " , aurait grande raison d' étendre son horizon et de demander des lumières " au monde plus grand " dont il fait partie . Ils commencèrent par chercher dans le milieu physique l' explication de ce qui les frappait dans le tempérament des habitants . Puis , à mesure que les observations sur la marche des événements et des sociétés s' accumulèrent dans le temps et dans l' espace , on comprit mieux quelle part il convenait d' y assigner aux causes géographiques . Les considérations de * Thucydide sur la * Grèce archaïque , de * Strabon sur la position de l' * Italie , procèdent des mêmes exigences d' esprit que certains chapitres de l' esprit des lois ou de l' histoire de la civilisation en * Angleterre de * Thomas * Buckle . * Ritter s' inspire aussi de ces idées dans son erdkunde , mais il le fait davantage en géographe . Si , par un reste de prévention historique , il assigne un rôle spécial à chaque grande individualité continentale , du moins l' interprétation de la nature reste pour lui le pivot . Au contraire , pour la plupart des historiens et des sociologues , la géographie n' intervient qu' à titre consultatif . On part de l' homme pour revenir par un détour à l' homme . On se représente la terre comme " la scène où se déroule l' activité de l' homme " , sans réfléchir que cette scène elle-même est vivante . Le problème consiste à doser les influences subies par l' homme , à faire la part d' un certain genre de déterminisme s' exerçant à travers les événements de l' histoire . Questions assurément graves et intéressantes , mais qui pour être résolues exigent une connaissance à la fois générale et plus approfondie du monde terrestre qu' il n' était possible de l' obtenir jusqu'à ces derniers temps . II . - le principe de l' unité terrestre et la notion de milieu : l' idée qui plane sur tous les progrès de la géographie est celle de l' unité terrestre . La conception de la terre comme un tout dont les parties sont coordonnées , où les phénomènes s' enchaînent et obéissent à des lois générales dont dérivent les cas particuliers , avait , dès l' antiquité , fait son entrée dans la science par l' astronomie . Suivant l' expression de * Ptolémée , la géographie est " la science sublime qui lit dans le ciel l' image de la terre " . Mais la conception de l' unité terrestre resta longtemps confinée dans le domaine mathématique . Elle n' a pris corps dans les autres parties de la géographie que de nos jours , et surtout par la connaissance de la circulation atmosphérique qui préside aux lois du climat . De plus en plus , on s' est élevé à la notion de faits généraux liés à l' organisme terrestre . C' est avec raison que * Fr. * Ratzel insiste sur cette conception dont il fait la pierre d' angle de son anthropogéographie . les faits de géographie humaine se rattachent à un ensemble terrestre et ne sont explicables que par lui . Ils sont en rapport avec le milieu que crée , dans chaque partie de la terre , la combinaison des conditions physiques . Cette notion de milieu , c' est surtout la géographie botanique qui a contribué à la mettre en lumière , lumière qui se projette sur toute la géographie des êtres vivants . * Alexandre * De * Humboldt avait signalé , avec sa prescience accoutumée , l' importance de la physionomie de la végétation dans la caractéristique d' un paysage , et , lorsqu' en 1836 * H . * Berghaus publia , sous son inspiration , la première édition de son atlas physique , le climat et la végétation y étaient mis nettement en rapport . Cet aperçu fécond ouvrait la voie à une nouvelle série de recherches . Il ne s' agissait plus en effet d' un classement suivant les espèces , mais d' une vue embrassant tout l' ensemble du peuplement végétal dans une contrée , de façon à noter les caractères par lesquels s' exprime l' influence des conditions ambiantes : sol , température , humidité . La physionomie de la végétation est bien le signalement le plus expressif d' une contrée , comme son absence en est un des traits qui nous étonne . Lorsque nous cherchons à évoquer un paysage enfoui dans nos souvenirs , ce n' est pas une plante en particulier , un palmier , un olivier , dont l' image se dresse dans notre mémoire ; c' est l' ensemble des végétaux divers qui revêtent le sol , en soulignent les ondulations et les contours , lui impriment par leur silhouette , leurs couleurs , leur espacement ou leurs masses , un caractère commun d' individualité . La steppe , la savane , la silve , le paysage de parc , la forêt-clairière , la forêt-galerie , sont les expressions collectives qui résument pour nous cet ensemble . Il ne s' agit pas d' une simple impression pittoresque , mais d' une physionomie due aux fonctions mêmes des plantes et aux nécessités physiologiques de leur existence . C' est ce que les observations et les recherches expérimentales de la géographie botanique , surtout depuis qu' elles se sont étendues aux régions tropicales et tempérées , à toutes les inégalités d' altitudes , ont démontré par l' analyse et la comparaison . La concurrence des plantes entre elles est si active qu' il n' y a que les mieux adaptées au milieu ambiant qui parviennent à s' y maintenir . Encore n' est -ce jamais qu' à l' état d' équilibre instable . Cette adaptation s' exprime de diverses manières , la taille , les dimensions et la position des feuilles , le revêtement pileux , les fibres des tissus , le développement des racines , etc. Non seulement chaque plante pourvoit de son mieux à l' accomplissement de ses fonctions vitales ; mais il se forme entre végétaux différents des associations telles que l' une profite du voisinage de l' autre . Quelles que soient les variétés d' espèces qui cohabitent , quelles que soient même les différences extérieures des procédés d' adaptation dont elles usent , il y a dans toute cette population végétale un signalement commun , auquel ne se trompe pas un oeil exercé . Telle est la leçon d' oecologie , que nous devons aux recherches de la géographie botanique : oecologie , c' est-à-dire , suivant les termes mêmes de celui qui a inventé ce nom , la science qui étudie " les mutuelles relations de tous les organismes vivant dans un seul et même lieu , leur adaptation au milieu qui les environne " . Car il est évident que ces relations n' embrassent pas seulement les plantes . Sans doute , les animaux doués de locomotion , et l' homme avec son intelligence , sont mieux armés que la plante pour réagir contre les milieux ambiants . Mais , si l' on réfléchit à tout ce qu' implique ce mot de milieu ou d' environnement suivant l' expression anglaise , à tous les fils insoupçonnés dont est tissée la trame qui nous enlace , quel organisme vivant pourrait s' y soustraire ? En somme , ce qui se dégage nettement de ces recherches , c' est une idée essentiellement géographique : celle d' un milieu composite , doué d' une puissance capable de grouper et de maintenir ensemble des êtres hétérogènes en cohabitation et corrélation réciproque . Cette notion paraît être la loi même qui régit la géographie des êtres vivants . Chaque contrée représente un domaine où se sont artificiellement réunis des êtres disparates qui s' y sont adaptés à une vie commune . Si l' on considère les éléments zoologiques qui entrent dans la composition d' une faune régionale , on constate qu' elle est des plus hétérogènes ; elle se compose de représentants des espèces les plus diverses , que des circonstances , toujours difficiles à préciser , mais liées à la concurrence vitale , ont amenés dans cette contrée . Pourtant ils s' y sont accommodés ; et , si les relations qu' ils entretiennent entre eux sont plus ou moins hostiles , elles sont telles cependant que leurs existences semblent solidaires . Les îles mêmes , pourvu qu' elles aient quelque étendue , ne font pas exception à cette diversité . Nous recueillons chez les naturalistes zoo-géographes , des expressions telles que " communauté de vie " , ou bien " association faunistique " . De quelle application ces données sont -elles susceptibles quant à la géographie humaine ? C' est ce que nous allons rechercher . III . - l' homme et le milieu : mais avant d' aller plus loin , une question se rencontre à laquelle il faut brièvement répondre . Pour la plupart des auteurs anciens auxquels la géographie fait remonter ses titres d' origine , l' idée de contrée est inséparable de celle de ses habitants ; la géographie zoologique , quoique bien moins avancée , compte de fructueuses explorations à son actif : quelles sont les données dont dispose la géographie humaine ? D' où lui viennent -elles ? Sont -elles assez nombreuses pour autoriser les conclusions que nous avons déjà laissé entrevoir ? Dans l' étude des rapports de la terre et de l' homme , la perspective a été changée ; plus de recul a été obtenu . On n' envisageait guère auparavant que la période historique , c' est-à-dire le dernier acte du drame humain , un temps très court par rapport à la présence et à l' action de l' homme sur la terre . L' investigation préhistorique nous a montré l' homme répandu depuis un temps immémorial dans les parties les plus diverses du globe , armé du feu , taillant des instruments ; et , si rudimentaires que paraissent ses industries , on ne saurait considérer comme négligeables les modifications qu' a pu subir , de leur fait , la physionomie de la terre . Le chasseur paléolithique , les premiers cultivateurs néolithiques ont ouvert des brèches et créé aussi des associations dans le monde des animaux et des plantes . Ils ont opéré sur des points divers , indépendamment les uns des autres , comme le prouvent les diversités restées en usage dans les procédés de production du feu . L' homme a influé , plus anciennement et plus universellement qu' on ne pensait , sur le monde vivant . De ce que l' espèce humaine s' est répandue ainsi de bonne heure sur les régions les plus diverses , il résulte qu' elle a eu à se soumettre à des cas d' adaptations multiples . Chaque groupe a rencontré dans le milieu spécial où il devait assurer sa vie , des auxiliaires ainsi que des obstacles : les procédés auxquels il a eu recours envers eux représentent autant de solutions locales du problème de l' existence . Or , jusqu'au moment où , l' intérieur des continents s' étant ouvert , des explorations scientifiques en ont systématiquement observé les populations , un épais rideau nous dérobait ces développements variés d' humanités . Les influences de milieu ne se révélaient à nous qu' à travers une masse de contingences historiques qui les voile . La vision directe de formes d' existence en étroit rapport avec le milieu , telle est la chose nouvelle que nous devons à l' observation systématique de familles plus isolées , plus arriérées de l' espèce humaine . Les services que nous signalions tout à l' heure comme ayant été rendus à la géographie botanique par l' analyse des flores extra-européennes , sont précisément ceux dont la géographie humaine est redevable à la connaissance des peuples restés voisins de la nature , aux naturvolker . quelque part qu' on fasse aux échanges , il est impossible d' y méconnaître un caractère marqué d' autonomie , d' endémisme . il nous fait comprendre comment certains hommes placés en certaines conditions déterminées de milieux , agissant d' après leur propre inspiration , s' y sont pris pour organiser leur existence . N' est -ce pas , après tout , sur ces bases que se sont élevées les civilisations qui ne sont que des accumulations d' expériences ? En grandissant , en se compliquant , elles n' ont pas entièrement rompu avec ces origines . Plusieurs de ces formes primitives d' existence sont périssables ; plusieurs sont éteintes ou en voie d' extinction : soit . Mais elles nous laissent , comme témoins ou comme reliques , les produits de leur industrie locale , armes , instruments , vêtements , etc. , tous les objets dans lesquels se matérialise , pour ainsi dire , leur affinité avec la nature ambiante . On a eu raison de les recueillir , d' en former des musées spéciaux où ils sont groupés et géographiquement coordonnés . Un objet isolé dit peu de chose ; mais des collections de même provenance nous permettent de discerner une empreinte commune , et donnent , vive et directe , la sensation du milieu . Aussi des musées ethnographiques tels que celui qu' a fondé à * Berlin l' infatigable ardeur de * Bastian , ou ceux de * Leipzig ou d' autres villes , sont -ils de véritables archives où l' homme peut s' étudier lui-même , non point in abstracto , mais sur des réalités . Autre progrès : nous sommes mieux instruits sur la répartition de notre espèce , nous savons mieux dans quelle proportion numérique l' homme occupe les diverses parties de la terre . Je n' affirmerais pas qu' on possède un inventaire exact de l' humanité , et que le chiffre de 1 . 700 millions représente positivement celui de nos semblables ; mais ce qui est certain , c' est que grâce à des sondages pratiqués un peu partout dans l' océan humain , à des recensements répétés , à des estimations plausibles , on dispose de chiffres déjà assez précis pour permettre d' établir des rapports . Dans la mobilité qui préside aux rapports de tous les êtres vivants , l' état numérique et territorial de chaque espèce est une notion scientifique de haute valeur . Elle jette un jour sur l' évolution du phénomène . La population humaine est un phénomène en marche ; c' est le fait mis pleinement en évidence , lorsque , par-dessus les statistiques particulières des états , on considère l' ensemble de sa distribution sur le globe . Il y a des parties qu' elle occupe en force , où elle semble avoir utilisé , même outre mesure , toutes les possibilités d' espace . Il y en a d' autres où , sans que des raisons de sol et de climat justifient cette anomalie , elle est restée faible , clairsemée . Comment expliquer ces inégalités , sinon par des courants d' immigration ayant pris naissance en des temps antérieurs à l' histoire et dont la géographie seule peut nous aider à trouver la trace ? Et naturellement aujourd'hui ces contrées négligées deviennent des foyers d' appel pour les mouvements qui agitent l' humanité actuelle . Un des rapports les plus suggestifs est celui qui existe entre le nombre d' habitants et une certaine portion de surface ; autrement dit la densité de population . Si l' on met en regard des statistiques détaillées de population avec des cartes également détaillées , comme en possèdent aujourd'hui presque tous les principaux pays du monde , il est possible , par un travail d' analyse , de discerner des correspondances entre les rassemblements humains et les conditions physiques . On touche ainsi à l' un des problèmes essentiels que soulève l' occupation de la terre . Car l' existence d' un groupement de population dense , d' une cohabitation nombreuse d' êtres humains dans un minimum d' espace , garantissant à la collectivité des moyens assurés de vivre , est , si l' on y réfléchit , une conquête qui n' a pu être réalisée qu' à la faveur de rares et précieuses circonstances . Aujourd'hui les facilités du commerce nous masquent les difficultés qu' ont rencontrées , pour former sur place des groupes compacts , les hommes d' autrefois . Cependant , la plupart des groupements actuels sont des formations qui remontent haut dans le passé ; leur étude analytique permet d' en comprendre la genèse . En réalité la population d' une contrée se décompose , comme l' a bien montré * Levasseur , en un certain nombre de noyaux , entourés d' auréoles d' intensité décroissante . Elle se groupe suivant des points ou des lignes d' attraction . Les hommes ne se sont pas répandus à la façon d' une tache d' huile , ils se sont primitivement assemblés à la façon des coraux . Une sorte de cristallisation a aggloméré sur certains points des bancs de populations humaines . Ces populations y ont , par leur intelligence , accru les ressources naturelles et la valeur des lieux , de telle sorte que d' autres sont venues pour participer , de gré ou de force , aux bénéfices de ce patrimoine , et des couches successives se sont accumulées sur les terrains d' élection . Nous possédons aujourd'hui des données anthropologiques sur quelques-unes des contrées où se sont ainsi superposées des alluvions humaines . L' * Europe centrale , le bassin méditerranéen , l' * Inde anglaise , nous présentent , à titres divers , des exemplaires d' après lesquels il est possible de se rendre compte de la composition des peuplements humains . La complexité de ces peuplements est , d' une façon générale , ce qui nous frappe . Lorsqu' on essaie de distinguer , d' après les indices anthropologiques réputés les plus persistants , les éléments qui entrent dans la population non seulement d' une grande contrée , mais d' une circonscription régionale de moindre étendue , on constate qu' à peu d' exceptions près c' est l' absence d' homogénéité qui est la règle . L' anthropologie distingue en * France des éléments très anciens , remontant aux temps préhistoriques , à côté d' éléments venus ultérieurement , souvent d' une région , d' un département même . Il y a dans cette diversité des degrés qu' expliquent suffisamment la nature et la position des contrées ; mais , dans l' état actuel de l' évolution du peuplement humain , bien rare sont les parties qui semblent avoir entièrement échappé aux flots d' invasions qui ont circulé à la surface de la terre : quelques archipels lointains , quelques cantons montagneux , tout au plus . Même dans la région des silves africaines , les nègres de haute taille et les pygmées à teint plus clair coexistent en rapports réciproques . On peut dès à présent considérer comme acquise , contrairement aux habitudes du langage courant qui les confond sans cesse , la distinction fondamentale du peuplement et de la race . Sous les conformités de langue , de religion et de nationalité , persistent et ne laissent pas de travailler les différences spécifiques implantées en nous par un long atavisme . Cependant ces groupes hétérogènes se combinent dans une organisation sociale qui fait de la population d' une contrée , envisagée dans son ensemble , un corps . Il arrive parfois que chacun des éléments qui entrent dans cette composition s' est cantonné dans un genre de vie particulier : les uns chasseurs , les autres agriculteurs , les autres pasteurs ; on les voit , en ce cas , coopérer , unis les uns aux autres par une solidarité de besoins . Le plus souvent , à l' exception de quelques molécules obstinément réfractaires tels que gypsies , gitanes , tziganes , etc . - dans nos sociétés d' * Europe , l' influence souveraine du milieu a tout rallié à des occupations et à des moeurs analogues . Des signes matériels traduisent ces analogies . Telle est la force assouplissante qui prévaut sur les différences originelles et les combine dans une adaptation commune . Les associations humaines , de même que les associations végétales et animales , se composent d' éléments divers soumis à l' influence du milieu . On ne sait quels vents les ont réunis , ni d' où , ni à quelle époque ; mais ils coexistent dans une contrée qui , peu à peu , les a marqués de son empreinte . Il y a des sociétés de longue date incorporées au milieu , mais il y en a d' autres en formation , qui vont se recrutant et se modifiant de jour en jour . Sur celles -ci , malgré tout , les conditions ambiantes exercent leur pression et on les voit en * Australie , au * Cap , ou en * Amérique , s' imprégner aussi des lieux où se déroulent leurs destinées . Les boers ne réalisent -ils pas un des plus remarquables types d' adaptation ? iv . - l' homme facteur géographique : par-dessus le localisme dont s' inspiraient les conceptions antérieures , des rapports généraux entre la terre et l' homme se font jour . La répartition des hommes a été guidée dans sa marche par le rapprochement et la convergence des masses terrestres . Les solitudes océaniques ont divisé des oecoumènes longtemps ignorantes les unes des autres . Sur l' étendue des continents les groupes qui ont essaimé çà et là , ont rencontré entre eux des obstacles physiques qu' ils n' ont surmontés qu' à la longue : montagnes , forêts , marécages , contrées sans eau , etc. La civilisation se résume dans la lutte contre ces obstacles . Les peuples qui en sont sortis vainqueurs ont pu mettre en commun les produits d' une expérience collective , acquise en divers milieux . D' autres communautés ont perdu , par un long isolement , la faculté d' initiative qui avait mis en oeuvre leurs premiers progrès ; incapables de s' élever par leurs propres forces au-dessus d' un certain stade , elles font songer à ces sociétés animales qui semblent avoir épuisé la somme de progrès dont elles étaient susceptibles . Aujourd'hui toutes les parties de la terre entrent en rapport ; l' isolement est une anomalie qui semble un défi , et ce n' est plus entre contrées contiguës et voisines , mais entre contrées lointaines qu' est le contact . Les causes physiques dont les géographes s' étaient précédemment attachés à montrer la valeur , ne sont pas pour cela négligeables ; il importe toujours de marquer l' influence du relief , du climat , de la position continentale ou insulaire sur les sociétés humaines ; mais nous devons envisager leurs effets conjointement sur l' homme et sur l' ensemble du monde vivant . C' est ainsi que nous pouvons le mieux apprécier le rôle qu' il convient d' attribuer à l' homme comme facteur géographique . Actif et passif , il est à la fois les deux . Car , suivant le mot bien connu , " natura non nisi parendo vincitur " . Un éminent géographe russe , * M. * Woeïkof , a fait remarquer que les objets soumis à la puissance de l' homme sont surtout ce qu' il appelle " les corps meubles " . Il y a en effet sur la partie de l' écorce terrestre qui est directement soumise à l' action mécanique des eaux courantes , des gelées , des vents , des plantes par leurs racines , des animaux par les transports de molécules et le piétinement , un résidu de désagrégation sans cesse renouvelé , disponible , susceptible de se modifier et d' accueillir des formes diverses . Dans les parties les plus ingrates du * Sahara les dunes sont le dernier asile de la végétation et de la vie . L' action de l' homme trouve plus de facilités à s' exercer dans les contrées où ces matériaux meubles sont répartis avec abondance que dans celles où une carapace calcaire , une croûte latéritique par exemple ont endurci et stérilisé la surface . Mais il faut ajouter que la terre elle-même , suivant l' expression de * Berthelot , est quelque chose de vivant . Sous l' influence de la lumière et d' énergies dont le mécanisme nous échappe , les plantes absorbent et décomposent les corps chimiques ; les bactéries fixent dans certains végétaux l' azote de l' atmosphère . La vie , transformée en passant d' organismes en organismes , circule à travers une foule d' êtres : les uns élaborent la substance dont se nourrissent les autres ; quelques-uns transportent les germes de maladies qui peuvent détruire d' autres espèces . Ce n' est pas seulement à la faveur des agents inorganiques que se produit l' action transformatrice de l' homme ; il ne se contente pas de mettre à profit , avec sa charrue , les matériaux de décomposition du sous-sol ; d' utiliser les chutes d' eau , la force de pesanteur accrue par les inégalités du relief ; il collabore avec toutes ces énergies vivantes qui se groupent et s' associent suivant les conditions de milieu . Il entre dans le jeu de la nature . Ce jeu n' est pas exempt de péripéties . Il faut remarquer que , dans beaucoup de parties de la terre , sinon dans la totalité , les conditions de milieu déterminées par le climat n' ont pas la fixité que semblent leur attribuer les moyennes enregistrées par nos cartes . Le climat est une résultante qui oscille autour d' une moyenne , plutôt qu' il ne s' y tient . Les données beaucoup trop imparfaites encore que nous possédons , ont toutefois mis en lumière le fait que ces oscillations semblent avoir un caractère périodique , c' est-à-dire qu' elles persistent plusieurs années tantôt dans un sens , tantôt dans un autre . Des séries pluvieuses alternent avec des séries sèches ; et si ces variations n' apportent pas grand trouble dans les contrées abondamment arrosées , il n' en est pas de même dans celles qui ne reçoivent que le minimum nécessaire . On comprend la portée de cette observation , car l' intervention de l' homme peut consolider le moment positif , asseoir sur un état temporaire un état fixe , fixe du moins jusqu'à nouvel ordre . Prenons un exemple : du nord de l' * Afrique au centre de l' * Asie , les observateurs sont frappés de spectacles de désolation qui contrastent avec les vestiges de culture et les ruines qui attestent une ancienne prospérité . Celle -ci reposait sur le fragile échafaudage de travaux d' irrigation , grâce auxquels auxquels l' homme réussissait à étendre aux périodes sèches le bénéfice des périodes humides . Que la fonction bienfaisante soit interrompue quelque temps , tous les ennemis que combattait l' irrigation prendront le dessus . Surtout , chose plus grave , l' adaptation aura pris un autre cours . D' autres habitudes auront prévalu chez les hommes ; leur existence sera liée à d' autres moyens , à d' autres êtres exigeant d' autres disponibilités d' espace . La forêt n' a pas de plus grand ennemi que le pasteur ; les digues et les canaux ont un adversaire acharné dans le bédouin dont elles gênent les pérégrinations . L' action de l' homme tire sa principale puissance des auxiliaires qu' elle mobilise dans le monde vivant : plantes de culture , animaux domestiques ; car il met ainsi en branle des forces contenues , qui trouvent grâce à lui le champ libre , et qui agissent . La plupart des associations végétales formées par la culture se composent d' éléments primitivement dispersés . C' étaient des plantes nichées sur des pentes exposées au soleil , ou sur les bords des fleuves , qu' avait reléguées sur certains points la concurrence d' espèces groupées en plus grandes masses et constituées en plus gros bataillons . Du cantonnement propice où elles s' étaient retranchées , ces plantes , que la reconnaissance des hommes devait un jour bénir , guettaient le moment où des circonstances nouvelles leur livreraient plus d' espace . L' homme , en les adoptant dans sa clientèle , leur a rendu ce service , il les a déliées . Du même coup , il a frayé la route à un cortège de végétaux ou d' animaux non conviés ; il a substitué des associations nouvelles à celles qui avaient avant lui pris possession de l' espace . Jamais , sans l' homme , les plantes de culture qui couvrent aujourd'hui une partie de la terre , n' auraient conquis sur les associations rivales l' espace qu' elles occupent . Faut -il donc penser que , si la main de l' homme se retirait , les associations aux dépens desquelles desquelles elles se sont étendues , reprendraient leurs droits ? Rien de moins certain . Une nouvelle économie naturelle peut avoir eu le temps de se substituer à l' ancienne . La forêt tropicale en disparaissant a fait place à la brousse ; et ce changement , en modifiant les conditions de lumière , a éliminé en partie les êtres qu' elle abritait , notamment les glossines redoutables qui en écartaient d' autres espèces . Ailleurs c' est le sous-bois qui , sous forme de maquis ou de garrigues , a succédé à la forêt : d' autres enchaînements se sont produits , transformant aussi bien le milieu vivant que les conditions économiques . On entrevoit qu' un champ nouveau , presque illimité , s' ouvre aux observations , peut-être à l' expérimentation . En étudiant l' action de l' homme sur la terre , et les stigmates qu' a déjà imprimées à sa surface une occupation tant de fois séculaire , la géographie humaine poursuit un double objet . Elle n' a pas seulement à dresser le bilan des destructions qui , avec ou sans la participation de l' homme , ont si singulièrement réduit depuis les temps pliocènes le nombre des grandes espèces animales . Elle trouve aussi , dans une connaissance plus intime des relations qui unissent l' ensemble du monde vivant , le moyen de scruter les transformations actuellement en cours et celle qu' il est permis de prévoir . à cet égard , l' action présente et future de l' homme , maître désormais des distances , armé de tout ce que la science met à son service , dépasse de beaucoup l' action que nos lointains aïeux ont pu exercer . Félicitons-nous -en , car l' entreprise de colonisation à laquelle notre époque a attaché sa gloire , serait un leurre si la nature imposait des cadres rigides au lieu d' ouvrir cette marge aux oeuvres de transformation ou de restauration qui sont au pouvoir de l' homme . I. RÉPARTITION HOMMES SUR GLOBE chapitre I. Vue d' ensemble . I . - inégalités et anomalies : pour apprécier les rapports de la terre et de l' homme , la première question qui se pose est celle -ci : comment l' espèce humaine est -elle répartie sur la surface terrestre ? Ou , pour serrer de plus près , dans quelles proportions numériques en occupe -t-elle les différentes contrées ? Il est à présumer , en effet , bien que le critérium ne soit pas infaillible , que l' homme , rare ou nombreux , en groupes denses ou clairsemés , imprime au sol une marque plus ou moins durable , que son rôle est plus actif ou plus passif , qu' il s' exerce en tout cas d' une façon différente . Le géographe ne peut se contenter des chiffres que fournissent les statistiques officielles . Il faut bien qu' il y joigne les données que peuvent lui fournir des sources diverses , puisqu' il s' agit de déterminer , par la comparaison des espaces disponibles et des effectifs , jusqu'à quel degré est accomplie actuellement l' occupation humaine de la terre . Toutes les parties de la surface terrestre doivent entrer en ligne de compte ; ce qui , malgré l' insuffisance de certains renseignements , n' a rien aujourd'hui de chimérique . L' ensemble seul a une pleine signification , précisément par les différences , les contrastes et anomalies qu' il découvre . Ces anomalies ne laissent pas d' être suggestives . L' aire de répartition d' une espèce , qu' il s' agisse de l' homme ou de toute autre espèce vivante , n' est pas moins instructive par les lacunes et les discontinuités qu' elle révèle , que par les étendues qu' elle couvre . On estime que la population de la terre , en 1913 , s' élève environ à 1 . 631 . 517 . 000 habitants . D' où il résulterait , pour l' ensemble de la terre , une densité moyenne de 11 habitants par kilomètre carré : chiffre qu' on peut traiter de pure abstraction , car , entre le maximum atteint par les civilisations avancées et le minimum réalisé par les sociétés rudimentaires , il ne correspond à aucune étape qui semble durable dans les contrées en voie de peuplement . Or , comment cette population est -elle répartie ? Les deux tiers des habitants de la terre sont concentrés dans un espace qui n' est que le septième de sa superficie . L' * Europe , l' * Inde , la * Chine propre et l' archipel du * Japon absorbent à eux seuls plus d' un milliard d' habitants . C' est dans ce groupe de territoires , isolés les uns des autres , restés longtemps sans rapports directs , que se sont rassemblés tous les gros bataillons . Un autre groupe , il est vrai , s' avance depuis un siècle à pas de géant : on compte , en 1910 , plus de 101 millions d' habitants aux * états- * Unis . Ce chiffre , toutefois , n' égale pas encore le quart de la population de l' * Europe , à superficie à peu près égale . Bien plus fortement s' accusent les différences , si on les calcule entre contrées situées au nord et contrées situées au sud de l' équateur . La zone tempérée est loin d' atteindre sans doute dans l' hémisphère austral la même étendue que dans le nôtre ; mais si l' on compare la population du sud du * Brésil , des états de la * Plata , du * Chili , du * Cap , de l' * Australie et de la * Nouvelle- * Zélande à celle qui occupe des régions correspondantes et ni plus ni moins favorisées dans notre hémisphère , la disproportion , malgré les accroissements récents qui modifient peu à peu la balance , reste encore extrêmement marquée . Il faut évaluer à 15 millions environ de kilomètres carrés , une fois et demie l' * Europe , l' étendue des contrées tempérées de l' hémisphère austral ; et ce n' est guère , tout compte fait , qu' au chiffre de 26 à 27 millions qu' on peut en estimer la population actuelle . Un certain rapprochement tend sans doute à s' opérer entre ces chiffres ; mais combien grande est encore la distance à conquérir , si tant est qu' elle doive être conquise ! On peut dire que , avant l' essor inouï de l' émigration européenne au XIXe siècle , phénomène qui représente un point tournant dans l' évolution du peuplement humain , la répartition de notre espèce sur le globe ne différait guère de ce que l' on observe aujourd'hui , par exemple , à * Madagascar , où plus du tiers de la population s' accumule sur un espace qui n' est que le vingtième de l' île . De telles inégalités sont -elles justifiées par les conditions naturelles ? La multiplication de l' espèce humaine rencontre de graves obstacles , en partie insurmontables , soit dans une surabondance de vie végétale et microbienne , étouffant l' activité de l' homme , comme c' est le cas dans les silves équatoriales ; soit dans une pénurie qui , par insuffisance d' eau ou de chaleur , anémie en quelque sorte toutes les sources d' existence . Au contraire , la clémence du climat , l' abondance spontanée des moyens de nourriture sont des circonstances propices . On a essayé , à la suite de * Candolle , de dresser le bilan des plantes nourricières d' après l' origine : si parmi les régions les plus favorisées on compte le domaine méditerranéen et l' * Inde , le * Soudan pourrait y figurer au même titre , et l' on ne voit pas que sa contribution ait jamais été bien forte au peuplement du globe . Un critérium plus sûr serait dans les facilités d' acclimatation qu' offrent certains climats . Celui , par exemple , où une période pluvieuse et chaude de quatre à cinq mois succède à des hivers de température et d' humidité modérées , permet à la végétation d' accomplir par an deux cycles et à l' homme de pratiquer deux récoltes . Les européens s' émerveillent du changement à vue qui , de mai à juin , transforme les campagnes du sud du * Japon . Aux joies bruyantes de la moisson succède en un clin d' oeil l' activité silencieuse des nouveaux germes qu' on vient de déposer dans le sol . Ce régime , qui est celui de l' * Asie des moussons , a sûrement stimulé la fécondité humaine ; mais l' a -t-il fait partout ? Un autre type de climat favorable , quoique moins libéral en somme , est celui qui ménage à la végétation , après une interruption hivernale , une période d' au moins six mois de température dépassant 10 degrés , avec des pluies suffisantes . Le cycle est assez long pour ouvrir à l' acclimatation une marge considérable ; il est peu de céréales qui n' y trouvent place , et avec elles nombre d' arbres fruitiers et de légumineuses . Cette heureuse variété , par les compensations qu' elle offre et les garanties contre ce danger de famine qui fut le cauchemar des anciennes sociétés humaines , est assurément une des circonstances les plus propices qu' ait pu rencontrer leur développement . Aucune de ces causes ne peut être négligée ; aucune ne peut suffire . Tout ce qui touche à l' homme est frappé de contingence . De toutes parts , à côté de domaines propices où l' homme a multiplié , on peut en signaler de semblables dont les effets ont été faibles ou nuls : à côté du * Bengale surpeuplé , l' * Assam et même la * Birmanie faiblement occupés ; à côté du * Tonkin , le * Laos . Et qu' était , avant le dernier siècle , cette vallée du * Mississipi dont le climat , avec ses pluies de printemps et de commencement d' été , est , au dire de * A . * W. * Greely , " une des principales bases sur lesquelles repose la prospérité de la grande république " ? Un terrain de chasse qui , devenu terrain agricole , ne peut opposer à l' * Europe qu' une densité inférieure à 20 habitants par kilomètre carré . La même impression d' inégalité et d' anomalie nous frappe , si nous tournons notre attention vers ces marches-frontières de la terre habitée que l' homme n' occupe qu' à son corps défendant , sans doute sous la pression des populations voisines . Notre race a poussé des avant-postes dans les hautes altitudes , dans les déserts , dans les régions polaires . Il y a , dans cette extension de l' homme en dépit du froid , de la sécheresse , de la raréfaction de l' air , un défi qui est bien une des affirmations les plus remarquables de son hégémonie sur la nature . Dans ces domaines qui semblaient pour lui frappés d' interdit , l' homme s' est avancé ; mais pas partout du même pas . La force d' impulsion qui a poussé l' humanité hors de ses limites naturelles , s' est exercée inégalement suivant les régions . C' est dans l' hémisphère boréal de l' ancien continent que les régions désertiques ont le plus d' étendue ; elles sont pourtant relativement moins dépourvues de population que les parties arides de l' * Amérique et de l' * Australie . L' homme a réussi à s' y accrocher à tout ce qui pouvait lui donner quelque prise . Les explorations qui de nos jours ont pénétré au plus profond des continents nous permettent de circonscrire à peu près les parties où l' homme ne paraît qu' à la dérobée et en fugitif . L' * Arabie a le * Dahna ; l' * Iran , ses * Khévir et ses * Karakoum ; le * Turkestan , son * Taklamakan ; le * Tibet , ses lugubres plateaux que l' on traverse des semaines entières sans rencontrer un être humain . Le * Sahara oriental , dans le désert de * Libye , qui a pourtant ses oasis , et le * Sahara occidental , dans le * Tanesrouft , sont des déserts au sens absolu . Mais , en dehors de ces parties tout à fait déshéritées , nous remarquons que , dans ces régions arides d' * Afrique et d' * Asie , pour peu que s' offre un espace moins inhospitalier , une population s' en est emparée . Dès qu' un peu d' eau apparaît ou se laisse soupçonner , l' homme , guettant ces points d' élection , a creusé des puits , pratiqué des canalisations qu' il a prolongées parfois par un effort sans cesse renaissant , obstiné devant l' aggravation des sévérités du climat à avoir tout de même le dernier mot . Il lutte comme agriculteur ; il lutte aussi comme pasteur , rôdant de pâturages en pâturages , à mesure qu' ils s' épuisent , ce qui ne tarde guère . On a dit de ces tribus touareg que , si peu nombreuses qu' elles soient , elles sont encore en excès par rapport aux ressources de la contrée . Si donc il y a des contrées où l' on s' étonne de trouver trop peu d' hommes , il y en a d' autres où l' on peut s' étonner à bon droit d' en rencontrer trop . Les hautes altitudes sont l' équivalent des déserts . à 5 . 000 m. , la pression de la colonne d' air a déjà diminué de moitié , les sources de chaleur vitale s' appauvrissent dans l' oxygène raréfié ; et cependant , dès 400 ou 500 m . Au-dessous de cette altitude , au * Tibet , commencent à se montrer quelques bourgades en pierre et des rudiments de culture . Presque aussi haut , sur les plateaux du * Pérou et de la * Bolivie , se hasardent quelques établissements miniers et quelques lopins de terre . C' est dans les climats secs , exempts des brouillards intenses et de l' humidité équatoriale , que l' habitat permanent atteint ses plus grandes altitudes : il s' épanouit entre 3 . 000 et 2 . 000 m . Sur les plateaux tropicaux de la région sèche , au * Mexique comme en * Abyssinie et dans l' * Yémen . Point de différence en cela entre l' ancien et le nouveau monde ; ces hauts plateaux furent même le séjour de prédilection des civilisations américaines . Mais , dans les montagnes de la zone tempérée , les choses ont pris un cours différent . La zone des pâturages , qui surmonte celle des forêts , est fréquentée dans le * Pamir , l' * Alaï , les * Tian- * Chan , par les pâtres kirghiz à des hauteurs dépassant 4 . 000 m . Moins élevés , quoique dépassant parfois 3 . 000 m. , sont les yaïlas , domaines où s' est implantée la vie pastorale des kourdes et des turcomans . Enfin le mot * Alpes était déjà connu des anciens comme synonyme de hauteurs et de pâturages . Cette annexion régulière des hautes altitudes à la vie économique n' avait jusqu'à nos jours rien d' équivalent dans les parcs des montagnes * Rocheuses , les paramos des * Andes , sans qu' aucune raison de climat ni même de faune justifiât ces différences . Sans doute la présence de l' homme n' y est que temporaire ; mais c' est précisément à l' envergure de ses migrations et de l' espace qu' elles englobent , que se mesure , dans ces régions en marge , la force d' expansion de l' humanité . La plus sensible inégalité , en somme pourtant , est celle qui se révèle entre le nord et le sud , entre l' hémisphère continental et l' hémisphère océanique , l' arctogée et la notogée de certains zoologues . C' est un fait remarquable que l' existence d' une chaîne de populations adaptées , sur presque toute l' étendue du front que les terres opposent au pôle boréal : de la péninsule des tchouktches à la * Laponie , du * Groenland à l' * Alaska . Numériquement faibles , elles rachètent cette infériorité par l' amplitude de leurs mouvements . On a trouvé des traces d' établissements temporaires jusqu'au jusqu'au delà de 80 degrés de latitude dans le * Groenland . L' habitat ne saurait avoir , dans ces parages , de limites fixes . Un perpétuel va-et-vient y est la loi d' existence des animaux et des hommes . Il y a un flux et un reflux dans cette marée humaine qui bat les abords inhospitaliers du pôle septentrional . Nulle trace de cette énergie d' expansion , de cette force de conquête , ne se montre dans les extrémités méridionales que projettent les continents en face du pôle opposé . Le climat n' eût pas été plus défavorable ; tout au contraire . Les étapes intermédiaires n' eussent pas manqué entre la * Terre * De * Feu et les terres antarctiques ; la distance de 700 à 800 kilom . Qui les sépare n' eût pas été au delà des moyens de navigateurs tels que les eskimaux . Et pourtant , il n' a pas été trouvé trace humaine dans l' intérieur des fiords relativement abrités de la terre de * Graham , à la latitude de l' * Islande . L' effort a langui faute d' espace ; et l' infériorité relative que l' on constate chez les mammifères de l' hémisphère austral semble s' être étendue aux hommes . Il résulte de ce qui précède que la répartition des hommes ne s' explique pas par la valeur des contrées . Celui qui , jetant un regard de connaisseur sur les climats et les sols , essayerait d' en déduire le degré d' occupation humaine , s' exposerait à des mécomptes . Le calcul d' un fermier supputant les probabilités de récoltes d' après les qualités de ses champs , n' est pas de mise pour le géographe . Une foule d' anomalies nous avertissent que la répartition actuelle de l' espèce humaine est un fait provisoire , issu de causes complexes , toujours en mouvement . Actuellement , nous constatons , dans un coup d' oeil d' ensemble , un chiffre approximatif représentant le total des hommes très inégalement répartis sur la surface terrestre . Cet état n' est qu' un point , et nullement un point d' équilibre , dans une évolution dont nous ne pouvons encore saisir que très imparfaitement les allures . Parmi les causes dont il dérive , il y en a qui persistent , d' autres qui s' éteignent , d' autres qui entrent en jeu . Le résultat actuel est essentiellement mobile et provisoire ; néanmoins , c' est un résultat , ayant comme tel la valeur d' un point de perspective , d' où il est possible d' observer rétrospectivement la marche des phénomènes , et peut-être de hasarder quelques prévisions . Sur ce point , toutefois , une grande réserve s' impose . On a exprimé , au XVIIIe siècle , l' opinion que la terre pourrait tout au plus nourrir trois milliards d' habitants . Il suffirait à ce compte que la population actuelle doublât , comme elle a fait en * Europe au XIXe siècle , pour que le plein fût dépassé . Témoins du peuplement actif de nombre de contrées nouvelles , nous sommes tentés aujourd'hui de nous croire en marche vers des totaux bien supérieurs . Nous pourrions peut-être nous tromper aussi , et exagérer les chances futures de population , comme nos devanciers étaient enclins à les réduire . Rien ne dit qu' il y ait , entre régions analogues , une densité normale atteinte par les unes , vers laquelle les autres s' acheminent . Il y a trente ou quarante ans , une des contrées les plus fertiles du monde , celle des prairie states , au centre des * états- * Unis , s' est élevée presque d' un bond à 16 ou 17 millions d' âmes ; ce chiffre ne représente en somme qu' une densité de 15 à 20 habitants par kilomètre carré , bien inférieure à celle des contrées agricoles d' * Europe ; et il ne semble pas , d' après les derniers recensements , qu' il y ait tendance à le dépasser . La civilisation contemporaine met en mouvement , à côté de causes qui favorisent l' accroissement de la population , d' autres causes qui tendraient plutôt à la réduire . Si ce sont surtout les premières qui ont agi pendant le XIXe siècle , il se pourrait que les autres prissent le dessus au cours des générations suivantes . ii . - le point de départ . on pourrait penser que les irrégularités que présente la répartition de l' espèce humaine sont dues à un état d' évolution peu avancée . L' homme étant nouveau-venu dans certaines parties de la terre , on s' expliquerait que ces régions n' eussent pas encore le nombre d' habitants que mériteraient leurs ressources . Elles n' auraient commencé que tard à être atteintes par la marée montante du flot humain . Mais cette vue n' est pas confirmée par les faits ; car il semble que , presque sur tous les points de la terre , l' homme est un hôte déjà très ancien . Les recherches qui ont été poussées de nos jours dans les parties les plus diverses de la surface terrestre ont mis à jour , soit sous forme de squelettes , soit sous forme d' objets travaillés , des traces presque universelles de l' antique présence de l' homme . Des enquêtes systématiques dans l' * Amérique du nord ont conclu à la diffusion générale de l' homme quaternaire sur ce continent . Ni dans l' * Amérique du sud , ni au * Cap , ni en * Australie , c' est-à-dire dans les parties de la terre qu' on pourrait croire arriérées , les antiques vestiges humains ne font défaut . C' est un fait acquis que dès les âges dits paléolithiques , tandis que les glaciers qui avaient envahi une partie des continents n' avaient pas encore accompli leur retrait définitif , l' humanité avait déjà réalisé un progrès qui constitue , dans la classe supérieure des êtres vivants , une véritable singularité géographique : elle avait étendu son aire d' habitat dans des proportions telles qu' elle équivalait presque à l' ubiquité . Ce privilège de quasi-ubiquité , elle l' avait communiqué déjà , ou devait le communiquer dans la suite , aux animaux entrés dans sa clientèle , notamment au chien , son précoce acolyte . Cette " vaste et précoce diffusion " , suivant l' expression de * Darwin , suppose l' exercice d' une mentalité supérieure ; elle prouve qu' il était de longue date armé des dons intellectuels et sociaux qui pouvaient assurer son succès dans la lutte pour l' existence . Dès lors et pas plus tôt commence l' oeuvre dont nous avons à nous occuper ici , l' oeuvre géographique de l' homme . Les routes de la géographie se détachent à ce moment de celles de l' anthropologie . Par quelle suite d' acquisitions et de perfectionnements , mêlés de pertes à certains égards , l' organisme humain était -il entré en possession de ces précieux avantages ? à l' anthropologie de le rechercher . Nous ne pouvons ici que jeter un regard furtif sur ces questions d' origine . Ce n' est pas le début , mais l' aboutissement d' une longue évolution antérieure qui correspond au moment où l' homme s' est répandu sur la terre . à une époque où ni le climat , ni la configuration des terres et des mers ne correspondaient exactement à l' état actuel , il se présente à nous comme un être constitué de longue date en ses traits fondamentaux , en possession d' une quantité de traits communs qui excèdent de beaucoup la somme des différences . Si intéressant qu' il soit de constater chez l' australien ou le négrito un moindre développement de la colonne vertébrale , une gracilité plus grande des membres inférieurs servant de support au tronc , ces différences sont peu de chose en comparaison de la chaîne de ressemblances physiques et morales qui unit entre eux les membres du genre humain et en fait un tout . Je ne puis parler qu' en passant de l' enquête ethnographique qui , de nos jours , s' est étendue aux peuples les plus divers . Sous les variantes des milieux ambiants , une impression d' unité domine . Comment expliquer qu' à travers ces différences on ait tant d' occasions de constater entre contrées très éloignées des similitudes et des convergences ? Sur les principaux incidents de l' existence , et particulièrement sur la mort , la maladie , la survivance des âmes , des idées qu' on peut regarder comme le triste et universel partage de l' humanité ont engendré des rites , des superstitions , des représentations figurées , masques ou statuettes , tout un matériel ethnographique analogue . Il y a un fond primitif commun , sur lequel l' homme se rencontre à peu près partout semblable à lui-même . Conformément aux mêmes idées il a dressé , aligné , échafaudé des blocs ou simplement amoncelé des pierres pour abriter des sépultures . Suivant les mêmes arrangements il a construit en * Suisse et en * Nouvelle- * Guinée des cases lacustres sur pilotis . On peut se demander si ces analogies ne s' expliquent pas par des emprunts réciproques , car les relations , même à grande distance , n' ont jamais manqué absolument . Les emprunts deviennent toutefois fort invraisemblables entre contrées arides séparées par la zone équatoriale , ou entre contrées tropicales séparées par des océans . Combien n' a -t-il pas fallu de siècles , en * Europe même , pour que l' usage du fer , connu sur les bords de la * Méditerranée , se répandît en * Scandinavie ? L' hypothèse d' emprunts , quand elle ne s' appuie que sur ces analogies mêmes , est gratuite . Il faut se rappeler que nos conceptions et nos habitudes se sont accumulées sur un tuf plus ancien et plus profond qu' on n' imagine . Cette diffusion générale de l' espèce humaine s' effectua par des voies que nous n' avons pas le moyen de retracer . Soit qu' il y ait eu un centre unique de dispersion , soit qu' on admette une pluralité qui , en tout cas , ne put être qu' assez restreinte , il faut que l' humanité ait trouvé devant elle de vastes espaces continus pour se répandre . Un morcellement insulaire eût été incompatible avec les déplacements que suppose cette extension . C' est comme être terrien , par les moyens de locomotion appropriés à son organisme , qu' il put franchir des distances qui nous étonneraient si nous ne savions pas de quoi sont capables les peuples primitifs . La mer n' entra que plus tard au service des migrations humaines . Il est significatif que les tribus vivant à proximité de la mer ou même dans des archipels , comme ces négritos épars sur les côtes méridionales de l' * Asie , soient restées étrangères à toute vie maritime . L' usage de la navigation est un progrès tardivement acquis , qui resta longtemps l' apanage d' un petit nombre , et qu' on ne saurait compter au rang de ces inventions primordiales qui hâtèrent universellement la diffusion de l' humanité . Quand les européens ont étendu leurs découvertes et leurs observations sur l' ensemble du globe , ils ont trouvé beaucoup de tribus qui ignoraient l' usage de la voile , d' autres qui ne pratiquaient pas la poterie , un plus grand nombre auxquelles les métaux étaient inconnus ; mais la possession du feu faisait partie du patrimoine commun . Des trouvailles d' objets calcinés accompagnent les plus anciennes traces de l' homme . La différence des procédés en usage pour obtenir le feu , par frottement , par percussion , ou autres moyens plus particuliers , indique que l' invention dut s' accomplir d' une façon indépendante en différents points de la terre . Il n' est pas interdit de penser que ce fut dans une des régions tropicales à intervalles de saison sèche que l' invention fit fortune . Lorsqu' on nous conte comment les indigènes de l' * Afrique tropicale recueillent , sur une couche d' herbes sèches particulièrement inflammables , la poudre incandescente qu' ils ont fait jaillir en frottant une pièce de bois tendre avec une pièce de bois pointue , il semble qu' on assiste à une des expériences décisives qui donnèrent lieu à la conservation et au transport de la flamme une fois obtenue . Le climat qui met à portée l' un de l' autre le tapis desséché de la brousse et le bois dur , c' est-à-dire le combustible et l' allumette , représente le milieu le plus favorable à la marche de cette invention . C' est là sans doute que vécurent les prométhées inconnus qui parvinrent les premiers à s' approprier cette force incalculable que recélait un jaillissement d' étincelle . L' extension presque universelle d' une très ancienne humanité s' explique par la possession de cette arme . Le feu n' était pas seulement un instrument d' attaque et de défense contre la faune rivale , à laquelle elle avait à disputer son existence ; il lui fournit la possibilité de s' éclairer , de cuire ses aliments . L' homme put ainsi s' accommoder à peu près de tous les climats , disposer d' un plus grand nombre de moyens de nourriture . Il fut plus libre de se mouvoir à travers la création vivante . Ce ne fut , il est vrai , qu' une couche très mince et discontinue que la population qui se répandit ainsi sur la surface de la terre . La comparaison des peuples actuels dont les genres de vie se rapprochent de ceux que pratiquaient ces primitifs , peut donner quelque idée de la densité moyenne qu' ils pouvaient atteindre . Exceptons comme négligeable la minime somme d' habitants relégués au delà du cercle polaire ou dans les déserts intertropicaux : il y a , aux abords de 60 degrés lat . N. , une série de peuples de civilisation relativement fixée , auxquels la chasse et la pêche , accompagnée chez quelques-uns d' un peu d' élevage et d' agriculture , fournissent le principal de leur subsistance . Tchouktches , toungouses , iakoutes , samoyèdes , lapons , etc. , circulent ainsi à travers cet ensemble de forêts , steppes et toundras qui composent dans l' * Asie septentrionale un paysage peu différent de celui où nos paléolithiques de l' * Europe centrale chassaient le renne . Un nomadisme réglé d' après les migrations des animaux , ainsi que la nécessité de ne se mouvoir que par petits groupes : telles sont les conditions actuelles , analogues à celles qu' on entrevoit dans le lointain passé . Elles sont favorables à une large diffusion en espace , comme le prouve l' extension des eskimaux , et elles s' accordent ainsi avec les faits que constate l' archéologie préhistorique . C' est donc une leçon d' archaïsme que nous donne cet état social . Lorsqu' on a essayé d' évaluer en chiffres la population de ces peuples qui garnissent sur une étendue immense la ceinture boréale des continents , les calculs les plus probables ne sont pas arrivés à un total de 500 . 000 habitants : ce n' est pas même 1 par kilomètre carré ; ils ne composeraient pas , à eux tous , la population d' une seule de nos grandes villes de deuxième ordre ! De vastes espaces n' ont pu être occupés autrement pendant la période , décisive déjà pour l' avenir , de la création vivante , où l' homme , armé du feu , entra , nouveau champion , dans l' arène . Ce n' est pas que , dès cette époque , il ne se soit formé sur certains points de premières ébauches de condensations humaines . La pêche , plus que la chasse , y donna lieu . Parmi les amas de rebuts de cuisine ( kjokkenmoddingen ) trouvés sur les côtes de * Danemark , où des débris d' oiseaux et de bêtes sauvages se mêlent à des amoncellements d' arêtes de poissons et d' écailles de mollusques , il y en a qui n' ont pas moins de 400 pieds de long , 120 de large , et jusqu'à 8 pieds de haut . Ils datent d' une époque où l' homme n' avait d' autres instruments que des os ou des silex taillés , ni d' autre animal domestique que le chien . L' abondance du menu , autant que les dimensions des amas , montrent que des groupes relativement nombreux ont vécu là . La mer , au contact des côtes ou des bancs qui favorisent l' accomplissement des fonctions vitales , est une grande pourvoyeuse de nourriture . Des témoins ont décrit , sur les côtes méridionales du * Chili , les scènes qui se déroulent à marée basse , quand non seulement hommes et femmes , mais chiens , porcs et , avec de grands cris , oiseaux de mer accourent vers la provende laissée par le flot , vers la table que quotidiennement la nature tient ouverte à tous ces commensaux . La vie de pêche côtière suppose un certain degré de sédentarité qui s' accommode d' une densité supérieure . C' est elle qui , dès les temps très anciens , a ramassé sur les côtes du * Japon une population de professionnels , vivant de poissons crus , dont le nombre , encore aujourd'hui , égale le vingtième de la population totale de l' empire du soleil-levant . Peut-être a -t-elle contribué aussi à condenser les populations de la * Chine méridionale . Sur les côtes de la * Colombie * Britannique , les ethnologistes américains ont remarqué que les tribus nutkas , thlinkits , haïdas , qui se livraient à la pêche , avaient une densité très supérieure à celle des algonquins vivant de chasse dans l' intérieur des continents . On saisit dans ces faits le premier anneau de chaînes qui ne se sont pas rompues ; on perçoit des conséquences significatives de différences sociales déjà applicables à ces anciens âges . N' exagérons pas cependant . Une contrée que son isolement conserve archaïque , l' * Islande , peut servir de terme de comparaison . Dressée au milieu de l' océan comme un pilier d' appel pour les êtres vivants de l' air et des eaux , elle ménage aux poissons l' abri de ses fiords , aux oiseaux de mer les anfractuosités de ses falaises , à tous des refuges où ils viennent frayer et nicher ; et dans ce pullulement de vie animale ne manquait pas encore il y a un demi-siècle le grand pingouin , l' alca impennis , un des animaux aujourd'hui disparus dont les restes entrent dans la composition des kjokkenmoddingen . la population humaine n' a pas manqué d' affluer aussi à ce rendez -vous , particulièrement sur la côte de l' ouest , baignée par les courants chauds . Les contingents , si clairsemés dans l' intérieur , s' y renforcent . Mais à combien se monte au total la densité de l' étroite bande littorale ? à 9 habitants environ par kilomètre carré . C' est sans doute , par analogie , le maximum qu' on puisse envisager pour les époques primitives . Que sur de vastes espaces , parcourus par des poignées d' hommes , certaines places favorisées en aient retenu ensemble un plus grand nombre : il faut donc l' admettre . Mais ce maximum ancien de densité ne représenterait qu' un minimum dans les conditions actuelles ; c' est le plus que puissent atteindre les libres dons de la nature . Il y a lieu de se demander si cette espèce humaine aux rangs si clairsemés a pu exercer déjà une influence sensible sur la physionomie de la terre . Serf des conditions naturelles , l' homme était -il en mesure de les modifier ? Il ne faudrait peut-être pas se hâter de conclure par la négative . Les usages du feu sont multiples ; rien ne prouve qu' il se soit borné à allumer des foyers fugitifs , comme ceux qui noircissent pour quelques jours le sol , là où a stationné un campement de nomades . L' idée de ménager des espaces découverts est née , comme la domestication du chien , d' un besoin de sécurité et de vigilance , qui semble avoir présidé dès les premiers temps aux moindres établissements humains . à défaut d' instruments capables de venir à bout des arbres , le feu offrait le moyen d' extirper la végétation parasite , de dégager le sol environnant , d' écarter les possibilités d' embuscades et de surprises . L' humidité du climat ne protège la forêt que lorsqu' elle n' est pas interrompue périodiquement par le retour de longs mois de sécheresse . Les incendies de brousse qui avaient frappé le navigateur * Hannon le long des côtes du * Sénégal , se pratiquent encore en grand jusque dans les parties les plus intérieures de l' * Afrique . La cendre de certaines plantes fournit le sel , condiment essentiel de nourriture ; l' herbe croît plus fine et plus savoureuse , plus recherchée par les antilopes , à la suite des incendies qui ont amendé le sol . Et si le chasseur tire parti de ces avantages , il n' est pas dit qu' ils aient passé inaperçus pour ceux de ses compagnons ou de ses compagnes qui pratiquaient déjà la cueillette de certaines graines alimentaires . L' usage de semer des grains sur brûlis , pour en tirer successivement deux ou trois récoltes , est une des formes les plus universellement répandues de culture primitive . Elle s' associe naturellement à la vie de chasse ; comme on le voit encore chez les tribus gonds , bhils ou autres , qui hantent les plateaux herbeux de l' * Inde centrale . Beaucoup de parties de la terre ont échappé sans doute à toute modification sensible pendant ces périodes , puisqu' il en reste encore aujourd'hui que l' action de l' homme n' a pas atteintes . Mais il n' en fut pas de même partout . Le paysage naturel fut entamé à l' endroit le plus sensible . La réduction de l' étendue forestière au nord et au sud de la zone équatoriale est un fait qui frappe les observateurs spéciaux . L' existence de nombreux représentants du sous-bois dans des espaces aujourd'hui découverts , la transformation de lianes qui , d' aériennes , sont devenues quasi souterraines pour s' adapter à de nouvelles conditions d' existence , semblent indiquer qu' une partie du domaine immense occupé par la savane a été taillé aux dépens de la forêt . Si l' on voit celle -ci , dès qu' on s' éloigne de quelques degrés de l' équateur , se réfugier , pourchassée des plateaux et des croupes , dans les ravins et vallées , le climat seul n' est pas responsable de cette élimination . Beaucoup de vestiges de l' âge de pierre , par exemple dans le * Fouta- * Djalon et le * Soudan occidental , nous avertissent qu' il faut beaucoup tenir compte de l' homme . C' est dans ces régions que s' est déroulé le premier acte de cette lutte aveuglément sans merci que l' homme a engagée et qu' il poursuit encore contre l' arbre . Son action s' exerçait à cet égard , de complicité avec la puissante faune d' herbivores que l' époque miocène avait répandue dans le monde . Réunies par bandes énormes , telles que les ont décrites avec stupéfaction certains observateurs , dans l' * Afrique centrale , les antilopes sont , à certains moments de l' année , une armée dévorante , dont les jarrets nerveux étendent au loin les ravages . D' immenses quantités de nourriture herbacée ont dû alimenter les besoins de ces troupeaux d' hémiones , onagres , chevaux , éléphants sauvages , ainsi que de ces bisons qui , avant 1870 , s' étaient multipliés par plusieurs dizaines de millions dans les prairies des * états- * Unis . L' herbe renaît à la pluie suivante , mais les jeunes pousses d' arbres sont détruites . Dans la concurrence toujours allumée entre l' herbe et l' arbre , l' action de ces armées d' herbivores , dont nous ne voyons plus aujourd'hui que des effectifs réduits , pesa certainement d' un grand poids . L' homme , plus tard , eut à les combattre pour défendre contre eux ses cultures ; mais à l' origine il avait trouvé en elles des auxiliaires pour l' aider à se faire place nette . chapitre II . Formation de densité . I . - groupes et surfaces de groupements : depuis l' époque lointaine où l' espèce humaine se répandit sur les continents , elle a peu gagné en diffusion . Les progrès accomplis sous ce rapport dans la période qui nous est connue se réduisent à peu de choses : quelques îles au centre de l' * Atlantique et surtout dans l' océan * Indien et les mers australes . Que les * Mascareignes , à 150 lieues seulement de * Madagascar , fussent restées un asile où vivait en paix , avant l' arrivée récente de l' homme et du chien , le dronte ( dudo ineptus ) , cela ne laisse pas de surprendre . Le flot humain a fini par atteindre ces rogatons terrestres ; mais à ces maigres annexions se borne à peu près le bilan des conquêtes récentes de l' oecoumène . en revanche , la population a gagné prodigieusement , quoique inégalement , en densité . Elle s' est moins accrue en étendue qu' elle ne s' est localisée en profondeur . Il faut s' unir pour collaborer , en vertu des nécessités primordiales de la division du travail ; et d' autre part des difficultés s' opposent à la coexistence de forces nombreuses réunies . Tel fut le dilemme qui s' est posé aux sociétés les plus rudimentaires , aussi bien qu' il se pose aux civilisations les plus avancées . Il n' y a pas d' hiatus entre les deux , mais seulement des différences de degrés . Quelle que soit l' importance des groupes dont il fait partie , l' homme n' agit et ne vaut géographiquement que par groupes . C' est par groupes qu' il agit à la surface de la terre ; et même dans les contrées où la population semble former un ensemble des plus cohérents , elle se résoudrait , si l' on regardait de près , en une multitude de groupes ou de cellules vivant , comme celles du corps , d' une vie commune . groupes moléculaires . - ces groupes sont en dépendance manifeste de la nature des contrées . Comme les plantes se rabougrissent à défaut de chaleur ou d' humidité , ainsi se racornissent en pareilles conditions les groupes humains . Une douzaine de huttes , chez les eskimaux , passe pour une grande agglomération ; et au delà de 75 degrés de latitude , le maximum est de deux ou trois . Un rassemblement de 14 yourtes est un village qui fait figure dans la province d' * Anadyr . La sécheresse au * Sahara , dans le * Kalahari , en * Australie , produit le même effet que le climat polaire . * Foureau note chez les touareg " le fractionnement infini par petits groupes des habitants " . Dans l' * Aïr , les groupes se réduisent à 3 ou 4 tentes . Les krals des hottentots réunissent parfois plus de 100 individus ; on en compte à peine une douzaine dans les campements de bochimans ou d' australiens . Ailleurs , dans la silve équatoriale africaine , dans la montana ou les bosques du versant oriental des * Andes , l' importance des établissements humains est en proportion inverse de la luxuriance végétale . Ce qu' on rencontre au * Congo , entre l' équateur et le 6e degré de latitude nord ou sud , ce sont des villages d' une trentaine de cases ; on nous parle de villages n' en ayant que 8 ou 10 . Ces chiffres ne seraient sans doute guère dépassés dans l' intérieur de * Bornéo ou de * Sumatra . Mais la différence entre les contrées dont le climat pèche par exubérance et celles où il pèche par anémie , se montre dans la rapidité avec laquelle les groupes grossissent dès que cesse l' oppression de la forêt ; une recrudescence subite dans le nombre et l' importance des villages se produit sur la lisière de la silve . Tandis que la forêt elle-même accroît sa population au voisinage de la savane , celle -ci se couvre de villages dont les habitants se chiffrent par centaines , atteignent parfois le millier . groupes nomadisants . - ces groupes , à quelque genre de vie qu' ils appartiennent , sont en rapport déterminé avec une certaine portion d' espace . Ni la raison ni l' expérience n' admettent de peuple sans racines , c' est-à-dire sans un domaine où s' exerce son activité , qui assure et maintient son existence . Pas de groupe , même au plus bas degré de l' échelle sociale , qui n' ait et ne revendique âprement son territoire . On dit que les plus humbles peuplades australiennes avaient l' habitude de déterminer par des pierres ou certaines marques connues les espaces dont la contenance pouvait pourvoir à leurs besoins de chasse , de cueillette , de provisions d' eau et de bois . L' étendue suppléant à l' insuffisance , ce sont en général les groupes les plus indigents qui réclament le plus d' espace . Mais une très faible densité de population n' exclut nullement un certain degré de richesse et de puissance . Les tribus pastorales de l' * Asie et du * Sahara ont leurs pâturages attitrés qu' elles fréquentent successivement dans leurs parcours périodiques . Ces pâturages ont leur nom ; ce sont , à la différence des vagues étendues de bled , des contrées pourvues d' un état civil . Il est possible que des mois se passent sans que ces domaines soient visités par leurs possesseurs ; il faut que l' herbe ait eu le temps de pousser en l' absence de l' homme . Ces surfaces que ses pieds foulent si rarement n' en sont pas moins un domaine , une dépendance du groupe . Quelques-uns de ces groupes , surtout au coeur des déserts , ne sont que d' humbles et insignifiantes collectivités . Mais tel n' est pas toujours le cas . Certaines tribus du * Sahara oriental ont des ramifications depuis l' * égypte jusqu'au centre de l' * Afrique . Les larba , dans leurs migrations périodiques entre le * Mzab et les marchés de * Boghar et de * Teniet- * El- * Had , embrassent un parcours d' environ 500 km . C' est aussi une longue étape que celle qui mène les 6 . 500 kirghiz des vallées du * Ferghana vers les hauts plateaux de l' * Alaï . De tels exodes supposent un certain degré d' organisation territoriale . Le sort de cette richesse ambulante qui se chiffre par des centaines de mille moutons ou chèvres , sans compter ânes , chevaux et chameaux , ne saurait être livré au hasard . Il implique des dispositions relatives aux passages , aux ravitaillements en eau , aux étapes , tout ce qu' exige la jouissance régulière d' un vaste domaine pastoral . Le cercle ne peut être déterminé avec une entière rigueur ; une certaine marge est nécessaire , car il faut compter avec les caprices des saisons , suppléer au besoin à l' absence de végétation aux endroits prévus . Paissant tour à tour les herbes des dayas ou redirs , celles qu' humecte le lit des oued , les touffes aromatiques des steppes , les générations aussi vite épuisées que parues des plantes annuelles , se rabattant au besoin sur les jachères des champs limitrophes , ces troupes dévorantes ont besoin de larges disponibilités d' espace . Rarement même elles peuvent réunir tous leurs membres ; il faut se séparer pour vivre ; * Abraham et * Loth vont paître leurs troupeaux vers les points opposés de l' horizon . Ce n' est qu' en des occasions solennelles , joyeusement accueillies , que la tribu peut se donner à elle-même le spectacle de sa magnificence et déployer , comme * Israël devant * Balaam , toute la multitude de ses tentes . Ainsi est exclue du domaine où prévaut la vie pastorale toute occupation intensive du sol ; ou du moins la part qui est faite à celle -ci ne peut s' accroître sans grave dommage pour le pasteur . rapports des groupes entre eux . - la silve tropicale , la savane herbeuse , la steppe pastorale se traduisent , sous le rapport de la densité d' habitants , par des groupes dissemblables , disposant d' une part très inégale d' espace . Toutefois , comme ils font partie d' un ensemble terrestre qu' anime en son entier la présence de l' homme , des réactions s' échangent entre eux . Par l' effet des transactions qui s' établissent ou des mouvements qui se répercutent entre les populations humaines , des renflements de densité tendent à se former sur les lignes où des genres de vie différente entrent en contact . Nous avons signalé plus haut l' accroissement qui correspond , en * Afrique , à la zone de contiguïté entre la silve et la savane . On peut observer le même phénomène sur la marge indécise qui s' interpose , dans l' ancien continent , entre le domaine de la vie pastorale et le domaine agricole : aussi bien sur les confins sahariens du * Tell et du * Soudan que sur les lisières des steppes de l' * Asie occidentale . Des marchés , parfois des villes , surgissent sur ces points de rencontre , ou plutôt de soudure , car c' est un lien de solidarité qui unit ces diverses familles de groupes . Si l' on se demande , en effet , comment ont pu se former et durer ces grandes organisations pastorales qui gravitent depuis le * Sahara jusqu'en * Mongolie , on constate que leur existence est en rapport avec les marchés agricoles qui leur permettent d' échanger leurs produits . L' éparpillement d' un côté et la concentration de l' autre apparaissent comme deux faits connexes . L' exploitation pastorale , qui , de nos jours , a pris possession de grandes surfaces en * Australie et en * Amérique , confirme , en les systématisant , ces rapports . Dans les contrées vouées à la vie pastorale , telles que le * Grand- * Bassin de l' * Amérique du nord , le sud des * Pampas de l' * Argentine , la partie occidentale de la * Nouvelle- * Galles * Du * Sud , les contrastes atteignent leur maximum entre l' exiguïté de main-d'oeuvre humaine et l' abondance de capital pastoral . La disproportion est infiniment plus forte que dans l' ancien monde entre le nombre du bétail et celui des hommes . On peut estimer à 5 ou 6 moutons par homme le chiffre que possèdent les puissantes tribus pastorales dont nous avons parlé . Au contraire , en * Australie , on cite des troupeaux de 50 . 000 à 80 . 000 moutons qui n' exigent qu' un personnel de 15 à 20 personnes . Dans la république argentine , des estancias détiennent à elles seules des troupeaux de 160 . 000 moutons . Autre exemple : l' état de * Wyoming , aux * états- * Unis , possédait , en 1900 , plus de 5 millions de moutons et n' a pas 150 . 000 habitants . C' est donc sur de grands espaces la réduction au minimum de l' élément humain ; mais cela , précisément parce qu' il existe ailleurs des centres de commerce , de puissants foyers de consommation , des ports , des villes immenses , où ces manufactures de laine et de viande ont leurs débouchés . Ces contrastes font partie de l' économie générale . l' accumulation sur place . - voulant caractériser des peuples qui végètent dans un état de civilisation rudimentaire sans un espoir de progrès , * Virgile s' exprime en disant " qu' ils ne savaient ni faire masse de leurs produits ni en pratiquer l' épargne " . On ne saurait mieux mettre le doigt sur le principe d' où sort un accroissement de densité dans les groupes humains . Seule , la vie sédentaire , directement ou indirectement , donne consistance à l' occupation du sol . Or l' agriculture est le seul régime qui ait à l' origine permis de cohabiter sur un point fixe et d' y concentrer le nécessaire pour l' existence . Toutefois n' est pas agriculteur celui qui , après avoir brûlé l' herbe , jette quelques poignées de grains et s' éloigne ; mais celui qui amasse et fait des réserves . Le pasteur , dans les régions arides , essaie de faire subsister sans provisions assemblées d' avance , à la fortune des saisons , le plus d' animaux possible . Les peuples chasseurs de l' * Amérique du nord n' ignoraient pas la culture ; mais , dit * Powell , " il était de pratique presque universelle de dissiper de grandes quantités de nourriture dans une constante succession de fêtes , dont l' observation superstitieuse ne tardait pas à dissiper les approvisionnements ; et l' abondance faisait bientôt place au dénûment et même à la famine " . L' agriculteur ne tombe pas dans ces méprises ; la prévoyance et même l' avarice lui sont passées dans le sang . Il cumule le patrimoine des générations passées et suivantes . Le premier pas fut l' acclimatation de plantes et la domestication d' animaux ; l' ensilotage ou la mise en grange fut le second . noaux de densité et lacunes intermédiaires . les cultures soudanaises occupent un grand espace en * Afrique . Mais il y a une infirmité inhérente à cette agriculture qui ne pratique pas la fumure du sol et ne connaît pas la charrue . Elle n' utilise que les parties où le sol meuble permet à une simple houe d' y enfouir la semence ; l' aridité des grès ou des granites la rebute . Elle est capable néanmoins , dans les conditions favorables du sol , de donner lieu à une densité considérable d' habitants . * Yunker et * Emin- * Pacha décrivent à l' envi " les files de cases qui se succèdent l' une près de l' autre pendant près d' une heure " , dans l' * Ouganda . * Hans * Meyer parle dans les mêmes termes des cultures qui s' étalent où s' échelonnent en terrasses sur les croupes du * Rouanda , par 1 . 600 m . D' altitude . à des altitudes bien moindres , sur le moyen * Chari , * A. * Chevalier signale " tel pays qui n' est qu' un vaste champ verger " . Il y a , dans le * Soudan nigérien , dit * Lucien * Marc , " des contrées où l' on peut marcher deux jours sans perdre un seul instant les cases de vue " . * E. * Salesses estime à 40 habitants par kilomètre carré la population de certains districts du * Fouta- * Djalon . Seulement , ces foyers de densité sont sporadiques ; ils sont séparés par des intervalles vides . Incapable de subvenir à l' épuisement du sol , chaque groupe se sent bientôt à l' étroit dans l' espace qu' il exploite . Sur un sol qui nous est pourtant dépeint comme fertile , on nous apprend qu' un village a besoin de disposer d' une périphérie triple de celle qu' il cultive effectivement . Une sorte de roulement entretient de vastes réserves de terrains buissonneux à côté des cultures . Malgré tout , il arrive un moment où le pays surpeuplé se voit obligé de rejeter une partie de sa population . Qu' arrive -t-il alors ? Ce n' est pas à proximité , mais au delà des obstacles naturels qui circonscrivent son domaine , bien à distance , qu' il émet ce rejeton . Les marches à travers des espaces vides , les journées passées sans voir ni cases , ni visages d' hommes , morne refrain de l' exploration africaine , s' expliquent ainsi . Les guerres et la traite ont contribué certes à élargir ces lacunes : nulle part le homo homini lupus ne s' applique mieux . Mais si le groupe social est resté isolé , moléculaire , incapable de concerter sa défense , il y a surtout au fond de cela un mode imparfait d' agriculture . Des scènes d' apparences contradictoires défilent ainsi sous les yeux , et nos jugements sur les chiffres totaux de population s' en ressentent . Le peuplement de la terre s' est opéré par taches , dont les auréoles dans les pays les plus civilisés finissent par se rejoindre ; encore pas toujours . * Richthofen , dans son journal de voyage en * Chine , note entre provinces voisines et très civilisées , comme le * Hou- * Pé et le * Ho- * Nan , des traces de séparations anciennes et fondamentales . Entre les chambres et chambrettes dont , suivant son expression , se compose la * Chine , les cloisons , en quelque sorte , sont des marches-frontières , montagneuses ou accidentées , dont les habitants vivant en clans , par petits hameaux , pratiquent d' autres modes d' existence que ceux de la plaine . Les deux peuplements , quoique contigus , ne se fondent pas . La solution de continuité reste apparente . L' * Inde , dit * Sumner * Maine , " est plutôt un assemblage de fragments qu' une ancienne société complète en elle-même " . Effectivement , sans parler des enclaves à demi sauvages qui confinent soit au * Bengale , soit au pays des mahrattes , le village hindou , type de la civilisation du nord , est organisé pour se suffire comme si rien n' existait autour de lui . Constitué en unité agricole , avec son personnel attitré de fonctionnaires et d' artisans , il forme un microcosme . Les analyses des derniers recensements indiquent que la plupart des existences restent enfermées dans ce cadre , sauf pour contracter mariage dans le village voisin . Ce n' est pas entre villages , mais entre le régime de communautés de villages et celui de tribus que s' interpose l' isolement , tant il est vrai que c' est par l' intermédiaire de causes sociales que s' exerce l' influence des conditions géographiques ! groupements de dates diverses en * Europe . - le spectacle qu' offre aujourd'hui le peuplement , dans la majeure partie de l' * Europe , est tellement composite qu' il faudrait souvent des cartes à très grande échelle pour distinguer les soudures qui ont fini par rapprocher en une apparence de continuité les différents groupes . Toutefois , même sur des cartes à médiocre échelle , les bords de la * Méditerranée montrent de singulières lacunes . à quelques kilomètres de distance la population tombe d' un haut degré de densité à un degré de raréfaction qui touche au désert . Les campos confinent en * Espagne aux huertas ; les garrigues , à la coustière du * Languedoc ; les plans du * Var , aux bassins de * Grasse et de * Cannes ; la murgia quasi déserte , au littoral populeux des * Pouilles . Dans le * Péloponèse , les petites plaines d' * Argos , d' * Achaïe , d' * élide , de * Messénie et de * Laconie , qui ne représentent qu' un 20e de la surface , contiennent un quart des habitants . La vie urbaine et la vie de clans sont deux plantes qui ont trouvé autour de la * Méditerranée un sol favorable ; elles subsistent encore côte à côte . Cette coexistence a contribué à créer , puis à maintenir entre les divers groupes élémentaires une cohésion qui fait fâcheusement défaut dans les parties du littoral , comme le * Rif , l' * Albanie , les * Syrtes , où le commerce et la vie urbaine n' ont pu , jusqu'à présent , pousser de fortes racines . La grande industrie a bouleversé depuis un siècle les conditions du peuplement dans l' * Europe centrale et occidentale . Ce peuplement s' offrait déjà comme un palimpseste sur lequel dix siècles d' histoire avaient inscrit bien des ratures . Marais asséchés , forêts défrichées n' avaient pas cessé d' ajouter des touches nouvelles au fond primitif . Des formes diverses d' établissements correspondent à ces diversités d' origine ; si bien qu' un coup d' oeil tant soit peu exercé ne confondra pas les pays aux vieux villages et ceux où une colonisation ultérieure a disséminé les fermes en hameaux à travers les brandes et les essarts . puis l' industrie est venue et a fait sortir du sol une lignée nouvelle d' établissements humains . Cependant le noyau primitif du peuplement se laisse encore discerner . On peut affirmer , preuves en mains , que les hommes , ici comme ailleurs , se sont obstinés longtemps à s' accumuler sur certains lieux , presque à l' exclusion des autres . Quels lieux ? Ce n' était pas invariablement les plus fertiles , mais les plus faciles à travailler : les plateaux calcaires en * Souabe , * Bourgogne , * Berry , * Poitou , etc. ; les terrains meubles et friables où la forêt n' avait pu qu' imparfaitement s' implanter dans ses retours offensifs après les périodes glaciaires , et qui forment une sorte de bande depuis le sud de la * Russie jusqu'au nord de la * France . Telles furent les clairières , les espaces aérés et découverts , les sites attractifs où se rencontrèrent les premiers rassemblements européens , où ils commencèrent à prendre cohésion et force . D' intéressantes reconstitutions cartographiques , au moyen des trouvailles préhistoriques et des documents cadastraux , ont été tentées pour le * Wurtemberg ; on y voit les établissements des époques romaine et alamannique se superposer exactement , sur les surfaces non forestières , à ceux de l' époque néolithique et du premier âge du fer . Ce n' est qu' ultérieurement que de nouveaux groupes viennent s' interposer entre eux . Il n' est pas douteux que les choses se soient passées de même en * France . Lorsque * M. * Jullian nous dépeint le territoire d' un peuple gaulois comme " un vaste espace renfermant au centre des terres cultivées , protégé à ses frontières par des obstacles continus , forêts ou marécages , etc. " , c' est le signalement exact d' une de ces unités fondamentales qu' il nous donne . Nous avons essayé nous-même de retracer d' après ces principes , pour la * France et l' * Europe centrale , une carte de l' occupation historique du sol . II . - mouvements de peuples et migrations . densité par refoulement . - on ne saurait trop faire part , dans la fluctuation des phénomènes humains , aux troubles dus aux chocs des peuples , aux invasions répétées , à un état chronique de guerre . Certaines contrées sont plus exposées que d' autres à ces mouvements dévastateurs : ainsi la zone des steppes qui s' étend de la * Mongolie au * Turkestan , ou de l' * Arabie au * Maghreb . L' histoire y enregistre une série d' invasions , depuis celles que mentionne * Hérodote jusqu'à celles qu' ont finalement contenues les russes , ou depuis les arabes jusqu'aux almoravides et hilaliens . La poussée des massaï dans l' * Afrique orientale , celle des cafres dans l' * Afrique australe se sont répercutées au loin et ont jonché de débris de peuples une partie de ce continent . L' * Amérique du nord n' a pas échappé à ces perturbations : ne vit -on pas , au XVIIIe siècle , une tribu obscure , dite des pieds-noirs , sortie du bord des montagnes * Rocheuses , s' étendre tout à coup , grâce à la possession du cheval , à travers les prairies de l' ouest ? En dehors même de ces arènes ouvertes , espaces prédestinés aux mouvements de vaste envergure , l' absence de sécurité , dans notre * Europe , a longtemps frappé d' interdiction des voies naturelles qui semblaient faites pour attirer les hommes . Pendant des siècles , les plateaux de * Podolie et de * Galicie , si populeux aujourd'hui , virent déboucher , le long du sentier noir , les tribus qui périodiquement , comme des nuées de sauterelles , s' échappaient des steppes . Les châteaux ou vieux burgs qui dominent les vallées du * Rhin et du * Rhône furent les refuges des populations de la plaine contre le " droit du poing " ( faustrecht ) . hier encore , notre voyageur * Crevaux nous apprenait qu' en * Amazonie , pour fuir les déprédations dont le grand fleuve est le véhicule , les tribus indigènes s' en écartaient vers les vallées moins accessibles . Ces faits ont eu sur la répartition des populations humaines des conséquences qui ont souvent survécu aux causes qui les avaient produites . Ils ont eu pour résultat de refouler les populations dans des contrées abritées , qui ont pris de ce chef un accroissement anormal . Les montagnes de la * Grande- * Kabylie , les oasis du * Mzab et peut-être celles du * Touat et du * Tafilelt , doivent à des accidents historiques de cette espèce l' excès de population qui s' y trouve . Les articulations péninsulaires de la * Grèce , et surtout les îles adjacentes , ont été congestionnées à la suite des conquêtes turques . à l' invasion ottomane est imputable aussi le refoulement qui a poussé au coeur de la région forestière longtemps délaissée au sud de la * Save , dans la * Choumadia , les populations qui s' étaient développées sur les plateaux découverts du centre de la péninsule . L' histoire de notre * Algérie , de l' * Ukraine , de la * Ciscaucasie , nous montre combien tardive , après ces périodes d' invasions et d' insécurité , a été parfois la revendication de ces contrées dignes d' un meilleur sort . Ces plaines ouvertes avaient cédé en partie leur population aux montagnes , qui souvent l' ont gardée . Aux exemples déjà cités on peut ajouter le * Caucase , citadelle de peuples dont la diversité étonnait les anciens , les * Alpes transilvaines où s' est reformée la nationalité roumaine , les * Balkans où s' est reconstitué , pendant la domination turque , le peuple bulgare . Ces montagnes doivent aux refoulements une densité qu' elles n' auraient pas atteinte spontanément , par leurs ressources propres . densité par concentration . - tel n' est pas cependant le cours normal des faits , tel du moins que nous pouvons l' entrevoir . Les hommes ont commencé par se porter sur certains sites d' élection que la facilité de culture avait désignés à leur choix et que peu à peu l' accumulation du patrimoine signalait à leurs convoitises . Ils y ont formé groupe , enraciné leurs établissements , s' y sont concentrés , tandis que les alentours restaient négligés ou vides . Il faut s' imaginer ces développements primitifs de population comme susceptibles d' atteindre une densité relativement forte , quoique bornés dans l' espace , enfermés dans des cadres que leurs moyens ne leur permettaient guère d' agrandir . Divers indices dans les contrées les plus différentes permettent de se rendre compte de ce mode sporadique de peuplement intensif ; et c' est un des résultats les plus curieux des connaissances récemment acquises sur l' intérieur de l' * Afrique , que de nous le montrer sur le vif et encore à l' oeuvre . Ce qui oppose aujourd'hui à l' expansion sur place des groupes agricoles soudanais des obstacles qu' ils ne sont pas parvenus à surmonter , c' est , avons -nous vu , l' imperfection de l' outillage et l' absence de science agricole . La forêt , le marécage furent , en * Europe , aussi des forces hostiles auxquelles il était difficile et paraissait même chimérique de se mesurer . Elles cernaient les groupes dans des espaces restreints . Il a fallu , pour briser ces cadres , un concours de circonstances et d' efforts dont la série , entrevue seulement par échappées , est l' histoire des conquêtes du sol . La collaboration d' entreprises collectives et méthodiques , l' invention de meilleurs instruments , l' introduction de plantes s' accommodant de sols plus pauvres , et par-dessus tout la substitution de la science aux procédés empiriques , ont à peu près réalisé en * Europe la solidarité des divers modes d' exploitation qui unit la contrée en un tout . Mais nous voyons encore , en d' autres grandes contrées de civilisation et de peuplement , telles que la * Chine et le * Japon , les cultures concentrées dans les plaines ou sur les terrasses inférieures , et les montagnes frustrées de tout emploi pastoral . L' étendue des terres cultivées n' atteindrait même , au * Japon , que 15 p. 100 de la superficie totale . Tous ces faits , actuels ou historiques , permettent d' envisager le surpeuplement comme la conséquence précoce de cet instinct ou de cette nécessité qui porta les hommes à se rassembler et à former groupe sur certaines places , pour y poursuivre obstinément les mêmes routines . surpeuplement et émigration . - le surpeuplement , en ces conditions , ne peut trouver d' issue que l' émigration . La * Chine , qui est sans doute aujourd'hui le pays d' ancienne civilisation où subsistent davantage les irrégularités primitives , est le théâtre d' une foule de ces migrations anonymes , obscures , dont le total finit par changer la face du monde . Les voyageurs qui en ont parcouru l' intérieur ont été souvent témoins du spectacle suivant . Ils rencontrent sur leur route des familles entières se déplaçant d' une contrée à une autre . Une famine , une épidémie , ou simplement la difficulté de vivre les a forcées à abandonner leurs foyers . L' un d' eux nous dépeint " ces familles de cultivateurs , d' aspect décent , qui campent sur les bords des chemins , emportant avec elles la nourriture pour le voyage " . Ainsi il ne s' agit pas d' un prolétariat vagabond , mais de groupes formés , cohérents , dont femmes , enfants et vieillards font partie , à la recherche d' un terrain propice pour y planter leurs pénates et continuer leurs habitudes traditionnelles . C' est ce qu' il y a de plus résistant dans la société chinoise , la famille , qui se transplante dans son intégrité pour faire souche ailleurs , et qui , grâce à sa cohésion , y réussira . N' est -ce pas en raccourci l' image du mécanisme par lequel s' opèrent les phénomènes de peuplement ? C' est par essaims à la manière des abeilles , plutôt que par agglutination à la manière des coraux , que les hommes se multiplient . Le surplus de population ne cherche pas à se déverser sur les espaces vacants qui existent dans le voisinage immédiat : qu' y ferait -il s' il n' y peut vivre suivant ses habitudes et ses moyens ? On franchit au besoin de grandes distances , en quête d' un milieu analogue à celui qu' on est contraint de quitter . C' est ce système , que les chinois ont su élever à la hauteur d' une colonisation méthodique , qui les a guidés à travers les compartiments de leur domaine . Une carte des agrandissements successifs de la * Chine , telle par exemple que l' a esquissée * Richthofen dans son grand ouvrage , montre moins une extension progressive , comme le ferait une carte historique de * France , qu' une série de colonisations poussées en avant-postes . Des bassins séparés les uns des autres ont été successivement acquis à la civilisation supérieure qu' avaient su former les fils de * Han . Comme des vases communicants , si l' équilibre vient à être rompu , ces bassins le rétablissent d' eux-mêmes . Lorsque , au XVIIe siècle , le riche " pays des * Quatre- * Fleuves " , le * Sseu- * Tch'ouan , eut été ruiné par les incursions tibétaines , des groupes d' immigrants affluèrent pour combler les vides , apportant si fidèlement avec eux leurs dieux lares et leurs traditions domestiques que leurs descendants savent encore dire de quelle province étaient venus leurs ancêtres . Lorsque , en 1861 , les anglais , pénétrant de plus en plus dans les profondeurs de leur empire indien , entreprirent l' organisation des provinces centrales , ils constatèrent non sans surprise combien récente était l' occupation agricole de ces contrées . Elle remonte aux progrès que fit , vers la fin du XVIe siècle , sous l' empereur * Akbar , la puissance mongole dans les vallées de la * Nerbudda et de la * Tapti . Ces contrées étaient restées un terrain de chasse des gonds . Mais le sol y est formé de ces couches noires de regur , dit cotton soil , qui depuis longtemps était fructueusement cultivé dans le * Goudjerat et autour du golfe de * Cambaye . De la population pressée sur la côte occidentale partirent des groupes qui graduellement installèrent le travail agricole dans ces terres de grand avenir . L' infiltration se poursuit encore ; elle fait tache autour d' elle . Elle gagne peu à peu , dit -on , les chefs de clans , jaloux de se relever à leurs propres yeux par un vernis superficiel d' hindouisme . Quand la ruche est trop pleine , des essaims s' en échappent . C' est l' histoire de tous les temps . Ce n' est pas par hasard que les livres où sont consignés les plus vieux souvenirs de l' humanité , le vendidad-sadé , la bible , les documents chinois , les chroniques mexicaines , sont pleins de récits de migrations . Il n' est guère de peuple chez lequel ne survive la réminiscence obscure d' un état d' inquiétude , de trieb , suivant l' expression de * K . * Ritter , qui le forçait à émigrer de place en place jusqu'au moment de trouver ce séjour définitif , sans cesse promis par la voix divine , sans cesse écarté par des maléfices . Ce sont toujours des domaines limités , à la taille de ceux qu' ils pouvaient connaître , qui sont le terme poursuivi d' étapes en étapes : pour les hébreux la terre de * Chanaan , pour les * Iraniens les jardins successifs de * Soughd ( * Sogdiane ) , * Mourv ( * Margiane ou * Merv ) , * Bakhdi ( * Bactriane ) . Non moins accidentée est l' odyssée des nahuatlacas pour atteindre enfin " la terre des joncs et des glaïeuls " , les bords du lac où se fonda * Tenochtitlan , la ville de * Mexico . La vieille * Italie pratiquait sur ses populations déjà trop pressées dans l' * Apennin ces amputations qui en détachaient la fleur de jeunesse ( ver sacrum ) , pour l' envoyer chercher fortune . L' histoire primitive de l' * Europe celtique et germanique se résume en une série de migrations , contre lesquelles la puissance romaine et le plus tard carlovingienne s' efforcèrent , souvent en vain , de réagir . Les helvètes qu' attire la renommée des plaines de * Saintonge , les suèves qui cherchent à se substituer aux * Séquanes dans ce que * César appelle la meilleure partie de leur domaine , sont des groupes en mal d' espace , en quête de territoires , faute de savoir tirer parti du leur . C' est par centaines de mille que les paysans russes de la terre noire se précipitaient en * Sibérie , si le gouvernement russe n' eût opposé une digue à l' irruption trop brusque du flot . sens général de l' évolution du peuplement . - ce n' est pas à la façon d' une nappe d' huile envahissant régulièrement la surface terrestre que l' humanité en a pris possession solide et durable . Des intervalles vides ont persisté longtemps , persistent encore en partie , à maintenir la séparation des groupes . Ceux -ci obéissent à une loi de nécessité en se séparant , en s' écartant les uns des autres . De divers côtés , par amas irréguliers , comme des points d' ossification , de petits centres de densité ont apparu de bonne heure . Combinant leurs aptitudes , transmettant un patrimoine d' expériences , ils furent d' humbles ateliers de civilisation . Quelques-uns de ces groupes , profitant de conditions favorables , ont pu servir de laboratoires à la formation de races destinées plus tard à s' étendre et à jouer leur rôle dans le monde . Il est arrivé cependant que , dans des contrées situées à l' écart , l' isolement a été érigé en système . Les bénéficiaires du sol se sont efforcés de maintenir autour d' eux la séparation par des moyens artificiels ; car l' idée de frontière est aussi enracinée que celle de guerre . Ainsi les silvatiques africains sèment d' embûches les abords de leurs villages ; les clans montagnards , tels que tcherkesses , kourdes , kafirs , se sont retranchés dans les parties les moins accessibles ; les tibétains eux-mêmes ont relégué dans les vallées les plus écartées leurs sanctuaires nationaux . Aujourd'hui , ces centres d' isolement font l' effet d' exceptions . Les destinées de l' humanité eussent été frappées de paralysie si ces conditions primitives avaient prévalu . L' isolement exposait ces sociétés à s' atrophier , à rester perpétuellement asservies aux habitudes contractées sous l' impression du milieu où s' était révélé pour eux le secret d' une existence meilleure . Ces communautés humaines auraient fini par ressembler à ces sociétés animales que nous voyons figées dans leur organisation , répétant les mêmes opérations , vivant sur le progrès jadis réalisé une fois pour toutes . Mais un ferment travaillait ces sociétés élémentaires , les poussait à croître et à se répandre au dehors . Leurs rejetons se trouvaient ainsi , dans le vaste monde , en face de conditions dont la nouveauté pouvait rebuter les uns , mais qui ouvrait aux plus supérieurement doués des sources de rajeunissement et d' expansion . * Renan a bien décrit la transformation qui s' opéra chez les beni-israël quand ils entrèrent en contact avec la terre de * Chanaan . Cette histoire s' est souvent répétée dans la suite . Une ventilation salutaire , dans la plus grande partie des contrées , a fécondé les rapports des hommes . chapitre iii . Les grandes agglomérations humaines : * Afrique et * Asie : dès les temps les plus reculés , certains points de la terre ont vu s' épaissir les rangs humains . " croissez et multipliez " est un des plus antiques préceptes qu' ait écoutés l' humanité . L' idée de " multitudes semblables , suivant l' expression biblique , aux grains de sable des rivages de la mer " hante de bonne heure les imaginations . La formation de densité s' est réalisée d' abord sporadiquement , à la faveur de circonstances toutes locales . Les découvertes d' instruments de l' âge de pierre ont fourni d' intéressantes indications sur ces centres primitifs de rassemblement . Mais la plupart de ces tentatives n' ont pas de suite ; elles se heurtent longtemps à la difficulté de vivre nombreux sur de petits espaces . Parmi ces groupes précoces , les uns ont cédé à une force centrifuge , ils se sont détachés de leur noyau , comme les satellites d' une planète . Mais à la longue d' autres se sont rapprochés et , s' il est permis de poursuivre la comparaison , condensés en nébuleuses . Ces agglomérations se sont formées indépendamment , assez loin les unes des autres . Leur fortune a été différente , les unes n' ayant cessé de s' accroître , tandis que d' autres , - mais ceci a été l' exception , - ont décliné ou ne sont que l' ombre d' elles-mêmes . Une lente élaboration les avait préparées , car aux époques lointaines où l' * égypte et la * Chaldée apparaissent dans l' histoire , elles comptent déjà des traditions et des souvenirs qui leur communiquent une auréole de haute antiquité . Les grecs avaient été frappés de ces grandes sociétés du * Nil et de l' * Euphrate ; ils ne le furent pas moins , lorsqu' après * Alexandre ils apprirent à connaître l' * Inde du * Pendjab et de la vallée du * Gange . La * Chine , révélée plus tard , étonna par ses multitudes les contemporains de * Marco * Polo . D' autres agglomérations sont venues , dans la suite des temps , s' ajouter à celles dont furent témoins ces anciens âges ; mais dans ces formations ultérieures intervient une telle complexité de facteurs que les causes géographiques bien que toujours effectives , s' y laissent moins directement discerner que dans ces premières manifestations de force collective , d' où l' humanité commença à rayonner sur la terre . Leur répartition semble en rapport avec une zone comprise environ entre le tropique du nord et le 40e degré de latitude . Le climat est assez chaud pour que nombre de plantes puissent accomplir très rapidement leur cycle de maturité et mettre à profit l' intervalle entre les bienfaits périodiques des pluies ou des crues fluviales . L' eau douce , sous forme de sources , de lacs , de nappe phréatique ou de courant , est la collaboratrice indispensable de ces climats tropicaux ou subtropicaux . Les grands fleuves surtout , issus des hauts massifs asiatiques , et nourris de pluies périodiques , agissent à la fois par leurs eaux imprégnées de substances solubles et par leurs dépôts d' alluvions . On serait tenté de croire que les plus grands rassemblements humains ont dû , dès l' origine , correspondre à la section terminale où le courant saturé achève de rejeter sa charge de matériaux . N' est -ce pas , en effet , dans quelques-uns des grands deltas qui s' échelonnent depuis le * Nil jusqu'au * Yang- * Tseu- * Kiang que se pressent aujourd'hui les plus fortes densités d' habitants ? La * Basse- * égypte , le * Bengale sont actuellement les parties les plus populeuses de l' * égypte et de l' * Inde . Aux embouchures du * Yang- * Tseu , l' île * Tsong- * Ming et la péninsule * Haï- * Men atteignent la proportion hypertrophique , l' une de 1 . 475 , l' autre de 700 habitants par kilomètre carré . Ce serait pourtant une illusion . En réalité , l' homme n' a pris pied que tard , et déjà armé par l' expérience , sur ces terres amphibies . Ces marécages , où la pente fait défaut , que l' inondation menace , n' ont été humanisés qu' au prix de grands efforts . Tous ne l' ont pas été ; car , même sur cette frange littorale de l' * Asie des moussons , à côté de deltas surpeuplés d' autres attendent encore les multitudes qui pourraient y vivre . Ce qui est vrai , c' est que ces grands fleuves représentent , suivant les conditions diverses de leur régime , de leur pente , de la composition de leurs eaux , de l' origine de leurs troubles , autant de types divers d' énergies naturelles . Instinctivement , l' homme s' est senti attiré sur leurs bords par l' afflux de cette riche vie animale et végétale que dépeignent les peintures des anciens âges pharaoniques . Que la fertilité se concentre ainsi sur les rives du fleuve ou qu' elle s' épanouisse aux alentours , c' est une table ouverte vers laquelle se précipitent tous les êtres . Mais de longues suites d' efforts combinés sont nécessaires pour arriver à discipliner ces grandes masses d' eau , pour y rallier des foules humaines , et cela n' a été réalisé que dans quelques parties de la terre . i . - * égypte . l' homme a pullulé de bonne heure sur l' alluvion friable , riche en substances chimiques , que le * Nil , assagi dans des biefs successifs , apporte des volcans d' * Abyssinie et dépose dans la longue vallée qui s' ouvre à partir d' * Assouan . Là se déroule , comme un long serpent , la terre noire ( kémi ) entre les sables fauves . Les trouvailles préhistoriques donnent les indices d' une densité précoce . La population de fellahs qui a fourni le levier de la civilisation égyptienne et qui compte encore aujourd'hui pour 62 p. 100 de la population totale , est un type original d' humanité , singulièrement fidèle à lui-même à travers les âges , fermement implanté dans son domaine , essentiellement prolifique . Elle commença par s' épanouir librement sur ce sol fécond , par se complaire à ses prodigalités ; se rassemblant peu à peu par petits groupes d' agriculteurs , répartis par nouïts ou nomes semblables aux nahiehs d' aujourd'hui . Rien n' y ressemble à la vie concentrée et précautionneuse des oasis . Bien à tort , on assimile parfois l' * égypte à une longue oasis : nom spécialement inventé par les égyptiens pour les différencier de leur propre contrée . Le fellah se disperse librement , il a vite fait de transporter en cas de besoin son habitation rudimentaire d' un point à un autre de la bande alluviale qui est son seul et véritable domicile . La nature du sol fit de l' organisation collective une nécessité . Elle est telle que la salinité ne tarde pas à imprégner l' eau devenue stagnante . L' obligation d' assurer au flot de crue un prompt écoulement , après en avoir prélevé le tribut , ne s' imposait donc pas moins que celle de la capter au passage . La tentation de confisquer l' eau s' effaça devant la nécessité de la restituer aussitôt après en avoir fait usage . C' est à cette conception que répondit le système de bassins échelonnés parallèlement au * Nil et s' écoulant les uns vers les autres : sorte d' appareil moulé au fleuve , qui eut pour effet de doubler l' étendue que sa crue peut atteindre et l' espace ouvert à la population . L' accroissement de densité n' excluait pas un appel croissant de main-d'oeuvre . On le voit , sous les pharaons , s' exercer sur les populations voisines de * Palestine et de * Syrie , surtout sur ces populations de * Nubie dont le flot ininterrompu ne cesse , comme en vertu d' une loi naturelle , de s' écouler vers l' * égypte . Cet afflux , néanmoins , n' a pas sensiblement altéré le fond indigène : preuve de la fécondité persistante qu' il a su opposer à toutes les vicissitudes . Mais le domaine qu' il occupe est trop restreint et les conditions d' aménagement trop artificielles pour que la densité de la population n' ait pas considérablement varié depuis l' antiquité classique . Là comme ailleurs , les suites des conquêtes arabe et turque diminuèrent sensiblement le capital humain . Au moment de l' expédition française d' * égypte , la population n' était estimée qu' à 2 . 460 . 200 habitants ; vingt-trois ans après , * Mehemet- * Ali l' évaluait à 2 . 536 . 400 . Un demi-siècle après commence la série des recensements , comportant une marge de plus en plus restreinte d' incertitude . Ils révèlent un progrès aussi rapide que prodigieux : 1846 : 4 . 476 . 440 1882 : 6 . 831 . 131 1897 : 9 . 734 . 405 1907 : 11 . 287 . 359 1917 : 12 . 566 . 000 ainsi la race indigène , agricole et sédentaire , - car auprès d' elle le nombre d' étrangers ou de bédouins nomades est insignifiant , - a fait preuve depuis trois quarts de siècle d' une étonnante élasticité . Il faut noter en première ligne que cet accroissement correspond à une extension notable de l' aire cultivable , le système d' irrigation permanente par canaux , au moyen de grands barrages et d' appareils élévatoires , ayant été généralisé surtout dans le * Fayoum et la * Basse- * égypte . La superficie cultivable , évaluée , il y a vingt-cinq ans , à un peu plus de 23 . 000 kilomètres carrés , dépasserait aujourd'hui 31 . 000 . En outre , les cultures industrielles , au premier rang desquelles le coton , entraînent de plus grandes exigences de main-d'oeuvre . Dans les parties qu' atteint l' irrigation permanente , les récoltes d' hiver , d' été et d' automne se succèdent sans interruption . Ainsi s' explique le bond rapide qui a doublé en moins d' un demi-siècle la population de cette vieille terre d' * égypte : exemple non pas unique , mais particulièrement saisissant de la répercussion directe qu' exerce sur les phénomènes de population tout progrès économique . II . - * Chaldée . l' * égypte s' est maintenue comme foyer de population humaine , tandis que d' autres foyers ont dépéri et , comme la * Chaldée , attendent une hypothétique résurrection . Ce n' est pas qu' à l' origine les sources de développement aient manqué . C' est aussi le sol de couleur sombre , mais plus jaune et plus imprégné de calcaire que celui du * Nil , al sawod , qu' apportent le * Tigre et l' * Euphrate , qui servit de noyau à la primitive * Chaldée . L' * Euphrate , dont le flot de printemps charrie cette alluvion , subit , dans les grands marécages que l' ancienne puissance de * Babylone parvint , pour un temps , à assainir , une première décantation . C' est ce qui permit , en attendant les grands travaux de canalisation que devait accomplir la monarchie babylonienne , aux plus anciens habitants de se grouper déjà en nombre , de former de petits royaumes , de bâtir ces villes dont les noms , depuis longtemps éteints , retentissent dans les plus vieilles légendes bibliques . Il est douteux cependant que les ressources de la contrée aient jamais suscité une densité de population telle qu' on peut la supposer dès lors en * égypte . Les conditions de crue étaient moins régulières ; leur aménagement , plus incertain et plus précaire . Les dynasties babyloniennes semblent incessamment préoccupées d' augmenter par des transplantations de peuples la somme de main-d'oeuvre qu' exigent les grands travaux et l' entretien de cette civilisation urbaine . Volontairement ou non , les étrangers affluent . La population présente un aspect cosmopolite qui frappe les observateurs et qu' ont plusieurs fois exprimé les grecs . à travers tant de siècles , le fil de continuité s' est rompu . On voit encore , aux approches de * Bassora , les lambeaux de ces palmeraies qui faisaient , le long de l' * Euphrate , l' admiration des romains au IVe siècle de notre ère . Mais , peuples et cultures semblent aujourd'hui réduits en poussière . Le corps de population qui constitue l' ossature résistante de l' * égypte n' existe plus ici . Où le trouver , parmi ces groupes hétérogènes , vaguement évalués à un million d' hommes , composés de bédouins nomades et d' agriculteurs ensemençant à la volée quelques fonds humides ? La reconstitution de ces antiques populations de l' * élam , de la * Chaldée , d' * Assur qui multiplièrent jadis sur les bords du * Karoun , de l' * Euphrate et du * Tigre , ne serait probablement pas au-dessus des forces d' un grand état moderne . Mais ce serait une oeuvre de longue haleine . Et si , reprenant à pied d' oeuvre le travail séculaire de l' ancienne * Chaldée que les six derniers siècles d' anarchie ont réussi à anéantir , on essayait de vivifier à nouveau le territoire qu' elle embrassait , ce territoire , en fin de compte , ne dépasserait pas , comme on l' a montré , 20 . 000 à 25 . 000 kilomètres carrés . Précieuse conquête assurément , mais pour laquelle les prévisions les plus optimistes restent bien en deçà des chiffres d' hommes que peuvent aligner l' * Inde , la * Chine ou l' * Europe . Situés dans la zone sèche qui traverse l' * Asie occidentale , séparés par de grands intervalles déserts , ces lieux de concentration , de même que ceux du * Ferghana et de * Samarkand , sous les massifs neigeux de l' * Asie centrale , ne sont que des taches de densité sur un fond presque vide . L' * égypte seule , grâce à sa position entre l' * Afrique et l' * Asie , la * Méditerranée et la mer * Rouge , est un carrefour d' espèce humaine . Elle présente en petit le spectacle d' une de ces collectivités persistantes qui fixent pour longtemps sur certains points le pivot des relations des hommes . III . - * Asie centrale . ce n' est jamais en les considérant isolément , dans leurs avantages propres , qu' on se rendra compte de grandes agglomérations occupant de vastes étendues terrestres . Ces avantages peuvent rester nuls , s' ils ne sont vivifiés par un apport d' énergies et d' intelligences qui se communique de contrées à d' autres . Il y a donc à considérer les liaisons qui existent entre l' ensemble continental et les régions où sont venues s' accumuler les alluvions humaines . C' était une des idées chères à * Karl * Ritter que certaines contrées avaient exercé une sorte de vertu éducatrice sur les peuples : cela n' est vrai qu' autant que l' on observe par quels chemins ces peuples y sont parvenus , c' est-à-dire par quelle initiation progressive ils sont passés . La connexité de contrées se prolongeant sur de grandes distances , capables d' ouvrir des perspectives aux groupes qui s' y échelonnent , est , sous ce rapport , un fait de première importance . Elle fournit des occasions de contact , sans nécessairement donner lieu à des chocs . L' attention est attirée par là vers la périphérie extérieure des hautes chaînes de plissements qui sillonnent le continent asiatique . Sur une frange plus ou moins étroite qui les borde , se déroule une série de contrées dont quelques-unes sont très anciennement spécialisées comme contrées historiques . Ainsi le long des chaînes de l' * Arménie et de l' * Iran , se succèdent les noms d' * Osroène , d' * Assyrie , d' * élam . Autour du noeud où se croisent les chaînes de l' * Asie centrale , se déroulent d' une part la * Bactriane et la * Sogdiane , de l' autre la * Sérique ; et enfin , au sud des * Himalayas , le pays des * Cinq- * Fleuves , l' antique pantschanada , aujourd'hui * Pendjab . Terres de culture , en même temps que voies de relations et de commerce , elles ont servi de cheminement aux hommes . Les voies historiques par lesquelles la * Chine communiquait avec l' * Asie centrale longeaient , l' une au nord , l' autre au sud du bassin du * Tarim , les grandes chaînes des * Tian- * Chan et des * Kouen- * Iun . Tandis que , dans les replis des chaînes et dans l' intérieur des bassins qu' elles abritent , les obstacles aux libres communications s' accumulent , elles trouvent au contraire des directions tracées d' avance sur les terrasses qui se sont étalées au pied des montagnes . Les points où les rivières s' échappent des défilés montagneux ont toujours été des sites de choix pour les établissements humains . L' eau est d' un maniement plus facile qu' ailleurs : on peut , grâce aux cônes de déjections , dériver des saignées en tous sens , et la pente reste encore assez forte pour étendre au loin le réseau des rigoles . Les espagnols du * Mexique , habitués à ces pratiques élémentaires d' irrigation , désignaient sous le nom de bocca del agua les issues par lesquelles les rivières sortent des * Montagnes * Rocheuses : déjà avant eux les indiens pueblos avaient su en tirer parti . Si même le tribut versé par les neiges et les glaciers est très abondant , il arrive qu' en aval l' eau souterraine afflue . Sous les sables qui succèdent aux amoncellements de blocs et de graviers dont le fleuve s' est déchargé d' abord , elle s' infiltre pour reparaître en sources , en fontanili , ou être facilement atteinte par des puits . En tout cas , l' emploi agricole des eaux n' exige qu' un aménagement simple , et nullement hors de la portée de ces indigènes qui , suivant le mot d' un des meilleurs connaisseurs de l' * Asie centrale , " savent fort bien utiliser les moindres ruisseaux , mais sont incapables d' exécuter des travaux d' irrigation importants " . Le sol n' est pas moins propice que l' eau . Composé de terrains de transport , il reste imprégné , sous le climat sec des régions subtropicales , des substances que l' action des vents ou le ruissellement des eaux y ont accumulées . Soustrait au lavage épuisant des pluies tropicales , il tient en réserve une foule de résidus solubles , d' éléments tels que chaux , potasse , magnésie , et par là une fertilité intrinsèque prête à surgir . Chaque année les hommes voyaient se renouveler le même miracle : une poussée subite de végétation , une floraison merveilleuse jaillissant , au premier contact des pluies de printemps , de terrains qui , auparavant , présentaient toutes les apparences de mort . Et ces légions de plantes annuelles remplissaient en quelques mois leurs promesses de grains ! Cette leçon ne fut pas perdue pour les hommes . Nulle révélation , si ce n' est celle du feu , ne fit sur eux une impression plus forte . Sans parler des mythes qu' elle engendra , elle leur apprit à surprendre et à épier l' arrivée de l' eau du ciel , à adapter leurs cultures en conséquence . Il y eut , à côté des oasis d' irrigation , des cultures de terrains non irrigués . On appelle bangar , dans le * Pendjab , les plateaux intermédiaires entre les vallées irriguées ou khadar : c' est , semble , le même mot que bagara , par lequel les agriculteurs iraniens de l' * Asie centrale désignent les terres qu' ils ensemencent dans l' espoir de l' humidité hivernale et printanière ; terres qui , généralement , sont contiguës aux oasis irriguées . Ainsi les deux principaux modes de culture se pénètrent . Le blé , l' orge , le mil sont à la fois des plantes d' irrigation et de terrains secs . Il n' y a point entre l' oasis et le désert , entre le limon sombre et le sable fauve , cette limite inflexible qui semble enfermer dans un étau le cultivateur des * Ksour . Des conditions variées et extensibles s' offrent à l' établissement des hommes : pentes de loess arrosées irrégulièrement par les pluies , rivières grossies par les neiges , et tous les suintements que , dans les hautes altitudes , ont préparés les neiges et les glaciers . Sur ces bandes longitudinales que dessine l' allure du relief , l' agriculture ne s' interrompt que pour recommencer ensuite d' après un type semblable . L' usage de la charrue et des mêmes céréales est pratiqué d' un bout à l' autre . Depuis plus de vingt siècles , des incursions de hordes nomades ont déchiré en * Asie le rideau de cultures , refoulé vers les montagnes les races qui en avaient fertilisé les abords et auxquelles nous devons une grande partie des plantes qui composent notre patrimoine . L' agriculteur tenace n' a pas lâché prise . " partout où il y a de l' eau et la bonne terre , on trouve le sarte " , dit un proverbe iranien . Le paysan persan s' est blotti , pour laisser passer l' orage , entre les murs de terre de son bourg . Sur les plateaux de * Kermelis et d' * Erbil , d' actifs villages se pressent autour des innombrables tumuli , vestiges des anciennes populations assyriennes . Telle est la puissance de certains faits naturels qu' elle se manifeste partout par les mêmes effets . C' est le long du versant oriental des * Montagnes * Rocheuses que cheminèrent les migrations indigènes vers le * Mexique . C' est à l' aide des oasis échelonnées au pied des * Andes que les incas du * Pérou propagèrent leur civilisation vers le sud , jusqu'au * Chili . Mais il ne s' est pas trouvé en * Amérique , au bout de ces voies de transmission , une * Chine ou une vallée du * Gange . IV . - * Chine . le peuple qui a multiplié dans les plaines alluviales du * Houang- * Ho et du * Yang- * Tseu , et dont le nom s' associe , pour nous , à une idée de pullulement dans l' étendue , les chinois , rattachent leur origine aux pays de l' ouest . Jamais , d' ailleurs , leurs relations n' ont été rompues avec l' * Asie centrale , d' où ils tiraient le jade , les chevaux , où ils établirent longtemps leurs marchés de soie . La périphérie septentrionale du massif central asiatique avait pour issue naturelle , vers l' est , la zone d' écoulement où l' érosion ravivée entraîne les eaux intérieures à la mer . Les bassins intérieurs , les anciennes cuvettes lacustres subissent dès lors une transformation : dessalées par l' afflux continuel des eaux courantes , renouvelées par l' apport continuel d' alluvions , elles entrent en liaison les unes avec les autres : liaisons encore imparfaites , il est vrai ; car le * Houang- * Ho et ses affluents passent par des alternances de bassins et de gorges . Néanmoins cela suffit pour introduire plus de continuité entre les groupes , plus de liberté dans leurs relations réciproques . Le contact de ces régions fut décisif pour ce peuple d' agriculteurs . Un sursaut de fécondité se produit chaque fois que des groupes déjà arrivés à certain degré de civilisation , mais dans des conditions relatives de pauvreté et de rudesse , trouvent occasion de pratiquer dans un milieu plus riche , dans une ambiance plus large , les qualités auxquelles ils avaient dû leurs progrès . Les beni-israël ne tardèrent pas à multiplier quand ils quittèrent les steppes de l' * Aram pour les terres plus fertiles de * Chanaan . L' hellénisme acquit une force nouvelle de multiplication sur ces terres d' * Asie * Mineure et de * Sicile , auprès desquelles la * Grèce continentale semblait avoir " la pauvreté pour compagne " . Ainsi arriva -t-il aux germains , quand , sortis de leurs ingrats domaines du nord , ils commencèrent à s' épanouir dans les pays rhénans . C' est ce qu' avaient éprouvé les tribus chinoises lorsque , à une époque qu' il est difficile de déterminer , elles descendirent des oasis orientales de l' * Asie intérieure pour se répandre dans la vallée du * Veï- * Ho , le grand affluent du fleuve * Jaune . Parmi les provinces historiques de la * Chine , le * Kan- * Sou et le * Chen- * Si marquent le chemin suivi . Elles sont en liaison naturelle . Dans la première , le désert est encore pressant et partout visible ; les villes qui s' échelonnent sporadiquement depuis * Sou- * Tcheou jusqu'au fleuve * Jaune ont encore le caractère d' oasis . Mais , dès l' entrée du * Chen- * Si , la continuité des cultures est désormais assurée ; elle se prolonge en se transformant . Les cultivateurs d' oasis apportèrent jadis dans ces plaines de loess des arts agricoles nouveaux avec lesquels ils étaient déjà familiarisés , l' irrigation des champs au moyen des eaux dérivés des montagnes . Mais en revanche , en face de nouveaux problèmes , ils apprirent eux-mêmes à amplifier leurs méthodes et leurs efforts pour s' attaquer à de plus grandes forces naturelles . Un lien de filiation reste manifeste , toutefois , avec les cultures nées sur les pentes de l' * Asie centrale . Même habileté à distribuer en réseau artificiel les rivières pourvues de pente , à combiner les cultures de plateaux avec celles des vallées . Cette civilisation agricole , avant de s' épanouir dans les vastes plaines deltaïques , semble à regret s' écarter des chaînes ; elle en suit le pied , en borde fidèlement la frange dans le * Tche- * Li et le * Chan- * Toung ; ou bien elle se prélasse dans des bassins de dimensions encore restreintes : celui de * Taï- * Yan- * Fou , dans le * Chan- * Si , un des berceaux de la civilisation chinoise , n' a qu' une étendue de 5 . 000 kilomètres carrés ; celui de * Si- * Ngan- * Fou , sur le * Veï- * Ho , un des plus anciens centres populeux , n' en a guère plus du double . Mais grâce à un régime de pluies plus favorables bien qu' aléatoire encore dans ces provinces du nord , la terre jaune manifeste pleinement sa puissance de fécondité . Elle devient le talisman auquel est attachée l' existence de ce peuple . La conquête des grandes étendues n' a pas procédé en * Chine par grandes enjambées , comme elle put le faire de nos jours aux * états- * Unis ; mais pas à pas , minutieusement , suivant le génie menu et les habitudes ataviques de la race . Une progression graduelle est sensible dans le sens où , de plus en plus , les horizons s' ouvrent , les montagnes s' écartent , et que suit le cours des eaux . Un ciel moins avare de pluies , un sol où la terre jaune s' émiette et se disperse en alluvions , accueille dans le * Ho- * Nan , province médiatrice entre les deux régions de la * Chine , * Cathay et * Manzi , les immigrants venus de l' ouest ou du nord . Par delà la chaîne transversale qui sépare les bassins du * Houang- * Ho et du * Yang- * Tseu , l' atmosphère d' ardent soleil baignée par les pluies de moussons permet , malgré la disparition du loess , un plus riche assortiment de produits . Dans cette ambiance nouvelle , l' organisation acquise ne périt pas : les cadres étaient formés , il suffit de les élargir . Tout ce qui caractérise , en effet , une conscience collective plus large se rattache à ce groupement de provinces , * Chen- * Si , * Ho- * Nan , * Chan- * Toung , où s' ouvrirent les vastes perspectives : là est le séjour des premières dynasties , le site des plus anciennes capitales , la patrie des sages et des philosophes . Au delà encore , la contrée intermédiaire où se fondent les contrastes du nord et du sud , la province de * Ho- * Nan , au sud du * Houang- * Ho , a reçu de la phraséologie chinoise la qualification de " fleur du milieu " . La population qui , dans le nord , s' agglomère en villages , se dissémine ici en innombrables hameaux ; image d' épanouissement et de confiance , parfois mal placée , car l' irrégularité des saisons suspend toujours la menace de famine . Mais dans la région où se confondent les alluvions des deux grands fleuves , la lutte contre la nature soulève plus de difficultés . Ce n' était jadis qu' un dédale de marais et de lagunes , entre lesquels vagabondaient des rivières à fortes crues ; l' accès en est encore assez difficile pour avoir arrêté en 1856 la marche des taïpings vers le nord . De temps en temps " le monstre sort de sa cage " : le * Houang- * Ho , changeant brusquement de lit , précipite un flot trouble à travers les campagnes . La lutte contre de tels ennemis réclame force de bras ; il n' y a pour de telles contrées qu' une alternative , sauvagerie ou surpeuplement . La religion et l' état surent y pourvoir . L' ère des grands travaux collectifs s' ouvrit en * Chine en 486 avant notre ère , par le creusement d' un premier tronçon du * Grand- * Canal , quatre ou cinq siècles environ avant qu' elle ne commençât au * Japon . C' est le moment où une vue d' ensemble , exigeant du peuple de travailleurs , se substitua aux entreprises particulières et locales . La question de population qui , chez cette race de petits cultivateurs , était déjà une affaire de famille , devint aussi affaire d' état . Déjà , en * Chine comme dans l' * Inde , la nécessité économique transformée en règle religieuse avait donné lieu à un culte de famille . Pour la morale chinoise comme pour la doctrine brahmanique , le mariage et la procréation d' une descendance nombreuse sont le devoir sacré qui assure aux ancêtres l' accomplissement des rites domestiques . Il s' y joignit en * Chine un intérêt politique . L' empereur , chef de la grande famille , pratiquait des recensements plusieurs siècles , dit -on , déjà avant notre ère ; il y avait des primes à la population , des amendes sur le célibat . Si parfois l' augmentation paraissait insuffisante , la complaisance de la statistique ne se faisait pas faute d' enfler les chiffres . Mais les réalités suivaient . Le mot " effrayant " revient sous la plume des européens à la vue du nombre d' enfants dans les foules chinoises . Partout où se concentre l' activité chinoise , travaux de rizières , halage de bateaux , banlieues sans fin , tumulte dans les rues , on a l' impression que le réservoir humain coule à pleins bords . On ne sait pas au juste quelle est actuellement la population totale de la * Chine propre : le chiffre en a été probablement exagéré dans des estimations précédentes s' inspirant trop d' analogies européennes . Cette population est loin de former une trame continue . Entre ces bassins où elle s' est concentrée et où elle a multiplié à plaisir , s' interposent comme des marches-frontières qu' elle n' a pas entamées , portant son effort exclusif sur le pied des montagnes , les plaines canalisées , les bassins intérieurs où se pratiquent les cultures traditionnelles . Le bassin intérieur que dessine la province dite des * Quatre- * Fleuves ( * Sseu- * Tch'ouan ) , où se rassemblent les eaux de quelques-unes des plus hautes montagnes du monde , passe à bon droit pour une des merveilles d' irrigation où triomphe l' agriculture chinoise ; la population y atteint , dans la plaine centrale de * Tch'eng- * Tou , une densité qu' on peut évaluer entre 300 et 350 habitants par kilomètre carré , mais elle est à peu près concentrée dans cette partie de la province . Si l' on évalue approximativement à 45 millions la population totale du * Sseu- * Tch'ouan , il convient d' ajouter que les deux tiers au moins se trouvent dans la partie centrale . Le reste , c' est-à-dire les flancs élevés des montagnes , les parties échappant par leur altitude ou par leur éloignement aux procédés de fécondation que nécessite la proximité immédiate de centres habités , est resté le domaine des populations antérieures , continuant à y pratiquer une culture plus ou moins primitive . Dès que cesse la région de loess , où le sol est capable de produire sans engrais de riches moissons , et qu' à sa place , au sud du * Ho- * Nan , se déroulent ces terres incessamment lavées par les pluies dont il faut sans relâche reconstituer la fertilité , une marge plus grande est abandonnée à ces populations qui , sous différents noms , représentent les couches antérieures , sinon la couche primitive , sur lesquelles se sont étendues , comme une alluvion nouvelle , les races plus avancées en civilisation . Historiquement , cela s' exprime par une colonisation procédant d' abord de l' ouest à l' est , puis du nord au sud . Elle s' épanouit en atteignant les grands bassins intérieurs qui relient le * Yang- * Tseu et ses magnifiques affluents . Lorsque , par l' accroissement méthodique de ses ressources et sous l' impulsion de ses vieilles dynasties , elle parvient à disposer d' une technique et d' une main-d'oeuvre suffisantes pour affronter les grands travaux de canalisation et d' endiguement , son domaine s' agrandit d' une conquête où cette multitude prolifique va démesurément pulluler . Mais , dans le développement organique de la civilisation chinoise , ces plaines deltaïques font l' effet d' une excroissance énorme qui s' est greffée sur le tronc principal . Là n' est point l' axe de la * Chine . Le chemin de fer central de * Pékin à * Han- * K'eou correspond mieux que la région littorale aux directions qu' a suivies ce peuple . Quand enfin les bassins et les plaines alluviales se rétrécissent et font place aux régions montagneuses et entrecoupées des provinces du sud , le flot se divise et va s' affaiblissant . Il s' infiltre néanmoins par les vallées , par les embouchures des fleuves . Et c' est ainsi qu' il s' insinue profondément , mais progressivement modifié , dénaturé par un métissage continuel , dans l' * Indochine , l' * Indonésie , le monde malais ; étapes d' où il serait prêt à déborder , en dépit des barrières qu' on lui oppose , sur tout le pourtour du * Pacifique . V . - * Inde . l' étude des grandes agglomérations humaines qu' encadrent d' une part l' * Hindou- * Koutch et les montagnes de l' * Assam , de l' autre les * Himalayas et le cap * Comorin , montre les analogies profondes des grands phénomènes humains . à l' origine des mouvements qui ont déversé sur l' * Inde , comme sur la * Chine , des flots nouveaux de populations , agit une cause géographique : le passage de l' * Asie sèche à l' * Asie humide , de la région des oasis à celle des pluies de moussons . La transition est naturelle entre les vallées que fertilisent les eaux du * Naryn , du * Zarafchan , de l' * Oxus et le pays des * Cinq- * Fleuves , le * Pendjab , vestibule historique , et sans doute aussi préhistorique , des invasions et immigrations de peuples . Les tribus aryennes , que l' acheminement le long des montagnes guida vers la grande plaine indo-gangétique , y trouvèrent aussi vers l' est , comme les tribus chinoises affluant du * Kan- * Sou et de l' * Asie centrale , l' attrait d' un enrichissement progressif de nature . Au delà du seuil de * Sirhind , les pluies de moussons se prononcent et se régularisent ; le sol sablonneux s' imprègne de réserves d' eau à une faible profondeur , la surface du * Doab , ou * Mésopotamie entre la * Djoumna et le * Gange , est percée d' innombrables puits . Le peuple des palmiers , figuiers , lauriers , s' enrichit de nouvelles recrues ; les cultures de riz , bananiers , canne à sucre , viennent s' ajouter à celles des saisons sèches . Comme en * Chine , une sorte de consécration religieuse s' attacha à la contrée où des populations laborieuses et pauvres s' étaient vues initier à une vie plus large . Chose remarquable , en effet , ce n' est pas le * Bengale , où pourtant les facultés nourricières sont à leur comble , qui marqua ainsi dans les traditions reconnaissantes de ce peuple ; c' est la haute vallée du * Gange jusqu'à la ville sacrée de * Bénarès , qui dans le sanscritisme brahmanique est la contrée bénie , le pays du milieu , madhia desa ! jusque -là se conserve à peu près dans sa pureté le type de communauté villageoise que les aryens avaient apporté avec eux , comme une organisation traditionnelle dont la discipline réglementée évoque les régions sèches d' où ils venaient . Mais plus on avance vers les régions de pluies abondantes , soit vers l' est dans le * Bengale , soit vers le sud vers * Cochin et * Travancore , plus les groupements se disséminent et se multiplient ; le village fermé fait place à une poussière de hameaux entre lesquels il est souvent difficile de tracer une séparation . Même changement en * Chine . Lorsqu' on a franchi vers le sud les provinces de * Ho- * Nan et de * Chan- * Toung , le changement de nature se traduit par une dispersion caractéristique des habitations . " d' innombrables petites fermes , toutes semblables , groupées par douzaines de maisons en terre avec quelques arbres : rarement on voit un plus grand village " : ainsi se présente la physionomie des campagnes qu' arrose le * Han , dans la province de * Hou- * Pé . Et dans la plaine de * Tch'eng- * Tou ( province de * Sseu- * Tch'ouan ) , les membres de la mission lyonnaise s' étonnent de cette route qui pendant 80 kilom . Environ " n' est , pour ainsi dire , qu' une seule rue bordée de maisons " . L' espèce humaine s' épanouit plus librement sur un sol plus riche en promesses : toutefois les bases de l' état social ne diffèrent qu' en apparence . Le village fermé était une expansion de la famille ; le hameau , c' est la famille elle-même unissant ses forces en une petite communauté agricole . Ainsi se composent d' une multitude de petits groupes , cellules vivantes , ces agglomérations dont la masse nous étonne . La trame est formée d' un entrecroisement innombrable de fils ténus , mais qui n' en sont pas moins solides et résistants . Les alignements d' habitations qui se succèdent dans le nord de la * Chine sont combinés de façon à réunir en un groupe les familles qui se rattachent les unes aux autres par une communauté de descendance et de rites . Dans le village-type de l' * Inde septentrionale , les liens de famille constituent une telle chaîne entre les habitants que , par suite des prescriptions et prohibitions qui règlent le mariage , les unions dans le village même sont rendues presque impossibles . On cherche femme dans le village voisin . Sur ces ensembles , toutefois , plane un air de ressemblance . Une civilisation commune les pénètre , capable de gagner de proche en proche , et douée , dans l' * Inde non moins qu' en * Chine , d' une force remarquable de propagation . On est en présence d' une de ces imposantes créations humaines qu' une longue histoire a façonnées . D' un nombre d' hommes d' origines diverses , rassemblés à époques successives dans certains domaines privilégiés , elle a fait un bloc . Il a fallu pour cela un apport plusieurs fois renouvelé d' activités , un patrimoine grossissant d' acquisitions . Une force de rapprochement et de concentration s' est dégagée , capable de maintenir dans un rapport de collectivité d' immenses multitudes humaines : non toutefois sans que , dans les interstices de ces grands corps , il n' y ait place pour des groupes réfractaires , restés fidèles à leur état primitif . Il en était ainsi dans ces grandes monarchies qu' autrefois ont vues l' * égypte , la * Perse , et par là ces civilisations contemporaines de l' * Inde et de la * Chine restent empreintes d' un trait d' archaïsme . Plus on étudiera la composition de ces agglomérations , mieux on verra qu' elles sont le résultat d' une sédimentation prolongée , et dans les alluvions qui ont contribué à les former , on reconnaît les apports successifs guidés par des voies naturelles . Aux peuples plus avancés dont la vague est venue en dernier lieu , il a appartenu d' imprimer sur ces contrées le sceau d' institutions sociales et politiques , qui , désormais , les désigne et les classe dans le monde . Leur rôle a consisté surtout à mettre , par l' ascendant de leur civilisation , plus de cohésion entre les groupes préexistants , à assembler en une construction des matériaux épars . Ils se sont superposés à des couches antérieures . Nous ne pouvons encore que soupçonner les mélanges dont se compose l' agglomération chinoise . Au * Japon on distingue au moins trois ou quatre types fondamentalement différents . Quant à l' * Inde , les recherches poursuivies depuis trente ans par l' ethnographic * Survey nous font entrevoir combien d' éléments divers entrent dans cet ensemble de 300 millions d' hommes . Pour ne parler que de la plaine indo-gangétique , que de variantes et quelle insondable diversité de races sont recouvertes sous ces étiquettes sommaires et provisoires : indo-aryen , aryo-dravidien , mongolo-dravidien ! Dès qu' on entre dans l' analyse des caractères ethniques , on soupçonne de bien autres diversités que celles des langues , et l' on commence à distinguer sur quels fondements et de combien de matériaux s' édifient ces blocs humains si bien cimentés qu' ils semblent désormais à toute épreuve . Toutefois , leur force d' accroissement n' est pas illimitée , pas plus que la sève d' inventions qui les a animés dans le principe . La sève semble tarie et l' accroissement semble aujourd'hui arrivé à un point quasi stationnaire . Rien du moins , pas plus dans l' * Inde qu' en * Chine , ne peut être comparé aux progrès qu' a accomplis , dans le cours du XIXe siècle , la population de l' * Europe . La population de la * Chine , d' après un juge bien placé pour en parler , le ministre américain * W . * W. * Rockhill , ne se serait que très lentement accrue pendant le siècle dernier . Là , comme dans l' * Inde , l' abondante natalité est tenue en échec par une mortalité presque aussi forte . Considérée par petites périodes , la population peut accuser parfois un accroissement notable ; mais il faut , pour en bien juger , prendre du recul . C' est l' éternelle histoire des vaches grasses . Vienne ensuite la période contraire : un cortège de fléaux , famine , épidémies , défiant l' effort même de l' administration britannique , ne tarde pas , comme en vertu d' une périodicité , à s' abattre ; et du coup disparaissent tous les êtres faibles que la misère , le défaut d' hygiène , la vie précaire , avaient prédisposés à leurs coups . VI . - archipels asiatiques . - * Japon . le continent asiatique était , par sa configuration taillée à grands traits , par l' étendue des rapports qu' il ouvre , seul apte à fournir à de telles agglomérations le domaine qui leur convient . Mais à l' ombre de ce continent , se déroule un monde insulaire que les moussons mettent en continuels rapports avec lui . * Sumatra , * Java , * Borneo n' en ont été détachés qu' à une époque postérieure au développement d' une puissante animalité parmi laquelle figurent les plus anciens spécimens connus d' espèce humaine . à la faveur des articulations innombrables qui découpent ces archipels dont * Marco * Polo ébloui estimait les îles par milliers , s' est formée ce qu' on appelle la race malaise : groupe plutôt que race , né du mélange et de la fermentation de la vie maritime . Par l' une de ses extrémités il se lie aux dravidiens du * Décan et par l' autre aux races de la * Corée et de la * Chine . Dans cette immense diffusion , les éléments les plus hétérogènes , les degrés les plus inégaux d' état social coexistent . Entre les côtes et l' intérieur s' accusent de profondes différences : de très anciens afflux d' immigrants , tamouls de l' * Inde ou chinois du * Fou- * Kian , ont répandu sur le littoral des contingents sans cesse accrus d' hommes et de civilisations , tandis que , dans les vallées et sur les pentes des montagnes , végétaient des tribus demi-civilisées comme les bataks de * Sumatra ou les dayaks de * Borneo , et que de véritables primitifs parvenaient à maintenir leur survivance dans l' intérieur des forêts tropicales . La concentration de la population s' est réalisée dans quelques parties seulement de ce domaine insulaire : à * Java où , dès les temps anciens , les hindous apportèrent leurs cultures de riz , les éléments d' une civilisation supérieure et qu' ils prédisposèrent ainsi à profiter merveilleusement de la sécurité et des avantages de l' administration européenne ; enfin dans les * Philippines , où la vallée centrale et la région deltaïque du sud de * Luçon montrent une densité en voie rapide d' accroissement . Les trois principales îles de l' archipel japonais , * Kiou- * Siou , * Sikok et * Hondo , représentent aujourd'hui une agglomération humaine supérieure en nombre total à celle des * Iles * Britanniques , à l' extrémité opposée de l' ancien continent . Les traces de l' homme sont très anciennes dans cet archipel , de même que sur tout le pourtour sud-oriental du continent asiatique . L' idée que l' on peut se faire de la démographie de ce * Japon primitif est celle d' une population à laquelle les abondantes pêcheries de son littoral maritime valurent de bonne heure une densité relativement forte . On sait à quel point le poisson entre aujourd'hui comme nourriture principale dans l' alimentation japonaise . Un vingtième de la population actuelle se livre encore à la pêche . Dans aucune contrée , a -t-on pu dire , la mer n' a pris une plus grande part au développement matériel et moral d' un peuple . Nul doute qu' une formation précoce de densité n' ait été atteinte de ce chef sur les côtes japonaises . Ce littoral découpé , baigné par les courants , n' est pas sans analogie avec la côte de sounds et de fiords qui s' étend , sur l' autre bord du * Pacifique , entre le * Puget * Sound et l' * Alaska . Là aussi , de riches pêcheries , à la rencontre des courants , ont amassé de bonne heure une population relativement nombreuse . Mais , pour que le * Japon ne demeurât point au stade où se sont arrêtées ces tribus nutkas , thlinkit , etc. , du nord-ouest américain , d' autres causes sont entrées en jeu . Le contact de l' * Asie était autrement fécond que celui de l' * Amérique précolombienne . La proximité d' un grand continent populeux et civilisé est historiquement sensible aux environs du VIIe siècle avant notre ère . C' est dans l' île la plus méridionale , * Kiou- * Siou , la plus rapprochée de la * Corée et de la * Chine , que commence le travail d' organisation qui donne son estampille à la société en formation . De là , elle rayonne et multiplie . Elle gagne successivement les deux grandes îles avec lesquelles la mettent en rapports les innombrables indentations de la mer intérieure . L' île de * Hondo était encore , dans l' intérieur , occupée par un peuple qui est resté pour les japonais l' image même de la barbarie , les aïnos . Tandis qu' ils sont impitoyablement pourchassés vers le nord , les dynasties impériales se font , au contraire , un devoir d' accueillir et de répartir parmi leurs sujets les immigrants qui viennent de * Chine et de * Corée . Ceux -ci apportent , en effet , des arts nouveaux , soit pour l' industrie , soit pour l' agriculture et l' aménagement des rizières . Ce flot précieux d' immigrants est alimenté par les fléaux qui frappent périodiquement les populations du continent voisin : famines , révoltes , guerres civiles et étrangères . Le légendaire pays de * Zipango joue à cet égard le rôle de refuge et renforce ainsi à maintes reprises son peuplement . Telle a été souvent la destinée des îles aux époques troublées qui bouleversent les populations des continents ; tel fut , en * Europe , le rôle des îles * Ioniennes au temps des invasions turques . Si l' on met hors de compte la croissance urbaine , due surtout à l' apparition récente de la grande industrie , l' intense peuplement japonais est strictement attaché à l' aménagement des rizières et aux cultures délicates ( thé ) auxquelles les pentes inférieures des collines prêtent leur abri . Un aménagement minutieux et parcellaire du sol , dans des compartiments exigus qu' encadrent les montagnes , l' irrigation assurée par les pluies de moussons , l' engrais fourni par les débris de poissons ou par les herbes dont on dépouille la montagne , telles sont les bases d' une économie rurale aussi intensive que restreinte . Pas ou peu d' élevage ; pas d' exploitation des montagnes . L' homme n' a songé à demander aux versants que couvre une mosaïque fleurie de plantes herbacées ( hara ) , qu' un engrais à enfouir dans le sol , peut-être aussi un plaisir esthétique , un principe d' art. Ce n' est pas sans surprise qu' on constate que dans les trois grandes îles où s' est constituée la civilisation japonaise et dont la population atteint une densité comparable à celle de l' * Angleterre et de l' * Italie du nord , la superficie cultivée n' atteint guère que le septième du sol . Mais c' est une culture de jardiniers , obtenant par an deux récoltes et même trois dans le sud-ouest . Le japonais , en sa qualité d' imitateur , se montre encore plus spécialiste que le chinois dans le choix des espaces qu' il met en valeur . La densité s' abaisse progressivement , au * Japon , vers le 40e degré de latitude ( nord de * Hondo ) et tombe dans l' île d' * Yéso à moins de 20 habitants par kilomètre carré . Même chute brusque sur le continent , lorsque au delà des plaines de * Pékin et du littoral on dépasse le 40e degré . Depuis trois siècles que les plaines du * Leao , au pied des montagnes de * Mandchourie , ont été entamées par la colonisation chinoise , ses progrès n' ont guère dépassé encore la province de * Moukden . Celle -ci n' a même qu' une densité inférieure à celle de la montagneuse * Corée , et au delà , dans la province de * Girin , par 45 degrés de latitude , c' est à un chiffre tout à fait insignifiant que tombe la proportion relative d' habitants . Ainsi les grands rassemblements humains cessent en * Asie à peu près vers la latitude où ils se renforcent en * Europe . Est -ce la nature seule qu' il convient d' incriminer ? Sans doute la rudesse du climat continental , qui déjà dans le sud de la * Mandchourie ne permet que des blés de printemps , doit entrer en ligne de compte ; mais une culture perfectionnée eût trouvé un vaste champ dans ces paysages de parc , mélanges de prairies et de bouquets d' arbres , qui caractérisent la province de l' * Amour et qui représentent probablement la physionomie végétale primitive de notre * Europe . VII . - conclusion . en réalité , cette limite asiatique des grandes agglomérations humaines est celle d' une forme de civilisation . Le chinois comme le japonais ont poussé le plus loin qu' il leur était possible avec leurs procédés traditionnels , la culture minutieuse dont ils avaient contracté l' habitude . Chez toutes les sociétés agricoles qui ont essaimé dans la zone terrestre que nous venons de considérer , des confins de la * Libye à ceux de la * Mandchourie , c' est le maniement de l' eau fournie par les pluies et les fleuves , la pratique de l' irrigation de plus en plus étendue , qui ont été les grands facteurs de développement numérique . Restreint dans les oasis , limité à une frange bordière le long des montagnes de l' * Asie centrale , ce mode de culture a trouvé dans les plaines du * Gange et de la * Chine des domaines à souhait pour s' épanouir . Ainsi de puissants foyers d' appel se sont formés pour les hommes . Leur rayonnement s' est étendu sur toute la périphérie insulaire de l' * Asie orientale . Le cadre spécial dans lequel ont grandi ces sociétés est géographiquement différent de celui qui délimite les populeuses sociétés d' * Europe . La pénétration réciproque que favorisent les communications modernes pourra à la longue atténuer ces différences ; il est probable néanmoins qu' elles subsisteront dans les traits principaux de la démographie . Des agglomérations principalement fondées sur l' industrie et la vie urbaine présentent sous bien des rapports d' autres modes d' existence , d' autres phénomènes que celles qui se sont établies sur une collaboration agricole d' une multitude d' êtres humains groupés par familles ou par villages . On ne saurait méconnaître dans celles -ci un caractère d' archaïsme qui nous reporte aux premiers efforts qu' a dû faire l' espèce humaine pour se constituer en force et en nombre . La surabondance de produits obtenus par un ingénieux aménagement de l' eau dans des climats interrompant à peine la végétation de l' année , eut un effet merveilleux pour permettre la coexistence sur des points restreints de forts groupes numériques . L' adaptation de l' eau à des cultures régulières , foisonnant sur place et se succédant à prompts intervalles , contribua à concentrer les hommes , de même que , primitivement , l' usage du feu avait facilité leur dispersion dans presque toutes les parties de la terre . L' une et l' autre de ces inventions primordiales se retrouvent dans la répartition actuelle de notre espèce . C' est parce que , dès les anciens âges , des groupes se sont répandus sporadiquement à travers les étendues continentales , que nous rencontrons à l' heure actuelle tant de diversités et d' inégalités , autrement inexplicables , dans leur degré de culture . Et c' est parce que l' irrigation , après avoir appris aux hommes à se serrer sur des points déterminés , leur a fourni , en certaines contrées , un thème de perfectionnements s' engendrant les uns les autres , que nous voyons des agglomérations qui n' ont pas attendu pour grandir les facilités qu' offrent les transports modernes . Ces impulsions initiales ont donné le branle et orienté le développement géographique de l' humanité . On peut , au reste , constater ce fait , qu' à chacune des étapes de ce développement correspond une appropriation nouvelle de ressources ou d' énergies naturelles . C' est par des efforts d' invention que l' homme d' aujourd'hui comme de jadis parvient à se faire une place de plus en plus considérable sur la terre . chapitre iv . L' agglomération européenne . I . - les limites : parmi les quatre groupes d' agglomération humaine , - * Inde , * Chine , * Europe , * états- * Unis , - le groupe européen est aujourd'hui le principal . Dans la répartition de l' espèce humaine sur le globe , il représente un foyer dont l' action se répercute partout ; comme puissance numérique et économique , il est le bloc prépondérant qui met son poids dans la balance . Cette supériorité numérique est de date récente . Il est probable qu' au commencement du XIXe siècle la population de l' * Europe n' atteignait pas le chiffre déjà atteint par l' * Inde et la * Chine : elle s' élevait , d' après les calculs les plus plausibles , à 175 millions environ . Si l' on considère qu' avant les vides , pour le moment incalculables , causés par la guerre , elle était évaluée , en 1914 , à 448 millions , il en résulte un accroissement d' environ 150 p. 100 dans une période dépassant à peine un siècle . La densité moyenne , qui était à peu près de 19 p. 100 en 1800 , était arrivée à dépasser , dans ces dernières années , le chiffre de 45 p. 100 . Il est vrai qu' une moyenne s' étendant indistinctement à l' * Europe entière perd beaucoup de sa valeur . Un trait plus significatif de cette statistique rétrospective est que , vers 1815 , aucune grande région sur le continent européen n' avait une densité comparable à celle du royaume lombard-vénitien , soit 90 habitants par kilomètre carré : la richesse agricole , le legs historique de grands travaux publics expliquaient cette supériorité . Cette contrée a notablement accru sa population dans le cours du dernier siècle ; mais , sans parler de la * Grande- * Bretagne , la * Belgique , la province rhénane , la * Saxe montrent aujourd'hui une densité supérieure à la sienne . La répartition a donc varié aussi bien que l' effectif total . Des déplacements de densité ont eu lieu . On est en présence d' un fait en marche , provoquant des chocs en retour qui se transmettent d' une contrée à l' autre . Car c' est , depuis un demi-siècle environ , dans l' * Europe orientale , en * Russie notamment , que l' accroissement de la population procède à l' allure la plus accélérée . Sans doute , des obstacles de climat s' opposent à ce que l' * Europe , dans sa totalité , soit entraînée dans ce mouvement : néanmoins l' organisme européen est tel aujourd'hui que les nerfs moteurs agissent avec force jusqu'aux extrémités des membres . Le cadre dans lequel se circonscrit , actuellement du moins , l' agglomération européenne , pourrait être approximativement tracé , au nord , par le 60e degré de latitude . Au delà de cette ligne , le long de laquelle s' échelonne , en avant-postes , une rangée de grandes villes , s' étend une vaste région ( 2 . 500 . 000 kilomètres carrés environ ) où la densité de population ne dépasse guère au total 3 hab. Par kmq cube . Cependant , baignée au nord par une mer qui reste généralement libre , cette région , depuis dix siècles au moins , est entrée dans le cercle d' attraction des contrées voisines . Ce sont d' abord les pêcheries qui ont attiré les hommes ; puis , dans la suite des siècles , le commerce des bois et des fourrures , aujourd'hui les mines et l' énergie hydraulique . L' exploitation de ces ressources nouvelles a imprimé un accroissement sensible , depuis un demi-siècle , à la population de ces " confins de l' oecoumène " . Comme dans tous les pays de colonisation , les villes maritimes en ont surtout profité : les deux tiers de la population norvégienne sont sur les côtes , et l' on remarque , en * Scandinavie comme en * Finlande , une proportion relativement forte de population urbaine . Mais les ressources nourricières sont trop indigentes pour laisser beaucoup de marge à l' accroissement ; l' émigration , qui s' y développe au moins aussi vite que la natalité , et même , à l' occasion , des famines se chargent d' y mettre un terme . à l' est , la ligne de démarcation qui circonscrit l' agglomération européenne a un caractère historique autant au moins que géographique . Elle touche à la steppe saline , mais sans borner la région fertile de la terre noire . On peut la considérer comme la ligne provisoire autour de laquelle oscille le pendule , entre le domaine des sociétés assises et celui des groupes plus ou moins instables . Elle est jalonnée , comme la limite septentrionale , par une série de villes rapidement grandissantes , entre lesquelles la * Volga sert de lien . Au delà , dans les gouvernements d' * Oufa , * Orenbourg , * Astrakhan , sur une superficie au moins égale à celle de la * France , la densité de la population ne dépasse guère en moyenne une douzaine d' habitants par kilomètre carré . Entre cette région faiblement peuplée et les contrées d' accroissement rapide et continu qui se prolongent jusqu'à la rive occidentale du grand fleuve , le contraste actuel exprime la lisière vers laquelle expire la civilisation européenne . Dans ses étapes successives , c' est par une rangée de villes qu' elle a procédé , qu' elle a fait front contre la barbarie ; et ce sont des fleuves qui ont servi d' appui à ces fondations urbaines . Tour à tour le * Rhin et le * Danube , puis , lorsque l' oeuvre romaine fut reprise par les carolingiens et le saint-empire germanique , l' * Elbe , la * Saale et l' * Elster , plus tard encore l' * Oder , la * Vistule et le * Dniepr ont vu sur leurs bords s' établir , en rapports les unes avec les autres , des rangées de villes : portes d' entrée et de sortie entre deux mondes , à la fois centres de propagande religieuse , places d' armes , lieux de foires et de commerce . * Mersebourg , puis * Leipzig ; * Magdebourg et * Hambourg ; * Breslau et * Dantzig ; * Riga et * Kiev , tracent des lignes successives . Elles anticipent , dans le développement de l' * Europe , sur le rôle futur des villes commerçantes qui , de * Nijnîï- * Novgorod à * Astrakhan , centralisent autour de la * Volga les relations de l' * Europe orientale et des steppes . La ville a son rôle à part dans la formation du peuplement . C' est un organe politique , un noeud de rapports . Elle est l' expression d' autres phénomènes que le village , c' est pourquoi elle peut exister indépendamment de lui . L' * Amérique et l' * Australie apportent de récents exemples de grandes villes suivant leurs destinées sans le cortège de moindres établissements qui les accompagne en * Europe . Elles servent de points de ravitaillement d' où la population s' élance à de nouvelles conquêtes . ii . - point de départ et conditions d' extension . il reste donc que plus des deux tiers de l' * Europe constituent , au point de vue de la population , un groupe à peu près compact de densité élevée . On distingue bien encore dans cet ensemble des parties faiblement peuplées , mais elles sont entamées de toutes parts , et de plus en plus réduites à la retraite que leur laissent les hautes montagnes , les forêts ou les surfaces marécageuses . Les interstices diminuent entre les rangs pressés qui les assiègent . En somme , il n' y a pas entre les mailles de ce tissu d' intervalles vides , comparables à ceux qui séparent l' * Inde de la * Chine ; ou , dans l' * Inde même , le * Pendjab du pays des * Mahrattes , le * Bengale du * Carnatic . Les agglomérations asiatiques sont nées et ont grandi sous l' influence d' une cause principale , le climat des moussons . Des centres de densité sporadiques se sont rapprochés et ont formé masse , grâce à une collaboration de pluies , de soleil et de fleuves , surexcitant presque sans répit la force productive du sol . Les phénomènes humains se laissent malaisément circonscrire en des limites précises ; on constate toutefois que c' est approximativement entre 10 et 40 degrés de latitude nord que se localisent ces foyers humains . L' agglomération européenne , au contraire , ne touche que par ses extrémités méridionales à cette zone terrestre . L' oeuvre qui a abouti à réunir en * Europe près du quart de la population du globe , s' est généralement accomplie dans des conditions de climat et de latitude dont les exigences dépassent de beaucoup celles des contrées tropicales ou subtropicales . Elle représente par là quelque chose d' original dans l' histoire du peuplement du globe . Elle se distingue ainsi , non seulement des agglomérations antiques qui ont eu pour siège l' * Asie orientale et l' * égypte , mais même de celles qui sont en voie de formation dans les contrées d' * Amérique ; bien que , à vrai dire , celles -ci n' étant encore qu' à leur premier stade , il soit difficile de se prononcer sur leur future extension . Le phénomène qui a accumulé dans cette péninsule de l' ancien monde la masse principale d' humanité , présente une évolution plus complexe que celles que nous avons déjà cherché à retracer . Le fait initial cependant paraît être , ici comme ailleurs , l' abondance de ressources végétales propres à la nourriture de l' homme . L' * Europe , sous ce rapport , surtout dans les parties de son territoire que n' ont pas atteintes les éliminations des périodes glaciaires , n' est pas moins richement dotée que les régions qui semblent , au dire des botanistes , avoir le plus contribué à enrichir le patrimoine de ressources alimentaires : l' * Inde , le * Soudan , ou la * Chine . Quelques-unes des céréales les plus utiles , froment et orge , nombre de légumes , tels que fèves , pois , lentilles , apparaissent sur les bords européens de la * Méditerranée , soit comme indigènes , soit comme des emprunts très anciens à des contrées limitrophes . L' acclimatation des végétaux qui se concentrent autour du domaine méditerranéen , trouva dans le commerce de bonne heure allumé sur ses bords un véhicule naturel ; ajoutons que , au centre même de cette mer , la féconde * Sicile semblait prédestinée à servir d' organe de transmission . Parmi les ressources nourricières dont s' enrichit progressivement l' * Europe , la * Méditerranée a fourni la plus grande part , mais non la seule . La diversité des plantes alimentaires dont * Pline l' ancien fait mention comme en usage chez les peuples sub-ou trans-alpins , est très remarquable , confirmée d' ailleurs par les trouvailles préhistoriques . Nous évitons de mentionner les ressources que l' alimentation pouvait tirer de la chasse ou de l' élevage , puisqu' il ne s' agit que de genres de vie favorables à la formation d' un peuplement dense . Par la facilité de l' existence , avec les avantages et les inconvénients qu' elle entraîne , les parties de l' * Europe situées au sud de 40 degrés se rapprochent de celles qui ont favorisé en * Asie l' épanouissement de l' espèce humaine . C' est en pensant à elles que * Mirabeau a pu parler de contrées où " les efforts des pires gouvernements ne réussiraient pas à empêcher la population de s' accroître " . En réalité , elle ne s' est pas toujours accrue dans le royaume de * Naples et dans l' * Espagne méridionale , et elle a subi bien des régressions temporaires ; mais on doit reconnaître qu' elle a toujours montré , dans les circonstances propices , tendance à s' accumuler . Ce n' est guère que dans les grandes villes du sud de l' * Italie et de l' * Espagne que se rencontre ce prolétariat vivant de peu dont se surchargent les agglomérations de l' * Inde ou du sud de la * Chine , ou même l' hexapole qui garnit le pied des montagnes , dans le * Turkestan oriental . Sans doute , à défaut d' autres besoins , celui de la nourriture quotidienne s' impose ; mais cette question même perd de son acuité et devient , suivant les saisons , tout à fait aisée à résoudre . " à * Murcie , écrivait * De * Laborde , on ne saurait trouver une servante pendant l' été ; et beaucoup de celles qui sont placées quittent leurs conditions à l' entrée de la belle saison . Alors elles se procurent aisément de la salade , quelques fruits , des melons , surtout du piment ; ces denrées suffisent à leur nourriture . " on peut rapprocher ce témoignage de ceux qui nous viennent des oasis du * Turkestan , situées environ aux mêmes latitudes , au sujet de ces populations qui conservent à * Kachgar , * Yarkand et * Khotan , les vieilles traditions d' agriculture iranienne . " pendant les mois d' été , dit * Semenof , les fruits et les melons suffisent à remplacer la charité publique . " là aussi , cette manne périodique est une prime à l' oisiveté et au farniente . la nature se charge , moyennant le minimum d' efforts , et pour ainsi dire au rabais , de pourvoir aux nécessités qui grèvent , sous d' autres latitudes , les sociétés humaines . Cependant les contrées européennes où l' homme peut s' affranchir de la continuité de l' effort , sont l' exception . à peine a -t-on dépassé d' une centaine de kilomètres les rives de la * Méditerranée que les exigences de climat se multiplient . Elles s' imposent déjà aux populations circum-alpines , balkaniques et danubiennes : combien plus encore à celles qu' on entrevoit dès les premières lueurs de l' histoire , groupées le long des terres fertiles qui suivent environ le 50e degré de latitude , et se prolongent , par l' archipel danois , jusqu'au sud de la * Suède ! En face de ces longs hivers , de ces brumes , de ces intempéries incompatibles avec la vie en plein air , chère au napolitain de nos jours comme à son ancêtre de * Pompéi , l' abri , le vêtement , le chauffage , l' éclairage viennent singulièrement compliquer le problème de l' existence . Ce fut une nécessité naturelle qui substitua aux draperies flottantes les vêtements serrés au corps , la saie , les braies gauloises ; qui ajuste au sommet de l' habitat un toit élevé , et fortement incliné pour permettre le ruissellement des pluies . Cet habitat , surtout , prend une importance plus grande dans la vie quotidienne ; ce n' est plus l' installation sommaire où l' on s' accommode après journée passée sur les places publiques , mais le séjour où se pratiquent les travaux d' hiver , où s' entretiennent les industries domestiques , le home , la maison avec toutes les idées et les sentiments qu' elle éveille . Croître et multiplier devient , dans ces conditions , un précepte qui suppose l' effort , et au succès duquel concourent des facteurs de temps , d' ingéniosité , de persévérance . Au delà du 40e degré de latitude , l' homme doit compter avec des nécessités d' habitat , de vêtement-outre la nourriture-qu'on peut comparer à ces poids supplémentaires dont on charge dans les courses certains concurrents . Plusieurs sociologues , depuis * Le * Play , se sont attachés à analyser les budgets d' ouvriers ruraux ou urbains en différentes contrées d' * Europe . Parmi les exemples qu' ils apportent , je choisis de préférence ceux qui concernent les régions où s' est le plus manifesté de nos jours l' accroissement de la population . En * Belgique , en * Saxe , en * Westphalie ( * Solingen ) , à * Sheffield , la répartition des dépenses s' établit à peu près sur les bases suivantes : 60 à 65 p. 100 pour la nourriture , 15 à 20 p. 100 pour le vêtement , 12 p. 100 pour le logement , 5 p. 100 pour le chauffage et l' éclairage . D' après des évaluations plus récentes , dont le * Danemark , pays très prospère , a été l' objet , les dépenses de nourriture ne représentent plus guère pour chaque famille que la moitié de la totalité des dépenses , la proportion restant à peu près la même pour le reste . Le même observateur fait cette remarque générale que plus le budget est petit , plus est grande la proportion des dépenses de nourriture . On peut étendre la portée de cette observation . Quand le tisserand de * Tch'eng- * Tou a prélevé sur son maigre salaire la somme nécessaire à son écuelle de riz , il est fort à prévoir que le superflu , s' il en reste , passe à la maison de jeu . Dans l' * Inde , lorsque la hausse du coton , provoquée par la guerre de * Sécession américaine , eut répandu l' argent chez les cultivateurs du * Dharvar , les bénéfices , dit -on , enrichirent surtout le bijoutier de village . Ne sait -on pas enfin combien , même dans nos contrées méridionales d' * Europe , le goût de la parure , du jeu ( loterie ) prime tout autre emploi des bénéfices aléatoires dont éventuellement on dispose ? Il existe donc des climats où , après satisfaction donnée aux besoins de nourriture , l' homme moyen , qui représente en somme le principal élément numérique de la population , peut à peu près impunément se livrer à ses fantaisies . Tout autre est la conception sociale qui résulte , dans nos climats , de ce que * Montesquieu appelle le " nécessaire physique " . Les devoirs grandissent avec les nécessités , éliminent ou du moins rabaissent à un niveau très inférieur cet élément de parasitisme qui fait pulluler , dans des climats moins exigeants , la mendicité et le vagabondage . Le mendiant n' y est plus " un être aimé de * Dieu " . Une considération impérieuse s' attache à l' extérieur du logement et de la personne , à ce qui constitue le confort et ce qu' exprime bien la formule anglaise , standard of life . cependant , pour subvenir non seulement à ces exigences , mais en outre aux obligations qu' impose la vie moderne , impôts , hygiène , éducation , délassements , etc. , l' effort est nécessaire . Il faut créer plus de ressources pour tenir tête à plus de devoirs . Nos contrées d' * Europe centrale ou septentrionale en offraient -elles les moyens ? Elles ne paraissaient pas de prime-abord disposées par la nature pour entretenir des multitudes pareilles à celles des bords du fleuve * Bleu ou du * Gange . Si pourtant elles les égalent ou dépassent , c' est parce qu' elles ont su tirer des ressources naturelles plus que n' ont fait les sociétés asiatiques . Aux produits du sol elles ont ajouté ceux du sous-sol ; avec les ressources de l' agriculture elles ont combiné celles de l' élevage . Elles ont appelé enfin la science à leurs secours . La formation de l' agglomération européenne apparaît ainsi comme une oeuvre d' intelligence et de méthode presque autant que de nature . iii . - rôle des relations commerciales : ce progrès n' a pas été le privilège d' une race . Non qu' il faille révoquer en doute les qualités supérieures dont l' homme a fait preuve en * Europe pour mettre en valeur avec plus d' intensifier qu' ailleurs les ressources que recélait le milieu . Mais il ne faut pas oublier , quand il est question de l' * Europe , la correspondance naturelle qui en unit toutes les parties . Par son effilement progressif en forme de péninsule , son exiguïté relative , par les facilités de passages qui atténuent l' obstacle des chaînes ou des massifs qui la sillonnent , par les voies naturelles qu' ouvrent ses fleuves , les peuples très divers , très hétérogènes que les circonstances y ont groupés , ne tardent jamais longtemps à entrer en communications réciproques . Le localisme , cause de stagnation , ne tient pas longtemps ; de telle sorte que le progrès accompli par les uns n' est pas perdu pour les autres . Le nombre de contrées qui échappent au mouvement général se réduit d' âge en âge , et soit plus lentement , soit plus vite , chacun prend le pas dans l' avance économique . Tout ce que nous savons du passé de l' * Europe tend à montrer quel rôle ont joué , dans la marche de sa civilisation , l' imitation et l' exemple . Le grand épanouissement de population et de richesse que , dans les cinq siècles qui précèdent l' ère chrétienne , les étiquettes de * Hallstatt , puis de * La * Tène , signalent au nord des * Alpes et dans le nord-est de la * Gaule , coïncide avec l' affluence croissante de relations méditerranéennes . L' imitation des monnaies macédoniennes , des objets étrusques , la formation d' un art mixte " de style romain provincial " que révèlent les trouvailles sur les bords du * Rhin et du * Danube , sont les indices d' une transformation économique qui a pénétré l' état social . On peut conclure du témoignage de * Strabon qu' un accroissement de population fut , en * Gaule , un des premiers résultats de la paix romaine , bien que ces fertiles contrées d' occident ne dussent pas échapper à la longue à " la disette d' hommes " , au dépeuplement , dirions -nous , qui atteignait déjà la * Grèce et les contrées ayant , comme elles , supporté le faix d' un long effort de civilisation . L' impulsion qu' avait éprouvée l' * Europe centrale , celle du nord la ressentit à son tour , lorsque , vers le Ve siècle de l' ère chrétienne , la navigation et l' agriculture eurent à leur disposition un outillage plus perfectionné que celui des anciens âges de bronze . Le nord scandinave devint alors le foyer de cette fermentation de peuples qui avait secoué , quatre ou cinq cents ans auparavant , le monde celtique . Il faut avoir les yeux sur ces causes générales pour se rendre compte du fait qui est proprement le sujet de notre étude : la formation en * Europe du principal groupe humain qui existe actuellement sur le globe . C' est le résultat d' une oeuvre de longue haleine , qui a procédé , non d' un mouvement continu , mais par saccades ; qui a été traversée par des catastrophes , qui a connu des périodes de régression , mais dont pourtant on peut marquer les étapes , et qui , finalement , se totalise par un progrès de beaucoup supérieur aux prévisions de la plupart des penseurs du XVIIIe siècle . Par additions successives , dont approximativement on peut estimer les dates , le domaine d' occupation intensive s' est agrandi . Dans cette série de conquêtes , les principales batailles ont été gagnées sur les forêts , qu' on a défrichées ; sur les marais , qu' on a desséchés ; sur les montagnes , qu' on a adaptées à l' économie pastorale ; sur les alluvions , qu' on a arrachées à la mer . Enfin , il y a un siècle et demi , l' aurore de la grande industrie s' est levée dans une contrée de la * Grande- * Bretagne , où se concentraient le fer et la houille . Parmi les artisans de l' oeuvre qui s' élabora alors autour de * Birmingham , de * Manchester , de * Sheffield et de * Newcastle , plus d' un promoteur est sorti de ce milieu social que nous cherchions , dans les pages qui précèdent , à caractériser d' après les budgets d' ouvriers . L' exemple de l' * Angleterre a gagné le continent . Les nécessités de la grande industrie se sont traduites par un accroissement en proportions inouïes des forces de transport , de sorte que le mouvement commercial n' a pas cessé et ne cesse pas de s' étendre . Qu' une période sans exemple d' inventions mécaniques ait donné l' essor à un accroissement sans précédents de population , c' est un fait de nature à jeter quelque lueur sur le genre de causes qui ont la prépondérance dans l' évolution du peuplement humain . Il correspond à l' éveil d' initiatives , à une plus grande somme d' énergie et d' intelligence appliquées à l' exploitation des ressources naturelles . La création de richesses nouvelles réclame et appelle à son secours un plus grand nombre de forces humaines ; un accroissement en résulte . Mais le flot s' aplanit en s' étendant . Il arrive tôt ou tard que cette création engendre aussi de nouveaux besoins , qu' elle introduit des habitudes qui peu à peu produisent à leur tour leurs effets sur la marche du peuplement . Des répercussions diverses , même en sens contraire , peuvent naître suivant les temps et les lieux . Le progrès porte en lui-même ses correctifs . Devant ces faits gros de conséquences , il faut s' attendre à ce que le phénomène démographique , en se déroulant dans son ampleur , se montre sous des faces très diverses . chapitre v. Régions méditerranéennes : lorsque les hommes commencèrent à entrer en rapport par delà la barrière montagneuse qui borde la * Méditerranée , le sud représenta pour l' ultramontain le pays des fruits , de même que , par une généralisation semblable , l' * Europe centrale apparut au méditerranéen comme le pays des forêts . Cette distinction reposait assurément sur un fondement naturel ; mais du moins cette image était déjà une transformation obtenue par un travail humain séculaire . Nous avons caractérisé ainsi le genre de vie qui a prévalu sur les bords de la * Méditerranée : " ce n' est pas le champ , mais le jardin qui devint ici le pivot de la vie sédentaire " . Il convient d' ajouter que le jardin , ou pour mieux dire , la culture de plantation a été , dans ces contrées , le principe de la concentration des habitants . Elle en fut et elle en est restée le principal facteur , si du moins l' on fait abstraction des villes . i . - les points faibles : la nature physique , dans la région méditerranéenne , se prête indifféremment à des genres de vie dont l' influence sur la population est très diverse : la culture des céréales telles que l' orge ou le blé , celle des arbustes , primitivement vigne , figuier , olivier , et l' élevage pastoral , surtout de la chèvre et du mouton . Ce classement repose sur une distinction très ancienne : elle figure dans * Cicéron comme vieille formule de droit . Entre la " terre de semences " et la " terre de plantations " la distinction chez les anciens est courante ; on se demande seulement si l' arboriculture n' est pas une branche de l' art agricole . Quant à la vie pastorale , elle implique non seulement différence , mais opposition . Elle est le principe d' un antagonisme qui a frappé les observateurs depuis * Thucydide jusqu'à * Strabon , et qui persiste encore , sous une forme atténuée , de nos jours . En effet , dans le cadre qu' embrassent les plis des chaînes ibériques et provençales , de l' * Apennin , des * Alpes dinariques et du * Pinde , la plaine et la montagne s' enchevêtrent : celle -ci , neigeuse en hiver , mais offrant en été de frais pâturages ; l' autre , hospitalière en hiver , après le renouveau qui suit les pluies d' automne , mais subissant du fait des sécheresses d' été une interruption de végétation qui peut durer jusqu'à deux mois . Le bétail , aisément mobile , qui est , dans la région méditerranéenne , la forme caractéristique de richesse ( pecunia ) , trouve ainsi alternativement dans la plaine et la montagne ce qui lui convient . Un régime pastoral est issu de cette solidarité ; il est possible d' en concevoir le développement . à proximité d' abord , puis , à mesure que se formaient des collectivités pastorales assez fortes pour assurer leurs migrations , à des distances considérables , les troupeaux , suivant l' ordre des saisons , ont passé des hauteurs à la plaine et vice versa . c' est ainsi que , des * Alpes dinariques au littoral dalmate , du * Pinde aux plaines de la * Thessalie , des * Abruzzes à la campagne romaine et au tavogliere de * Pouille , enfin des montagnes du * Leon et de * Teruel aux plaines de l' * Andalousie , s' établit le régime de la transhumance . La montagne , en déversant périodiquement sur la plaine ses pasteurs et ses troupeaux , y gênait toute poursuite de travail agricole . Ce travail , dans les plaines où les conséquences du régime ont été poussées à l' extrême , finit par se réduire à deux courtes apparitions de travailleurs , l' une en octobre pour les semences , l' autre en juin pour les récoltes . Ainsi s' explique que , dans les plaines assujetties à un tel régime , n' ait pu se nouer ce contrat qui , par un rapport quotidien de soins assidus , unit le cultivateur à la terre . La petite propriété n' a pu s' enraciner avec la ténacité nécessaire , pour peu que des périodes de guerre et de troubles se soient prolongées ; elle a été emportée par la tourmente et a fait place à ce régime de latifundia qui pèse encore en * Espagne et en * Italie sur quelques-uns des domaines où des populations ont prospéré jadis , où elles pourraient encore vivre à l' aise . Il y a là , dans l' état actuel , une des causes restrictives de la densité de population autour de la * Méditerranée . Elle atteint les plaines , très sensiblement dans le sud de l' * Europe , et plus encore dans l' * Afrique du nord où la colonisation française réagit non sans succès . Cette complication de faits physiques et historiques se traduit dans la densité de population par des points faibles et ce qu' on pourrait appeler une série d' anomalies négatives . ii . - rôle des cultures arbustives : il en est autrement des domaines où s' est implantée la culture arbustive : là se sont formés de bonne heure , ont grossi successivement , se sont conservés comme en réserve pendant les temps de crises , les rangs épais d' une population qui ne se lasse pas de prêter de nouvelles recrues à la vie urbaine limitrophe ou même à l' émigration d' outre-mer . Les observateurs qu' attiraient dès l' antiquité classique les problèmes de civilisation , ont parfaitement noté que ce type de culture n' était pas une création élémentaire et spontanée , mais l' expression d' un progrès , d' un degré de vie supérieure . Comme tous les progrès de ce genre , c' était une oeuvre de collaboration , se transmettant par voie de contact et d' imitation suivant que le permettait l' analogie des climats . L' origine et le centre de propagation de ce genre de vie peuvent être cherchés sans hésitation dans la partie du domaine méditerranéen confinant aux grandes sociétés antiques de l' * Euphrate et du * Nil . Le véhicule en fut l' intercourse maritime , que les découvertes préhistoriques en * Crète et dans l' archipel égéen nous montrent comme un des faits les plus anciens et des plus décisifs de la géographie des civilisations . Les trouvailles de vases crétois ou égéens jusque dans la * Haute- * égypte , et réciproquement celles d' objets égyptiens en * Crète , ouvrent de larges horizons qui se prolongent jusqu'aux premières dynasties pharaoniques , peut-être au delà . à l' époque où l' île de * Santorin n' avait pas encore vu sa partie centrale s' effondrer dans une convulsion volcanique , c' est-à-dire il y a quarante siècles au bas mot , ses habitants entretenaient un commerce de poteries avec le dehors ; ils cultivaient l' olivier , l' orge , divers légumes . Il est possible de discerner , à travers ces rapports primitifs , le germe qui , suivant des circonstances diverses de temps et de lieux , s' est épanoui , grossissant autour de la * Méditerranée les rangs de la population . Comme tout progrès destiné à exciter dans l' humanité un surcroît de force collective , il s' accomplit au contact de sociétés inégales , mais travaillant sur un fonds commun . Les bords européens de la * Méditerranée souffrent de sécheresses saisonnières ; mais , à la différence des régions franchement arides , le tribut d' humidité versé par l' hiver , le printemps et l' automne suffit pour entretenir dans le sous-sol , - à l' exception des pays karstiques , - des réserves persistantes d' humidité . Ce sont elles que l' arbre ou l' arbuste puise par la longueur de ses racines . Il faut tenir grand compte du sous-sol dans la culture méditerranéenne . Si l' irrigation joue un rôle qu' on ne saurait exagérer , elle n' est point cependant la dispensatrice absolue de population et de richesse dans les régions subdésertiques . Cette nuance de climat nous explique pourquoi une culture de terres sèches a constamment coexisté , dans le sud de l' * Europe , avec une culture d' irrigation . Celle -ci exigeait une somme de travaux collectifs et d' organisation qui n' a pu être atteinte qu' à la longue ; d' autre part , les surfaces éprouvées par un mauvais écoulement des eaux réclamaient de coûteux travaux de desséchement . Au contraire , la culture arbustive a pu de prime-abord se propager et s' étendre sur les terrains où , la surface étant sèche , le sous-sol restait suffisamment humecté . Remarquons , en effet , que les plantes de ce genre qui , par l' ancienneté de leur culture , semblent avoir de bonne heure acquis la prépondérance : la vigne , le figuier , l' olivier , auxquels on peut ajouter l' amandier , sont de celles qui ne nécessitent pas l' irrigation . Je suis porté , par tous ces indices , à considérer les contrées à surface sèche et à sous-sol humide comme le plus ancien type méditerranéen de culture et de population denses . Il en est une qui , par sa position et sa nature , convient à cette définition : c' est la plaine calcaire qui , à l' extrémité sud-est de la péninsule italique , s' avance comme un pont à la rencontre de l' orient . Elle fait partie de la région que les grecs ont très anciennement connue sous le nom d' * Iapygie et que les romains désignaient par celui d' * Apulie , qui se perpétua sous la forme plurielle significative : le puglie . dans cet ensemble , la bande littorale qui s' étend de * Barletta jusqu'à * Bari et même au delà jusqu'à * Brindisi et * Lecce se distingue dès l' antiquité , vu l' énorme quantité de vases qui en sont originaires , comme un foyer de population . Malgré le cours différent qu' a pris l' histoire , la contrée reste encore une terre bénie dont la mauvaise administration séculaire n' a pas réussi à paralyser les avantages . Entre une double série parallèle de villes , l' une sur la côte , l' autre à 10 kilomètres dans l' intérieur , s' encadre la campagne sèche et lumineuse où , sous l' ombrage tamisé des oliviers , figuiers , pêchers , etc. , s' étend et gagne de plus en plus le vignoble , sans atteindre toutefois la prédominance exclusive que lui abandonne , sur un sol également sec , son émule moins favorisée , la * Coustière du * Bas- * Languedoc . iii . - les " rivières " : le commerce maritime et la colonisation gréco-phénicienne ont propagé , jusqu'à l' extrémité des limites qu' elles pouvaient atteindre , ces cultures éminemment lucratives . Sans l' éveil de vie générale dont nous avons signalé les précoces indices , on comprendrait mal comment ce genre de vie supérieure a rayonné de rivage en rivage , donnant lieu à diverses combinaisons . Certaines côtes , par leur exposition et leur pente , se déroulent comme des espaliers dont l' homme n' a eu qu' à tailler les gradins . Et , d' autre part , elles ménagent , à l' abri du mistral et des vents du nord , de petites plages sablonneuses à portée les unes des autres , communiquant aisément grâce à la clémence des vents et à l' uniformité du régime , favorables ainsi à une vie de cabotage et de pêche . Telle est , par excellence , la zone de * Ligurie , que la nomenclature populaire a distinguée par le nom caractéristique de rivière : rivière du * Ponant , de * Gênes à * San- * Remo ; rivière du * Levant , de * Gênes à la * Spezia . La montagne y serre de près la côte , l' enveloppe pour ainsi dire . On voit sur les pentes tournées vers la mer blanchir entre les plantations et les bois d' oliviers le bourg principal que des sentiers en gradins , quotidiennement escaladés par des ânes , relient à la plage . Entre deux promontoires qui l' enserrent , se profile en arc de cercle , comme " une corde à demi tendue " , dit * Reclus , l' anse où les bateaux peuvent être tirés sur le sable . bourg et marine se correspondent , se voient mutuellement , se complètent , parfois sous le même nom . Ce dualisme est l' image de la combinaison d' où est né un genre de vie essentiellement propice à la collaboration familiale , car il unit les occupations de la mer à celles d' une culture exigeant plus de soins que d' efforts musculaires . Tel est , sans parler des causes survenues au cours des temps , l' attrait qui a poussé les hommes à se presser sur cette frange de cabotage et de pêche . Peut-être est -ce en * Syrie , sur cette partie du littoral qui s' étend du sud de * Tripoli jusqu'au mont * Carmel , qu' il faudrait en chercher le prototype . Là se déroula jadis , de * Byblos à * Tyr , toute la série des villes phéniciennes , pépinières de colonies qui ont essaimé sur tous les rivages . Les villes ont subi le sort qui frappe les créations historiques ; mais , le long des petites rades qui se succèdent , s' échelonnent de nombreux villages , indice et ultime relique , pour ainsi dire , de la population dense qui s' est pressée sur cette côte . De cette rencontre de conditions , verger et marine , est née une combinaison propre à la vie de la * Méditerranée , qui concentre la population et la vie sur certaines parties du littoral , tandis que d' autres sont inhospitalières . Ce type de rivière se répète ailleurs le long de la * Méditerranée en proportions plus ou moins réduites . Parmi les organisations auxquelles il a donné lieu , celle de * Catalogne est une des plus remarquables . Une pépinière de bourgs associés à des marines s' est formée au nord-est et au sud-ouest de * Barcelone : l' une ( * Costa * De * Levante ) , jusqu'au cap de * Creus ; l' autre ( * Costa * De * Ponente ) , jusqu'à * Tarragone . Quelque changement qu' apporte la vie moderne avec l' industrie , les villes et l' envahissement cosmopolite , ces genres de vie subsistent , non comme survivance , mais comme expression d' harmonies naturelles qui ont favorisé la multiplication des hommes . iv . - zones d' altitude : c' est un fait persistant , dans notre région méditerranéenne , que la densité de population se localise dans la zone des cultures de plantations . Au-dessus de 800 mètres , les établissements humains deviennent rares , sauf aux extrémités méridionales de ce domaine . Encore même les villages échelonnés sur les pentes méridionales de la * Sierra * Nevada ne dépassent -ils pas en général la limite des oliviers ( 1 . 200 m . ) , et s' il se trouve çà et là , en * Sicile , des bourgs populeux comme les bourgs jumeaux de * Calascibetta ( 878 m . ) , et de * Castrogiovanni , l' antique * Henna ( 997 m . ) , la tranche principale de la population de l' île est -elle circonscrite entre 300 et 800 mètres . Cette zone populeuse par excellence se subdivise elle-même suivant les divers éléments dont elle se compose et dont elle s' est graduellement enrichie . Ces limites respectives se dessinent par des lignes d' établissements . C' est ainsi que la tranche inférieure , où prospèrent les cultures d' agrumes , se termine sur les flancs orientaux et méridionaux de l' * Etna par une rangée populeuse que semble régir la courbe de niveau de 300 mètres : niveau de sources où s' alimentent les irrigations . Sur les collines argileuses miocènes qui bordent l' arc extérieur de l' * Apennin , de * Bologne à * Termoli , une bande de population concentrée comme dans le sud de l' * Italie , mais librement disséminée , suit fidèlement la répartition de l' olivier entre 200 et 600 mètres environ . La vigne et l' olivier se font mutuellement cortège ; la vigne , cependant , est attirée par les causes économiques actuelles vers la plaine . C' est par la châtaigneraie , du moins quand la nature du terrain s' y prête , que ce mode de culture , de gradins en gradins , fait preuve de la plus grande force expansive . Avec elle monte aussi la zone des populations denses . Elle ne commence que vers 400 mètres , et plus haut seulement , vers 600 ou 700 mètres , elle devient dominante . Une ligne d' établissements humains correspond souvent à la limite où l' olivier , avec les cultures qui l' accompagnent , cède la place au châtaignier . Grâce à cet arbre nourricier , le flot d' une population dense a pu atteindre ses extrêmes limites sur les flancs de l' * Apennin , des * Alpes méridionales et des * Cévennes . Ces hauteurs , elle les délaisse aujourd'hui , rebutée par le travail minutieux et pénible qu' exigent les terrassements en gradins , édifice maçonné qu' il fallait sans cesse réparer et entretenir . Ce travail de * Sisyphe n' est plus à la portée ni du goût des habitants ; aussi la partie supérieure de ces anciennes terrasses cultivées présente -t-elle souvent l' aspect d' une pierraille croulante , abandonnée à la vaine pâture . Une sorte de flux et de reflux en sens vertical régit les mouvements de la population . Ce que jadis elle cherchait en hauteur , c' était la sécurité , souvent la salubrité ; aujourd'hui , l' attraction contraire prévaut . v . - rôle des montagnes : les montagnes bordières de la * Méditerranée atteignent rarement 3 . 000 mètres , mais un grand nombre culminent entre 1 . 500 mètres et 2 . 000 mètres , c' est-à-dire dans la zone où les précipitations ont leur valeur maximum . Celles -ci appartenant surtout à la saison froide amassent des neiges en même temps qu' elles produisent des pluies . Ainsi se nourrissent les rivières , se gonflent de fortes sources , s' entretiennent de précieuses réserves pour les sécheresses d' été . En général , il manque à ces montagnes une étendue de zones supérieures où pût se former , comme dans nos * Alpes , une féconde économie pastorale . C' est comme châteaux d' eaux et à leur pied qu' elles sont productrices d' agglomérations humaines . Depuis le mont * Olympe de * Thessalie jusqu'à la * Sierra * Nevada de la * Cordillère bétique apparaît nettement ce rôle de la montagne . Les chaînes fragmentaires qui se dressent sur le pourtour effondré de l' ancienne * égéide , seraient une région d' exemples classiques . à leur pied , grâce à elles , ont existé de très anciennes agglomérations humaines . L' antique * Lydie , la * Bithynie , la * Thrace , la * Macédoine sont des contrées historiques dont les racines plongent dans la préhistoire . Au pied de l' * Olympe de * Bithynie , sur sa terrasse ravinée par les torrents , * Brousse , toute ruisselante d' eaux vives , est un site dont les hommes ont de tout temps recherché la fécondité puissante . Ce n' est pas , du moins dans le principe , sur les bords marécageux de l' * Hermos , du * Caystre , du * Méandre , que se sont installés les établissements humains ; les appellations filiales dont les hommes ont ailleurs qualifié leurs fleuves , * Gange , * Nil , * Volga , * Rhin , devraient s' appliquer ici aux montagnes : c' est au pied du * Sipyle , du * Tmole , du * Messogis , aux endroits mêmes où jaillissent les sources , où courent les ruisseaux " noyant les fleurs et les feuillages , les taillis et les futaies , dans la continuelle vapeur d' un bain nourricier " . Sous les noms hellénisés de * Magnésie , * Philadelphie , etc. , défigurés ou remplacés à leur tour par des vocables turcs , se déguisent des sites bien plus anciens . à mesure que la puissance politique s' y est formée et que s' y sont développées des relations commerciales , des villes , capitales politiques , sont nées soit sur les côtes , soit sur les promontoires formant acropoles . Car ces vallées mènent au fond de l' * Asie . * Sardes , dans celle de l' * Hermos , fut la tête de route conduisant à * Suse . Mais , avant ces périodes , tant de fois troublées et qui ont entassé tant de ruines , c' est dans la fécondité naturelle , l' abondance exubérante de ce qui est nécessaire à la vie que réside le secret de l' attrait qui a rassemblé ici les hommes . Par ces couloirs , à l' écran des montagnes , se glisse la végétation méditerranéenne : ce sont des forêts d' arbres fruitiers , où noyers et mûriers se mêlent au figuier , à l' olivier et à la vigne . Un rapport étroit , confirmé par l' ethnographie , unit ici l' * Europe et l' * Asie . L' * Olympe thessalien se laisse entrevoir aussi comme un centre de formation de peuples . La chaîne du * Karatas , qui le prolonge au nord , domine de 1 . 800 à 1 . 900 mètres environ la * Kampania , la plaine où fut * Pella , capitale de * Philippe * De * Macédoine , l' * émathie des anciens , à l' extrémité de laquelle * Salonique naquit de * Therma , le lieu de sources chaudes . De nombreux tumuli ne montrent qu' un village à l' emplacement de * Pella , et la plaine a l' air aujourd'hui d' une nécropole . Mais le surgissement ou la décharge des eaux au débouché des montagnes avait désigné quelques-uns de ces sites invariables que ne délaissent plus , après les avoir adoptés , les établissements humains . Tous les voyageurs , depuis * Cousinéry , se sont plu à décrire * Vodena , la ville des eaux , qui déguise sous son nom slave l' * édesse macédonienne , l' * Aegae plus ancienne encore . De ses terrasses de travertin s' écroulent en cascades , puis se multiplient en ruisseaux , écumant ou poudroyant à travers de magnifiques vergers , des masses d' eau venues de l' intérieur . * Vodena est le débouché du bassin de * Monastir , l' ancienne * Pélagonie ; mais , le long de la même chaîne , se succèdent d' autres sites humains , * Niausta , puis * Verria ( * Berrhoea des anciens grecs , * Karaferia des turcs ) . Celles -ci , d' après * J . * Cvijic , ne marquent pas des points de passages , elles doivent tout aux avantages locaux . Ces villes , tant de fois assaillies ou dévastées , persistent en vertu des lois naturelles qui régissent les établissements humains . L' eau est pour elles un gage de vie impérissable ; elles pourraient à elles trois , dit un anglais , " alimenter de leur énergie hydraulique toutes les manufactures de * Manchester " . En attendant que ce pronostic se réalise , elles ont perdu , au-dessus d' elles , la florissante couronne de villages que détruisit , au temps de l' insurrection grecque , * Ali- * Pacha * De * Janina , et dans la plaine qui s' étend à leurs pieds règne à peu près la solitude . La montagne est donc non seulement évocatrice mais conservatrice de population . Le fertile bassin que traverse la * Strouma avant de parvenir à la mer , et , plus à l' est , celui de * Drama qu' une barrière de 500 mètres de haut sépare de son port de * Kavala , ont contracté leur population sur les flancs des montagnes . Celles -ci , contreforts avancés du * Rhodope ( * Boz- * Dagh ) , dominent de 1 . 800 mètres environ des plaines basses , dont le centre est en partie lacustre . Le long de la voie romaine ( via * Egnatia ) , la ville fondée par * Philippe n' est plus qu' un village en ruine ; mais , à l' issue des eaux ruisselantes , * Drama conserve un peu d' activité . Là , comme à * Sérès , un reste de vie urbaine , collée à la montagne , comme un germe endormi , est le signe d' une puissance latente qui ne demande qu' à s' épanouir encore , quand viendra son heure . Elle sonnera quand la petite propriété libre aura remplacé le système des tchifliks ou latifundia qu' y avait implanté la domination turque . L' * Italie , quoique l' histoire ne l' ait guère épargnée , a mieux conservé ses centres de population . Parmi les bassins successifs que relie l' * Arno , celui de * Lucques mérite particulièrement l' attention . Il n' est pas comme celui où * Florence a succédé à * Pistoia , au débouché d' un des passages principaux de l' * Apennin . Il doit sa fertilité aux eaux venues des * Alpes * Apuanes ( cime culminante , 1 . 946 m . ) . Le tribut que lui apporte le * Serchio y rencontre , comme l' * Arno lui-même , l' obstacle du mont * Pisan ( 918 m . ) , qui l' empêche de voir * Pise . Le drainage a dû se combiner avec l' irrigation pour discipliner et répartir l' afflux surabondant des eaux bienfaisantes . Tandis que l' olivier garnit les premières pentes , remplacé par le châtaignier au-dessus de 560 mètres , la plaine s' étend comme une marqueterie de petits champs rectangulaires où serpente la vigne entre mûriers et érables , dont le rideau , renforcé par des peupliers et des saules , abrite un foisonnement de céréales et de légumes : le tout nourrit une des plus fortes agglomérations de l' * Italie . La fonction bienfaisante de l' eau s' y accomplit dans sa plénitude . Les cultures de plaines s' y combinent avec celles des versants . La gamme de produits , eu égard à la latitude , est complète ; s' il y manque les agrumes qui n' apparaissent guère que vers 40 degrés de latitude , en revanche , dans le sud de l' * Italie , la châtaigne n' entre plus guère dans l' alimentation . Le cadre rempli déborde au dehors . Ce coin de * Toscane mérite de servir de type . La * Campanie ne se résume pas dans * Naples et sa banlieue , ni dans les vignobles qui cernent le * Vésuve : le trait géographique essentiel est l' arc de cercle intérieur que dessinent les chaînes calcaires brusquement interrompues au bord de la plaine . à leur pied se pressent les populations et les villes , depuis * Capoue , au débouché du * Volturne , par * Caserta , * Maddaloni , * Nola , * Sarno , * Nocera , jusqu'à l' éperon calcaire qui sépare ce groupe naturel de celui de * Salerne . Le * Vulture fait naître comme une oasis dans les solitudes de la * Basilicate . Plus de 500 habitants par kmq . Se pressent sur le flanc occidental de l' * Aspromonte . L' * Etna ramasse autour de ses flancs , au niveau des sources , une des plus extraordinaires fourmilières du monde : 359 hab. Au kmq . Sur le pourtour entier , jusqu'à 600 hab. Sur la partie est et sud . De même , dans le * Péloponèse , * Kalamata , héritière de * Messène , groupe au pied du * Taygète ( 2 . 400 m . ) une population double de celle du royaume . Le * Canigou ( 2 . 785 m . ) dispense à la * Vega de * Prades , puis au * Rivieral de la plaine roussillonnaise , une richesse d' eau qui depuis le Xe siècle , fin des luttes dévastatrices entre francs et arabes , y a entretenu une densité croissante de population . Le * Genil , échappé de la * Sierra * Nevada ( * Cerro * De * Mulhacen , 3 . 481 m . ) est le créateur d' un groupe humain que l' antiquité avait connu sous le nom d' * Iliberris , remplacé depuis par celui de * Grenade . Dans cette partie méridionale de la région méditerranéenne , le niveau supérieur des cultures de plantations s' élève de plus en plus . Les agrumes remontent jusqu'à 700 mètres dans le bassin de * Grenade . Si l' on cherche quelle est en moyenne , autour de la * Méditerranée , la zone d' altitude où se plaît l' habitat humain , il faudrait la déterminer environ entre 200 et 400 mètres . Elle échappe aux exhalaisons qui rendent souvent la plaine dangereuse et elle admet la plupart des cultures qui font la richesse du domaine climatique méditerranéen . C' est à ce niveau que , autour de la * Campagne * Romaine , se déroule la ligne des * Castelli romani , que se nichent les vieux oppida qui bordent , sur les monts des * Volsques , la frange déserte des marais * Pontins , que d' anciennes villes dominent les abords passablement déserts de l' antique * étrurie . C' est dans cette zone d' altitude que les plis de l' * Apennin embrassent dans leurs sinuosités un grand nombre de bassins , qui forment autant d' unités démographiques . Les rivières qui les relient entre eux ont peine à se frayer une issue , et il a fallu plus d' une fois que le travail des hommes aidât à l' évacuation des eaux . L' * Arno , le * Tibre , comme l' * Aterno et la * Pescara sur le versant adriatique , traversent une succession de bassins : celui d' * Arezzo ( 272 m . ) , ceux de * Foligno , de * Rieti , d' * Aquila , de * Sulmona . La vie y est saine et forte . * Vasari attribuait à l' air vif d' * Arezzo quelque chose du génie de * Michel- * Ange . Autour de * Foligno , d' * Assise , de * Rieti , de * Sulmona , se dressent les plus hautes chaînes de l' * Apennin calcaire , aussi sèches sur les flancs que ruisselantes de sources à la base : * Vettore , 2 . 477 m . ; * Gran * Sasso , 2 . 914 m . ; * Velino , 2 . 487 m . ; * Majella , 2 . 795 m . Le jardin en est le premier plan ; la montagne grise en forme le fond . Les oppida , vieilles enceintes fortifiées , se nichent sur les éperons dans les parties non cultivables . La vie urbaine n' y est pas chez elle , mais une vie cantonale assez puissante , que la main de * Rome a groupée en faisceau , préparée d' ailleurs par des affinités de langue . Dans la pureté et la vivacité de l' air se conserve et se reforme un matériel humain qui a fourni autrefois à cette même * Rome le meilleur contingent de ses légions , et aujourd'hui la main-d'oeuvre qu' elle recrute pour l' exploitation de la campagna . ce va-et-vient crée un rythme caractéristique de la vie méditerranéenne . vi . - influences arabes : la physionomie de la * Méditerranée a changé au cours des temps , le peuplement suit la même marche . Une touche nouvelle vient foncer le tableau de la densité , quand , après la dépopulation qui avait accompagné la décadence de l' empire romain , la domination arabe réussit à s' établir dans le sud de l' * Italie et en * Espagne . Elle apportait avec elle de nouvelles cultures , le coton , la canne à sucre , le riz , les agrumes , issues des régions tropicales et servies par une science plus avancée de l' irrigation . La * Méditerranée , dans sa moitié méridionale , offrait un domaine à souhait . Elle a des hivers plus doux , suivis , il est vrai , de sécheresses plus longues ; mais si pour l' irrigation on dispose de quantités suffisantes , il est possible d' y reproduire la merveille des régions tropicales , c' est-à-dire de faire succéder sans interruption , sur des espaces restreints , des cultures d' espèces variées ; de créer enfin de puissants appels d' hommes . L' oeuvre des arabes , qui a survécu à leur domination , a , comme jadis celle des phéniciens , contribué à méridionaliser la * Méditerranée . Dans ces contrées qui , dans leur état primitif , faisaient aux orientaux l' effet d' une terre de forêts et de pâturages , elle a achevé de mettre au premier plan le verger , le jardin dont la vie pullulante est due à l' art délicat que persans et arabes avaient poussé à la perfection . Sans doute , l' organisation de l' eau n' avait pas attendu les arabes pour être une préoccupation habituelle des peuples méditerranéens ; * Platon ne fait -il pas allusion à de belles et antiques lois qui avaient pour objet cette question vitale ? Des traces de très anciens traités et de conventions entre peuples ont été conservées en * Grèce ; il n' est pas douteux que , en * Roussillon , une organisation existât à l' époque visigothique . On ne saurait , toutefois , refuser aux arabes le mérite d' avoir serré de plus près que leurs devanciers le problème de l' irrigation . La * Sicile leur offrit en premier lieu un champ merveilleux d' expérience . Elle provoqua un afflux de population . La prospérité du * Val * Mazzara au Xe siècle y réunissait une population qui sans doute n' avait pas alors d' égale en * Europe ; ce foyer de prospérité et de travail attirait des immigrants de la * Ligurie et du nord de l' * Italie ; la * Conca * D' * Oro de * Palerme avait une population qu' on peut juger non inférieure à celle d' aujourd'hui . Nous devons savoir particulièrement gré à cette organisation , puisque c' est d' elle que procèdent aujourd'hui ces minutieux travailleurs maltais qui , avec les mahonais , viennent changer en jardins les banlieues de nos villes algériennes . Les vegas et huertas d' * Espagne s' organisèrent à la sicilienne . Ont -elles diminué d' étendue ? Peut-être sur certains points . Elles s' échelonnent , comme on sait , sur la côte orientale et méridionale depuis * Valence jusqu'à * Malaga , et à quelque distance vers l' intérieur depuis * Lorca jusqu'à * Grenade . Il faut profiter des gorges par lesquelles les rivières , débouchant des montagnes à proximité du littoral , disposent encore d' une pente sensible pour en maîtriser l' écoulement . * Mr * Jean * Brunhes a donné de leur organisation une analyse précise et documentée , à laquelle je dois renvoyer le lecteur . Rappelons seulement que plus de 300 . 000 habitants se pressent sur l' espace d' un millier de kilomètres carrés qu' on embrasse du haut de la tour de la cathédrale de * Valence . Les bourgs ramassés qu' on observait aux approches vers * Tarragone et * Sagonte se dispersent en une multitude de barracas , toutes de type uniforme . Luzerne , haricots , arachides même , se succèdent sans interruption . L' oranger y gèle parfois , mais rarement . Le tribunal de aguas , tous les jeudis matin , règle la répartition des eaux entre la multitude des petits propriétaires , pratiquant , avec l' appoint d' engrais chimiques , une culture intensive . C' est un type d' agglomération humaine dont les régions industrielles de l' * Europe centrale offrent seules l' équivalent . chapitre vi . Conclusions : résultats et contingences : l' occupation humaine du globe est entrée , vers le dernier tiers du XIXe siècle , dans une phase nouvelle , trop compliquée pour qu' on puisse en aborder d' emblée l' examen . Près de quatre siècles s' étaient écoulés depuis la découverte de l' * Amérique : c' était à peine si l' * Europe , dans cet intervalle , avait réussi à lui envoyer neuf ou dix millions de ses enfants , à peu près autant que les seuls * états- * Unis reçoivent de nos jours en deux décades . à ce compte , les prairies de l' * Amérique du nord , les pampas de l' * Argentine risquaient de rester longtemps encore dans le même état qu' au temps de * Colomb . Ce n' est pas d' un mot qu' on peut donner la formule de tels changements . Mais nous pouvons déjà constater d' après ce qui précède , combien la densité de la population est liée aux questions de genres de vie . Ce n' est pas assez de dire d' une façon générale que chaque genre de vie a ses exigences d' espace , plus grandes pour le chasseur ou pour le pasteur que pour l' agriculteur ; bien que la question se pose encore actuellement en ces termes , et aussi pressante que jamais , dans l' ouest américain comme en * Australie et sur les confins du * Tell et du * Sahara . En réalité , toute spécialité et toute nuance de genres de vie , tout progrès , tout changement dans les rapports économiques de contrées , a son retentissement sur la population . C' est comme maraîchers et horticulteurs que les maltais ou les mahonais sortent de leurs îles pour aller peupler les banlieues urbaines de l' * Algérie . La pratique de l' élevage sur des plateaux unis que les chars peuvent sillonner fit essaimer les boers . Cultivateurs particulièrement experts à défricher la forêt , les franco-canadiens ont pu à leur aise multiplier sur place autour du * Saint- * Laurent . En revanche , il a suffi d' une succession de mauvaises récoltes , le fléau se greffant sur une mauvaise constitution de la propriété , pour que l' * Irlande perdît en vingt ans la moitié environ de sa population . De ce mélange et de cet entrecroisement perpétuel des faits sociaux et des faits géographiques résultent bien plus de complexités et de vicissitudes qu' on n' en imagine d' ordinaire . On risque fort de se tromper quand on fonde ses pronostics sur l' état actuel . Sa prolongation dépend des phénomènes auxquels il est lié . D' autre part , il y a assez d' exemples montrant la même race prolifique ou stérile suivant les temps et les lieux , pour ôter beaucoup de fondement à l' importance qu' on s' est plu souvent à attribuer aux causes ethniques . C' est surtout à propos de la population qu' on peut dire que les causes géographiques n' agissent sur l' homme que par l' intermédiaire des faits sociaux . D' où les oscillations que l' histoire permet d' entrevoir dans le passé et de prévoir pour l' avenir , de brusques poussées succédant à des temps d' arrêt , suivant une allure en somme assez déconcertante . Le surpeuplement , initial et pour ainsi dire congénital à l' espèce humaine , rentre essentiellement dans ce double caractère économique et géographique : économique , puisqu' il a le plus souvent pour cause l' insuffisance à tirer parti du sol et l' emploi de méthodes agricoles trop extensives ; géographique par les formes qu' il revêt et les effets qu' il engendre suivant les milieux où il se produit . Il est naturel que moins l' espace est étendu , plus tôt le point de saturation soit atteint . C' est pourquoi l' on voit des îles , des articulations littorales , d' étroites bandes bornées par les montagnes , chargées d' une population surabondante , se défaire par l' émigration de ce surplus . Quelques-unes ont dû à cela un rôle qui a eu son importance dans la civilisation . C' est par la * Phénicie , la * Hellade , les îles de la mer * égée et de la mer * Ionienne que la * Méditerranée est devenue ce qu' elle reste dans l' histoire générale , un lieu de concentration et de syncrétisme de peuples . On peut attribuer de même un rôle prépondérant , dans la colonisation de l' * Archipel japonais , aux deux îles méridionales qu' une mer intérieure , plus découpée que la * Méditerranée , relie à l' île principale : c' est dans * Kiou- * Siou et * Sikok et sur les rivages qui leur font face que se pressent les plus denses populations de l' empire . Mais des domaines ainsi restreints seraient impuissants à donner aux sociétés humaines la consistance qui les assure contre les chances de destruction . Le bassin de la * Méditerranée , image encore imparfaite de ce qu' il fut , malgré les efforts de restauration qui y ramènent la vie , n' est -il pas un exemple de la fragilité de ces civilisations , auxquelles manque la large base territoriale ? Aussi la formation des grandes agglomérations que nous avons essayé de décrire et dont la force numérique est de taille à supporter tous les tributs que les fléaux , guerres , épidémies ou famines , peuvent y prélever , constitue à nos yeux le principal levier d' action que l' humanité ait réussi à combiner . Ces épais bataillons peuvent sans s' appauvrir suffire à une expansion qui s' étend autour d' eux comme une auréole . Le flot de la colonisation chinoise , après s' être avancé du nord vers le sud , réparant au besoin ses pertes , recouvrant ses conquêtes perdues , finit , dans les provinces montagneuses du sud , par se diviser , se ramifier en filets de plus en plus amincis . Mais tant il s' en faut que sa force d' expansion soit éteinte , que dans l' * Indochine et la * Malaisie l' élément chinois est le ferment le plus actif des sociétés qu' il pénètre . L' * Inde , de son côté , fournit des travailleurs à l' * Assam et à la * Birmanie ; sa colonisation rayonne sur l' * Afrique orientale . De ces deux grands groupes sortira peut-être le supplément de bras et d' intelligences humaines dont le manque se fait encore si fâcheusement sentir dans la plupart des contrées tropicales . L' * Europe fut aussi un foyer de colonisation pour elle-même , avant de le devenir pour le nouveau monde . Les contrées déjà populeuses de * Flandre et des * Néerlandes fournissent pendant le moyen âge des colons , non seulement au pays du * Brandebourg qui en tire son nom de flaming , mais aux marches orientales de l' * Allemagne . La * Russie plus tard puisa à son tour dans l' * Europe centrale des contingents de colons pour reconstituer son * Ukraine , sa frontière des steppes . Les agglomérations ont servi à leur manière la cause du progrès ; car rien de nouveau ne se crée sans que l' évolution souhaitée ait à sa portée de suffisantes disponibilités d' hommes . On puisa dans ces multitudes pour la construction des grands travaux publics qui furent l' orgueil de certaines dynasties chinoises ; pour ces barrages hydrauliques et ces tanks innombrables qu' on admire dans le sud de l' * Inde . Et , ce qui nous touche de plus près , la moderne évolution industrielle de l' * Europe eut la chance de trouver dans la présence de populations assez denses la main-d'oeuvre et le personnel dont elle avait besoin . Dans les régions élevées et pauvres de * Saxe , de * Silésie , de la * Forêt- * Noire , des * Vosges , du * Lyonnais étaient installées des populations nombreuses pour lesquelles l' industrie était un appoint , avant de devenir une vocation . Les manufactures qui se fondèrent dans le centre et l' ouest de l' * Angleterre à la fin du XVIIIe siècle , recrutèrent leur personnel dans la classe de petits agriculteurs que ruinait alors une crise économique . C' est ainsi que , aujourd'hui , le * Japon peuple ses récentes usines avec la surabondante population de sa campagne . Mais les causes en apparence les plus durables peuvent avoir fait leur temps . Il se peut que dans l' arsenal mouvant des causes économiques d' autres prennent leur place . L' augmentation croissante des besoins , la multiplicité des services de notre civilisation moderne requièrent sans cesse un plus grand concours de forces humaines . Mais les facilités de transport permettent aujourd'hui à la main-d'oeuvre d' affluer , sans se fixer , même à de grandes distances . Qui peut dire d' ailleurs que force reste synonyme de nombre ? Avec les progrès du machinisme l' intelligence supplée au nombre . Qu' adviendra -t-il enfin si d' autres sources de pouvoir se substituent à celles qui exigent un appareil encombrant ? Ainsi l' examen des faits , comme il arrive souvent , pose plus de questions qu' il n' en résout . II . LES FORMES DE CIVILISATION chapitre I. Les groupements et les milieux . I . - la force du milieu : à mesure que les rangs de la population humaine se sont épaissis , de nouveaux rapports ont été noués avec le sol . Des groupes en nombre croissant ont senti la nécessité de se localiser , de prendre racine dans une contrée plus ou moins déterminée . Volontaire peut-être et spontanée chez les uns , cette concentration a été pour d' autres un effet de force majeure , résultant de poussées qui les ont refoulés dans des régions moins hospitalières . Il est difficile d' admettre que ce soit en vertu d' un libre choix que des sociétés humaines aient accommodé leur existence au climat du * Sahara ou à celui des régions circumpolaires , au point d' en paraître aujourd'hui inséparables . Progressivement donc , et par une suite d' événements dont l' histoire ne montre que les répercussions ultimes , un tassement s' est opéré entre les milliers , puis les millions d' hommes qui avaient à s' arranger de l' espace que les eaux , les déserts glacés ou arides laissaient libre . L' occupation s' est faite plus intensive . Les habitants ont dû se mettre en complète harmonie avec l' entourage et s' imprégner du milieu . Sous ce nom de milieu , cher à l' école de * Taine , sous celui d' environment , d' emploi fréquent en * Angleterre , ou même sous celui d' oecologie , que * Haeckel a introduit dans la langue des naturalistes , - termes qui au fond reviennent à la même idée , - c' est toujours la même préoccupation qui s' impose à l' esprit , à mesure que se découvre davantage l' intime solidarité qui unit les choses et les êtres . L' homme fait partie de cette chaîne ; et dans ses relations avec ce qui l' environne , il est à la fois actif et passif , sans qu' il soit facile de déterminer en la plupart des cas jusqu'à quel point il est soit l' un , soit l' autre . Il a été dit des choses pénétrantes et justes sur les influences de position , de climat , sur le poids dont pèse le monde inorganique ; et l' on est loin assurément d' avoir épuisé la matière . Si l' homme , trop désarmé devant le climat et les forces inanimées , est plus à l' aise vis-à-vis du monde vivant , encore faut -il compter que les êtres auxquels il a affaire , ayant subi comme lui les influences du climat ambiant , les lui renvoient répercutées , accrues et multipliées de toutes parts . Ce n' est pas entre des individus que son activité s' exerce , mais entre des associations collectives , qui n' ont pas moins de droits , les uns et les autres , à être regardés comme autant d' expressions du milieu . Ainsi cette notion de milieu , qui se résumait jadis en une formule trop simple , ne cesse de se compliquer par les progrès de notre connaissance du monde vivant ; mais cette complication même permet de la serrer de plus près . Au point de vue géographique , le fait de cohabitation , c' est-à-dire l' usage en commun d' un certain espace , est le fondement de tout . Dans les cadres régionaux où se sont accommodés des groupes humains , ils se sont trouvés en présence d' autres êtres , animaux et plantes , également groupés et vivant en rapports réciproques . Les causes qui ont présidé à ces rassemblements sont diverses ; elles tiennent au moins autant au hasard qu' à des affinités spécifiques . Les vicissitudes de climat ont affecté , troublé de diverses façons la répartition des plantes ; les péripéties de la concurrence vitale ont modifié en tous sens la distribution des êtres ; et pour les hommes en particulier la dispute de l' espace n' a pas cessé de produire des effets perturbateurs . C' est par colonies , par essaims , plutôt que par le jeu régulier d' expansions naturelles , que se sont formés la plupart des rassemblements vivants . Parmi les êtres qui les composent , beaucoup ont apporté dans l' espace qui les tient réunis des qualités ou des habitudes contractées ailleurs . Mais à défaut d' affinité originelle , le lien géographique qui les relie est assez fort pour les maintenir en cohésion et pour former un faisceau de tous ces êtres , en vertu du besoin qu' ils ont de s' appuyer les uns sur les autres . Il ne tient qu' à nous de voir à l' oeuvre cet effort d' accommodation à un espace donné : une fente de rocher , pour peu qu' il s' y soit niché un peu de poussière , se tapisse de quelques mousses auprès desquelles desquelles adviennent , au hasard des germes qu' a apportés le vent , des plantes diverses ; et autour de ces végétaux , un monde bruissant d' insectes ne tarde pas à affluer . Telle est , en raccourci , l' image symbolique des groupements auxquels on assiste . Cette interdépendance de tous les cohabitants d' un même espace , de tous les commensaux d' une même table , ennemis ou auxiliaires , chasseurs ou gibiers , tient aux conditions dans lesquelles fonctionne leur organisme , et relève ainsi du climat . L' étude de la physiologie des êtres vivants autres que l' homme nous fait pénétrer dans le secret de ces rapports . Il est vrai qu' elle ne date guère que d' hier . C' est surtout parmi les représentants minuscules du monde animal , insectes ou rats , auxquels semble dévolu le redoutable rôle d' agents de transmission , qu' il y a des connexités et des relations à saisir . Les différentes espèces de glossines , messagères de tripanosomes , laboratoires vivants dans lesquels mûrissent les germes pathogènes qui infestent de vastes contrées en * Afrique et ailleurs , commencent à nous être connues dans leurs exigences d' habitat , dans le fonctionnement même de leurs secrétions ; et nous pouvons discerner que les unes et les autres , comme les formations végétales auxquelles elles sont associées , sont , à divers degrés , fonction de la température et de l' humidité ambiante . Nous n' avons pas affaire à des fléaux vaguement diffus ; mais à des êtres localisés , et , jusque dans leurs migrations périodiques , assujettis à des conditions strictement déterminées de climat . Chaque collectivité vivante , dans les cadres tracés par les climats , obéit à ses propres besoins , poursuit ses buts ; et ces activités multiples s' entrecroisent avec la nôtre . L' homme intervient en associé autant qu' en maître . à la suite des plantes et des animaux qu' il introduit , beaucoup d' autres se glissent sans sa permission et travaillent pour d' autres buts . Lui-même sert à son insu à des fins qu' il ne soupçonnait guère . Il vous est arrivé , marchant sur des chaumes , de faire lever des nuées d' insectes : vous verriez , en vous retournant , que des oiseaux épient vos pas ; vous leur servez de rabatteur . Le sentiment obscur et inquiétant de cette force enveloppante qui se dégage autour de nous du milieu physique et du milieu vivant , fut jadis une hantise de l' imagination humaine , comme l' attestent , sous toutes les latitudes , tant de mythologies , de pratiques superstitieuses , de dictons et légendes . On dirait aujourd'hui que ce sentiment s' efface , ou que du moins , par la foule d' objets exotiques qui entrent dans notre vie quotidienne , il a perdu toute forme concrète . L' homme de nos jours n' a d' yeux que pour se contempler dans l' exercice de sa puissance . Bien des choses pourtant devraient nous avertir des effets toujours actifs sur nous-mêmes de ces influences collectives . Jamais plus d' occasions n' ont été offertes d' assister à la transplantation de groupes humains dans des milieux différents . La colonisation , l' immigration nous mettent en présence de pays , non pas neufs comme on dit à tort , mais autrement organisés sous l' influence d' autres conditions physiques . Ce n' est qu' au prix d' une appropriation plus ou moins lente et difficile que les nouveaux venus parviennent à s' y installer ; quand ce passage est accompli , que d' autres habitudes ont été contractées et qu' un commencement d' hérédité les a déjà cimentées , nous nous trouvons en face de types humains nouveaux . Les rejetons détachés du vieux tronc ont mué dans ces atmosphères différentes . On cite souvent l' exemple du yankee de la * Nouvelle- * Angleterre ; mais il y a , dans l' intérieur des * Appalaches , d' autres groupes , plus isolés , moins connus , qui ont également dévié , mais dans d' autres sens , du type originel . Les boers sont l' exemple le plus frappant de ce que peut devenir , en deux siècles , un groupe qui a changé l' atmosphère de la * Hollande pour l' air sec des plateaux africains . Et dans les hautes vallées du * Brésil méridional , à l' écart des villes , de nouveaux types de population sont en train de se former . Les vieilles considérations qui nous ont été transmises d' âge en âge sur la puissance des milieux accrue de la complicité des habitudes , ne sont nullement des valeurs négligeables dans l' état des civilisations présentes . II . - l' adaptation au milieu chez les plantes et les animaux : cette puissance des milieux fait que les êtres vivants cherchent à s' y adapter par les moyens dont ils disposent . Notre planète est conditionnée de telle sorte que l' existence de ses habitants doit se plier à d' incessantes vicissitudes de climat . L' imagination d' un * Wells se plairait sans doute à décrire ce que serait l' existence des habitants d' une planète dont l' axe serait incliné de façon à échapper aux variations diurnes et saisonales . Pour nous , les paroxysmes de température ou de sécheresse , les brusques vagues de chaud et de froid sont une source continuelle d' épreuves ; si bien même qu' un changement de vent , un coup de sirocco , de khamsin , ou , comme on dit en * Sardaigne , de levante maladetto , suffit pour produire une secousse , jeter le trouble passager dans notre organisme . Un effort sans cesse renouvelé serait nécessaire pour faire face à ces vicissitudes , si l' adaptation et l' accoutumance n' intervenaient pas pour en amortir les chocs . L' adaptation équivaut à une économie d' efforts qui , une fois réalisée , assure à chaque être , à moins de frais , l' accomplissement paisible et régulier de ses fonctions . Si elle manque , l' organisme s' inquiète ; il fait de son mieux pour y tendre . Des expériences ont montré que des plantes transportées de la plaine à la montagne étaient capables en très peu d' années de modifier leurs organes extérieurs pour les mettre en rapport avec leur nouvel habitat . Cette improvisation , quel qu' en soit l' intérêt , ne saurait passer pour une adaptation définitive ; il faut sans doute une longue hérédité pour assurer la transmission régulière de caractères acquis pour la circonstance . Mais ce qu' elle met bien en lumière , c' est l' extrême sensibilité des organismes à toute variation du milieu ambiant . Un changement d' altitude a pour effet immédiat de faire jouer un ressort dont le mécanisme , assez mystérieux , affecte les organes de communication et d' échange avec le monde extérieur . Rivée au sol , astreinte à vivre et à se nourrir sur place , la plante n' a que des moyens limités de résistance . Ils n' en sont que plus caractéristiques . C' est sur les tissus , le feuillage , la taille , le développement respectif des organes extérieurs et souterrains que porte l' adaptation . Contraction des feuilles , pilosité , enduit coriacé , formation d' organes de réserve , ici le pelotonnement des branches , ailleurs leur étalement en parasols , représentent autant de formes diverses de protection contre la sécheresse , l' âpreté du froid , les assauts des vents , les morsures de l' air ambiant . Ces procédés ne sont pas sans rencontrer des analogies dans le règne animal : il suffit de rappeler entre mille exemples , le pachm ou duvet de la chèvre de * Cachemir , l' épaisse toison du yack , la fourrure dont se revêt le tigre en * Mandchourie et qui devient comme la livrée commune des animaux des régions arctiques . Mais , l' animal disposant par la locomotion d' un avantage qui lui permet de s' émanciper , d' échapper à une étreinte rigoureuse du milieu , c' est principalement sur les organes de locomotion qu' a porté son effort . Comme par l' effet d' un stimulant spécial , toute la force de ce que nous appelons l' instinct animal a agi dans ce sens . Si l' on se borne aux grandes espèces animales qui partagent avec l' homme le séjour de la terre ferme , c' est comme coureurs ou grimpeurs que se différencient les hôtes des régions dont le dualisme s' oppose dans toute la nature , espaces découverts et forêts . L' adaptation n' éclate pas moins avec le relief et le sol . à la vigueur élastique de leurs croupes les équidés doivent de franchir vivement de grandes distances ; à sa carrure arcboutée sur des piliers espacés le yack doit son imperturbable aplomb . De leurs durs sabots terminant des jarrets nerveux , le moufflon , le chamois assurent de roc en roc leurs exploits d' acrobates ; tandis que le chameau étale son pied large et mou sur le sable ; que l' éléphant ramasse en avant le poids de son corps pour frayer sa piste à travers la végétation des mares spongieuses . De quelle application ces exemples sont -ils à l' homme ? Il est évident d' abord que , par ses organes de respiration , de nutrition , de secrétion , il reste , comme les animaux , imbibé des influences du milieu ambiant . L' expérimentation médicale n' est -elle pas précisément fondée sur ces analogies physiologiques ? Mais on peut remarquer en outre que , si dans sa réaction contre les exigences du milieu les procédés défensifs peuvent à certains égards différer , le principe même dont cette défense s' inspire chez les hommes ressemble à celui que nous observons chez les animaux . Il s' agit , pour les uns comme pour les autres , de cultiver un avantage spécial , de consolider la supériorité qui leur est propre . Le recours que les uns ont cherché dans ce qui les distingue , la locomotion , l' homme le cherche dans ce qui le distingue aussi , son cerveau . Il a tendu son effort vers ce qui créait à son profit une nouveauté , vers ce qui avait l' attrait d' une invention ; et il a trouvé dans cet effort le même plaisir que celui que les animaux les mieux armés pour la course ou pour l' attaque éprouvent à exercer leur agilité ou leur force . Libre de disposer de bras pour saisir et de doigts pour modeler la matière , il a créé l' instrument . à la différence des lys " qui ne filent pas " , il pourvoit lui-même à la protection de son corps . Quant à la vitesse , c' est à l' animal , puis aux énergies accumulées dans la matière qu' il l' emprunte . Il y a comme un principe immanent de progrès dans ces conflits qui naissent des nécessités du milieu . III . - l' adaptation de l' homme au milieu : dans les conceptions simplistes des anciens , à chaque principale zone terrestre correspondait une race spéciale ; et lorsque par hasard certains faits contraires à la théorie survenaient , on cherchait des explications plus ou moins vraisemblables . C' est ainsi que , dans leurs relations avec le nord , les romains ayant eu connaissance , un jour , d' hommes à teint foncé , les savants d' alors se hâtèrent de supposer que des indiens avaient été jetés dans ces régions par un naufrage . L' expérience a fait justice de ces idées ; mais il n' en reste pas moins que , de toutes parts , s' offrent des cas d' adaptation physiologique des plus remarquables . La forte pigmentation de la peau , l' activité des glandes de secrétion dont elle est pourvue , constituent pour les nègres un avantage sur les autres races qui se trouvent aussi dans les régions tropicales ; l' active évaporation qui se produit à la surface des tissus , et le refroidissement qui en est la suite , maintiennent l' équilibre entre la chaleur du corps et celle de l' extérieur . L' indien de l' * Amazonie est loin d' être aussi bien armé contre son climat . Si nous passons des régions humides et chaudes à celles où les contrastes de température sont plus précipités , où la sécheresse de l' air est susceptible d' atteindre les plus hauts degrés , d' autres traits d' adaptation nous frappent . Ce climat sec resserre les tissus de la peau , précipite la circulation du sang . Le sang , plus pauvre en eau , agit vivement sur le système nerveux et en excite la fonction . Associée à des variations brusques , heure par heure , de température , au rapide renouvellement des éléments de l' air , cette sécheresse est un tonique et un stimulant . * Hippocrate l' avait dit , en pensant aux méditerranéens . L' observation s' applique mieux encore aux populations sahariennes ou steppiques par rapport aux nègres du * Soudan . Partout où se produit ce contact , de l' * Atlantique à l' océan * Indien , depuis les maures du * Sénégal jusqu'aux massaï des régions nilotiques , on voit comme un fait naturel , fondé sur la supériorité intellectuelle , la domination ou la prépotence des races vivant sous l' atmosphère désertique . Mais , d' autre part , l' altitude intervient comme principe perturbateur engendrant d' autres conséquences . Des populations relativement nombreuses sont établies , à 2 . 000 mètres et plus , sur les plateaux qui , dans les contrées les plus éloignées du globe , en * Abyssinie comme dans les * Andes , occupent une partie des régions tropicales . Elles s' y sont acclimatées de longue date et forment comme des îlots distincts . La sécheresse de l' air , par l' obstacle qu' elle oppose aux fermentations de la vie microbienne , y garantit cette remarquable salubrité dont l' attrait rassembla sans doute les hommes à l' abri de la maladie des terres basses . Issus de races assurément bien diverses , ils semblent néanmoins avoir contracté sous l' influence ambiante un caractère commun qui s' est enraciné : l' antipathie pour l' effort . L' égale douceur des températures et la facilité du climat n' en sont probablement pas la seule cause . Comme la tension atmosphérique diminue sensiblement dans ces hautes altitudes , la combinaison de l' oxygène de l' air avec les globules du sang s' opère plus lentement dans les poumons : l' apathie , la répugnance à toute prolongation d' effort musculaire ou autre , seraient , d' après des observations dignes de foi , la conséquence de ce ralentissement du mécanisme essentiel qui , par le sang , agit sur la vie nerveuse . Que de phrases on a répétées sur l' air d' atonie et de tristesse qu' exprime la physionomie de ces indigènes d' * Amérique ! Le fait est réel ; et je me rappelle avoir été frappé , au * Mexique , de l' absence de mouvement et de gaîté , même chez les enfants , dans les groupes qui se formaient pour les repas autour des gares . Cela ne serait -il pas un simple effet d' hérédité physiologique ? On recueillerait sans doute beaucoup d' autres exemples d' accords semblables , entrés dans le tempérament et cimentés par l' hérédité , si l' on possédait une connaissance plus complète des peuplades perdues dans l' intérieur des continents . Lorsque * Nachtigal pénétra dans le * Tibesti , un des coins alors les plus inaccessibles du * Sahara , l' aspect des habitants lui rappela ces " éthiopiens troglodytes " dont l' adresse à courir et à sauter était proverbiale du temps d' * Hérodote : peuple de chèvres vivant dans un pays de rochers . Leur corps maigre et bien proportionné , aux attaches fines , exprime la prompte obéissance des muscles aux nerfs moteurs . Au contraire , dans la région du * Haut- * Nil , * Schweinfurth nous décrit des tribus que leurs longues jambes étiques et leurs attitudes d' échassiers en sentinelle au bord de l' eau , ne singularisent pas moins comme peuple de marécages . Ainsi , comme il arrive dans l' animalité , c' est dans les organes de locomotion qu' apparaissent surtout les différences entre ces primitifs . On comprend qu' une adaptation extrêmement rigoureuse à de certains milieux rende ceux qu' elle a ainsi façonnés réfractaires à des milieux différents . * Darwin remarque que , plus un groupe humain est bas dans l' échelle des civilisations , plus il est incapable d' acclimatation . L' observation est d' une grande portée , mais elle n' exclut nullement pareille incapacité chez des peuples avancés en civilisation . L' abyssin se tient à l' écart des marécages qui bordent sa citadelle naturelle , comme le chibcha ou le quitchua des * Andes évite l' humidité forestière de la montana , et comme le hova de l' * Imérina laisse aux sakalaves le séjour des plaines . Réciproquement le chinois et l' annamite , peuples de plaines , répugnent aux séjours montagneux dont les lolos , les moïs et autres tribus ont su parfaitement s' accommoder . La zone marécageuse qui , sous le nom de téraï , borde au sud-est les * Himalayas , n' est point absolument inhabitée ; cependant c' est une région où ne se hasarde guère l' hindou et qui forme , entre la montagne et la plaine , une des limites ethniques les plus marquées qui existent . Le rôle de l' altitude est décisif dans ces exemples ; c' est elle qui dessine des zones de ségrégation rigoureuse , qui trace des adaptations irréductibles . On ne saurait s' attendre à des limitations aussi nettes suivant de simples différences de latitude . Cependant l' exemple des nègres est encore ici instructif . Ceux de l' ouest de l' * Afrique ont eu le fâcheux privilège de servir de champ d' expérience . Un accident de l' histoire , qui est aussi un paradoxe géographique , - sans parler d' un acte de lèse-humanité , - les a transplantés aux * états- * Unis , bien au delà de leur domaine d' origine . Introduits dans les plantations depuis plusieurs siècles , ils s' y trouvent aujourd'hui en contact avec une civilisation qui , par l' attrait de ses salaires , les pousse au dehors et leur ouvre un large champ . Le séjour des états du sud ne leur a pas été défavorable , puisque , dans le demi-siècle qui vient de s' écouler , leur nombre a doublé . Voici pourtant l' évolution que permet de soupçonner l' analyse des derniers recensements : elle consiste en un double phénomène ; tandis que le contingent nègre augmente dans quelques grandes villes du nord , * Philadelphie , * New * York , * Chicago , il ne cesse de diminuer dans les états ruraux , * Maryland , * Virginie , * Kentucky , * Tennessee , qui forment la zone marginale et extrême de son domaine . Un phénomène de contraction se devine , qui raréfie peu à peu l' élément nègre au delà du 35e degré de latitude environ , et le condense au contraire dans la région en deçà , soit entre la * Caroline du sud et la * Louisiane . L' auréole se resserre en s' épaisissant . L' influence du climat , malgré le contrepoids d' attractions économiques , ramène insensiblement l' expansion nègre vers les contrées humides et chaudes qui en circonscrivent les limites naturelles . On serait entraîné par ces faits vers les questions de prédispositions et d' immunités pathologiques ; chapitre curieux , mais encore peu exploré d' une science qui n' est pas de notre domaine . iv . - formation des groupes ethniques complexes : nous sommes donc en présence de groupes qui semblent chez eux , dans leur milieu naturel ; quelques-uns même ont cristallisé sur place ; d' autres , arrachés à leur milieu , tendent à s' en rapprocher . Que faut -il penser ? Est -ce à un cantonnement régional , voué à l' endémisme , qu' aboutit la notion du milieu ? Tel n' est point assurément le spectacle que présentent les réalités actuelles . Rien n' est à ce point tranché ; ni dans la nature humaine dont la plasticité égale les ressources , ni dans la nature physique qui admet dans son jeu tant de diversités et de nuances . Les contrastes ramassés , opposant brusquement les climats , sont relativement rares : c' est par transitions graduelles que les zones s' atténuent et se transforment . N' est -ce pas par addition de touches de plus en plus marquées , mais éventuellement interrompues par des retours de physionomies qu' on croyait disparues , que se déroulent , suivant les climats , silves , savanes , steppes , prairies et forêts ? Conditions propices au mélange des hommes . à mesure que les groupes tendaient à conquérir et à occuper plus d' espace , rien dans la nature ne s' opposait sérieusement à la formation de groupes intermédiaires servant de traits d' union entre les distinctions fondamentales de races . Comme dans les peintures pharaoniques où voisinent côte à côte les figures claires , rougeâtres , jusqu'au noir le plus pur , l' image de l' humanité dut apparaître de plus en plus composite . L' analogie des climats fournit le fil conducteur . Elle favorise l' infiltration , guide l' accoutumance . Les brusques transports de groupes d' un certain milieu à un milieu tout différent ont été rarement couronnés de succès ; ils ont été parfois payés de désastres , comme l' attestent les tentatives avortées dont abonde , presque jusqu'à nos jours , l' histoire de la colonisation moderne . Si l' * Afrique du nord est le champ où ne cessent de se croiser sémites , berbères et nègres , c' est en raison des affinités qu' elle offre respectivement au nègre par ses oasis , aux autres par les similitudes de périodicité saisonale , la correspondance des cycles de végétation , l' usage des mêmes animaux domestiques . On a souvent constaté par quelles transitions presque insensibles on passe des fellahs égyptiens aux barbarins de * Nubie , de là aux bedjas et aux éthiopiens de l' * Afrique orientale . Il y a plus : entre ceux -ci et les maures de l' * Afrique occidentale , l' ethnographie signale de singulières ressemblances ; comme si aux deux extrémités du continent les mêmes causes avaient produit les mêmes effets , et que , de ces mélanges hamitiques ou sémitiques avec une proportion de sang nègre , fussent résultés des groupes très analogues . De bons observateurs ont décrit le processus de ce métissage : c' est d' abord , chez le berbère ou l' arabe , la coloration de la peau qui se fonce ; les autres caractères , nez droit , lèvres minces , cheveux lisses , persistent plus longtemps , - et sans doute aussi la supériorité cérébrale . On a l' impression d' un phénomène en marche , en voie d' expansion . L' * Inde représente , dans son immensité , une des régions dont le climat est le plus homogène ; entre le * Pendjab et * Ceylan , sur 26 degrés de latitude , la température moyenne de l' année n' accuse pas même deux degrés de différence ; il est vrai que les quantités de pluie sont très inégales . Ce vaste espace servit d' arène à une race qui tient le milieu entre les tribus aryennes venues par le nord-ouest et les négroïdes dont on discerne les restes dans l' extrême-sud . Sous le nom de dravidiens , se range toute une série de types connexes , dont on peut suivre la gradation , depuis le sauvage des monts de * Travancore jusqu'au * Tamoul civilisé des plaines , depuis le * Sautal noir et trapu du * Chota * Nagpour jusqu'au brahmane olivâtre et élancé de la plaine du * Gange ; race , d' ailleurs , solide et fortement enracinée . C' est dans ce fond , resté original malgré les mélanges , que puise l' émigration actuelle vers l' assam et vers la * Birmanie ; de là , sans doute , vinrent jadis les khmers du * Cambodge . Les multiples croisements , inévitables dans une si vaste contrée , ont eu pour effet de rendre la race malléable , apte à absorber un grand nombre d' éléments . Plus souple encore est peut-être la combinaison ethnique qu' on désigne sous le nom de race malaise . Elle a trouvé son expansion dans le monde d' archipels et de détroits qui s' étend à l' est du continent asiatique , comme sous son ombre . Entre le réservoir humain de l' * Inde , le groupe mélanésien très mélangé lui-même , et les races mongoloïdes , s' interpose un ensemble de types , qui participe plus ou moins des uns et des autres . Il se charge au sud-est , au voisinage mélanésien , d' éléments plus foncés ; tandis qu' aux * Philippines , et déjà même aux * Célèbes , se montrent des individus qu' on prendrait pour des japonais . Aucun hiatus , dans cette zone de moussons , n' interrompt la chaîne des races . Le docteur * Hamy insistait fréquemment dans ses leçons sur " l' extrême difficulté d' une délimitation scientifique entre jaunes et blancs " . La formation d' un peuple sibérien fournira , un jour , le commentaire de cette remarque . Celle du peuple russe la confirme indirectement en une certaine mesure . Entre la * Volga et la * Baltique , dans une zone qui ne s' écarte guère du 55e degré de latitude , et que caractérise l' alternance de clairières à sols meubles et de forêts à feuilles caduques , qui présente par conséquent la même combinaison de matériaux de construction et de terroirs agricoles , slaves et finnois ne cessent de s' entrepénétrer et graduellement se confondent . Tour à tour les mordves , tchérémisses , et autres tribus finnoises s' incorporent au peuple des grands-russes , dans une individualité qui ne s' affirme que davantage en se renforçant de nouvelles recrues . Je n' ajouterai à cette suite d' exemples que celui des bords européens de la * Méditerranée . Par une rare fortune , les lueurs de l' histoire y plongent assez loin dans le passé pour permettre de saisir une longue série chronologique . Elle montre une continuité de rapports , qui est l' expression non méconnaissable d' influences naturelles . On assiste depuis trois mille ans à un afflux sans cesse répété de peuples venus du nord : tour à tour doriens et hellènes , rhètes et étrusques , celtes et gaulois , germains , slaves , normands s' y créent des établissements . Ces nouveaux venus ont plus ou moins payé leur tribut aux étés dévorants , à la malaria , à tout ce qui se mêle de perfidement dangereux à l' attrait du climat méditerranéen . Mais après des éliminations , ces contingents se sont absorbés dans la masse , non sans l' enrichir de nouveaux germes . Et aujourd'hui ces mêmes méditerranéens s' implantent en * Californie , au * Chili , dans l' * Argentine , guidés par l' analogie des climats , y transportant leur individualité intacte . Sur tous ces phénomènes , vivant et agissant sous nos yeux en diverses parties de la terre , plane l' influence souveraine des milieux . Nous la voyons s' exercer de proche en proche , en des cadres naturellement appropriés . Mais on saisit aussi dans ces exemples l' importance de ce qu' on peut appeler le facteur social . Cet instinct de rapprochement qui pousse les hommes à s' assimiler les uns aux autres est fait de mobiles divers : il y a chez les uns le désir d' une organisation sociale fondée sur la hiérarchie et particulièrement sur l' esclavage ; chez les autres , l' ambition et le besoin de s' agréger à un état social jugé supérieur . En tout cas , l' imitation , le prestige du nouveau , l' éveil d' une foule de suggestions nées du contact et du voisinage d' autres groupes , travaillent à créer une mentalité différente de celle qui s' élabore dans l' isolement de certains milieux . Les incompatibilités ethniques , les différences irréductibles ne résistent pas à cette ambiance , impérieuse dans son ampleur , qui les enveloppe . Elles se fondent , comme au creuset , pour donner des produits nouveaux . Telle est donc l' impression double et quelque peu contradictoire que laisse l' examen comparatif des faits de groupement . Tandis que certains milieux nous montrent des groupes retranchés et comme parqués dans une jalouse autonomie , d' autres , au contraire , impriment aux sociétés qui s' y forment un cachet de syncrétisme , qui est et sera sans doute de plus en plus la marque de l' humanité future . v . - races et genres de vie : on est amené à penser que les ensembles de caractères physiques et moraux qui spécifient les divers groupements , sont chose très complexe , dans laquelle entrent des éléments qui appartiennent à un passé périmé . Je ne parle pas seulement du problème anthropologique , celui des principales variétés de races humaines dont les origines se perdent dans un passé si lointain qu' elles échappent entièrement à la géographie humaine . Mais dans les âges qui se rapprochent davantage du nôtre , il est possible d' entrevoir des conditions susceptibles d' engendrer des effets qui , aujourd'hui , ont cessé de se produire . Lorsque l' humanité était répartie par groupes rares , disséminés , étroitement bornés dans leurs contacts , combien plus stricte était la concentration des traits de race ! La rudesse des exigences quotidiennes de la vie , ne laissant subsister que les plus rigoureusement adaptés , tendait à éliminer les différences dans l' intérieur des groupes . Comme les sauvages actuels , les hommes de ce temps se pliaient difficilement aux changements de toute sorte , et vivaient entre eux : les " caractères somatologiques " qui constituent ce qu' on appelle à proprement parler une race , pouvaient acquérir , à la faveur de cet isolement relatif , une contexture solide assurant leur perpétuité . D' autres indices nous avertissent que nous ne pouvons pas tout à fait juger de ces anciens temps d' après les nôtres . Il s' est produit dans ce passé , qui pourtant se coordonne encore directement avec notre présent , certains faits qu' il paraît difficile , sinon impossible , de reproduire dans les conditions actuelles . Ne semble -t-il pas , par exemple , que la domestication d' animaux , accomplie dès l' aurore des principales civilisations , soit aujourd'hui un art en quelque sorte périmé , devenu incompatible avec les rapports actuels de l' animalité et des hommes ? Une défiance incurable s' est glissée , a sans doute rompu une intimité primitive . Il faut donc qu' à bien des égards , lorsque nous essayons de comprendre les réalités très complexes qui s' offrent à notre analyse , nous tenions compte de conditions maintenant abolies , mais dont les effets persistent à travers les transformations des temps . Ce qui , au contraire , prévaut avec les progrès des civilisations , ce qui se développe , ce sont des modes de groupements sociaux originairement sortis de la collaboration de la nature et des hommes , mais de plus en plus émancipés de l' influence directe des milieux . L' homme s' est créé des genres de vie . à l' aide de matériaux et d' éléments pris dans la nature ambiante , il a réussi , non d' un seul coup , mais par une transmission héréditaire de procédés et d' inventions , à constituer quelque chose de méthodique qui assure son existence , et qui lui fait un milieu à son usage . Chasseur , pêcheur , agriculteur , il est cela grâce à une combinaison d' instruments qui sont son oeuvre personnelle , sa conquête , ce qu' il ajoute de son chef à la création . Même dans des genres de vie qui ne dépassent pas un degré assez humble de civilisation , la part d' invention est assez sensible pour attester la fécondité de cette initiative . Et par là s' introduit entre les groupements un nouveau principe de différenciation . Car le genre de vie , par la nourriture et les habitudes qu' il implique , est , à son tour , une cause qui modifie et pétrit l' être humain . L' eskimau , pêcheur de phoques , gavé d' huile , et , par ce régime , capitonnant contre le froid les couches adipeuses de son épiderme , ne ressemble guère au chasseur toungouse et iakoute , pas plus qu' au pasteur lapon , ses congénères des régions arctiques . Bien que soumis les uns et les autres aux mêmes climats , le bédouin se distingue physiquement du fellah , le sarte du kirghiz ; et jusque dans l' uniformité de la zone équatoriale , les tribus de pagayeurs vouées à la navigation de l' * Oubangui ou du * Congo , sangas , bayandzi , etc. , diffèrent par le développement de leur thorax aussi bien que par leur mentalité , de celles que leurs habitudes casanières claquemurent dans leurs villages agricoles . Cependant , quoi qu' on puisse attendre des genres de vie , il y a autre chose . Certains traits de races , venus de loin , distincts de ceux que peuvent expliquer les conditions actuelles , surnagent , persistent avec une singulière ténacité . Malgré les mélanges qui , dès à présent , font qu' un groupe homogène de quelque étendue est une extrême rareté , même dans l' intérieur de l' * Afrique , certains caractères de races déposés en nous par une incommensurable hérédité , remontent comme des vagues de fond . L' énergie accumulée qu' ils portent en eux se ramasse en des personnalités qui tranchent en bien ou en mal sur les autres ; ou , plus souvent même , les forces diverses que nous portons en nous s' y livrent bataille . Dans certains groupes , la vertu de la race est plus vivace qu' en d' autres ; elle les marque d' un trait saillant qui les distingue , qui est pour eux une force . D' autant plus remarquable est cette persistance des traits de race , que bien des causes conspirent pour les amortir , pour les noyer dans des groupements hétérogènes : langues , religions , formations politiques , villes . Les groupes linguistiques englobent tant d' éléments disparates ! Les états sont oeuvres de l' histoire , avec ses hasards . Pour des religions telles que l' islam , il n' existe que des croyants . La grande ville est un rouleau de nivellement . Malgré tout , pourtant , le germe ethnique , quand on le croit mort , a des réveils . Les mélanges ne parviennent pas entièrement à le détruire . Ce que des siècles lointains ont déposé en nous , réclame ainsi contre une tendance à l' uniformité par la moyenne , qui , si elle devait prévaloir , serait en fin de compte , un assez triste aboutissement du progrès des relations humaines . chapitre ii . Les instruments et le matériel . i . - intérêt de l' étude des musées ethnographiques : il était bon d' envisager d' abord , dans un coup d' oeil d' ensemble , ce complexe qui constitue la population d' une contrée : les différents éléments qui entrent dans la composition des groupes ; tout ce qu' ont assemblé les circonstances et tout ce que tient réuni la force des milieux . Il y a peu de groupes homogènes , si même il en existe , au point de vue de la race . Mais , sous l' influence des divers milieux , l' activité et l' industrie humaines se sont orientées en sens différent ; des suggestions locales ont agi , et , pour réaliser les intentions qui se sont fait jour , des instruments ont été imaginés . Bref , un travail s' est fait qui représente autant d' essais indépendants de résoudre en communauté le problème de l' existence sous la pression des influences géographiques . Ces influences se dessinent avec le relief des choses concrètes , lorsqu' on examine un de ces musées ethnographiques comme il en existe dans certaines villes d' * Europe ou des * états- * Unis , où l' on a eu soin de coordonner d' une façon systématique , et en nombre suffisant , les spécimens d' objets et d' instruments en usage chez les différents peuples . Les savants qui ont présidé à ces collections en ont cherché de préférence les éléments dans les sociétés offrant le plus de chances d' originalité , par leur isolement , leur autonomie , et souvent dans les civilisations les plus menacées de périr . Cette juxtaposition prête à comparaisons instructives . à côté des matériels relativement riches qu' offrent les civilisations de la * Mélanésie ou du * Centre- * Africain , il en est de chétifs et de rudimentaires , et qui sont tels , non par le hasard des trouvailles , mais par l' indigence des milieux . Quelques coquilles tranchantes , quelques pointes de flèche ou amulettes en os : voilà tout ce qui représente les insulaires andamans dans ce musée des civilisations ; quelques engins de pêche , avec une peau de phoque pour vêtement , résument à peu près l' outillage des fuégiens , tandis qu' à l' autre extrémité du même continent , les eskimaux ont su tirer d' une nature plus ingrate encore un matériel infiniment plus riche . Parfois , certains spécimens appartiennent déjà au passé , ils évoquent un état de civilisation décapitée , qui a déjà perdu en partie , avec sa raison d' être , ce qui faisait son orgueil et son luxe : ainsi disparaissent les peaux de bisons sur lesquelles les sioux bariolaient leurs textes hiéroglyphiques , les manteaux de plumes dont s' ornaient les grands chefs polynésiens , les boucliers en peaux de buffles qui figuraient dans l' attirail guerrier des riverains des grands lacs africains , les belles haches en serpentine ou en néphrite qu' on fabriquait en * Nouvelle- * Calédonie et en * Nouvelle- * Zélande . Elles vont rejoindre dans le passé ces grandes pirogues à becs richement sculptés que virent les * Cook , les * Bougainville , les * Dumont * D' * Urville , et dont ils nous ont laissé des dessins , témoignages d' industries en train de s' éteindre et de civilisations condamnées , dont quelques-unes n' auront bientôt plus que les vitrines de musées pour dernier asile ! Quelles qu' elles soient cependant , humbles ou riches , ces collections évoquent des sociétés qui ont vécu , évolué , qui ont subi l' action des temps comme celle des lieux . Jusqu'en * Nouvelle- * Calédonie des indices attestent une civilisation qui fut jadis moins rudimentaire . Ce n' est pas , en effet , sur l' impression superficielle d' exotisme qui résulte de la réunion d' objets rassemblés de toutes parts , qu' il faut s' arrêter . Lorsqu' une idée méthodique a présidé à leur classement , on ne tarde pas à percevoir qu' un rapport intime unit les objets de même provenance . Isolés , ils ne frappent que par un air de bizarrerie ; groupés , ils décèlent une empreinte commune . Peu à peu , par la comparaison et l' analyse , l' impression géographique se précise . De même que l' aspect du feuillage et des organes végétaux d' une plante , que celui de la fourrure et des organes de locomotion d' un animal permettent à un botaniste ou à un zoologue de discerner sous quelles influences générales de climat et de relief ces êtres pratiquent leur existence , il est possible au géographe de discerner , d' après le matériel soumis à son examen , dans quelles conditions de milieu il a été formé . Est -ce à une région de silves tropicales , de steppes , ou de bois résineux qu' appartiennent ces types d' habitations , d' armes et d' ustensiles ? Pour quel genre de proie ou de moyens de subsistance , ces instruments ont -ils été combinés ? La matière et la forme de ces appareils de chasse , de capture , de défense , de travail , de dépôt , de transport , dénoncent une provenance et une approximation se rapportant à certains genres de vie , formés eux-mêmes sous l' influence de conditions physiques et biologiques qu' il est possible de déterminer . En ce sens une leçon de géographie comparative se dégage des témoignages des sociétés les plus humbles . Et quant aux sociétés évoluées dont le matériel infiniment accru ne saurait se circonscrire dans les vitrines d' un musée , il s' y conserve , du moins provisoirement , assez de vestiges locaux d' usages et de costumes , pour que les spécimens en soient instructifs . L' émancipation du milieu local n' est jamais aussi absolue que nos yeux de citadins nous le feraient croire . ii . - l' empreinte de la silve équatoriale : parmi les grandes zones de climat et de végétation , aucune n' est marquée d' un cachet d' oecologie plus frappant que celle des forêts tropicales humides , approximativement circonscrites entre 10 degrés au nord et au sud de l' équateur . Nous avons dit quelles causes y conspirent à maintenir l' isolement des groupes humains . On aurait tort cependant de conclure qu' il ne s' y est pas développé de civilisations intéressantes . La majesté du monde végétal n' a pas été une magnificence perdue pour les oeuvres des hommes . Les fûts élancés à grand diamètre , piliers sur lesquels s' étagent les galeries forestières , fournirent aux constructions les matériaux de gros oeuvre , les pièces de charpente . Les bois durs et compacts se prêtèrent au travail de moulures et d' ornement . Diverses espèces d' arbres , figuiers ou autres , mirent au service des hommes une écorce flexible , propre à se découper en bandes et à acquérir par macération la solidité d' un tissu . Dans l' innombrable famille de palmiers qui peuplent cette zone , depuis l' elaeis guineensis , africain , la mauritia flexuosa flexuosa du * Brésil , jusqu'au cocotier polynésien , l' homme mit à profit pour ses instruments ou ses édifices les fibres qui soutiennent les feuilles et les filaments tenaces dont s' entortillent les troncs . Le mode d' adaptation des pièces hétérogènes qui entrent dans la composition d' un instrument ou d' une arme , d' une case ou d' un bateau , a été souvent une pierre d' achoppement pour les industries primitives . Des chevilles en os ou en métal ou même des enduits de poix ou de goudron ont pourvu ailleurs à ces nécessités . Des filaments végétaux remplissent ici le même office . Ce fut avec eux qu' on lia le manche de bois et la hache de jade , le bois et la corde de l' arc , qu' on parvint à ajuster les pièces de charpente , à assujettir hermétiquement les bandes d' écorce formant paroi le long des cases , à maintenir dans le bateau les poutres assemblées et à leur superposer un appareil moteur . Les peuples mêmes qui connaissent l' usage du fer n' en continuèrent pas moins à user des fibres ou du rachis de leurs palmiers comme moyen de liaison et de soudure . Rien dans cette prodigieuse poussée végétale ne demeura inaperçu . Ces palmiers , ces pandanées , ces musacées ont de longues et larges feuilles que l' atmosphère gorge d' humidité , mais qui doivent néanmoins à la nécessité de résister à une évaporation puissante une extraordinaire consistance de tissu : ces frondaisons s' offrirent d' elles-mêmes pour former par leur assemblage des nattes souples et résistantes , des récipients à toute épreuve , et pour ménager aux habitations un revêtement de " tuiles végétales " non moins imperméable que celui dont nous sommes redevables à la tuile ou à l' ardoise . L' homme a entamé profondément ce monde végétal grandiose . Il en a disjoint les éléments pour les maîtriser . Ce n' est pas dans la masse forestière restée intacte , mais en bordure , dans les parties limitrophes qui en ont été détachées , qu' on peut le mieux observer ses effets sur les civilisations humaines . Les botanistes ont noté sur plusieurs points les traces incontestables des défrichements qui en ont restreint l' étendue . Telle est d' ailleurs la puissance de la végétation que des graminées arbustives , des roseaux géants se hâtent de prendre les places que la destruction de la silve laisse pour un court instant vides ; et c' est ainsi que le bambou , annexe et succédané de ce genre de forêts , est arrivé à occuper une aire dont l' étendue immense contribue à expliquer la diversité d' emplois auquel il donne lieu . Il s' associe de la sorte aux matériaux dont l' homme a pu faire usage ; il fournit son appoint dans ce somptueux arsenal d' énergies végétales , sous lequel a succombé l' activité des silvatiques eux-mêmes , mais qui a puissamment servi les riverains de la silve . La végétation tropicale a non seulement servi , mais maintes fois inspiré les oeuvres des hommes . Ce sont des édifices vivants que ces étages superposés des galeries forestières , depuis le sous-bois à ras-de-sol et les arbres à mi-hauteur , jusqu'aux cimes suprêmes que surmonte et enveloppe la toiture aérienne de feuillage . Si l' architecture des cases n' en est qu' une reproduction bien médiocre , elle n' en décèle pas moins quelque lointaine réminiscence . Les entrelacements de lianes qui permettent à certains hôtes de la forêt de circuler sans toucher terre , devinrent entre les mains des hommes ces ponts végétaux qu' on trouve en usage depuis l' * Afrique occidentale jusqu'à la * Mélanésie ; les indigènes d' * Amazonie en prirent modèle pour les hamacs , qui semblent avoir leur origine chez eux . Les gros fruits sphériques du lagenaria et du cocotier , comme ailleurs les oeufs d' autruche , communiquèrent aux coupes ou calebasses taillées dans leurs flancs , une configuration ronde ou ovale . Un autre type de récipient fut fourni par le cylindre creux qui existe entre chaque noeud du bambou , et dont la capacité peut aller jusqu'à deux litres . La nature vivante a cela de caractéristique , qu' elle suggère la forme en même temps qu' elle fournit les matériaux . Il y a un air de famille entre les oeuvres matérielles issues de ces civilisations tropicales . Les analogies de climat et de nature vivante l' expliquent suffisamment , sans qu' il soit nécessaire de supposer des rapports et des emprunts , bien invraisemblables , quand il s' agit de contrées séparées par des étendues océaniques telles que l' * Atlantique ou l' océan * Indien . De l' ouest-africain au * Congo , puis de la * Mélanésie aux * Philippines , enfin en * Amazonie , le type de case rectangulaire à pignon domine . L' abondance et les proportions de bois durs , capables de fournir des piliers d' angles et des solives transversales , ont permis de donner à ces constructions des dimensions considérables , abritant de nombreux hôtes , se prêtant à servir de lieux de rassemblement et de danse ; on trouve jusque chez les tribus les plus reculées de * Nouvelle- * Guinée ces types de maisons communes . Partout , dans ces régions , le sol est stagnant et humide , réceptacle de reptiles et d' ennemis de toute sorte : partout aussi ou peu s' en faut , l' habitat est maintenu par des piliers ou pilotis à distance du sol ; non seulement sur les bords des fleuves ou des lacs du * Vénézuela , mais jusque sur les collines où se logent de préférence les populations de * Mélanésie , ou dans les régions élevées que les tagals des * Philippines choisissent pour leurs hameaux . Il faut enfin qu' un revêtement épais et sans défaut protège l' habitation contre l' assaut des pluies : de là ces toits à forte inclinaison où , grâce au raphia , au bananier , au ranevala , au cocotier , à une multitude d' essences également souples et résistantes , un habile entrecroisement des tiges ou des feuilles compose une suprastructure imperméable qui enveloppe la case presque tout entière . Tantôt s' écartant assez des parois végétales qui constituent le mur pour laisser la place d' une vérandah , tantôt s' articulant de façon à emboîter l' une dans l' autre deux toitures superposées , ce pittoresque couronnement de la construction lui imprime une physionomie caractéristique , qui a dû frapper l' imagination des hommes , inspirer autour d' elle un éveil de goût artistique , car elle n' a pas été sans rapport avec l' architecture chinoise et japonaise . L' analogie des matériaux s' exprime plus d' une fois dans l' analogie des instruments . De ces bois durs et fortement colorés , dont la consistance conserve les arêtes vives et les moulures délicates gravées par la main de l' ouvrier , les mélanésiens , les africains du * Congo et du * Dahomey , les américains de l' * Amazonie ont tiré ces sièges sculptés , ces escabeaux ou tabourets sur lesquels s' est exercée , parfois jusqu'au délire , leur verve décorative . La massue , qui en d' autres contrées est restée une arme grossière et fruste , s' est raffinée , aussi bien en * Polynésie qu' en * Guyane , par une élégance et une variété de formes qui lui ont donné la valeur d' un ornement et d' un insigne de domination . Enfin , il a suffi d' évider le diamètre de certains troncs , pour obtenir ces tambours énormes qu' on trouve , depuis l' ouest-africain jusqu'à la * Mélanésie , servant de signaux et d' appels , remplissant l' office qui revient ailleurs aux cornes et conques marines . Les lanières d' écorce fournies par différentes essences de ficus , par l' artocarpus en * Indonésie , le mûrier à papier en * Océanie , ont donné lieu , grâce à des préparations de macération et de battage , à ces tissus dont l' industrie polynésienne nous fournit de riches échantillons , mais qu' à un degré plus humble on retrouve en usage presque universel tout le long de la zone subéquatoriale , de la * Polynésie à l' * Indonésie , de l' * Ouellé jusqu'à l' * Orénoque . Non moins caractéristiques sont les applications auxquelles se sont prêtés les longs tuyaux de graminées arborescentes : dans les silves de l' * Amazone , comme dans celles de * Bornéo , de * Sumatra et de la presqu'île * Malaise , ils ont été convertis en cette arme de jet , * Blowgun ( blasrohr ) que nous appelons sarbacane , et d' où partent , mus par le souffle , le projectile ou la flèche empoisonnée . Engin essentiellement approprié à la forêt épaisse , où l' arc et la sagaie ne seraient pas d' un bon usage , il s' y est spécialisé à tel point qu' aujourd'hui son aire d' extension a décru en même temps que celle de la forêt même . Mais , comme les tissus d' écorce et beaucoup d' autres inventions caractéristiques dont l' emploi va se rétrécissant , il atteste le parti que ces embryons de civilisation ont su tirer du monde végétal au milieu duquel duquel ils évoluaient . En l' absence même de rapports directs , de singulières convergences sont là pour attester une marche commune dans les procédés d' emprunts tirés de la nature ambiante . L' usage même des métaux a stimulé l' industrie indigène sans la transformer . Il est remarquable de constater surtout dans le centre et l' ouest africain , combien la technique du métal s' y inspire de formes dérivées du régime végétal . On dirait que le fer ne s' est substitué au bois qu' en l' imitant . Il y a parmi ces couteaux de jet , ces serpes , ces instruments de sacrifice qui sont originaires de la région entre l' * Ouellé et le * Cassaï , une variété de formes qui rappelle celle qui s' exhale des innombrables essences réunies et concentrées dans la forêt tropicale . Les uns se profilent symétriquement le long d' un axe semblable à la nervure médiane d' une feuille de bananier ; d' autres se terminent en lancéoles comme une tige de palmier ; d' autres s' incurvent , et , dans leur concavité , projettent des dents ou lamelles semblables aux stipules qui se détachent de la gaîne d' une feuille . iii . - centres de développement originaux : naturellement , une connaissance plus complète du monde tropical a mis en relief , se détachant sur ce fonds commun , une variété inattendue de développements originaux . L' intérieur africain , par exemple , a cessé de nous apparaître comme un morne ensemble d' uniforme barbarie . Sur les bords du * Cassaï , du * Congo , de l' * Ouellé , les observations de voyageurs scientifiques ont dressé devant nous des types relativement avancés de civilisations : ainsi chez les bakoubas , les batékès , les mongbouttous , chez d' autres encore . On a souvent remarqué , depuis * Livingstone , la différence de nature à l' est et à l' ouest des grands lacs africains . Entre les masaï et les peuples du * Congo les instruments , les armes , les vêtements s' opposent comme la steppe à la silve , la faune de grands coureurs à la faune arboricole , le pasteur au cultivateur . les malais . - c' est dans le monde insulaire et péninsulaire de * Malaisie et de * Mélanésie , au sud du continent asiatique et comme à son ombre , que de nouveau la végétation tropicale se déploie dans sa splendeur . Elle s' accompagne , dans les grandes îles voisines du vaste continent , comme * Sumatra et * Bornéo , d' une richesse inaccoutumée en espèces de mammifères . La richesse et l' originalité du matériel ethnographique sont en harmonie avec cette nature vivante . Les bataks de l' intérieur de * Sumatra , les semangs et sakaïs de la presqu'île malaise , les dayaks et keniahs de * Bornéo , ont constitué , chacun dans son genre , des types d' armes , vêtements , instruments , figures aussi archaïques maintenant par rapport à la civilisation malaise que le paraissent au milieu de nous celles du pâtre castillan ou du palikare . Au bord des golfes ou des fleuves , au penchant des collines , entre les forêts qui couvrent l' intérieur à peine connu de ce petit continent qu' on appelle la * Nouvelle- * Guinée ( plus de 800 . 000 kilomètres carrés ) , des nègres dolichocéphales à épaisse toison chevelue ont , sans le secours des métaux , fabriqué des massues , des arcs , des tambours comme les nègres d' * Afrique , des masques fétichistes comme ceux du * Dahomey , des tabourets artistement sculptés pour appuyer la tête , comme on en use au * Japon , des pirogues à balanciers et plateformes comme il en fourmille entre les îles du * Pacifique . Ces surfaces terrestres vont s' émiettant , se dispersant en une poussière d' îles dont les marins se racontaient , du temps de * Marco * Polo , " qu' il y en avait 12 . 700 , toutes habitées sans compter celles qu' on ne sait pas " . Mais si l' appauvrissement de la nature végétale y correspond au rétrécissement des surfaces , les analogies générales subsistent . Il n' y a pas d' hiatus véritable entre le monde malais et le monde polynésien ; une connexité s' y laisse apercevoir , beaucoup plus nette qu' entre l' est et l' ouest de l' * Afrique équatoriale . Il faut ici certainement tenir grand compte des relations d' échanges et d' emprunts qui se sont produites sur les voies d' une colonisation embrassant presque toute l' étendue du * Pacifique . Toutefois c' est encore la nature ambiante qui fournit le fil conducteur . les polynésiens . - dans l' inventaire tropical des continents , les seuls animaux mis à contribution sont les oiseaux , surtout au * Brésil et en * Guyane , ou les hôtes puissants des marais ou savanes , éléphants en * Afrique , buffles en * Asie . La faune marine n' apparaît que çà et là sous les formes minuscules de perles ou monnaies d' échange . Elle prend , au contraire , de plus en plus d' importance en * Indonésie , en * Mélanésie , pour devenir enfin prépondérante dans les archipels du * Pacifique . Déjà à * Bornéo , en * Nouvelle- * Guinée , et jusque dans les montagnes de la * Birmanie et de l' * Assam , on voit les longs boucliers de bois se garnir et se rehausser de coquilles , à * Bornéo des cuirasses d' écorce se blinder d' écailles de poissons , en * Nouvelle- * Guinée les masques fantastiques se recouvrir d' une plaque en carapace de tortue . Ainsi s' annoncent les approches d' une région maritime qui se distingue entre toutes les autres par la variété et la magnificence de sa faune . C' est entre l' océan * Indien et la partie tropicale du grand océan que le domaine des tortues géantes , des huîtres perlières , se rencontre avec celui de la cyprea moneta , premier spécimen de cette monnaie de coquillage qui eut une si extraordinaire dispersion , du nautilus , et surtout de la merveille des merveilles , le tridacna gigas , dont les coquilles bivalves , larges souvent d' un mètre et semblables à un bénitier , se drapent des plus vives couleurs . Cette région indo-pacifique , par ses constructions de coraux qui ménagent l' abri et la nourriture , entre leurs récifs et dans leurs lagunes , à des légions de poissons , est , à sa manière , un puissant foyer de vie . L' empreinte de cette animalité maritime s' est communiquée à l' industrie humaine . Privés de métaux , ces océaniens ont utilisé la dureté et les dimensions du tridacna gigas , qu' ils trouvaient implanté sur les récifs de polypiers , pour en fabriquer des ornements et des armes . Par un frottement obstiné au moyen d' une pierre enchâssée dans une tige de bambou , ils en évidaient le centre , ou ils en taillaient les arêtes . Des disques , des bracelets , des instruments ayant le tranchant de la hache sont sortis de ce patient travail . De plus , les grands rôdeurs des mers tropicales , squales , cachalots , ont contribué par leurs dents et leurs arêtes à hérisser les massues , lances et harpons , et à renforcer d' accessoires aussi meurtriers que pittoresques l' arsenal sur lequel est fondée l' existence de ces insulaires . Une note fortement caractérisée d' endémisme prévaut à la faveur du morcellement insulaire . Le matériel ethnographique , comme le genre de vie , varient d' archipels en archipels . à côté de spécimens perfectionnés d' art nautique , on constate l' ignorance de la navigation . C' est ainsi que l' archipel des îles * Matty , si voisin de la * Nouvelle- * Guinée , s' en distingue par l' absence de tout matériel naval . Les formes de massues , quoique empruntées aux mêmes matières , se diversifient d' île en île . L' attirail et l' accoutrement guerrier se spécialisent . L' insulaire des * Salomon , avec son disque d' écaille plaqué sur le front , son arc en bois de cocotier et son bouclier de filaments végétaux , représente un des types les plus originaux . Plus étrange et plus formidable est le guerrier des îles * Gilbert , armé d' une massue que hérissent des dents de squales , et protégé par une cuirasse de filaments de cocotiers garnie de chevelures humaines , dont il s' enveloppe hermétiquement , malgré le climat , et qui évoque je ne sais quelle figure de samouraï ou de chevalier du moyen âge égarée dans ces mers polynésiennes ! Parmi cette diversité de civilisations insulaires , s' étalait enfin , aux temps où ces sociétés étaient encore intactes , l' aristocratique chef maori , avec le casse-tête en serpentine ou en os de baleine suspendu au poignet , et le manteau en phormium tenax dans lequel se drapait son importance . Dans cette lointaine * Nouvelle- * Zélande , terme extrême vers le sud des colonisations polynésiennes , comme dans l' archipel des * Havaï , vers le nord , ces civilisations insulaires avaient jeté un certain éclat . Là , comme à * Tonga , * Samoa , * Tahiti , se pratiquait la construction de ces grandes pirogues qui firent l' admiration des * Cook et des * Dumont * D' * Urville . Quand on songe que les artisans qui avaient su accoupler ensemble de grandes pirogues , longues parfois de 30 mètres , assez étroitement reliées pour manoeuvrer ensemble , n' avaient eu pour accomplir cette difficile besogne d' autres matériaux , en dehors du bois , que des filaments végétaux et des gommes , ni d' autres instruments que la coquille ou la pierre , cette admiration ne peut que redoubler . iv . - le monde des savanes découvertes : plus on s' éloigne vers les tropiques , plus la végétation cesse d' être souveraine maîtresse . à la savane boisée succède la savane herbeuse , à celle -ci la steppe . Avec l' amoindrissement de la végétation diminuent les emprunts dont elle est l' objet . Mais la substitution d' une faune de steppe à la faune de forêt donne lieu à des combinaisons nouvelles . C' est le règne animal qui devient le guide de l' industrie humaine . Par troupeaux , par hordes innombrables , antilopes , gazelles , autruches , bisons , ovidés , animaux coureurs adaptés par leur pelage ou leurs plumes à de plus grandes diversités de milieux et à de plus grandes intempéries de climat , s' offrent comme matières vivantes . Le cuir découpé en lanières , tendu en boucliers , assoupli en vêtements ou récipients , remplit l' office dévolu dans la zone tropicale humide aux lianes , filaments , cylindres de bambou , écorce végétale . Le développement de la vie pastorale en * Afrique dans l' un et l' autre hémisphère a accentué cette empreinte commune . Pasteurs et guerriers , les massaï et gallas au nord de l' équateur , les cafres et zoulous au sud , s' accordent pour emprunter aux dépouilles d' animaux leur équipement et leurs ustensiles . Mais le goût de chacun ou les circonstances locales introduisent des variantes . Le bouclier oblong en peau de boeuf prend chez les zoulous , ces spartiates de l' * Afrique , des proportions en rapport avec leur haute taille . Le guerrier matébélé s' entoure d' une ceinture où pendent des peaux de bêtes . Plus pacifique , le pasteur héréro a consacré un soin particulier à l' outillage transportable qu' exige son genre de vie ; il oppose un ample manteau de peau , le karof , aux brusques variations de température . Chez les peuplades guerrières de l' est africain , l' édifice de la chevelure ressemble à une crinière léonine que rehausse un encadrement de plumes d' autruche : et la figure ainsi affublée des guerriers massaï ou du kavirondo ressuscite à nos yeux ces chasseurs berbères que représentent , au nord du * Sahara , les gravures rupestres de la période néolithique , ou les libyens que nous montrent les monuments égyptiens de la dix-neuvième dynastie . Si inférieure que soit la faune des steppes du nouveau monde elle ne fit pas défaut à l' industrie humaine : dans l' * Amérique du sud le guanaco fournit aux tehuelchés de * Patagonie le cuir nécessaire pour le maniement de la bola , et , après l' introduction du cheval , pour le harnachement de leurs montures . Les sioux dans l' * Amérique du nord dressèrent leurs tentes avec des peaux de bison , ou en firent la trame de ces étoffes sur lesquelles des figures peintes retraçaient des signes généalogiques ou parlaient un langage symbolique . Beaucoup de ces choses appartiennent au passé : une note d' archaïsme se mêle ainsi à la note d' exotisme . Nos yeux en * Europe sont accoutumés à associer ces différences tranchées de costumes et d' affublements à des régions exceptionnellement restées à l' écart , vivant de leur vie propre . Il s' en trouve encore de telles , bien que plus rares chaque jour , dans nos montagnes d' * Europe , autour de la * Méditerranée , et sporadiquement dans les * Alpes et les * Carpathes . Le pâtre castillan , le palikare , le berger valaque , le tirolien , l' uzule des * Tatras , sont des exemplaires à peu près intacts de ces survivances déjà partiellement en péril de mort . Quelques pièces de costume , le plus souvent , demeurent les seuls indices des exigences locales des milieux . Aujourd'hui , comme de temps immémorial , le touareg , cavalier voilé du désert , protège par le litham son visage et ses yeux contre la fine poussière qui flotte dans l' air . Contre les inégalités du soir et du matin , du soleil et de l' ombre , la chlamyde velue en peau de mouton , la mastruca sarde , le capuchon du burnous protègent les épaules et complètent l' image toujours vivante de types connus , que figurent les terres-cuites antiques . Sous différentes formes , avec ou sans broderies , on peut observer , de l' * Espagne à l' * Iran , l' existence d' une pièce de vêtement , la guêtre de feutre ou de cuir , rendue indispensable par les taillis et broussailles qui encombrent le sol en l' absence de véritables forêts . v . - survivances et développements autonomes dans les zones tempérées et froides : l' empreinte locale est tenace . Elle subsiste dans nos contrées civilisées sous les formes multiples des objets de première nécessité que continue à fabriquer l' industrie domestique : les jarres , les vases et poteries en * Espagne , comme en * Berbérie et en * égypte , s' y reproduisent tels encore qu' ils sortirent des mains des premiers potiers qui pratiquèrent l' art de façonner la matière argileuse . L' habileté à plier le bois aux formes et aux usages les plus variés trouva , dans les forêts à feuilles caduques de l' * Europe centrale et orientale , matière à s' exercer en sens différent : nous verrons le parti que l' art de la construction et celui du transport surent tirer de ces bois résistants et flexibles ; mais , si l' on veut encore aujourd'hui se faire une idée de la familiarité avec laquelle en usèrent nos pères , on n' a qu' à considérer ce qui reste de leur mobilier dans quelques campagnes reculées ; ou mieux encore qu' à voir à combien d' applications les emploie l' industrie domestique dans les gouvernements forestiers de * Russie d' * Europe . Le bois , pour bien des choses , y tient lieu de métal ; le moujik est charpentier comme le fellah est potier . Les deltas du * Tonkin et de la * Guyane amazonienne ne sont guère inférieurs à cet égard au delta du * Nil . L' isolement , la spécialisation des genres de vie sont , pour quelque temps encore , des garanties de conservation . Dans les steppes de l' * Asie centrale , le matériel des pasteurs kirghiz , tentes de feutre , lanières de cuir , cordes de laine , tapis et vêtements , ustensiles , est entièrement emprunté au bétail qui constitue la richesse ; et il garde , malgré l' invasion du coton et des importations étrangères , ce caractère local qui , chez nos montagnards , nous frappe comme un archaïsme . Il existe , le long des fiords et des fleuves poissonneux qui sillonnent dans le nord-ouest de l' * Amérique la bande en partie vierge des forêts de la * Colombie britannique , un groupe de tribus dites nutkas qui forment un chapitre curieux et unique d' ethnographie américaine . Là se conserve un ensemble encore à peu près complet de civilisation matérielle portant à un haut degré l' empreinte d' un milieu spécial . Le bois domine dans les constructions et les ustensiles . Dans ces maisons de planches , que précèdent des piliers sculptés représentant des figures totémiques , la poterie est inconnue , et c' est dans des vases de bois qu' au moyen de pierres brûlantes on procède à la cuisson des aliments . Cependant pour trouver des sociétés gardant plus strictement encore l' empreinte locale , il faut pousser jusqu'à ces peuples que la configuration de l' hémisphère boréal relègue autour des mers arctiques , au delà de la ceinture forestière qui entoure le nord de l' ancien et du nouveau monde . Il est vrai que ce qu' on appelle par antiphrase la civilisation les assiège , sous forme d' alcool , et les décime . Ceux , toutefois , qui , comme les samoyèdes , ont pu s' accommoder du séjour de la toundra , des steppes de l' extrême-nord , échappent plus que les chasseurs de fourrures au péril qui les guette . Ils trouvent dans l' élevage du renne et dans l' existence du bouleau-nain , seul arbrisseau qui se hasarde jusqu'en ces parages , la matière des vêtements dont ils se couvrent , des peaux ou des écorces dont ils revêtent leurs tentes d' été , des récipients dont ils font usage . Plus spécialisé dans un autre genre de milieu arctique est l' ensemble des tribus innuit ou eskimaux , qui ont su se créer une patrie depuis le nord de l' * Alaska jusqu'au * Groenland . Là , ce n' est pas l' élevage du renne , ni la pêche dans les fiords qui subviennent à l' existence : mais les grands mammifères marins , qu' il faut , l' été , poursuivre au large , ou , pendant l' hiver , surprendre dans les trous de glace où ils viennent respirer . Pour subvenir au vêtement , à la nourriture , à l' abri , à l' armement , au transport , rien que les peaux , les défenses ou les os , l' huile de ces animaux ; la neige pour y pratiquer des demeures hivernales ; et ce que les courants marins peuvent rejeter de bois flottés sur les rivages ! Ce que l' eskimau est parvenu à réaliser avec ces moyens est extraordinaire . Nul autre que ce spécialiste des régions polaires américaines n' a pu s' accommoder de ce milieu : cet isolement a protégé son originalité . C' est avec un mélange de bois et de peaux de morses ou de phoques qu' il fabrique ses embarcations , avec les dents ou défenses de ces animaux qu' il arme ses harpons ; il n' est pas jusqu'à l' arc dont jadis le bois était remplacé par un assemblage d' os articulés . Dans l' exécution technique et le fini artistique des objets variés qu' exigeait leur genre de vie , " les eskimaux , dit * Ratzel , ont réalisé de grandes choses " . Ce qu' il y a chez eux de plus remarquable , après le vêtement qui est l' arme contre le climat , ce sont les instruments de locomotion : le traîneau , que des attelages de chiens font glisser sur la neige ou le tapis de mousse , et surtout le cayak , la longue et mince barque couverte de cuir , dans l' orifice duquel s' introduit le pêcheur et qui est comme le prolongement de sa personne . conclusion . Les civilisations stéréotypées : l' intérêt qu' excitent de nos jours ces exemplaires de civilisations autonomes se justifie . On y voit comment , spontanément , indépendamment les uns des autres , sur des points très divers , ont pu s' organiser des genres de vie . Forcé de tirer parti des ressources fournies par le milieu , ne pouvant faire dépendre sa vie de l' apport faible et aléatoire du commerce , l' homme a concentré son ingéniosité sur un nombre parfois très restreint de matériaux , et a su les plier à une extraordinaire multiplicité de services . Tel a été le rôle du bambou ou du cocotier sous les tropiques , du dattier ou de l' agave dans les contrées arides , du bouleau dans les régions subarctiques , du renne dans le nord de l' ancien monde , du phoque ou du morse dans le nord du nouveau ; de telle sorte qu' on pourrait , à l' exemple de certains géographes botanistes , attribuer à telle ou telle de ces espèces vivantes la valeur d' un type et en faire le signalement de certains domaines de civilisation . Mais , si intéressantes que paraissent ces civilisations , par cela même qu' elles sont attachées à des milieux spéciaux , elles sont frappées d' infirmité . Il leur manque le don de se communiquer et de se répandre . Toutefois , si leur dépendance envers le milieu local est une infériorité , elle ne fait que mieux éclater en certains cas la puissance et la variété d' inventions dont l' homme est capable . Car il s' en faut que ces civilisations autonomes , que nous sommes tentés de traiter de rudimentaires et primitives , soient toutes au même niveau et se montrent sur le même plan . Le temps n' est plus où le centre africain nous apparaissait sous l' aspect d' une morne uniformité barbare . Il y a , ou il y a eu parmi ces sociétés des degrés divers ; quelques-unes , comme ces mongbouttous qu' a décrits * Schweinfürth , étaient parvenus à un assez haut degré d' évolution , par comparaison avec d' autres groupes . Entre les eskimaux de l' extrême-nord de l' * Amérique et les fuégiens de l' extrême-sud , l' inégalité est un abîme : tous ces peuples pourtant ont eu à se débattre , livrés à leurs propres ressources , contre une nature plus ou moins inhospitalière . Le succès a été inégal comme l' effort . On remarque toutefois , à travers la variété des matériaux fournis par la nature , une ressemblance dans les procédés d' adaptation mis en oeuvre . Les instruments que l' homme a fabriqués pour l' attaque ou la défense , pour le transport , ou comme récipients , ne s' écartent pas sensiblement de certaines formes générales . Que ce soient la pierre , l' or , la coquille ou le bois qui entrent dans leur composition , la hache , la massue , l' arc , présentent le même ensemble . La pirogue creusée dans un tronc , le canot d' écorce , le cayak revêtu de peaux , le gréement des voiles de nattes , de lin et de cuir comme chez les anciens celtes , diffèrent plus par les matériaux que par les formes . Ce qui s' exprime ainsi , c' est l' intention qui préside à l' adaptation de la matière , c' est l' élément inventif par lequel l' homme y imprime sa marque . Il y a dans l' esprit humain assez d' unité pour qu' elle se manifeste par des effets à peu près semblables . chapitre iii . Les moyens de nourriture : parmi les rapports qui rattachent l' homme à un certain milieu , l' un des plus tenaces est celui qui apparaît en étudiant les moyens de nourriture ; le vêtement , l' armement sont beaucoup plus sujets à se modifier sous l' influence du commerce que le régime alimentaire par lequel , empiriquement , suivant les climats où ils vivent , les différents groupes subviennent aux nécessités de l' organisme . Il existe à cet effet une remarquable diversité de combinaisons : bédouin ou fellah riverains de la * Méditerranée , européen du centre ou du nord , chinois , japonais ou eskimau , chacun a réalisé , avec les éléments fournis par le milieu , accrus de ce qu' il a pu y joindre , un type de subsistance qui est entré désormais dans le tempérament , s' est fortifié par les habitudes . De tous les caractères par lesquels les hommes se distinguent et se signalent entre eux , c' est celui qui frappe le plus les observateurs primitifs , comme le prouvent ces noms d' ichthyophages , lotophages , galactophages , que nous a légués la nomenclature des anciens , les indications ethnographiques d' * Hérodote sur les peuples de * Scythie , ou la mention d' anthropophages libéralement répandue sur les cartes du XVIe siècle . Encore aujourd'hui , dans notre * Europe même , on voit persister , en domaines à peu près impénétrables , les consommateurs d' huile et de beurre , de pain de froment et de pain de seigle , malgré les nivellements qu' opèrent , en cela comme en toutes choses , les progrès de la vie urbaine . Ce n' est pas le cas de traiter ici la répartition géographique des moyens de nourriture en général ; notre intention est de montrer comment persistent sous cette forme certaines influences de milieu . C' est donc dans les régions où ces influences sont le plus battues en brèche , c' est-à-dire dans les régions extra-tropicales , que nous prendrons nos exemples . Aussi bien , la division est naturelle , c' est celle qui sépare le domaine de la banane de celui où la vigne et le blé mûrissent convenablement leurs fruits , en deçà de 30 degrés d' un côté ou de l' autre de l' équateur . i . - type méditerranéen : le premier exemple qui s' offre est celui du bassin méditerranéen . Il représente un type de climat bien marqué , dont les deux termes principaux sont des étés secs et des hivers doux , raccordés par des saisons de transition plus ou moins humides . Puis , nulle part nous ne pouvons suivre aussi loin dans le passé les traces d' habitudes stables et de civilisations fixées . Dans les plus anciennes tombes d' * égypte on trouve le blé , l' orge , la fève ; sur les plus anciennes peintures figurent le figuier , la vigne , l' oignon : c' est-à-dire l' ensemble à peu près complet des plantes nourricières dont subsiste aujourd'hui le fellah . Cela représente déjà une longue élaboration culturale , une combinaison qui a groupé des plantes qui jadis croissaient çà et là en des habitats plus ou moins distincts , qui les a fait passer de l' état de sauvageons à celui de plantes perfectionnées , adoucies , assouplies en variétés diverses . L' * égypte a pu s' enrichir de cultures industrielles , accueillir de nouvelles plantes venues surtout de * Babylonie ou du * Soudan ; le menu de l' indigène n' a guère changé . C' est un végétarien , en qui s' oppose le contraste , si nettement accusé dans les poèmes homériques , avec le pasteur nourri de fromage de brebis ou de chèvre et de la chair de ses agneaux . Parmi les céréales qui sont le fondement de son régime , l' orge a été longtemps la favorite ; semée en novembre et récoltée en mars ou avril , elle mûrit plus tôt que le blé et , chose précieuse dans ces terres d' irrigation , laisse plus longtemps la place libre pour d' autres cultures . Mais là , comme tout autour de la * Méditerranée , le blé n' a pas tardé à la supplanter . Immédiatement semé après les pluies d' automne , il profite du bref ralentissement causé par l' hiver pour pousser dans le sol des radicelles profondes , s' y imprègne d' azote et d' autres substances que plus tard la tige , en s' élevant , transformera au contact de l' air , jusqu'au jour où la turgescence favorisée par les dernières pluies de printemps aboutira , sous la chaude et sèche influence de l' été méditerranéen , à la formation de l' épi . Le cycle de la plante se moule exactement sur celui des saisons ; à chaque étape de croissance correspond un optimum de conditions propices . Ce blé dur des pays méditerranéens doit à l' abondance du gluten ses qualités éminemment nutritives , et demeure ainsi dans ces régions l' aliment par excellence : manger du pain , chez les grecs modernes , est synonyme de manger . toute l' antiquité classique distingue comme principaux métiers de la terre le labourage et la plantation ; celui qui produit l' orge sacrée ou le blé , et l' habile jardinier qui , par la greffe ou la taille , perfectionne les produits d' arbres ou arbustes dont les profondes racines bravent la sécheresse estivale . L' art de * Triptolème a pour complément , dans les idées anciennes , celui que les habiles horticulteurs phéniciens ont traditionnellement transmis à leurs successeurs actuels de * Sfax ou de * Kerkennah . Pour comprendre l' importance alimentaire de ces cultures d' arbres , il faut les associer à celles qui se multiplient à leur ombre : aux tapis d' orge , fèves ou blé , garnissant , sous le mince feuillage de l' olivier , les gradins en terrasses ; à ces vignes courant en festons le long des branches de frêne en * Kabylie , d' ormeaux ou d' érables en * Italie ; à ce luxuriant jardinage où prospèrent sous les figuiers , pêchers , ou autres arbres à fruit , les piments , salades , courges , melons et pastèques , dont se compose la table ouverte où se complaît le méditerranéen . Il y trouve , dans les brûlants étés , ce qu' il faut pour étancher sa soif ou pour stimuler son appétit engourdi . Parmi ces arbres il en est un que la bible nomme le roi de tous ; et peut-être ce titre décerné à l' olivier surprendrait ceux qui n' ont pu vérifier de visu le rôle qu' il joue dans l' alimentation des peuples berbères . L' huile d' olive dans l' * Afrique du nord et les régions adjacentes du sud de la * Méditerranée , est un objet de consommation bien plus que d' exportation . L' arbre producteur , très anciennement perfectionné par la culture , et si bien adapté au climat méditerranéen qu' après plusieurs siècles de durée il persiste à se renouveler , à se propager par rejetons , accumule lentement dans son fruit les substances grasses , riches en carbone . Il ne s' écoule pas moins de six mois entre l' époque de la floraison , qui a lieu en avril , et celle de la maturation qui commence en novembre . C' est à la faveur de cette longue élaboration que se concentrent dans le fruit les sucs que , par ses longues racines , par son feuillage pérenne , l' olivier emprunte à l' air et au sol . Il en résulte un produit de matières grasses , qui peut à la rigueur tenir lieu de viande , et qui la remplace en effet presque entièrement dans l' alimentation ordinaire du berbère . Qui a vu la galette de froment frottée d' huile consommée quotidiennement chez nos indigènes d' * Algérie , a pris sur le fait un de ces types de régime alimentaire depuis longtemps fixés , qui se transmettent de siècle en siècle . Aux jours de fête sont réservés le mouton , " l' agneau pascal " , et ces distributions de viande par tête d' habitant mâle , sont pratiquées encore en pays berbère . ii . - type américain , le maïs : comme l' arbre de * Minerve , le maïs , dans les climats chauds , mais à pluies de printemps prolongées dans la première partie de l' été , est aussi un de ces végétaux nourriciers que la reconnaissance des hommes honore d' un culte . Quand les pluies d' été nécessaires à la prospérité de la plante se font attendre , on voit encore les indiens pueblos qui habitent dans le * Colorado le pied des * Montagnes * Rocheuses , invoquer par des processions , dont les participants balancent dans chaque main un épi de maïs , l' arrivée du phénomène bienfaisant . De même que le blé s' associe à notre civilisation classique , de même le maïs est inséparable du développement de la civilisation américaine . Quand les européens arrivèrent en * Amérique , ils trouvèrent cette plante cultivée aussi bien sur les bords du * Massachusets , que sur les plateaux du * Mexique et du * Pérou . Des grains ont été découverts plus tard dans les mounds ou tumuli de la vallée du * Mississipi . Elle avait déjà donné lieu à de nombreuses variétés , assouplies à des climats assez divers , bien que ne dépassant guère au nord le 45e degré de latitude . Aussi le maïs , pour les américains d' aujourd'hui comme pour ceux de jadis , est -il le corn , la graine par excellence , comme le blé pour le méditerranéen . Sur les hauts plateaux du * Pérou , il formait , avec la pomme de terre et le quinoa , la base de la nourriture . Il s' associait au * Mexique avec des légumineuses , telles que le fripol ou haricot noir , et il y trouve à côté de lui l' équivalent du vin de palmier dans le pulque , liqueur fermentée obtenue par incisions de la hampe florale du maguey ou agave , une de ces plantes à tout usage qui fournissent à la fois boisson , nourriture et vêtement . Le maïs a cessé depuis longtemps d' être une culture exclusivement américaine ; mais c' est encore aux * états- * Unis que se trouve le centre de la production , environ 90 pour 100 de la récolte mondiale ; et l' on sait quelle est , par l' élevage de porcs auquel elle donne lieu , l' importance qu' il occupe dans l' économie rurale de la grande république . Le maïs est donc , au même titre que le blé , le riz , la vigne , le thé , - pour ne citer que les principales plantes qu' a adoptées l' alimentation humaine , - un de ces objets de transmission qui ont servi de véhicules à la civilisation générale . C' est en * Amérique , peut-être chez les chibchas de * Colombie , que sa culture a pris naissance ; et de là elle s' est répandue dans l' * Europe méridionale , en * Afrique et jusque dans le nord de la * Chine . Comme ceux qui recueillirent le blé parmi les touffes de céréales sauvages des vallées de l' * Asie occidentale , ou ceux qui prirent l' initiative de cultiver le riz dans les flaques abandonnées par les crues périodiques de fleuves de l' * Asie des moussons , la reconnaissance doit aller à ces indigènes d' * Amérique qui surent choisir , préserver et diversifier par la culture une plante que ses graines lourdes et peu transportables eussent probablement exposée à une prompte disparition . Ce n' est pas un médiocre legs de ces civilisations dites primitives , que le don de cette culture nourricière qui a pris , partout où elle s' est établie , une remarquable signification sociale . La rapidité de sa croissance contribua peut-être à entretenir chez les indigènes des habitudes peu fixes . Mais elle aida à la colonisation de l' * Amérique ; car , facile à cultiver à la main et sans charrue , prompt à porter des graines qui à l' état laiteux , au bout de sept à huit semaines , sont déjà comestibles , le maïs fut , sous forme de graines , de farine , ou de grains grillés , le viatique des explorateurs et des pionniers , ainsi que plus tard la providence du petit fermier auquel , par sa croissance rapide , il paya les frais de premier établissement . Introduit dans notre * Europe , il laissa place entre ses tiges espacées à des cultures subsidiaires de courges , haricots , tomates , tournesols , et facilita presque partout , depuis l' * Aquitaine jusqu'à la brianza lombarde et à l' * Olténie valaque , l' existence du petit propriétaire vivant de son propre travail sur sa terre . Inférieur au blé en gluten , mais riche en carbonates hydratés propres à l' engraissement et en glucose , la farine de maïs entra sous des noms divers ( tortilla , polenta , mamaliga ) dans l' alimentation quotidienne des classes rurales d' une partie de l' * Europe méridionale . iii . - type européen central : fondamental en * Amérique , le maïs , en * Europe , n' a fait que s' ajouter à une table déjà richement servie . Depuis longtemps , s' affirme la distinction entre les consommateurs méridionaux d' huile et de pur froment , et les populations qui leur sont contiguës au nord du domaine méditerranéen . Qu' il y eût dans cette moyenne * Europe celtique et danubienne , qui s' étend au nord du 45e degré de latitude , une variété de moyens de nourriture fondée sur certaines pratiques d' économie rurale , c' est ce que l' archéologie , à défaut de l' histoire , laisse apparaître . On entrevoit , dès les vie et Ve siècles avant * Jésus- * Christ , aux lueurs des civilisations de la * Tène et de * Hallstatt , aux débris des stations lacustres , une série de domaines nourriciers , formant il est vrai plutôt des provinces autonomes qu' un ensemble , mais participant à l' envi aux faveurs d' un climat ensoleillé , qui laisse largement à la végétation six mois au moins de température et de pluies propices . Le sol s' y partageait naturellement entre espaces découverts dont les arbres ne sont pas exclus , et forêts où dominent les arbres à feuilles caduques . C' est dans ce cadre que se sont fixés les groupements et les habitudes des populations rurales . Les témoignages anciens , ceux de * Polybe , * Strabon , * Pline , d' * Hérodote même sont unanimes sur l' abondance nourricière et le nombre des populations ; ce n' est pas d' hier que la multitude des peuples établis au coeur de l' * Europe est un objet d' étonnement et un peu de crainte pour les méditerranéens . Mais en même temps des différences se manifestent avec les contrées de civilisation plus ancienne . On discerne un état économique moins unifié , plus imprégné de localisme que celui des riverains de la * Méditerranée . Chacun de ces peuples , gaulois , germains , illyriens , daces , thraces , sarmates , a ses habitudes propres d' alimentation et de boisson : diverses sortes de mils , surtout chez les slaves et dans l' est de l' * Europe , le seigle ou l' épeautre chez les germains , le mil et le seigle à côté du blé chez les lacustres de l' * Europe centrale ; comme boissons dérivées , ici la cervoise , la bière de froment , l' hydromel , peut-être déjà la tsuica valaque , liqueur de prunes . Certaines cultures spéciales , comme l' épeautre , ont encore conservé un reste d' existence dans quelques cantons de * Suisse allemande ou de * Souabe ; mais quoique le blé et la vigne , avec leur escorte d' arbres fruitiers originaires d' * Orient , aient presque entièrement prévalu , les habitudes nourricières contractées dans cette partie centrale de l' * Europe , après avoir été jadis modifiées dans une certaine mesure par la conquête de * Rome , ne cèdent que lentement de nos jours à celles que propage autour d' elle la vie urbaine . Les conditions de climat et de sol qui ont favorisé ce remarquable développement se trouvent réunies en * Europe entre 45 et 55 degrés environ de latitude : de l' * Aquitaine au nord de l' * Angleterre , de la * Lombardie au sud de la * Scandinavie , de la péninsule balkanique à la région de * Moscou . Plus au sud une fâcheuse restriction est opposée par la sécheresse des étés et la pénurie de terre végétale ; plus au nord c' est la fréquence des gelées et la brièveté de la saison chaude , qui abrègent et compromettent les cultures . Mais dans l' intervalle un assez vaste domaine s' ouvre à des possibilités que l' homme a largement mises à profit . Le mot de " paysage de parc " qu' on applique parfois à la physionomie de cette partie de l' * Europe répond plutôt à un état primitif qu' à une réalité présente ; car entre les cultures et les arbres dont nos exigences alimentaires ont fait élection , un classement s' est établi , des groupements plus ou moins systématiques ont remplacé le libre enchevêtrement des espèces . La forêt , quand elle n' a pas disparu , s' est retranchée sur de certains sols , à de certains niveaux ; et tandis que les cultures de céréales revendiquaient des champs ou espaces libres , c' est suivant des dispositions spéciales que se sont ordonnées les nombreuses espèces d' arbres que l' homme a admis à concourir à son alimentation . La plupart se sont ralliés à portée des groupements humains , comme des favoris qu' on aime à voir : c' est ainsi que , suivant les terrains et les lieux , le châtaignier , le noyer , pour ne citer que les plus répandus , sont les compagnons fidèles des maisons rurales ou des villages . Plus d' ailleurs on s' avance vers le nord , plus il convient de tenir compte de l' orientation , des nécessités de l' obliquité croissante des rayons solaires : aussi voit -on s' étager sur les pentes favorisées tantôt ces châtaigneraies en gradins qui couvraient les flancs du * Vivarais , tantôt les pruniers qui , de l' * Aquitaine à la péninsule balkanique , parsèment les flancs des collines le mieux abritées . à côté des champs qui s' étalent , ces arbres et légumes cultivés en jardins , rassemblés en vergers ou courtils autour des habitations , représentent une des deux faces , et non la moindre , de la physionomie nourricière que l' homme , aidant la nature , a imprimée à ces contrées . Si la châtaigne ne joue plus aujourd'hui dans l' alimentation humaine le même rôle que lorsqu' elle suppléait en hiver à l' insuffisance des provisions de céréales , on voit encore , à la densité de populations qui correspond à la châtaigneraie , la preuve de l' attraction qu' elle a exercée sur les hommes . Le noyer , outre son fruit , fournit son huile à la consommation journalière . La récolte du prunier offre en * Serbie et dans l' * Olténie valaque l' image de joie qui s' associe à nos vendanges . On pourrait s' étonner , puisque la forêt s' oppose aux cultures , de l' importance qui lui est accordée dans les préoccupations des hommes d' autrefois , de la fréquente répétition , dans les chartes ou contrats ruraux , de clauses qui la concernent . De toutes les raisons qu' on pourrait alléguer à ce propos , besoin de combustible , de matériaux ou simplement de chasse , la principale est sans contredit son utilité pour l' élevage . Il n' est pas rare qu' on aperçoive , dans des espaces aujourd'hui complètement déboisés , un chêne isolé que le hasard , quelque superstition peut-être , ont préservé . Ce patriarche est le plus souvent le dernier témoin qui subsiste de ce bois ou de ces boqueteaux , qu' ont maintenant remplacés les cultures , mais qui jadis tenaient près d' elle leur rôle . " quand on feuillette , dit un forestier allemand , * Gradmann , les collections de chartes du haut moyen âge , on ne trouve presque jamais le nom du bois , sans que celui du porc n' y soit mentionné . " même chose chez nous , où la glandée est si fréquemment l' objet de transactions et clauses spéciales . Les nombreuses variétés de chênes à feuilles caduques , et subsidiairement les arbres à fagnes comme le hêtre , sans parler du châtaignier , étaient regardés comme nourriciers , comme indispensables éléments d' économie rurale , par opposition aux espèces qui n' ont pour elles que leur beauté esthétique ou leur rôle trop méconnu d' agents naturels . Une idée d' utilité pratique et quotidienne s' y attachait . Avant que l' introduction du maïs , et plus tard celle des cultures industrielles eussent facilité et étendu encore l' élevage du porc , cet animal prolifique fut une des ressources qui assuraient l' existence humaine : cela n' a pas changé . Il grouille dans les rues des villages , il cohabite avec le paysan , son engraissement est un objet de tendres préoccupations , son sacrifice fait date dans le calendrier rural . Avec sa chair et ses reliefs de toutes sortes , dûment manipulés et conservés , se compose pour l' année le menu presque exclusif d' alimentation carnée . Et les choses ne se passent pas autrement que lorsque les jambons de * Gaule faisaient figure auprès de la gastronomie romaine , ou que les textes anciens nous parlaient d' innombrables troupeaux de porcs vagabondant dans la " * Pannonie glandifère glandifère " . IV . - type européen septentrional . tout ce faisceau de cultures nourricières se dénoue à mesure que le chêne fait place aux essences aciculaires , la terre-noire aux sols pauvres en humus , et que la végétation des plantes annuelles cesse de disposer de quatre ou cinq mois de hautes températures : le porc désormais fait défaut à l' élevage , le maïs et le blé d' hiver aux céréales ; avec eux disparaissent nombre d' arbres fruitiers , et surtout le cortège de légumineuses variées , fèves , lentilles , haricots , pois , qui contribuent pour une si forte part à l' alimentation des peuples d' * Europe : invasion venue du sud qui expire vers * Moscou . Il semblerait donc qu' au nord du 55e degré de latitude , l' économie rurale n' eût qu' à enregistrer un appauvrissement successif . Mais c' est alors qu' au nord-ouest , et jusqu'assez avant dans le nord , les avantages du climat océanique entrent en jeu . Certains végétaux tels que le chou , les raves ou navets à racines charnues , probablement indigènes dans l' * Europe occidentale , ont tenu de bonne heure leur place dans le régime alimentaire des peuples celtes et germaniques . Avec le seigle , céréale rustique , et l' orge , qui entre toutes les céréales se contente du cycle le plus court , ces plantes ont à pourvoir à la nourriture végétale des hommes , en attendant les ressources subsidiaires qui sont venues s' y ajouter par la suite . Ce sont ces graines qui , avec l' avoine , ont contribué à fixer , très loin vers le nord , des populations agricoles . Les trouvailles archéologiques en donnent la preuve . On discerne distinctement ces spécimens d' ancienne agriculture dans l' empreinte qu' ils ont laissée sur la pâte encore molle de poteries qui ne datent pas de moins que de l' époque néolithique . Ces vents d' ouest qui , par la * Manche , la mer du * Nord et la * Baltique , prolongent jusqu'au nord du lac * Ladoga les influences océaniques , compensent la faiblesse de l' insolation et la brièveté des étés par une douceur relative de température qui restreint les risques de gelées , et qui surtout engendre une humidité favorable à l' herbe . Dans la rapide croissance des prés , le développement des parties tendres des ajoncs et autres plantes de l' ouest , la vache laitière de proportions modestes trouve des conditions aussi propices que le porc dans les pays à graines , que le mouton dans la zone mi-pastorale et mi-agricole qui borde les contrées arides . Cette facilité à trouver sa subsistance en a fait une propriété accessible aux plus pauvres , comme la chèvre en d' autres pays . Par là a commencé de se généraliser en * Europe l' usage alimentaire du lait , auquel les grands peuples agriculteurs de l' * Extrême- * Orient sont obstinément restés réfractaires . Une céréale longtemps dédaignée par les peuples du midi , l' avoine , a dû aux mêmes circonstances de climat sa fortune . Sans avoir une maturité aussi rapide que l' orge , elle dispose néanmoins jusque dans l' intérieur de la * Scandinavie d' une durée suffisante entre les gelées de printemps et d' automne . C' est elle qui , dans la zone des herbages , devient de plus en plus la céréale favorite ; soit qu' elle fournisse à l' homme une nourriture combinée avec le laitage , le porridge cher aux écossais ; soit qu' elle serve à l' engraissement du bétail bovin , hôte naturel de cette zone de cultures . Enfin , ce type de genres de vie , déjà constitué dans le nord-ouest de l' * Europe , s' est enrichi d' un auxiliaire inattendu avec une plante venue du * Pérou , la pomme de terre . Moins bornée dans ses exigences que l' avoine , ayant aussi des préférences pour un régime doux et pluvieux , elle a fourni un appoint de premier ordre aux besoins nouveaux nés de la civilisation contemporaine . Il fallait en effet une série d' acquisitions supplémentaires pour assurer l' existence de populations dont les rangs n' ont cessé de s' épaissir depuis un siècle et demi environ . Là où l' insuffisance des chaleurs d' été s' opposait au rendement des céréales , comme en * Irlande ou dans les grass counties d' * Angleterre , là également où les tourbières et marécages laissés par les anciens glaciers durent être colonisés comme en * Scandinavie et dans le nord de l' * Allemagne , de nouveaux groupes d' habitants se sont formés et ont grossi . Nulle part , en ces deux derniers siècles , l' * Europe n' a vu un plus rapide accroissement de population . Il a coïncidé , comme effet et cause , avec le développement de la grande industrie et des agglomérations urbaines . C' est justement au seuil de cette zone , entre 50 et 55 degrés de latitude , que s' échelonnent les principaux bassins houillers où l' emploi de la force mécanique de la vapeur a localisé les principaux foyers industriels du monde . Une énorme demande de moyens de nourriture a été le résultat de cette révolution démographique . Non seulement les produits du monde entier ont été attirés vers les ports d' approvisionnement , mais une impulsion extraordinaire a été donnée sur place aux cultures que favorisait le climat et que réclamaient les exigences des habitants . Par exemple , la pomme de terre servit au XVIIIe siècle à la colonisation d' une partie de la * Prusse ; elle rend possible aujourd'hui l' existence de petits groupes de cultivateurs au seuil des régions arctiques . On peut donc suivre de nos jours une évolution qui se propage dans l' * Europe septentrionale , et de là se communique à d' autres contrées en vertu de certaines analogies de conditions générales . Ce fut jadis à la faveur des changements économiques qui suivirent la conquête romaine , que le blé , la vigne et d' autres cultures du sud acquirent une expansion nouvelle qui les porta jusqu'à leurs extrêmes limites au nord . Le christianisme , à son tour , contribua à les reculer ; la vigne gagna encore vers le nord un terrain qu' elle n' a pu conserver , et ce n' est qu' à la fin du XIIe siècle que la culture du blé atteignit la * Norvège . De même , nous assistons aujourd'hui à l' extension d' un type de nourriture qui a des origines lointaines , mais dont le développement est récent . Dans ce régime , la pomme de terre , comme les cultures propices à l' élevage , la viande de boeuf et les produits de fabrication laitière jouent un rôle capital . Les statistiques attestent ce mouvement . En * Finlande , tandis que , dans ces dernières années , une sensible diminution s' est manifestée dans les vieilles cultures d' orge et de seigle , on constate l' augmentation notable de la pomme de terre et de l' avoine . * Danemark , * Suède méridionale , * Finlande , * Néerlande deviennent producteurs et exportateurs de plus en plus actifs de beurre et fromage , comme la * Sibérie occidentale , le * Canada et peut-être demain le sud du * Chili . Car la consommation de ces produits s' accroît sans cesse , non seulement dans les contrées où ils constituent une culture naturelle , mais partout où va se multipliant et s' accroissant la vie urbaine ; la production du lait et le développement des villes apparaissent comme deux faits synchroniques et connexes . Des causes géographiques et sociales se combinent ainsi dans un résultat commun . V . - types asiatiques : le riz . - l' * Asie des moussons , de l' * Inde orientale à la * Chine , a aussi créé ses types d' alimentation . à la faveur des pluies d' été , de l' impulsion puissante qu' elles impriment à la végétation , se développe tout un groupe de plantes nourricières , capables de parcourir en quelques mois leur cycle et de parvenir simultanément à maturité . C' est dans ce groupe que le peuplement humain , si précoce dans cette partie du globe , a trouvé les éléments de systèmes réguliers de subsistance . Il y a parmi elles une céréale particulièrement désignée par la célérité de sa croissance et par sa valeur nutritive sans égale sur un espace restreint : recueilli peut-être à l' état sauvage dans les cavités lacustres ( jhils ) que laissent après elles les crues périodiques des grands fleuves de l' * Inde , le riz est devenu la plante de culture par excellence . C' est d' elle que s' est emparée l' industrie humaine , pour en multiplier à un degré incroyable les variétés , pour en tirer , par une série d' opérations réclamant un emploi minutieux de main-d'oeuvre , le bénéfice de plusieurs récoltes annuelles . L' aménagement des eaux dans les cadres disposés pour les recevoir , le degré d' immersion de la plante , la transplantation et le repiquage à la main de chaque brin , sans parler des manipulations qui suivent la moisson ( égrenage , décorticage , etc. ) , exigent des hommes tout le concours d' attentions , de soins , d' expériences lentement amassées , de collaboration familiale ou sociale , dont ils sont capables . Ce n' est donc pas assez de dire que le riz est pour des centaines de millions d' hommes la base de nourriture ; c' est aussi , dans les régions où cette culture s' est implantée comme prépondérante , un symbole de civilisation . Le contraste est frappant , sous ce rapport , entre les peuples hindous , malais et chinois , chez lesquels s' est implanté le travail méthodique , et les peuples tropicaux mélanésiens ou papous , auxquels la moelle farineuse du palmier-sago ou l' arbre à pain fournissent , à moins de frais , une nourriture élémentaire qui leur suffit . type chinois . - quelle que soit la contrée où la culture du riz ait pris naissance , elle a conquis , dans la direction tracée par les moussons asiatiques , une zone si étendue que le tribut qu' elle fournit à l' alimentation s' accroît d' une grande variété de suppléments suivant les contrées . Il s' associe dans l' * Inde du nord à diverses espèces de mils aux noms très anciens ( jowari , bajri , ragi ) et à certaines céréales ou légumineuses fournies , grâce à la douceur de l' hiver , par la récolte du printemps qui précède les premières semailles de riz . Le poisson d' eau douce , dans les deltas , les basses vallées , les terres successivement noyées et découvertes , s' ajoute comme moyen de nourriture , le même compartiment devenant tour à tour vivier et rizière . Comme ailleurs le faucon a été utilisé pour la chasse , l' ingénieux chinois a su , par des procédés appropriés , utiliser les services du cormoran pour la pêche . Le canard , volatile naturel de ces régions amphibies , lui fournit , avec le porc , le seul supplément de nourriture carnée qui s' ajoute à son ordinaire ; car il ignore l' élevage et il laisse aux montagnards et aux barbares des steppes la nourriture lactée . La mer est , pour les populations des provinces maritimes du sud , * Canton et * Fo * Kien , une grande pourvoyeuse de ces produits divers qui sont pour nous la principale originalité de la cuisine chinoise . Mais le chinois est loin d' être au même degré que le japonais un ichthyophage . C' est à son sol fécond et minutieusement amendé qu' il emprunte le principal de sa subsistance . Aussi excellent maraîcher que médiocre arboriculteur , il use avec avidité des végétaux , céleris , navets ou échalotes qu' obtient son travail à la bêche . Mais toutefois , dans ce climat qui ne tarde pas , en s' avançant au nord , à avoir ses rigueurs , le besoin d' une nourriture plus substantielle que le riz se fait sentir ; le riz , d' ailleurs , cesse au nord du 32e degré de latitude , d' être la culture principale . Le supplément nécessaire est emprunté à diverses espèces de doliques ou haricots auxquels se prête merveilleusement le nord de la * Chine et qui , de temps immémorial , sont entrés dans l' alimentation populaire . Le soja mérite , entre autres plantes déjà signalées au même titre , la reconnaissance de l' humanité . Sa graine joint à ses qualités nutritives des propriétés oléagineuses qui permettent d' en tirer des préparations analogues à l' huile et au beurre , et d' en composer un fromage végétal ( teou-fou ) qui fournit un aliment transportable et qui est , parmi ces populations si denses , une ressource particulièrement appréciée du bas peuple . type japonais . - parmi les emprunts que le * Japon a faits à la * Chine , le riz et le thé sont peut-être ceux qui ont le plus pénétré dans les habitudes , affecté le fond même de la civilisation . Leur introduction paraît relativement récente . C' est vers le commencement de l' ère chrétienne que furent entrepris , sous l' impulsion d' un empereur novateur , les travaux d' irrigation et les aménagements nécessaires à la diffusion de la culture du riz . Quant à la culture et à l' usage du thé , ils paraissent contemporains de l' introduction du bouddhisme entre le IXe et le XIIe siècles . C' est comme signes de civilisation supérieure , et dans le cortège des acquisitions successives qui en grossirent le patrimoine , que le riz et le thé vinrent s' adjoindre aux habitudes traditionnelles . Le climat , du moins jusque vers la partie septentrionale de la grande île * Hondo , imbibé de pluie , baigné de soleil , réalisait les conditions idéales , et plus encore le soin méticuleux , la vigilance attentive et l' amour que le japonais consacre à toutes les choses du sol . Ce raffinement de civilisation a donc gagné de proche en proche ; il a été adopté dans ce monde japonais plus complètement sans doute que ne le seront jamais les moyens de nourriture qu' on essaie d' importer aujourd'hui d' * Europe ou d' * Amérique . Malgré tout cependant , il garde le caractère d' une chose de luxe . Le riz , du moins dans le nord , est un aliment réservé aux riches ou aux malades . Le thé , par le cérémonial qui accompagne son usage , par l' aspect artistique des récipients qui lui sont consacrés , est un de ces éléments qui font partie de l' étiquette protocolaire par laquelle se distingue le japonais de bon ton . Mais , sous ces produits d' adoption , subsistent les habitudes d' alimentation populaire , très anciennement enracinées . Les forêts , qui jadis formaient limites entre les principautés ou cantons , fournissaient un abondant gibier , et laissaient entre elles des clairières , où des cultures de mils et de légumes subvenaient à l' alimentation locale . C' est surtout sur place , et à part dans chacun des compartiments naturels qui divisent la contrée , que s' obtenaient les moyens de nourriture . Toutefois une ressource générale provenait des rivages poissonneux qui bordent les mers japonaises . Les espèces foisonnent au contact des courants qui s' y rencontrent : harengs par multitudes immenses , sardines , maquereaux , sans oublier les squales qui figurent en masses dans l' alimentation japonaise . Il n' y a pas d' autre exemple d' un grand peuple tirant de la mer le principal de sa nourriture . Ses pêcheries sont aujourd'hui parmi les plus importantes du monde ; on peut présumer qu' elles furent la raison de la densité précoce des habitants de cet archipel . On évaluait récemment à 2 . 340 . 000 le nombre de personnes vivant directement ou indirectement de la pêche côtière . La forme étroite et allongée de cet archipel entrecoupé rend partout aisé le transport du poisson frais ; c' est ainsi qu' il n' est point de ville ou village à l' intérieur où ces produits de la mer ne se consomment quotidiennement , sous toutes les formes , cuits ou même crus , assaisonnés en ce cas et découpés en tranches ; poissons ou même requins remplissent le rôle des animaux de boucherie sur nos marchés ! On peut inculquer à ces peuples nos industries ; mais persuader chinois et japonais de se nourrir à l' européenne est peut-être au-dessus des forces du commerce . Il y a des habitudes réfractaires , congénitales au climat , enracinées dans les tempéraments , contre lesquelles le temps ne peut rien . Tandis que l' exploitation pastorale de nos * Alpes a développé dans l' air pur et sain des hautes régions l' élevage et les habitudes alimentaires qui en dérivent , le chinois , écarté des montagnes par les miasmes et les fièvres qu' y engendre le climat des moussons , s' est acharné à tirer des plaines et des pentes de collines les éléments de sa nourriture . Tandis que les étés secs de l' * Asie occidentale , concentrant la saveur du fruit , ont incité les habitants à perfectionner les cultures d' arbres fruitiers , cet art délicat est resté étranger aux peuples d' * Extrême- * Orient ; et le japonais lui-même , cet artiste en jardins , ce peintre de branches fleuries , ne s' y est point essayé . Au lieu du grain de raisin , graduellement gonflé , puis lentement élaboré par nos beaux automnes , c' est la feuille de l' arbre à thé , dont les générations se succèdant de cueillette en cueillette à travers la saison des pluies , fournissent l' arome d' un breuvage devenu , à l' égal du vin et du café , un de ces stimulants dont l' homme se fait un besoin et qu' il propage par le commerce . VI . - propagation des types de culture : la civilisation s' est emparée de ces cultures favorites ; elle en a étendu au delà de toutes prévisions le domaine primitif . Elle a su tirer de la plante originelle une foule de variétés adaptées à divers genres de climats ; de sorte qu' il est arrivé souvent que son importance est plus grande dans les contrées où elle a été acclimatée que dans son pays d' origine . Ce n' est pas aujourd'hui dans les régions où la culture du froment a pris naissance qu' elle est la plus productive ; les moissons des pays méditerranéens ne sont pas à comparer avec celles que produisent les plaines centrales de l' * Europe . C' est dans les prairies du centre-ouest des * états- * Unis , et non plus sur les plateaux tropicaux que le maïs grossit le plus largement ses épis . On peut dire de même que ce n' est pas dans les basses contrées deltaïques que s' est développé l' art d' aménager les eaux en vue du maximum de production des rizières . Il y a en * Chine une région restée à cet égard classique . Au débouché des montagnes qui encadrent au nord la plaine de * Tcheng- * Tou dans la province des * Quatre- * Rivières ( * Szé- * Tchouan ) , subsiste un temple que la reconnaissance des peuples a élevé à l' ingénieur qui a su pratiquer et codifier l' art de maîtriser et manier les puissantes masses d' eau du min . un système de barrages et d' appareils démontables , accommodé aux crues périodiques , adapté aux pentes , assez puissant et assez souple à la fois pour diviser l' eau en rigoles et la distribuer en gradins : telle est l' oeuvre minutieuse qui , probablement accomplie vers le IIIe siècle avant notre ère , transforma de vastes grèves de sables et de cailloux en une des plus fertiles et des plus populeuses plaines du monde . Les rizières de la plaine de * Tcheng- * Tou- * Fou passent pour produire , à surface égale , une fois et demie la quantité de graines obtenue dans les autres provinces . La culture du thé , elle aussi , est fille du milieu chinois . Cette plante qui , dans les hautes vallées de l' * Assam d' où elle est originaire , présente le feuillage luxuriant et les proportions d' un arbre , n' a acquis qu' en diminuant la hauteur de son fût , en rétrécissant la surface de ses feuilles , l' arome délicat qui rend célèbres jusque dans le nord de la * Chine les jardins de thé du * Yunnan . C' est de là , et sous forme arbustive , que cette culture s' est propagée à l' est et au nord , finalement jusqu'au * Japon . L' art du cultivateur a consisté à réaliser , dans un milieu nouveau , les meilleures conditions de croissance : par le drainage , les amendements , le sarclage , la taille pratiquée au moment propice , c' est-à-dire un peu avant l' arrivée des pluies et l' élan de la sève , il a su transformer et affiner la sauvagerie du produit naturel . De même que la vigne , en passant des forêts de la * Colchide aux contrées sèches de la * Méditerranée , la plante sud-tropicale du * Manipour n' a pris que dans les régions tempérées de la * Chine les proportions et les qualités qui la distinguent . Le rôle de ces plantes d' élection , devenues pour des millions d' hommes une base de nourriture ou un besoin physiologique , a maintes fois attiré l' attention des géographes . Le thé , le café ont fourni à * Karl * Ritter le sujet d' importants chapitres de l' erdkunde . à l' intérêt des conditions sociales liées à leur culture , s' ajoute celui du vaste commerce dont elles font l' objet . Ces plantes ont une histoire qui se mêle à celle des hommes . Ce sont des plantes de civilisation . Dans l' extension qu' elles ont acquise s' exprime l' influence de l' homme sur l' économie de la vie terrestre . Chaque espèce aspire d' elle-même à s' étendre hors de son centre d' origine ; mais son expansion , quand elle ne s' appuie que sur ses propres moyens , rencontre bientôt des limites . Ces limites reculent au contraire par l' intervention de l' homme . Sans doute , le thé , la vigne , le maïs , le blé , etc. , restent assujettis à des conditions immuables dans leur généralité et le plus souvent incompatibles ; mais , pour leur culture comme pour la plupart des phénomènes auxquels prend part l' intelligence de l' homme , une marge assez ample se dessine entre une aire minima et une aire maxima d' expansion . Ce qu' il y a de ressources et de variétés dans le fond mystérieux des forces créatrices , se dégage , se consolide et s' amplifie par les soins vigilants de l' homme : la nature agit sous sa conduite . Chose non moins remarquable : l' art qui a été nécessaire pour adapter la plante utile à un milieu nouveau , s' emploie aussi à la perfectionner . Il arrive ainsi que ce n' est pas toujours dans son lieu d' origine , mais dans son lieu de transplantation qu' elle obtient l' optimum voulu et recherché par l' homme . La plante elle-même s' imprègne du traitement dont elle est l' objet . L' homme cisèle et pétrit la matière brute ; il communique à la pierre et aux métaux les formes plastiques qui lui conviennent ; mais à l' égard des espèces vivantes , surtout quand il s' agit de ces plantes annuelles plus sensibles et plus soumises à son attention vigilante , il fait plus . Chaque moment de leur évolution lui offre prise . Pénétrant , pour ainsi dire , dans l' intimité de leur être , s' identifiant en elles , il parvient à modifier dans une certaine mesure les opérations successives de leur cycle d' existence . chapitre iv . Les matériaux de construction : l' homme a fait son nid , dès qu' il a senti la nécessité de se fixer , avec les matériaux qu' il avait sous la main . Il a subi l' influence de ces matériaux . C' est surtout à ce sujet qu' il est vrai de dire que la matière dicte la forme . Des raisons de climat et de sol ont déterminé , suivant les contrées , l' emploi prépondérant du bois , de la terre ou de la pierre . Mais , à leur tour , ces matériaux guident la main de l' homme . Ayant chacun leurs exigences et pour ainsi dire leur génie , ils impriment aux établissements humains leurs particularités de formes , de dimensions , de résistance . D' où résultent des types généraux qui entrent dans le signalement caractéristique des contrées . Le bois , partout où il s' offrait en abondance , fut et reste le matériel préféré pour les maisons et les édifices . Ne fournissait -il pas spontanément les poutres et des éléments essentiels de charpente ? Leur agencement et leur superposition étaient indiqués par la matière même ; ils s' expriment dans les piliers qui supportent l' édifice , les angles en saillie qui en dessinent les côtés , les toits qui en rehaussent et accentuent le sommet , les auvents ou galeries qui en garnissent les bords . L' architecture tropicale , si l' on peut donner ce nom aux constructions rectangulaires qui se répartissent de l' * Afrique centrale à la * Malaisie , s' harmonise ainsi avec la végétation et le paysage . Plus tard un style artistique se dégagea de ces éléments , grâce à la civilisation sinojaponaise . L' architecte dans ces régions est un charpentier , un adaptateur et un sculpteur de pièces de bois , plutôt qu' un robuste manieur de blocs de pierres . Le * Japon surtout , si riche en conifères , cèdres-hinoli et cryptomérias , qui doivent à leur contenu résineux une consistance incorruptible , partage avec la * Grèce , bien qu' en un genre tout opposé , le privilège du plus saisissant exemple d' harmonie entre l' édifice et le milieu qui l' encadre . Parmi les arbres verts qui l' environnent , le temple japonais shinto est , dans son antique simplicité , une construction en bois de cèdre aussi harmonique avec ce qui l' entoure que le promontoire rocheux de * Sunium avec les colonnes qui lui ont valu son nom . La maison japonaise ordinaire ressemble à une cage de bois légèrement posée sur le sol ; la sobriété du mobilier répond à celle de l' édifice . i . - la terre dans la zone aride : mais le climat de la grande zone sèche qui se prolonge en diagonale du * Soudan à l' * Inde n' est pas propice au bois . Il envie à l' homme le plus familier des matériaux dont il ait généralisé l' emploi . L' abâtardissement graduel de la végétation arborescente ne tarde pas , dès qu' on s' éloigne d' une douzaine de degrés de l' équateur , à se rendre sensible . La paillote cylindrique foisonne , règne bientôt sans partage . La végétation buissonneuse , précieuse il est vrai pour la défense , fournit aux pasteurs ou chasseurs d' esclaves les branchages épineux et les inextricables fourrés dont se hérissent les enceintes circulaires des zéribas , comme aujourd'hui les haies de cactus de notre * Algérie . Mais elles se prêtent mal à la construction . L' arbre n' y est plus représenté que par des sujets rabougris et rachitiques , capables tout au plus de mettre au service du constructeur des perches plus ou moins tordues , parfaitement impuissantes à supporter le poids d' un grand édifice . à défaut du bois , un autre genre de matériaux s' offre à souhait dans la zone sèche . La terre argileuse , pétrissable , susceptible d' absorber dans sa pâte des ingrédients qui la consolident , séchée au soleil ou cuite au feu , est la matière de maniement facile qui se prête à de multiples usages . Sous les doigts du potier , elle a commencé par reproduire certaines formes de récipients végétaux , couffins , calebasses , que la nature cessait de fournir . On peut remarquer que la poterie , devenue un art quasi-universel en * Guyane comme au * Pérou , en * Chine comme en * Grèce , n' a été négligée que dans quelques îles d' * Océanie où la végétation elle-même se chargeait d' y pourvoir . Dans la construction , le règne de la terre s' est généralisé sous forme de brique : unie au fer , celle -ci tend aujourd'hui à supplanter toute autre matière ; elle répond au besoin tout moderne d' improviser , de faire vite , qu' il s' agisse de simili-palais ou d' usines . Mais si l' on remonte aux origines , on doit reconnaître que ce n' est pas dans les contrées où elle sévit aujourd'hui , qu' est née l' architecture de briques ; mais dans les régions sèches de l' ancien monde . Les grands palais chaldéens et assyriens , et même ceux qui leur ont succédé dans l' * Asie occidentale et l' * Iran jusqu'à l' époque d' * Alexandre , étaient des constructions presque entièrement composées d' argile . C' est dans les régions de sécheresse permettant l' emploi de briques crues qu' elle a maintenu sa prépondérance . Elle règne encore sous cette forme primitive et presque dépourvue d' apprêts depuis le * Maroc jusqu'à la * Perse , en dépit des pluies d' hiver qui parfois risquent de liquéfier ces murs de terre . Au mobilier de ces maisons , la terre ne fournit pas seulement les vases à contenir et à rafraîchir les liquides , mais des objets pour lesquels son emploi semble paradoxal : il y a dans l' * Iran comme en * Nubie des meubles en argile , des coffres en terre sèche . L' homme de ces contrées est terrien au sens le plus absolu du mot : terrien par l' habitat , soit qu' il édifie sur le sol , soit qu' il s' y niche . C' est en * Afrique qu' on peut le mieux suivre , avec l' appauvrissement graduel de la végétation , l' emploi de plus en plus exclusif de la terre pour les constructions . Chez les chillouks du * Haut- * Nil le toit seul et l' enceinte sont en paille , la case cylindrique est en terre . On signale déjà dans l' arrière-pays du * Togo , d' amples ouvrages de fortifications , dont les tours en terre battue , reliées par des courtines de même matière , n' ont que leur toit conique fait de feuilles ou de paille . Plus loin , vers 14 degrés de latitude , la ville soudanaise de * Zinder a une enceinte en terre , enfermant dans ses rues tortueuses des maisons en touba , ou briques séchées au soleil . Enfin dans le * Soudan saharien , l' emploi de la terre et du pisé l' emporte décidément : remparts , maisons , greniers , tatas , ou forteresses en sont construits ; de sorte que la généralisation de ce mode de bâtir marche de pair avec la sécheresse . C' est lui qui est presque exclusivement employé dans les oasis sahariennes . Dans le * Maroc méridional , la matière de construction est la tabia , variante de la même matière , c' est-à-dire une terre grasse foulée et mélangée avec de la paille hachée et de petites pierres . La substitution de la terrasse ou de la coupole surbaissée au toit et l' emploi exclusif de la terre sont deux faits caractéristiques qui se tiennent . Avec le toit sur lequel glisse la pluie , disparaît l' échafaudage de matière végétale qui lui servait de support . Nulle matière ne se prête plus aisément à fournir à l' homme des moyens élémentaires d' établissement , nulle n' a été plus tôt utilisée dans les contrées où le climat se prêtait à son emploi . On n' avait , suivant les cas , qu' à creuser pour obtenir des parois toutes faites , ou à se baisser pour en recueillir les éléments . Les sables durcis et cimentés par les infiltrations , le sol alluvial et compact de l' * égypte et de la * Mésopotamie , les terres argileuses des plateaux arméniens , de l' * Iran , et même dans l' * Europe et l' * Asie centrale jusqu'au nord de la * Chine , les vastes nappes de ces sols steppiens , imprégnés de concrétions calcaires connues sous le nom de loess , ont été ainsi , sous une forme ou une autre , utilisés par les établissements humains . En * Espagne , l' habitat dans la terre est pratiqué à * Guadix , province de * Grenade . Chez les matmata du sud tunisien , l' habitat se compose d' une cour rectangulaire taillée dans le sable et flanquée de réduits . Ailleurs , c' est dans les parois à pic qu' est pratiquée l' excavation . Tout le monde connaît , depuis * Richthofen , ces villages nichés comme des alvéoles sur les parois perpendiculaires de loess dans les provinces du nord de la * Chine . Tout un réseau de sentiers taillés dans la terre relient ces habitations . D' autres fois , le village se tapit assez profondément pour qu' on ne le devine qu' à la cime des arbres qui le signalent . Si au contraire la construction se dresse sur le sol , elle s' improvise à peu de frais ; et il est facile d' en élever une autre , s' il y a lieu , à la place de la précédente . Il serait vain d' essayer de tirer parti des mottes de boue qui ont déjà servi et ne se prêtent plus à aucun usage . La maison est donc abandonnée aussi facilement qu' elle est construite ; elle n' a guère plus de permanence que la tente du pasteur . Mais elle persiste à peu près à la même place ; car elle est retenue par les occupations agricoles . Tous les recensements faits en ces dernières années en * égypte , s' accordent pour accuser , en même temps qu' un fourmillement de cases éparses , la multitude extraordinaire des cases abandonnées . Elles subsistent , délaissées , sans qu' on ait pris la peine d' en utiliser les matériaux , jusqu'à ce que le tassement des débris les ait rendues informes et méconnaissables . Cette facilité de remplacement est un fait de climat qui n' a pas été sans influence sociale aux premiers temps de l' occupation humaine en ces contrées alluviales . Le sol y fournissait alors un moyen aussi facile qu' économique de multiplier ces demeures sur place , de s' y ménager des séjours temporaires suivant les saisons et les crues du fleuve , de substituer une installation saine à la place contaminée par un trop long séjour : autant de raisons qui ont dû contribuer à favoriser en ces lieux la formation de groupes si denses . N' oublions pas que l' implantation durable d' une forte densité de population est une oeuvre de longue haleine , qui suppose le concours de bien des causes diverses . Une de ces causes a été , sans nul doute , l' emploi général d' un matériel que le soleil se charge de cuire et que la sécheresse du climat permet d' utiliser presque sans apprêt . La terre , la brique crue ont été des matériaux économiques que l' homme a largement utilisés , même hors des climats qui en favorisent l' emploi . En * Moravie et en * Alsace même , aux temps préhistoriques , comme de nos jours en * Bulgarie danubienne ou en * Dobroudja , le loess a servi d' habitat . On est moins surpris de constater l' emploi combiné du pisé et du roseau dans les palissades construites par les chinois en * Asie centrale . Mais il manque à ce mode de construction ce qui donne essentiellement aux établissements humains leur signification géographique : la durée . Des villages et même des villes , dans les contrées sèches de * Chaldée , de * Susiane , du * Seïstan et de l' * Asie centrale , ont emprunté exclusivement à l' argile et aux briques crues leurs matériaux : des amoncellements informes avec des débris de poteries en sont les seuls indices . Le nom arabe de tell , si répandu en * Babylonie , signale dans ces plaines alluviales des monticules qui ne sont autre chose que des restes d' établissements humains . Les éboulements de ces murs , qui s' effritent faute de pierres en garantissant les saillies , forment l' obstacle contre lequel les innombrables particules sableuses qu' entraînent les vents arides se déposent . Elles s' amoncellent bientôt en telles quantités que le tout finit par se confondre en une masse qui prend naturellement la forme d' une accumulation de matières meubles . L' oeuvre de l' homme a cédé ; la nature a repris possession du sol . Des cadavres anonymes de villes dormaient ainsi sous un linceul de poussière , quand * Xénophon parcourait avec les dix-mille les plaines de * Mésopotamie . Notons en passant que cet état de dégradation n' est pas lui-même une preuve certaine d' ancienneté reculée ; car les agents physiques conspirent sous ce climat avec l' inconsistance des matériaux pour anéantir promptement toute forme vive et accentuée . Il ne faut pas non plus se laisser illusionner par le nombre de ces témoins qui peuplent aujourd'hui , dans les plaines de * Chaldée ou du * Séïstan par exemple , les espaces presque réduits à l' état de solitude . Sans nier les effets d' une décadence qu' expliquent suffisamment les causes historiques , les établissements ont pu , suivant les hasards de guerres ou d' obstructions de canaux , dépérir et se reformer en successions si rapides que les calculs de populations qu' on fonderait sur leur existence simultanée seraient très probablement entachés d' erreurs . Quand ce n' est pas par émiettement , c' est par éboulement que périssent les édifices de terre . L' eau est leur principal artisan de destruction . Les murs des villages persans tombent en liquéfaction sous les pluies d' hiver . Trop rapprochés des fleuves à inondation , * Garonne , * Loire , * Rhône , * Rhin , les murs en pisé et cailloux s' écroulent : la pierre seule a permis le contact des fleuves . Plus incorruptible que le bois et moins exposée aux incendies , plus apte que la brique à fixer les formes et à fournir des supports , la pierre garantit toute la durée compatible avec les oeuvres de l' homme . Si l' on compare les pays de la pierre , soit autour de la * Méditerranée , soit sur les plateaux d' * Amérique , soit dans l' * Inde du nord , à ceux où la terre et la brique ont régné en maîtresses , on est frappé d' un singulier contraste : les pyramides de la quatrième dynastie se dressent presque aussi intactes que lorsque les blocs en furent extraits des carrières du * Mokattan ; on cherche en vain en * Chaldée les traces de nombreuses villes mentionnées par les textes ; on a de la peine à situer en * Mongolie la place de * Karakoroum . De rares témoins des pistes qui y sillonnaient l' * Asie centrale subsistent sous forme de tours de pierre dont parlait * Ptolémée ; et c' est tout au plus si quelques palissades de roseaux et de boue révèlent çà et là à l' archéologue et au géographe les vestiges de ces voies commerciales ou militaires qu' avait réussi à établir d' un bout à l' autre du continent la domination chinoise . Voyez au contraire le réseau des voies romaines presque entier sur le sol où il s' est incrusté . Ne serait -il pas impossible de se faire une idée exacte des vieilles civilisations américaines si l' on n' avait que le témoignage des mounds ou tumuli en terre qui sont disséminés dans la vallée du * Mississipi ? Une mesure de ces civilisations nous est fournie au contraire par les vastes constructions pyramidales et les édifices à gradins qui frappèrent d' étonnement les espagnols chez les mayas du * Yucatan ( * Palenqui ) ou chez les quitchuas du * Pérou ( * Tyahuanaco près du lac * Titicaca ) , ou encore par les vestiges de la route pavée qui , à la façon des voies romaines , reliait * Cuzco à * Quito sur les plateaux du * Pérou . La présence et l' usage de la pierre calcaire ou volcanique ont permis à ces peuples , mayas , aymaras , quitchuas , etc. , d' imprimer sur le sol une trace indélébile qui a empêché leur nom de périr . ii . - la pierre dans la région méditerranéenne : l' éclat de certains matériaux minéraux a fasciné le regard et tenté le travail de l' homme . Il s' est attaqué aux matières les plus dures , fût -ce même avec les instruments les plus imparfaits , pour peu que leur poli et leur brillant eussent le don de séduire ses yeux . Le silex n' a pas été seulement pour les hommes des anciens âges une arme taillée pour les besoins de la cause , mais une matière , dont l' industrie paléolithique , en * Suède par exemple , a su tirer des formes ciselées de haches et de poignards , qui passent pour des merveilles d' exécution . Le jade dans le * Turkestan oriental , l' agathe , le jaspe , la serpentine et le cristal de roche au * Japon et en * Chine , le diamant dans l' * Inde , l' obsidienne au * Mexique et au * Pérou , ont été patiemment travaillés et sculptés avec amour . Les trésors portatifs des anciens japonais ( magatama ) étaient de véritables écrins de ces pierres taillées . Le granit et le porphyre des sarcophages pharaoniques gardent , après quatre mille ans , leurs moulures intactes et un poli qui est une caresse pour l' oeil . Le basalte a fourni au plus vieil art chaldéen , ainsi qu' à celui de l' * égypte , une indestructible matière de statues . Les oeuvres d' art ont été des manifestations de luxe , et des voies de commerce ont été tracées pour s' en procurer la matière . Par là peut-être l' homme a été conduit à la recherche des métaux : l' or en pépites étincelantes ne fut -il pas le premier métal exploité ? Mais , pour le géographe , la signification de la pierre consiste surtout dans l' emploi qu' en font les constructions humaines . Le granit qui s' écaille sous le pic ou le marteau , le schiste qui se découpe en dalles trouvent leur emploi , mais la pierre de construction par excellence est celle qui se laisse tailler par le ciseau , découper en pans réguliers , appareiller , et qui se prête ainsi aux diverses combinaisons de formes qu' imagine et crée l' art de l' architecte . Les calcaires et , à un moindre titre , les grès , ont pu ainsi fournir des thèmes variés de développements artistiques . Un rapport s' établit entre la roche et les monuments . Les calcaires du * Yucatan sont inséparables des constructions mayas , de même que les grès qui bordent au sud la vallée du * Gange évoquent l' image des villes monumentales qui se succèdent de * Delhi à * Bénarès ; comme les grès vosgiens celle des cathédrales et des châteaux de la vallée rhénane . C' est dans les grès que sont entaillées les nombreuses gravures rupestres du * Sahara algérien , où se montrent les anciennes aptitudes artistiques de la race berbère ; le grès a conservé aux édifices de * Pétra l' étonnante intégrité de leurs moulures et de leurs ornements . Les villages fortifiés des pueblos , dans le * Colorado et le * Nouveau- * Mexique , sont généralement construits en grès extraits du lieu même . Si immédiat est ce rapport entre la roche et l' édifice que plus d' une fois , de même qu' aux * Baux * En * Provence , rocs et maisons se confondent dans une blancheur aveuglante . Nulle part l' architecture de la pierre n' a disposé d' un plus beau domaine et n' en a mieux tiré parti qu' autour de la * Méditerranée . Tandis qu' au nord , les chaînes de plissements tauro-dinariques courent en bordure du bassin oriental , les plateaux de * Palestine et d' * Arabie pétrée , de * Lybie et de * Cyrénaïque lui font face au sud . à l' * Apennin succèdent bientôt les chaînes et plateaux de * Provence , tandis que les montagnes des * Baléares se continuent au sud de l' * Espagne jusqu'à l' * Atlas . Ainsi l' encadrement est presque complet . Partout , si ce n' est lorsque les alluvions deltaïques ont amassé des couches puissantes d' humus , la roche affleure , à peine saupoudrée de terre rouge ; la pierre blanche , sans cesse renaissante et renouvelée par la base , couvre de ses éclats la surface . Elle a l' air de croître à la façon de l' herbe . Cette roche , généralement aisée à travailler dans les carrières ou latomies , a la propriété de durcir ensuite à l' air libre , de conserver indéfiniment sous le ciseau de l' ouvrier , dans les moulures des angles ou la cannelure des colonnes , toute la vivacité de ses arêtes . Lorsque au voisinage des massifs archéens , en * Attique et dans les * Cyclades , à * Carrare et dans les * Pyrénées , le métamorphisme a agi sur la roche , elle acquiert une texture cristalline et marmoréenne . Le calcaire d' ailleurs se prête à la fabrication du ciment ; si bien que plus d' un précieux débris d' édifice antique a trouvé dans le four à chaux l' humble consommation de sa destinée . L' éclat du soleil et la patine du temps revêt ces marbres grecs ou italiens ou les travertins d' eau douce de la * Campagne romaine d' une chaude coloration , qui ajoute ainsi l' effet du climat à celui du sol . Il faut aussi faire la part d' autres matériaux rocheux qu' a largement mis à contribution le travail de l' homme ; et notamment de ceux qu' a fournis , sous forme de laves , de dalles , de péperin , le volcanisme actif de la * Méditerranée . Ce qui toutefois domine et a imprimé sa physionomie indélébile au paysage méditerranéen , c' est la pierre calcaire , que bien rarement la végétation couvre d' un tapis assez épais pour l' empêcher de paraître à nu . Il ne manque pas autour de la * Méditerranée de bois durs et résistants , capables de fournir de bons matériaux de construction . Dans les édifices égyptiens , comme dans les burgs d' époque mycénienne ou dans les plus anciens temples grecs , le bois est employé comme soutien pour maintenir les murs . Que même la construction exclusive en bois ait été jadis pratiquée pour certains édifices , c' est ce que semblent bien indiquer certains monuments sépulcraux de l' * Asie * Mineure ; le classique temple grec à colonnes et à frontons n' est pas sans en offrir des réminiscences . Mais la pierre a supplanté le bois . L' emploi de cette pierre a pris , autour de la * Méditerranée , tant de formes familières , elle répond à de si multiples besoins de défense , d' abri , de conservation , qu' elle s' associe minutieusement aux occupations et aux habitudes . Elle fournit les matériaux des murs en gradins qui retiennent et amassent la terre sur les pentes ; et ainsi s' est généralisé , en même temps que les plantations d' arbres fruitiers , l' usage des cultures en terrasses qui sculptent , pour ainsi dire , jusqu'à 500 ou 600 mètres les flancs des montagnes . Assembler les blocs , en superposer les assises , en ajuster les angles rentrants et saillants de façon à former des murs épais et résistants , est un art essentiellement méditerranéen , dont on peut observer encore à * Tyrinthe et à * Norba les vénérables origines . L' appareillage de la pierre y va de pair avec les cultures étagées d' arbres fruitiers et de jardinage . Aux clôtures épineuses des régions subtropicales se substituent au * Maroc des enceintes de pierre ( decherras ) , englobant les silos à bord cylindrique et à panses élargies , qui sont entaillés à même dans le sous-sol . Réservoirs à grains ou citernes cimentées sont des aménagements pratiqués aussi bien en * Syrie et en * Palestine que dans l' * Afrique du nord , et dans les temps bibliques comme de nos jours . La roche , soit par les cavités pratiquées dansses flancs , soit par les matériaux extraits de ses carrières , ou même épars à la surface du sol , s' est prêtée aussi familièrement aux usages de la vie domestique , s' y est assouplie de mille manières , comme c' est le cas pour le bois et les matières végétales dans les régions forestières voisines de l' équateur ou du cercle polaire . On est amené par là à considérer la région méditerranéenne comme la patrie de l' art de la pierre d' où , après avoir enfanté sur place des types variés , il a rayonné en dehors . L' acropole hellénique , l' oppidum italiote , le bordj arabe , la casbah berbère ont un air de famille ; elles procèdent des mêmes matériaux , affectent sur les cimes rocheuses les mêmes positions dominantes . On voit sur les côtes de * Ligurie ou de * Provence leurs murs croulants posés en nids d' aigles pour surveiller au loin l' horizon . Les constructions de type mycénien , qui faisaient l' effet d' antiquités aux grecs des temps classiques , ne sont pas sans analogie avec ces enceintes fortifiées d' autrefois que l' on désigne du nom de nouraghes en * Sardaigne méridionale , de talayots dans les * Baléares ; elles répondaient sans doute aux mêmes besoins de défense . Toute la vie antique de la * Méditerranée a trouvé son expression dans la pierre . La vieille * Apulie , comme le pays de * Chanaan , en portent encore l' empreinte . Des constructions cylindriques , s' amincissant vers le haut en une série superposée de gradins , désignées sous le nom de trulli , parsèment les murgie de la terre de * Bari et d' * Otrante . Elles se reproduisent sous forme plus élémentaire et plus primitive dans les constructions de hasard élevées sur les flancs de l' * Apennin central , sur le * Karst dalmate et jusque sur les côtes du sud de la * France . Parmi tous ces pays , l' * Italie est à jamais marquée de l' effigie de la grandeur romaine . Dans un ordre plus humble , ne reste -t-elle pas le foyer d' émission d' où les métiers de la pierre et du marbre se répandirent dans toute l' * Europe ? Nous n' avons pas ici à analyser les formes riches et diverses qu' a su , de ces linéaments primitifs , dégager l' art de l' architecte : de ces matériaux assemblés , il a édifié pyramides et pylones , colonnes et portiques , cintres et coupoles , toute cette floraison merveilleuse qu' ont exprimée tour à tour l' art égyptien , l' art hellénique , celui de * Rome et de * Byzance . Ce n' est pas une leçon d' art que nous cherchons dans les monuments ou les ruines qu' il a laissés sur le sol , mais un exemple de ce que peut la durée sur les établissements humains , et par eux sur l' histoire . * Thucydide , dans un passage souvent cité , remarque que si * Athènes et * Sparte tombaient en ruines , celui qui ignorerait leur histoire serait tenté , à la vue des monuments couvrant le sol , de s' exagérer l' importance de l' une et de rabattre celle de l' autre . Ce qu' il dit d' * Athènes serait encore plus vrai de * Syracuse , construite sur des rochers calcaires , percés par les célèbres latomies , qui lui prêtent une grandeur presque sans exemple . Sur ces mamelons rocheux qui se succèdent de l' achradina aux epipolae , à la petite île qui fut le berceau de la cité , le regard embrasse un développement successif dont les étapes sont à jamais gravées dans la pierre . Ce genre de passé ne se laisse pas abolir . L' abondance et la beauté des matériaux ont favorisé sur ces terres classiques une éclosion de monuments telle que , même à l' état de ruines , elles représentent un des enchaînements les plus continus que permette la brièveté de l' histoire humaine . La colline des jébuséens devenue * Jérusalem , l' acropole de * Cécrops devenue * Athènes , la roma quadrata du * Palatin , sont les noyaux de développements qui , à travers bien des vicissitudes , ont persisté aux lieux mêmes . Le cycle par lequel , sur un emplacement donné , la primitive enceinte murée , le vieil oppidum ont été transformés en une ville qui , elle-même , a pu s' épanouir en un foyer de civilisation , en une oeuvre d' art , avec ses temples , ses portiques , ses théâtres taillés dans le roc , est la leçon qui sort du sol même . Tout cela prend la forme et l' indestructibilité de la pierre . L' avantage d' hygiène et de beauté que , dans nos climats de l' * Europe centrale ou des * états- * Unis , la ville moderne cherche à se ménager par des parcs intercalés entre les bâtisses , des morceaux de forêts enchâssés parmi ses rues , la cité de pierre et de marbre des bords de la * Méditerranée le demande à l' ombre fraîche de ses portiques , aux dalles de marbre de ses édifices ouverts à l' air libre . Elle aime , comme ses héritières d' aujourd'hui , les sites dominants que vient rafraîchir à certaines heures la brise de la mer voisine , les hauteurs que n' atteignent pas les miasmes , les cimes battues par les vents salés . Lorsque la vie puissante qui a palpité entre ces édifices de pierre vient à diminuer ou à s' éteindre , les ruines permettent encore d' en saisir l' ensemble . Le mot par lequel les anciens auteurs croyaient exprimer le comble de l' anéantissement : etiam periere ruinae , n' a pas de sens ici . La force vivace de cette civilisation méditerranéenne tient en partie à cette continuité qui en matérialise l' histoire , qui en perpétue les traditions par le commentaire perpétuel des monuments et des ruines . La plupart des villes méditerranéennes qu' a connues l' antiquité se sont enracinées au point de continuer leur existence : les unes sans interruption comme * Marseille , d' autres avec des éclipses . Du moins , quand leurs destinées historiques ont été remplies , une sorte de vie latente a survécu sur place à la vie épanouie . L' attachement au site persiste grâce aux matériaux assemblés , et à leurs dépens . * Salone détruite revit dans * Spalato . Des villages se nichent dans les ruines d' * Antioche ou d' * éphèse . Les catastrophes historiques qui ruinent les villes ne réussissent pas à extirper des lieux où elles avaient pris racine les germes d' établissements humains . Ceux -ci persistent sous des formes plus modestes , à taille réduite , comme il arrive aux arbrisseaux du sous-bois de succéder à la forêt détruite . Cette association de l' idée de durée avec la construction de pierre est profondément ancrée dans l' esprit humain . On voit en * Asie * Mineure dans les contrées calcaires de * Carie et de * Lycie beaucoup de monuments funéraires d' époque hellénique , sur lesquels on lit ces mots : ( ... ) . L' expression de " maison éternelle " appliquée à la tombe se justifie par la durée qu' elle emprunte au roc dans lequel elle est taillée , ou à la pierre avec laquelle elle est construite . Dans les monuments sépulcraux d' * égypte ou de * Mauritanie , l' orgueilleuse revendication d' éternité cherche à s' affirmer par la mise en oeuvre colossale de blocs dont l' accumulation défie le temps . Dès que l' homme a prétendu communiquer à son existence ou à sa mémoire un surcroît de durée , étendre sa personnalité au delà des bornes que sa courte vie lui refuse , c' est à la pierre qu' il a eu recours . iii . - le bois et la pierre dans l' * Europe centrale et occidentale : c' est de l' archéologie que de parler , d' après * Strabon , des maisons cylindriques que les gaulois construisaient en poutres et en claies d' osier et qu' ils recouvraient d' un toit de chaume . Même établis au sud des * Alpes ils y avaient transporté les habitudes contractées dans les régions forestières de l' * Europe centrale . Le bois remplaçait pour bien des choses la poterie et la céramique méditerranéennes ; les gaulois cisalpins opposèrent leurs futailles en chêne " hautes comme des maisons " aux jares et amphores de leurs voisins d' * Italie ; de même qu' aujourd'hui les bahuts et les armoires de chêne de nos campagnards excitent la surprise de maints étrangers . Le règne du bois comme matériel de construction a été plus général et a persisté plus longtemps dans l' * Europe centrale que dans la région méditerranéenne . Les maisons gauloises que dépeint * Strabon ressemblent aux huttes cylindriques que figurent , sous la torche des légionnaires , les reliefs de la colonne * Trajane . Les daces ne connaissaient pas d' autres masures . Quant aux germains , dit * Tacite , ignorant le ciment et la brique , ils usent d' assemblages informes de matières , " materia ad omnia utuntur informi " . Il n' est pas interdit de deviner , sous le vague de ces expressions , l' enfance d' un art de construction qui était destiné à prendre de plus en plus d' importance . Ces grossiers bâtisseurs avaient recours à cet assemblage de torchis et de bois , qui s' est perpétué en se perfectionnant et se diversifiant , notamment dans une grande partie de la * France du nord et de l' * Allemagne . Le bois usité comme charpente , avant de l' être comme ornement , servit à maintenir , contre les intempéries de climats moins tolérants que ceux des régions sèches , les fragiles parois de loess ou de limon que fournissait le sol . Une combinaison originale est née de l' union de ces deux matières différentes , l' une douée de résistance au feu , l' autre servant à garantir contre les pluies la solidité de l' ensemble . L' élégante et riche * Normandie , la * Picardie voisine , ont tiré de bons effets de ces combinaisons : sur un soubassement emprunté aux silex de la craie , les poutres entrecroisées tracent sur l' assise en pisé des dessins géométriques . Ce type de construction , tel que les allemands le désignent sous le nom de fachwerk , a engendré ailleurs de nombreuses variantes qu' on peut suivre à travers les maisons rurales ou villageoises d' * Alsace , de * Souabe et de * Franconie . Toute une * Europe plus forestière jadis qu' aujourd'hui revit et se dépeint dans ce développement pittoresque d' un art de construction dont les informes débuts ne pouvaient qu' exciter le dédain des méditerranéens , habitués dès lors aux édifices de pierre et de marbre . Parmi les applications multiples auxquelles les essences variées de nos arbres à feuilles caduques ont donné lieu , - mobilier , ustensiles agricoles , charronnerie , vannerie , etc. , - il faut donc compter au premier rang leur rôle comme pièces de charpentes dans les constructions . Ce n' est pas seulement la maison de paysan qu' a consolidée une armature de chêne ; lorsque l' art de nos contrées , dans la * France du nord , se haussa jusqu'à ces édifices de pierre dépassant par leurs dimensions le temple grec et la basilique romaine , d' immenses charpentes de chêne ou de châtaignier fournirent une partie de l' ossature intérieure des cathédrales ou des halles qui se dressèrent de * Chartres à * Ypres . Des forêts aussi bien que des carrières de pierres ont passé dans ces constructions . Ce serait forcer la vérité que de chercher dans la physionomie actuelle de l' * Europe , des classements régionaux fondés sur les matériaux de construction . On peut opposer à la rigueur , comme le fait * Solovief , en se bornant aux traits généraux si distincts encore en * Russie , une * Europe du bois qui est celle du nord à une * Europe de la pierre qui serait celle de l' ouest et du sud . Dans cette * Europe de l' ouest , les diversités du sol ont , dès l' origine , introduit dans les matériaux et par suite dans les modes de construction , des diversités que le temps n' a fait qu' accroître . Les mouvements de peuples sont intervenus pour transplanter d' autres habitudes ; car l' homme se transporte volontiers avec sa coquille ; il cherche partout à accommoder sa demeure suivant ses occupations et ses propres goûts . L' anglo-saxon , comme l' espagnol , ont transporté en * Amérique chacun ses modes favoris de construction et ses dispositions familières d' habitat . On distingue parfois côte à côte des diversités voulues . C' est ainsi que , dans l' * Europe centrale , on a pu , avec un peu d' arbitraire , classer les types de construction rurale d' après les tribus d' occupants germaniques , qui s' y taillèrent , entre les slaves et les peuples de civilisation romane , leur domaine propre . On s' exposerait à de fréquentes erreurs en faisant de la nature du sol la règle exclusive des types de construction . Cela même est moins vrai que jamais aujourd'hui , par suite des facilités de transports et de fabrication industrielle . Si de toutes parts , dans les campagnes comme dans les villes , la brique et le fer , fabriqués en masse et à bon compte , tendent à remplacer tous les autres matériaux , c' est le règne universel des grandes puissances de l' heure , la houille et la métallurgie , qui se trahit par ces signes . La part qui reste néanmoins aux diversités et individualités régionales ne sera jamais entièrement abolie . Il y a , même dans cette * Europe si transformée , des domaines où prévalent , en vertu des lois du sol , l' usage de la terre , ou celui de la pierre , ou celui du bois , sortes de provinces naturelles qui maintiennent à peu près leurs limites . Le chalet est un type étroitement uni aux * Alpes . Combinée avec les larges dalles de schiste qui lui servent de soubassement , empruntant au bois les poutres de sa charpente , les lamelles imbriquées de son toit , cette construction caractéristique règne depuis la * Savoie jusqu'à l' * Autriche . Sous d' autres formes , la maison de bois prévaut en * Bosnie et en * Serbie même jusqu'aux environs du mont * Kopaonik . La région des grands bois de chênes qui borde au sud le cours de la * Save , est restée en majeure partie fidèle aux matériaux offerts par le sol . L' élevage et les pratiques de constructions s' unissent , pour ainsi dire , dans un même commentaire géographique . Les contrastes sont visibles et persistent plus qu' on n' est porté à le croire entre les régions où la pierre abonde et celles où elle manque . Le temps est passé , il est vrai , où , dans les sables et tourbières de la plaine germanique , des chaussées de bois , pontes longi , tenaient lieu de routes . Mais ces matériaux de fortune , pisé ou terre mélangée de paille hachée , terre et cailloux roulés en couches alternantes , limon avec soubassement de silex , loess et entrecroisements de poutres , représentent des combinaisons variées pour suppléer à la pierre de taille . Ainsi , la * Beauce , terre de limon , s' obstine à conserver ses maisons en pisé à toit de chaume . En * Champagne , le temps n' est pas loin où les masures en pisé , assujetties tant bien que mal par des solives de bois , disparaissant presque sous la couverture de chaume , régnaient là où luisent aujourd'hui les maisons de briques aux toits de tuiles . L' architecture a consacré ces différences . De grands monuments sur lesquels plane un souffle d' art singularisent aujourd'hui les contrées du limon et de la brique . Le pays toulousain s' oppose au pays bordelais , de même qu' aux marbres de l' * Ardenne , aux pierres de l' * île- * De- * France et de la * Normandie , s' oppose l' argile de * Londres et des * Flandres . De beaux édifices de briques se dressent à * Albi et * Toulouse . L' architecte s' est efforcé en ces lieux de réaliser l' aspect monumental , et , par le seul moyen des ressources qui s' offraient sur place , d' élever en quelque sorte la brique à la dignité de la pierre . Mais celle -ci a l' avantage de la plasticité et de la vie . La beauté de la matière s' unit à la perfection de l' art dans ces édifices dont * Caen s' enorgueillit et qui semblent sortis d' un seul jet de ces carrières normandes dont les blocs servirent à bâtir les cathédrales d' outre-mer . Naturellement , c' est moins dans les édifices d' art , capables d' attirer de loin les matériaux de provenances diverses , que dans les bâtisses ordinaires que se grave l' empreinte du milieu . La * France doit passer , parmi les contrées de l' * Europe transalpine , pour la plus favorisée sous le rapport des matériaux de constructions . La remarquable extension des roches calcaires d' âge crétacé ou jurassique imprime aux constructions qu' elles ont attirées sur leurs emplacements des marques très caractéristiques . Les cavités creusées de main d' homme qui entaillent les escarpements de craie tuffeau le long des vallées tourangelles de la * Loire , de l' * Indre et du * Cher , désignent , quand elles ne subsistent pas elles-mêmes comme habitat , le noyau primitif d' où se sont détachées les blanches maisons qui s' alignent le long de leurs parois . Les assises de calcaire qui ont fourni à * Paris la belle pierre que le temps recouvre d' une fine et grise patine , soulignent la rangée de beaux villages échelonnés du confluent de l' * Oise à l' * Isle- * Adam , ou encore ceux qui se suivent le long des découpures qui cisèlent au nord , entre * Soissons , * Noyon , * Coucy et * Laon , les plateaux de l' * île- * De- * France . L' air monumental répandu sur les contrées se reflète en mille détails , miroite dans les plus humbles constructions ; il tient à la qualité de la pierre extraite sur place . Là aussi , à côté des creuttes et carrières que l' homme ne s' est pas toujours décidé à abandonner , maisons à pignons taillés en gradins , à poternes et à croisées sculptées , à larges et beaux escaliers , montrent la familiarité précoce des habitants avec une matière qui se prêtait docilement au modelé . Plus foncés de ton , les calcaires du bassin de * Lorraine et de * Bourgogne communiquent aux villages serrés qui pressent leurs maisons au pied des côtes , une tonalité plus sombre , à laquelle les dalles de même nature dont l' imbrication forme le toit , ajoutent une note d' austérité . La maison jurassienne élargit ses flancs , amplifie ses façades sur les plateaux que percent de toutes parts les blanches éclisses des roches . La maison en pierre est , dans ce cas , comme une chose incorporée au sol même ; elle fait partie de cet ensemble d' indices par lesquels se caractérise une physionomie de contrée . La marche qu' a suivie en * Europe la civilisation , des bords de la * Méditerranée aux confins des régions forestières du nord , est jalonnée par des constructions de pierre . C' est un mélange de pierre et de ciment qui a permis au réseau de voies romaines de traverser les siècles , et sous les noms de estrades ou estrées , chemins ferrés , perrés , voie de la * Péreuse , etc. , hochstrasse ou autres vocables non moins significatifs , de servir de guide , longtemps de modèle , à la circulation moderne . à travers l' * Aquitaine , du * Quercy au * Poitou , la bande de belle pierre calcaire se signale par l' abondance d' anciens sites fortifiés , oppida gaulois , châteaux-forts , enceintes murées , etc. , qui s' échelonnent depuis les sites fameux d' * Uxellodunum et de * Cahors , jusqu'à * La * Rochefoucauld et * Angoulême , et de là vers * Lusignan et * Poitiers , formant comme une ligne d' architecture militaire et féodale . à travers la * Bourgogne et la * Lorraine la bande septentrionale de la grande boucle calcaire trace une série analogue de sites fortifiés auxquels s' accrocha de bonne heure une cristallisation d' établissements humains : depuis * Rena jusqu'à * Alise- * Sainte- * Reine , de vieux sites fortifiés la jalonnent en * Bourgogne ; elle signale , de * La * Marche à * Vaudémont , les confins guerriers de * Lorraine . Là , plus tard , et pour les mêmes causes , naquit cette floraison d' architecture dont * Cluny fut le foyer , et dont l' église de * Vézelay , sur la colline calcaire en vedette auprès du * Morvan , demeure le principal témoin . L' * Angleterre échelonne la plupart de ses plus anciennes villes fortifiées ( * Chester ) ou de ses passages fluviaux ( * Oxford ) le long des collines calcaires qui enserrent le bassin de * Londres , ou des hauteurs qui , par * Lincoln et * York , s' avancent au nord jusqu'au cap * Flamborough . Ces lignes de constructions ont mis en saillie l' ossature politique des contrées . à travers la * Souabe et la * Franconie un trait analogue est fourni en * Allemagne par la zone qui va de * Bâle à * Bamberg : ce n' est point par hasard que , sur les promontoires ou contreforts qui la hérissent , on rencontre les sites de châteaux-forts que les noms de * Habsbourg , * Hohenstaufen , * Hohenzollern ont rendu célèbres . Au nord-ouest du * Harz les coteaux calcaires du voisinage de * Hildesheim s' associent à la cité dont l' architecture et les monuments représentent ce qu' il y a de plus ancien et de plus remarquable dans l' * Allemagne du nord . Les conquêtes de la pierre sur le bois ont marché de pair avec les progrès de la civilisation . Les XIIe et XIIIe siècles , qui virent renaître l' ordre et la sécurité en * Europe , furent aussi les époques du triomphe de la pierre . C' est alors que se dressent les cathédrales , que , sur la * Seine à * Paris , sur la * Tamise à * Londres , et ailleurs , des ponts de pierre remplacent les ponts de bois primitifs . à * Avignon , * Pont- * Saint- * Esprit , sur le * Rhône les confréries de " pontifes " sont à l' oeuvre . Déjà sous * Charles * Le * Chauve les fortifications de * Pont- * De- * L' arche avaient barré le fleuve aux incursions normandes . Les ponts de pierre ont stabilisé les passages , endigué les invasions , fixé la géographie politique , de même que ces tours et ces murailles qui , dans les vieilles estampes , dessinent invariablement les figures de villes . Pendant longtemps au contraire l' orient et le nord restent à l' écart . Dans la * Russie boisée qui s' étend au nord du 55e degré de latitude ou dans la * Finlande , comme généralement en * Sibérie encore de nos jours , il n' y eut guère que des villes de bois , que l' incendie pouvait dévorer à tel point que les habitants fussent tentés d' abandonner le site . Des villes comme * Bolga sur la * Volga , * Julin ou * Vineta sur la * Baltique , * Biska en * Suède , ont disparu sans laisser de traces . Rien de tel n' était possible dans cette * Europe qui , de bonne heure , d' * Oxford à * Prague , inscrivit sur le sol ses monuments de pierre , s' incorpora d' un trait définitif au sol . iv . - le bois dans l' * Europe septentrionale : un des changements les plus notables dans la nature végétale est celui qui fait graduellement succéder vers le nord les forêts de conifères aux essences variées qui règnent dans les moins hautes latitudes . Peu à peu , les arbres qui avaient été pour les hommes de précieux auxiliaires , le chêne , qui eût mérité dans la zone tempérée froide de succéder à l' olivier comme roi des arbres , et , avec lui , le frêne , si précieux encore pour la charronnerie et l' outillage agricole , l' if , que sa flexibilité résistante rendait apte à tant de services , si bien que son domaine semble avoir été réduit depuis les temps préhistoriques par une exploitation sans mesure , disparaissent , comme avaient déjà disparu le buis , le châtaignier , le noyer . Ce cortège varié fait place à l' uniformité des pins , épicéas et mélèzes , hôtes des forêts presque dépourvues de sous-bois . Parmi elles , se glissent pourtant à la faveur des clairières et des vallées fluviales quelques espèces feuillues : peuplier , aune , sorbier , le bouleau surtout qui , vivace et résistant , étend son aire de la * Sibérie à la * Scandinavie , du * Canada à l' * Alaska , tout le long des surfaces continentales qui bordent le pôle arctique . La nature s' appauvrit ; l' installation de l' homme devient plus lente et plus difficile ; les arbres fruitiers cessent d' accompagner les habitations . C' est environ entre 55 et 60 degrés en * Europe , vers 50 degrés en * Amérique , que se prononce le changement . Cependant cette nature , si appauvrie qu' elle soit , n' est pas stérile . Des ressources nouvelles se substituent à celles qui font défaut . Dans ces forêts de conifères , les troncs gorgés de résine livrent aux constructions des matériaux incorruptibles . La souplesse du bouleau , son écorce légère et élastique se prêtent à des usages presque aussi variés que ceux du bambou dans d' autres latitudes . Le caisson de bois qui glisse et traîne sur la mousse entre les arbres clairsemés , le canot que l' on transporte par-dessus les seuils déprimés d' un bief de rivière à un autre , sont des applications originales qu' en a tirées l' ingéniosité humaine . C' est surtout dans les instruments de transport que se manifeste d' abord cette originalité : chose naturelle en des contrées où les déplacements saisonnaux ont été et restent encore en partie une condition d' existence . Le reste suivra avec les progrès de la civilisation . Mais les notions réunies sur l' ethnographie des peuples primitifs , tribus finnoises du nord de la * Russie , indigènes de l' * Amérique septentrionale La civilisation moderne , sous sa forme la plus envahissante , celle de l' industrie , assiège cette zone avec une intensité dont elle est loin jusqu'à présent d' avoir donné les mêmes preuves dans la zone tropicale . Bien peu des produits végétaux que produit la nature forestière équatoriale ont été encore utilisés par nos grandes sociétés modernes ; au contraire , les ressources forestières du nord sont depuis longtemps entrées dans la circulation générale . Ce n' est plus aux besoins seuls des habitants , mais à la consommation grandissante de notre industrie qu' ils subviennent . En même temps , les ressources du sol sont exploitées . Les mines l' étaient dans les temps anciens par les tchoudes du nord de la * Sibérie ; le fer l' est aujourd'hui dans les parties les plus septentrionales de la * Scandinavie . De plus en plus , entrent en jeu les immenses réserves de forces que recèlent les masses d' eau accumulées dans ces contrées ; aussi voyons -nous avec étonnement s' ajouter aux cités historiques de * Moscou , * Pétrograde , * Stockholm , de nouvelles créations et poindre de nouvelles pépinières urbaines en * Finlande , en * Scandinavie , en * Colombie britannique , là où jadis végétaient avec peine des embryons d' agglomérations humaines . La physionomie des villes et même des contrées se transforme rapidement sous l' influence de la brique et du granit . Toutefois , les conditions intrinsèques n' ont pas dit leur dernier mot . Sous ces climats rigoureux où l' hiver se prolonge pendant 7 ou 8 mois , la nécessité de retenir la chaleur assure aux constructions en poutres , malgré les dangers d' incendie , une préférence justifiée . La plupart des villes russes du nord ont renoncé à leurs palissades et enceintes de bois . Cependant , beaucoup de quartiers restent fidèles aux anciens matériaux , même à * Moscou . C' est surtout le cas pour les habitations rurales . En * Norvège , sous le ciel mouillé et lumineux par éclaircies , un des éléments qui piquent une note claire dans le paysage , c' est la maison dont les parois peintes en rouge brillent au soleil . Si vous entrez , de ces parois luisantes , de ces planches bien unies , s' exhale une odeur résineuse . Le village du nord de la * Russie tourne vers la large rue qui constitue son axe , les pignons ouvragés et ornés de vives couleurs de ses maisons de bois . l' izba russe a supplanté , en effet , avec le progrès de la culture et du bien-être , la rudimentaire et fruste kuta finnoise , dont les toits bas de branchages et de terre sourdent encore çà et là dans les coins écartés de la région marécageuse . Le plancher de bois a remplacé dans l' izba russe le sol de terre ; les fenêtres et les ouvertures ont donné passage à la fumée et à la lumière ; des bancs le long des murs et des cloisons de planches divisent la demeure en plusieurs compartiments . Avec les chambranles découpés et peints qui encadrent les fenêtres , la girouette en forme d' oiseau qui surmonte le toit , la maison s' égaie et prend un air pittoresque . Elle paraît bien ce qu' elle est réellement , une création inspirée des lieux ; on sent que , sur elle , s' est exercée avec prédilection l' adresse et la fantaisie du constructeur . L' art que le moujik a appliqué à se construire , avec les matériaux qu' il avait à sa portée , une demeure confortable à ses besoins et à ses goûts , est le même qui fait que sous sa main , sans autre instrument que la hache , le bois prend les formes les plus diverses , se prête aux usages les plus multiples . Le moujik est né charpentier par le besoin , l' habitude héréditaire , en vertu des conditions de la nature ambiante , mère de ces nombreuses industries domestiques restées chez lui encore si vivaces . " on ne se figure pas tous les objets qu' il peut fabriquer avec du bois et dans lesquels il n' entre pas un atome de fer " , dit avec une nuance de regret un métallurgiste . C' est dans l' izba russe , la maison finlandaise en * Scandinavie telle que l' ont faite plusieurs générations de paysans , avec leurs coffres en écorce de bouleaux , leurs étagères à images et leurs principes de décoration pittoresque , que se manifeste l' expression la plus directe d' un genre de civilisation autonome , née au sein d' une nature ingrate . La maison n' est -elle pas en tout pays l' un des signes fidèles de la mentalité de celui qui l' habite ? chapitre v. Les établissements humains : les établissements humains ajoutent une expression au pays . La première apparition d' un hameau , après une course de hautes montagnes , est une joie . Cette impression respire dans * Richthofen , quand il note jour par jour les spectacles de voyage qui le frappent , dans * Barth , quand il passe du * Sahara au * Soudan . Une ville , un village , des maisons , sont un élément descriptif ; soit que l' on considère leur forme et leurs matériaux , leur adaptation à un genre de vie , rural ou urbain , agricole ou herbager , ils jettent un jour sur les rapports de l' homme et du sol . Il y a donc une grande variété d' établissements humains ; mais il importe d' en embrasser l' ensemble pour faire à chaque élément la part qui lui convient . Le site est le premier à considérer , celui du moins où l' on saisit le plus aisément , semble -t-il , les influences géographiques . i . - les sites : établissements temporaires et établissements permanents . - certains établissements se présentent comme des créations éphémères . Les germains de l' époque romaine avaient des villages , mais , comme pour les indigènes de l' * Amérique du nord , c' était des domiciles dont on s' écartait fréquemment pour la chasse ou les besoins de nourriture et de vêtement , et qu' on abandonnait parfois pour en former d' autres . L' emplacement des villages nègres du * Soudan est sujet à changer si le sol s' épuise , s' il devient malsain ; il est à la merci d' une épidémie . La fixité des établissements est en proportion du patrimoine amassé sur place , des améliorations réalisées , des relations formées . Entre le village africain qu' un accident déplace , et nos villages d' * Europe dont nous pouvons suivre l' existence depuis des milliers d' années , il y a toute la distance qui sépare les civilisations rudimentaires d' une civilisation avancée , comme entre la petite ville d' autrefois et les immenses cités que notre époque voit grandir . Si nous laissons de côté ces établissements éphémères des peuples primitifs , nous devons aussi mettre de côté les refuges et les abris de circonstance . Dans un état d' insécurité chronique , les établissements humains s' écartent des sites qu' ils devraient normalement occuper . Au lieu de se placer là où s' offrent les ressources naturelles et où l' espace n' est pas misérablement restreint , ils se nichent sur des points peu accessibles , sur des amoncellements de blocs comme ceux qu' on nous dépeint dans certaines contrées de l' * Afrique , sur des sommets rocheux comme les vieux oppida des bords de la * Méditerranée ou nos châteaux-forts du moyen-âge , dans les îlots ou sur des caps comme les fondations que jadis le * Melkart ou l' * Astarté phéniciennes semèrent autour de la * Méditerranée . Mais ces sites ne sont pas durables , ils sont abandonnés dès que les circonstances deviennent plus propices et ne subsistent qu' à l' état de ruines . Les conditions naturelles prennent alors le dessus ; sous le château-fort abandonné , un village ou une ville se forment et grandissent . " quand , dit * Thucydide , on commença à être rassuré contre les pirateries , les villes se rapprochèrent de la mer . " et d' autre part la piraterie faisant place au commerce , les îlots sur lesquels avaient été déposés par les pirates eux-mêmes un germe de villes , entrèrent en contact avec la terre ferme et s' y rattachèrent même artificiellement . * Tyr , * Syracuse , * Alexandrie ont ainsi brisé leurs coquilles . Mais alors , à partir du moment où l' établissement a trouvé ou conquis les conditions favorables à sa vitalité , il peut faire preuve d' une singulière persistance à durer , même à travers les révolutions de l' histoire . En fondant sur certains points favorables des établissements sur lesquels des générations successives concentrent les produits de leur activité , l' homme implante un levier pour agir aux alentours , parfois au loin . Ces établissements font figure géographique , non seulement par eux-mêmes , mais par les modifications qu' ils produisent autour d' eux . Sans parler des influences lointaines presque incalculables qu' exercent les grandes cités de nos jours , une ville , même médiocre , crée sa banlieue et transforme ainsi ses alentours . Un village groupe et associe les cultures suivant les commodités de l' exploitation . Même les hameaux , les fermes ou maisons isolées , avec leurs ouches , leurs courtils , leurs vergers , leurs masures , opèrent une séparation de formes qui s' enchevêtrent à l' état de nature , un classement des champs , prairies , vergers ou bois dont nos yeux ont pris l' habitude . L' aspect de contrée pleinement civilisée , avec sa continuité de cultures , ses étendues où se manifeste une règle introduite par l' homme , est un résultat artificiel qui tient à la quantité , au voisinage et à la durée des établissements qu' il a pu fonder . L' absence ou la rareté d' établissements permanents se traduisent par une composition tout autre du paysage , d' autres associations végétales , des interruptions ou des vides suivant la nature des lieux , l' apparition sporadique de sols ingrats que rien n' a amendés . Ce dernier trait a été noté par tous les observateurs dans l' * Afrique tropicale . complexité dans les pays de vieille civilisation . - cependant , dès qu' il s' agit de passer à l' analyse , de distinguer les différents types d' établissements dans leurs rapports avec les conditions naturelles et les genres de vie , c' est dans les contrées de vieille civilisation que la complexité des faits rend l' observation le plus difficile . L' aspect de nos campagnes , en * France par exemple ou dans l' * Europe centrale , est un tableau singulièrement composite , où les retouches et les disparates ne manquent pas . On y voit se côtoyer des formes qui sont l' expression de diversités sociales et parfois même de diversités ethniques . L' usine a pris place près de la maison rurale , le château près de la ferme . Pourquoi ici la maison flamande , là le village alsacien font -ils brusquement place aux fermes wallonnes ou aux villages lorrains ? Diverses influences se croisent , parmi lesquelles les traditions ethniques ne sont pas méconnaissables . On sent avec quelle circonspection doit procéder l' analyse et de combien de nuances il faut tenir compte . Mais cette complication porte en soi son enseignement . Les établissements humains sur le sol historique de notre * Europe ont , plus profondément et plus généralement qu' ailleurs , remanié les conditions naturelles . Quelques jalons nous permettent de remonter dans leur histoire . Nulle part elle ne s' offre plus variée et plus riche . Des bords de la * Méditerranée à l' * Europe centrale , jusqu'au nord scandinave et à la plaine russe , on suit une série chronologique , comme une vague envahissante dans les régions les plus diverses de sol et de climat . Tour à tour , les hauteurs qui encadrent le bassin méditerranéen ont été aménagées en gradins ; les plaines qui entourent les * Alpes ont été drainées ; les * Alpes elles-mêmes ont été , jusque dans leurs hautes régions , livrées à l' exploitation pastorale . Après que les forêts à feuilles caduques de l' * Europe centrale eurent été éclaircies , on s' est attaqué aux marécages des contrées qu' avait éprouvées l' action glaciaire ; enfin , les forêts de conifères des terrains graveleux de la * Russie du nord ont été à leur tour atteintes par le progrès des établissements humains . à chacune de ces conquêtes sur les pentes , sur les forêts , les marécages , a correspondu l' invention de procédés souvent systématiques de culture , de modes particuliers d' économie rurale . Sans doute , il y a des contrées dont la civilisation ne le cède pas en ancienneté à celle de l' * Europe ; mais elle le cède en variétés . En * Chine , comme au * Japon , et même dans l' * Inde , il n' y a pas eu d' attaque méthodique de nouveaux domaines de culture ; on s' est contenté de tirer le meilleur parti de celui qui , de temps immémorial avait été fixé ; les établissements humains sont restés plus spécialement confinés dans certaines zones : la montagne et la plaine y sont comme deux éléments séparés ; ni le chinois , ni l' annamite , ni l' hindou , ne propagent leurs établissements dans les montagnes , domaine malsain , hostile de sociétés primitives . La montagne a joué surtout un rôle passif ; elle s' est dépouillée au profit de la plaine ; elle n' a pas participé aux transformations qu' entraîne le cours mobile d' une vitalité en éveil , à ce perpétuel devenir qui affecte aussi l' occupation humaine . En ce sens l' * Europe est la plus humanisée de toutes les parties du monde . Nulle autre n' offre une matière aussi riche et hiérarchisée d' exemples . L' * Amérique a installé son système d' établissements sur d' autres bases . Elle a brûlé les étapes . Sans doute , le village existe aux * états- * Unis dans les parties de colonisation ancienne . Mais les moyens actuels de circulation , les créations d' entrepôts approvisionnés de toute espèce de marchandises , l' usage de transformer les produits agricoles en valeurs de banque , ôtent à la formation des villages une partie de sa raison d' être . C' est à la ville , et même à la très grande ville que tendent les groupements . C' est la ville qui régit les relations entre ruraux . existence de types . - dans cette complexité des pays de vieille civilisation , ne peut -on découvrir des types susceptibles de classification ? Remarquons d' abord que les formes d' établissements , quelles qu' elles soient , ne se représentent pas isolément . Si l' on met à part quelques exploitations minières situées en pleine forêt ou au coeur des montagnes , c' est par essaims , par familles en quelque sorte que certains types se répartissent à la surface . Si c' est le régime d' habitat disséminé qui prévaut , les maisons , fermes ou hameaux ne se comptent pas par quelques unités , mais par centaines ; c' est comme une poussière d' habitation qui couvre le sol . Si c' est au contraire le type de villages agglomérés qui domine , ils se distribuent de telle façon que , pour peu qu' on embrasse un horizon de quelque étendue , on aperçoit toujours plusieurs clochers à la fois : nombre de proverbes , chez nous , ont noté le fait . Les villes mêmes ont tendance à se multiplier et à se presser sur certains points , comme si elles s' attiraient les unes les autres . Ainsi , abstraction faite des formes qui peuvent venir à la traverse , on discerne aisément que les mêmes types sont tirés , dans les régions qu' ils occupent , à un très grand nombre d' exemplaires . Il est par là permis de dire que le site gouverne en partie l' habitat , que parmi les signes qui concourent à caractériser une contrée , à marquer un pays d' une empreinte propre , cet indice n' est pas négligeable . Celui qui , en * France , quitte le pays de * Caux pour celui de * Bray , la * Brie pour la * Beauce , celle -ci pour le * Perche , recueille ce sentiment sur le vif . * Richthofen ne l' exprime pas avec moins de netteté , quand il décrit les différences qui le frappent entre les provinces de * Chine : différences autant dans le mode de groupement que dans la forme des maisons . Rien de plus naturel , si l' on y réfléchit . L' analogie des conditions de sol , d' hydrographie , de climat , fait qu' un type d' établissement , une fois implanté dans une contrée , y devient dominant , par la nécessité qui pousse les cohabitants à s' adapter les uns aux autres . C' est un phénomène d' accommodation réciproque . Les relations quotidiennes et multiples qui naissent entre habitants d' une même contrée ne permettaient guère , autrefois surtout , de se départir des types de groupement et d' habitat qui correspondent au genre de vie dominant . Dans les pays de grande culture de céréales , la simultanéité des travaux , l' usage des mêmes pistes imposaient un même mode de groupement pour arriver en temps utile aux parcelles à travailler ; le paiement s' y faisant en nature , la maison du salarié aussi bien que celle du fermier ou propriétaire , devait être aménagée en vue de ce qu' elle devait contenir . Dans les régions où , au contraire , le sol se morcelait en terrains enclos , tour à tour champs et pâtures , " les petits pays " , comme les désignent les habitants , il fallait bien que chaque ferme s' isolât pour subvenir aux nécessités de cet émiettement des cultures , qu' elle se rattachât au lacis de petits sentiers qui couvrent le pays pour s' y nicher en place utile . C' est surtout dans les pays d' irrigation que la règle d' adaptation réciproque se manifeste . Tout y est tellement subordonné à l' élément qui distribue la vie , qu' il ne peut y avoir d' autre mode de groupement , d' autre disposition d' habitat que celle qu' exige la jouissance en commun soit des eaux courantes , soit des nappes d' eau . Rien de plus uniforme en effet que les baracas qui peuplent la huerta de * Valence ou que les innombrables petites cases qui s' égrènent dans la haute * égypte , ou que les villages qui encadrent les compartiments à rizière du * Tonkin . L' observation montre donc qu' il existe des séries . Ce sont elles qu' il faut reconnaître et étudier et non l' exception . Elles seules ont une valeur géographique . influence des routes . - la plupart des auteurs qui se sont occupés des établissements humains se sont attachés à mettre en lumière le rôle des voies de communication . C' est qu' ils songeaient surtout aux villes . Les routes , c' est-à-dire le commerce et la politique , ont fait les villes ; il en est autrement des établissements plus humbles qui ont procédé de mille manières différentes à l' exploitation du sol . * Meitzen l' a prouvé pour les anciennes communautés villageoises de l' * Europe centrale . Nous le voyons autour de nous . Les petits hameaux qui se multiplient dans le sud du * Massif * Central , les fermes voisines mais isolées du bassin de * Rennes , les maisons rurales des régions de bocage ne se rattachent au réseau routier que par des sentiers que la boue rend impraticables . Dans la * Brie , la répartition de ces fermes , qui sont pourtant de grands centres d' exploitation rurale , montre une disposition tout à fait indépendante des routes : c' est par un lacis de pistes qu' elles communiquent . En * Limagne , la petite culture laisse à peine de place à quelques sentiers herbeux . En * Beauce , de grandes routes , mais pas de sentiers . Cela ne veut pas dire que les routes soient incapables de faire naître des villages . La nomenclature topographique en fait foi . On voit actuellement , dans les pays de population disséminée , * Flandre , vallée de la * Loire , les maisons s' aligner docilement à l' appel des routes , former des rues et donner ainsi un aspect semi-urbain à certaines campagnes . Mais que de pays ( * Morvan , * Vendée , * Sidobre ) où la route ne fait naître aucun établissement . La vie rurale se contente d' une viabilité rudimentaire , soumise à toutes les difficultés des saisons , adaptée aux piétons ou aux bêtes de somme . Dans l' est de la * France et les plaines agricoles de l' * Allemagne , comme en * Angleterre , on entrevoit le vestige d' un type d' organisation aussi ancien que l' assolement triennal , où l' indépendance des routes est manifeste . Autour d' un noyau où se groupent les maisons rurales se déroulent en longues bandes parallèles des champs soumis à des règles d' assolement communes , de sorte que semailles , travaux , récolte , mise en pâture s' y succèdent dans le même ordre et s' accomplissent en même temps . à l' origine les rues du village s' y prolongeaient sous forme d' étroites bandes gazonnées ou laissées en friche pour la commodité des opérations agricoles . Ce système autonome de communications , bien que moins manifeste aujourd'hui , est de création villageoise ; il se suffit . Des routes ont pu être surajoutées en vertu des besoins extérieurs , mais l' unité sociale , la cellule organisée pour subsister de sa vie propre avait déjà de cette manière pourvu à sa propre viabilité . Isolé des routes , l' établissement rural doit avoir sous la main les ressources indispensables à sa vie . Dans les régions arides ou désertiques , la nature restreint l' habitat à une zone étroite dont il ne peut s' écarter . La proximité de l' eau est la règle inflexible ; pas d' établissement qui s' en écarte , qui ne tienne de l' oasis . Mais les régions tempérées laissent plus de marge ; l' homme y peut choisir les sites suivant différentes combinaisons . Le besoin de quelque variété dans l' alimentation , l' eau pour de multiples usages , les terrains nécessaires à l' entretien d' animaux domestiques , le combustible et les matériaux de construction , la salubrité du sol , voilà un résumé des exigences de l' homme pour sa demeure . Le problème a été résolu de façon à concentrer le mieux possible la réunion des choses nécessaires ; c' est ce qui explique la fixité des établissements humains dans nos régions de vieille civilisation . Le principe de combinaison est systématiquement appliqué dans l' organisation des anciens villages d' * Angleterre ; on y distingue autour de l' agglomération : 1 . Les champs de culture ; 2 . Les prairies ( meadow grounds ) ; 3 . Les pâtures . lignes de contact . - un relief dont les lignes s' harmonisent et où l' inclinaison des pentes ne dépasse pas les degrés qui rend les transports et les relations difficiles , mais qui joint à l' avantage d' orientations différentes celui qui résulte d' une composition variée du sol ; telles sont , entre autres , les conditions qui attirent et fixent les établissements ruraux . Nos coteaux de * France , surtout dans le bassin parisien , abondent en pareils sites . L' érosion s' y est exercée assez pour que des éboulis aient enrichi en même temps qu' amorti les pentes , sans compromettre la stabilité du sol . Les couches du sous-sol , n' ayant pas été dérangées par des dislocations , se déroulent en assises régulières : aux sables et aux matériaux friables , se superposent en successions ordonnées des zones d' inégale consistance , calcaires ou marnes , entre lesquelles affleurent des sources . à cette coordination , il a été possible d' adapter un classement de prairies , de cultures , de vergers , de taillis , bois ou garennes , dans lequel les besoins de la communauté trouvent à portée ce qui leur suffit . L' oeil embrasse aisément cette superposition régulière et unit le village et le clocher dans l' image qu' il en retient . Sur les flancs des coteaux calcaires couronnés de bois que l' érosion a isolés dans le * Noyonnais , où aux environs de * Saint- * Gobain et * Laon , des champs s' étalent jusqu'au contact des éboulis avec les fonds argileux : les établissements , dociles à ces dispositions linéaires , forment ceinture autour de chaque massif . Les collines de craie tendre du * Sénonais doivent à l' érosion un profil évasé et sensiblement concave dont les champs dessinent en long ruban la sinuosité . Sur les coteaux plus raides du calcaire jurassique , en * Bourgogne ou en * Lorraine , se succèdent , de la base au sommet , les prés , les champs , les vergers , les forêts , soulignant les différences si légères qu' elles soient de sol , de climat et d' hydrographie , qui se concentrent sur une centaine de mètres d' altitude . Ce rapprochement en raccourci de zones diverses fournit aux établissements un cadre propice ; il est combiné en raison du va-et-vient qui relie les diverses parties de l' exploitation rurale . Le choix de la position représente la meilleure possibilité de combinaisons utiles . Chaque modification du relief offre ainsi de nouvelles chances favorables aux établissements . Il se produit aux inflexions de pente , aux intersections de plans diversement inclinés , une tendance visible au rapprochement et même à la concentration des lieux habités . On peut vérifier en divers pays cette loi naturelle , même en ceux où la disette d' eau ne relègue pas , comme en certains plateaux calcaires , les villages aux affleurements latéraux de sources ou au voisinage de rivières . Les plateaux de travertins et de meulières de la * Brie , où l' eau est partout et à l' intérieur desquels prévaut le système de grandes fermes , se couronnent sur leur périphérie de villages placés en corniche , penchés d' un côté sur des vergers , adossés , de l' autre , à des champs . D' autres exemples nous viennent du midi et de l' ouest . Dans la plaine du * Pô , en * émilie , en * Lombardie et * Piémont , le pays fourmille de maisons rurales , distantes la plupart à peine de 500 mètres . Rien ne distingue particulièrement les alentours de ces grosses bâtisses : ni arbres , ni jardins , à peine quelques lopins de potagers minuscules . Elles sont indistinctement confondues dans l' immense jardin dont le travail des habitants a revêtu la plaine entière , avec ces cultures qu' un rideau d' arbres entrelacés de festons de vignes protège contre les rayons du soleil . Mais avec les collines du * Montferrat reparaissent les villages , couronnant les cimes de leurs clochers et de leurs vieilles tours . Dans le * Lauraguais languedocien , l' imperméabilité du sol a favorisé la dispersion par bordes ; mais sur la tranche que ces plateaux de molasse opposent aux vallées , se succèdent des bourgs ou villages , très anciens pour la plupart , signalés au loin par des rangées de moulins à vent . C' est un spectacle analogue qui frappe le voyageur qui suit la * Loire entre * Chalonnes et * Ancenis et qui voit sur la rive gauche , de * Saint- * Florent à * Liré , les rampes du pays des * Mauges se hérisser de clochers et de moulins à faible distance les uns des autres : derrière cette façade villageoise qui fait illusion , on ne découvre , si on la franchit , que de larges croupes parsemées de fermes dans un fouillis d' arbres . Une recrudescence de centres habités signale le bord des plateaux de loess en * Alsace , entre * Strasbourg et * Saverne , comme en * Autriche le bord des plateaux que longe la * Morava au nord de * Vienne ; la vigne et les vergers ajoutent leur appoint aux cultures de céréales . C' est que , dans ce cas comme dans les précédents , un talus adouci , formé de glissements et d' éboulis , facilite la liaison entre les sections de pentes . Cette disposition familière a pris racine dans les habitudes . Il semble bien qu' avec le besoin instinctif des combinaisons , ce type ait flotté devant les yeux de nos paysans de * France , lorsqu' ils transplantèrent en * Amérique ce plant exotique , le village agricole ; sur les terrasses au bord du * Saint- * Laurent , leurs maisons s' alignent , voisines sans être contiguës , déroulant en bandes rectangulaires leurs vergers de pommiers , leurs champs d' avoine , leurs prairies entourées de barrières de bois , entre la forêt d' en haut et la berge du fleuve . On peut considérer comme une loi générale la prédilection des établissements humains pour les lignes de contact de couches géologiques différentes . Celui des calcaires oolithiques surmontant les marnes du lias , si fréquent en * Bourgogne et en * Lorraine , a été un des plus féconds en établissements précoces . Le site fameux d' * Alise- * Sainte- * Reine mériterait de servir de type . L' éocène parisien a fourni , soit entre le calcaire et les sables , soit entre les gypses et les marnes vertes , l' occasion de villages s' étageant à flanc de coteaux , le long de la * Seine , de la * Marne et de l' * Oise . Les coulées de basalte qui , en * Auvergne , surmontent les coteaux d' argile , ont formé à leur extrémité une lisière de villages , dont le type est * Royat . Les établissements affectent de préférence soit le palier supérieur , ainsi que nous l' avons vu , soit le palier inférieur . Les côtes calcaires de * Meuse ne manquent pas de bourgs situés au sommet , mais c' est surtout leur base qui est garnie de riches et florissants villages se succédant de près , tous orientés vers l' est . Même disposition dans les bourgs du vignoble bourguignon . villages en série . - le nombre et le rapprochement des établissements qui se pressent sur ces lignes de contact sont le commentaire vivant de la force d' attraction qui les tient unis . Rien de plus frappant que ces rangées de villages qui , en de certains endroits , semblent être nés du même besoin , puisant à la même sève . Un coup d' oeil les embrasse se succédant sur le même plan , en lignes presque ininterrompues , soit autour des coteaux de * Noyon et de * Saint- * Gobain , soit le long des berges calcaires qui descendent vers l' * Oise . Au pied des côtes de * Meuse , entre * Neufchâteau et * Vaucouleurs , les villages s' alignent aussi , unis ensemble par un lien de ressemblance , parfois de filiation : * Domrémy * De * Greux , disait * Jeanne * D' arc en parlant de son village natal , qu' elle ne séparait pas du village aîné et voisin . Il y a là de véritables lignes de cristallisation . Les établissements humains ont obéi strictement à l' attraction de certaines conditions propices ; ils s' y sont propagés comme ces coraux dont les constructions ne s' écartent pas de certaines zones . Ils se prêtent , par ce voisinage , un mutuel appui et y trouvaient , dans les temps troublés , des garanties de sécurité . Les exemples ne manquent pas hors de * France , en * Allemagne notamment , aux pieds des plates-formes calcaires de * Souabe , le long de l' * Odenwald , suivant la bergstrasse et ailleurs . Une grande partie de nos populations a vécu ainsi de ces rapports de villages formant comme des familles sociales . types montagnards . - dans les montagnes , les lignes de cristallisation sont plus rares . C' est le type disséminé qui prévaut et qui persiste . Dans les * Alpes franco-piémontaises , on rencontre des groupes de hameaux plutôt que des villages . Cependant quelques lignes d' habitat se laissent particulièrement distinguer . Elles correspondent aux zones de végétations qui se succèdent en altitude . Sur les flancs de ce qu' on appelle dans les * Vosges des collines , les habitations s' alignent sur une zone de cultures , qui , surmontant de 100 à 150 mètres les prairies d' en bas , s' élève au-dessus des brouillards sur les versants où s' attardent les rayons du soleil . Le bas de la zone de la châtaigneraie , au-dessus des vignes , dans les monts du * Vivarais et une partie des * Cévennes , trace une ligne sensible de peuplement . Il en est de même dans le * Tessin . En * Corse , c' est au contact de la zone de l' olivier et de celle du châtaignier qu' est la ligne de prédilection . Dans les montagnes du * Cantal , les gros villages sont à 800 ou 900 mètres , au-dessus des cultures , près des forêts et des pâturages . Le * Jura est jalonné d' établissements , respectivement situés à la limite supérieure du vignoble et des vergers , puis à la limite des cultures de céréales . Il y a coïncidence entre les lignes d' habitat et certaines courbes de niveau : celle de 800 mètres dans les * Alpes françaises se signale par des formes variées d' établissements ; c' est la limite entre la zone plutôt agricole et la zone de plus en plus pastorale . Mais d' autres causes interviennent : énergie de l' érosion , contraste entre l' humidité des vallées et la luminosité sèche des hauteurs , orientation , ventilation , pour multiplier les sites d' établissements . Dans la zone des cultures , les hameaux ou villages cherchent les versants ensoleillés , les épaulements , les terrasses à niveaux successifs qu' atteint plus rarement le brouillard , les moraines , les cônes de déjection étalés aux débouchés des vallées secondaires . Mais le genre de vie pastorale qui s' est développé dans les * Alpes , repose sur une combinaison intime entre les prairies à fauchaison des régions basses et les pâturages des hauteurs , " les montagnes " . Les établissements permanents tendent à se placer vers l' extrémité supérieure des vallées , pour être à portée des pâturages et non loin des bois , et sont précédés vers les hauteurs par une marée montante de chalets , casere ou habitations temporaires , tantôt espacés à quelque cent mètres de distance , tantôt pelotonnés en petits groupes , tantôt en bois , tantôt mariant le bois et la pierre . En somme , tout ce qui sème la variété à la surface , tout ce qui engendre les facilités d' assemblage et de combinaison se reflète dans la répartition de l' habitat . Dans les montagnes , ce sont les talus morainiques , les cônes d' éboulis qui servent de sièges préférés à des hameaux ou à des villages . Le long des côtes lagunaires , l' apparition de lignes de dunes suscite sur leurs versants un surcroît d' habitations . Dans les plaines que sillonnent nos fleuves , les terrasses qui correspondent à d' anciennes berges se couronnent volontiers de maisons ou de villages . Les monticules isolés dans les régions noyées des marschen ou polders de la * Basse- * Allemagne furent jadis les premiers sites d' établissements . Les cordons pierreux appelés osar en * Finlande , servent , entre les dépressions argileuses , de points d' attraction . Dans le * Sahara , les massifs montagneux ( * Aïr , * Hoggar ) , condensateurs de nuées , sont les seuls sites qui se prêtent à l' habitat permanent . On voit donc qu' à des degrés divers , mais sous tous les climats , tout accident de relief introduit un élément nouveau qui , par l' orientation , la sensibilité aux influences météorologiques , le changement de nature du sol , fournit à l' homme l' occasion , toujours cherchée , de concentrer à sa portée la nourriture , l' abri , la demeure stable et d' acquérir par ce moyen des avantages transmissibles dont se grossit son patrimoine . Ce ne sont pas les considérations de prudence qui prévalent . Dans les montagnes , les sites d' habitat affectent ou non les terrains meubles , placages , cônes de déjections , endroits exposés aux éboulis . Le voisinage des volcans a attiré , jamais écarté . Dans les régions séismiques , les terrains meubles et friables , les plus exposés , sont ceux qui ont rassemblé les habitants . ii . - l' habitat aggloméré . - fermes et villages : deux types , rentrant dans la même famille , correspondent au genre de vie agricole des plaines ouvertes de l' * Europe centrale et occidentale : l' un est le village , l' autre la ferme ou le hof , bien distincts par leur ampleur et la régularité de leur disposition générale de la borde languedocienne ou du mas provençal . L' affinité entre ces deux types d' établissement rural tient à l' affinité des genres de vie auxquels ils se rapportent . Elle est génétique , elle se montre à l' origine . Le vicus s' est groupé autour de la villa , comme on a vu de nos jours le village bulgare se former autour du tchiflik turc . la ferme . - la ferme est un tout par l' outillage , les granges , les animaux , le personnel ouvrier qu' elle héberge . Par sa régularité , ses dimensions , elle s' associe à la physionomie des grandes plaines agricoles . Elle en est un élément ordinaire . Le plus souvent au nord de la * Loire , elle affecte la forme d' une enceinte carrée ou rectangulaire s' ouvrant par la grange , enserrant une cour , une habitation et des écuries ; c' est probablement le type qui se rapproche le plus de l' ancienne villa gallo-romaine . Elle n' est pas un type particulier aux pays picards et wallons ; on la retrouve , quoique avec de moindres dimensions , sur les plaines de loess de l' * Autriche entre * Linz et * Vienne . N' est -ce pas l' établissement adapté par excellence à l' outillage considérable et au personnel nombreux qu' exigent les grandes cultures de céréales ? Les préoccupations d' arboriculture et d' élevage se font sentir dans la ferme-masure caractéristique du pays de * Caux . Elle se distribue en bâtiments séparés , mais tous compris dans l' enceinte rectangulaire où des pâtures complantées de pommiers sont encloses d' un fossé couronné de hêtres , tache sombre qui se détache à intervalle presque régulier dans la brume estompée du plateau . Sur les confins de l' * Artois , de même qu' en * Danemark et ailleurs , elle se compose de trois bâtiments perpendiculaires , enserrant une cour avec un entourage d' arbres et de vergers . Nous n' insistons pas sur l' analyse des détails ; ce qu' il importe de noter , c' est la fixité des types , leur multiplication et la fidélité avec laquelle ils se répètent sur une certaine étendue , attestant l' exacte adaptation à un genre de vie . La ferme se montre tantôt dans l' intervalle des villages , tantôt coexistant avec eux . C' est ainsi que , dans nos plaines des environs de * Paris , on voit à l' entrée ou à la périphérie du village , une de ces constructions que la longueur de ses murailles nues , la large et haute porte qui s' ouvre sur la cour intérieure , avec la mare et quelques grands arbres aux abords , distinguent des maisons qui lui succèdent . Cependant c' est suivant les pays , tantôt , la ferme , tantôt le village aggloméré qui domine , sans qu' il soit toujours facile de dégager les raisons de ces différences . Assurément la présence de l' eau à la surface y contribue . C' est la raison pour laquelle la ferme domine sur les meulières imperméables de * Brie , et est fréquente , comme dans le pays de * Caux , sur les limons qui se prêtent à la formation des mares ; tandis qu' elle est subordonnée et même rare sur les craies perméables de * Picardie , de * Champagne ou sur les plateaux du " muschelkalk " lorrain . Mais il y aurait sans doute d' autres éléments à chercher dans le domaine de l' histoire et dans le domaine de l' ethnographie , si l' on avait à traiter cette question . le village . - le village des grandes plaines agricoles , tel qu' il existe en * France , dans l' * Europe centrale , dans les plaines du * Bas- * Danube , et dans la * Petite- * Russie , est une des expressions méthodiques d' un genre de vie . Son pullulement sur les espaces naturellement découverts ou faciles à défricher se lit sur la carte et frappe la vue sur le terrain . Dans nos campagnes du * Santerre , de l' * Artois , du * Cambrésis , etc. , dans le * Kochersberg entre * Saverne et * Strasbourg , dans le * Hellweg entre * Unna et * Soest , dans la * Borde de * Magdebourg à l' ouest de l' * Elbe , les villages se distribuent , semblables entre eux , comme sur un échiquier , à faible distance les uns des autres . La régularité de leur répartition est moins apparente en * Champagne , où ils se serrent le long des rivières , sur le plateau lorrain où ils affectionnent les dépressions , dans le * Soissonnais où ils sont au bord des plateaux calcaires . En dépit de différences qu' expliquent le climat ou des causes historiques , ces établissements ont entre eux un lien d' origine ; la sève est puisée aux mêmes sources . Leur formation s' est faite par groupes . Ce sont comme des colonies de plantes sociales . L' onomastique révèle souvent cette filiation : tel village , sans doute plus ancien , est représenté par son diminutif , à peu de distance . Ces types d' établissement tirent leur force de leur adaptation aux caractères de sol et de climat propres à une partie de l' * Europe . Ces plaines unies sur lesquelles la charrue peut prolonger ses sillons rachètent leur uniformité par l' avantage de se prêter à de nombreuses combinaisons agricoles . Les cultures peuvent s' y pratiquer en grand , par les mêmes procédés , avec les mêmes instruments , aux mêmes époques : semences , sarclages , récoltes pouvant s' y faire simultanément . Il y a là un principe d' entente , l' avantage consiste en une économie de frais et en commodités réciproques . Ces conditions ont fait naître un système combiné de culture , une pratique réglée des assolements . Dès une époque ancienne , l' assolement triennal y a trouvé son domaine , on en a des preuves dès le IXe siècle . On a pu ainsi associer d' un commun accord les cultures de céréales ou légumineuses avec les jachères et les pâtures . Mais cette organisation n' est compatible qu' avec un mode d' habitat où tout l' espace réservé aux maisons se concentre , où toutes les parcelles sont accessibles et d' où rayonnent en longues bandes les pièces de terre alloties à tour de rôle . Le village aggloméré autour duquel se coordonnent les cultures , vers lequel convergent les sentiers ou pistes herbeuses , persiste en vertu de son organisation intrinsèque indépendamment de toute cause extérieure . à proximité des maisons se centralisent les choses nécessaires à la communauté : les puits creusés à frais communs , organe essentiel des villages de plateaux perméables , les étangs et les réservoirs des régions à sous-sol imperméable ; puis les vergers , les enclos de prés , les bouquets d' arbres . Dans nos plaines de l' * Artois , ce qu' on appelle le plant est une partie essentielle du village . Composé de potagers , de vergers de pommiers , de petits prés enclos de fils de fer , il forme aux maisons qu' il abrite et au clocher qui seul parfois émerge , une ceinture verdoyante en été . Rien de plus varié que ces plants , sorte d' abrégé de vie rurale . Au delà règne l' uniformité , s' étendent les champs et , jadis surtout , les jachères utilisées par les troupeaux . Le village centralise l' exploitation . modifications du paysage . - ainsi par le principe de combinaisons , l' ordonnance aussi bien que la composition des paysages ont été modifiées . L' homme a rallié autour de ses habitations un ensemble composite d' arbres et de plantes , tandis qu' à distance de la périphérie habitée , il disposait l' espace pour ses cultures . Dans l' * Europe occidentale et centrale , c' est surtout aux dépens de l' arbre que s' est fait le changement , tandis que dans l' * Europe orientale c' est surtout aux dépens de la steppe . Toutes les observations de la géographie botanique semblent indiquer que , dans l' ouest et le centre de l' * Europe , une grande partie de la surface était le domaine des arbres à feuilles caduques formant des forêts , continues ou coupées de clairières comme une sorte de parc . Il est naturel de retrouver dans le paysage actuel certains vestiges de l' état ancien , comme on retrouve dans les traits de l' adulte des réminiscences des traits enfantins . à vrai dire cependant il y a des parties où l' arbre , s' il a existé , a été à peu près éliminé . Les croupes crayeuses qui s' étendent entre les vallées de l' * Aube , de la * Suize et de la * Marne en * Champagne , ou bien entre l' * Ancre et la * Somme en * Picardie , ne montrent que des espaces dénudés , où , çà et là , quelque moulin ou quelque arbre isolé servent de point de repère . La * Beauce elle-même , sans les allées qui bordent ses grandes routes , ne connaîtrait d' arbres que sur la lisière qui assombrit sa périphérie . Mais le plus souvent , du moins dans notre * France du nord , un équilibre s' est établi entre les anciens et les nouveaux occupants végétaux du sol . Si les masses forestières ont , en grande partie , déserté les plateaux limoneux , elles ont trouvé asile sur les surfaces qui mettent à jour l' argile à silex , sur les sables qui dans une partie du bassin parisien tantôt surmontent les calcaires et tantôt leur sont sous-jacents ( * Hurepoix ) ( forêt de * Villers- * Cotterets ) , sur les graviers d' alluvions anciennes qu' enserrent les méandres fluviatiles de la * Seine . L' affleurement des argiles à silex les déroule en franges le long des vallées ( * Caux ) . L' érosion leur a ménagé des asiles où elles se sont retranchées , et d' où elles débordent encore partiellement sous forme de boqueteaux , de garennes , de buissons : ainsi entre le * Vexin et le pays de * Caux , ou dans le * Hurepoix entre * Paris et la * Beauce , ou en * Picardie , sur les confins du * Ponthieu , de l' * Artois , entre * Valenciennes et * Mons , sur les confins du * Hainaut , des lambeaux de bois , où le chêne et le hêtre sont fortement représentés , semblent encore protester par leur allure vigoureuse contre les démembrements dont ils ont été victimes . Ailleurs , leur ancienne continuité n' est pas encore complètement masquée : c' est ainsi qu' autour du plateau de grande culture de la * Pévèle une ceinture à peine interrompue de bois se dessine . Leurs lambeaux se rapprochent dans l' * Arrouaise , aux confins du * Vermandois et de l' * Artois . On peut même citer des plaines de grande culture où l' impression de forêt est encore omniprésente : la * Brie , ancien saltus , se distingue par un foisonnement de grands arbres dans l' intervalle des cultures . Lorsque la couverture limoneuse , plus épaisse sur la convexité du plateau , s' amincit sur les bords , les bois reprennent le dessus ; c' est ce qui arrive dans le pays de * Caux notamment . Une bande de forêts , de taillis ou de landes s' interpose entre le peuplement surtout industriel des vallées et le peuplement surtout agricole des plateaux . C' est à distance des bords , sur le dos intact ou à peine mamelonné , au sommet de larges ondulations que se multiplient les fermes ou les gros villages et encore lorsque l' intervalle entre deux vallées est réduit , que les villages sont comme pincés entre deux bandes de forêts . Que la forêt ait été chez elle , dans la plupart de ces plaines , qu' elle n' ait cédé qu' à regret et qu' à demi aux empiètements , c' est ce que montrent , notamment sur le plateau calcaire lorrain , la force et la composition quasi intacte du sous-bois qu' elle abrite . Les lambeaux de bois de chênes et de charmes , dont les formes régulièrement géométriques piquent çà et là de taches sombres la surface des chaumes , conservent , quoiqu' à l' état de réserve , un air de santé affirmant la robustesse qu' ils tiennent du climat et du sol . influence du climat continental . - l' arbre semble au contraire un intrus dans la puszta hongroise , sur les plateaux de * Podolie et de * Petite- * Russie , où les moissons de céréales , souvent bordées de tournesols , ont remplacé le tapis onduleux de stipa pennata . les cultures s' y étendent sur de grands espaces où l' arbre ne prend pied que sous la tutelle de l' homme . Les versants abrités et les pentes y sont , avec plus de netteté que dans nos climats océaniques , les asiles où se retrempe la forêt . Le climat qui avait favorisé l' extension des steppes se prolonge dans la période actuelle , si atténué qu' il soit , par des influences hostiles à l' arbre : tels ces vents glacés du nord-est qui amènent au printemps des gelées tardives , succédant brusquement à des soleils déjà chauds . Les plateaux , inhospitaliers aux arbres , le sont également aux hommes . Sous l' influence du climat excessif de l' * Europe orientale , la même préoccupation s' impose qu' en montagne : le besoin de procurer aux établissements l' abri nécessaire pour les commodités de l' existence et pour les cultures délicates dont l' homme doit s' entourer . Les fertiles plateaux de * Podolie offrent souvent le spectacle de cultures s' étendant à perte de vue , sans qu' on aperçoive de village ; ceux -ci sont nichés sur les flancs ou à la naissance de vallées secondaires , à moins que ce soit à l' intérieur des profonds méandres burinés par le * Dniester , la * Strypa ou le * Sereth . Plus significative encore est la répartition des villages dans la région russe de la terre noire . Ils se posent exclusivement soit à la naissance des ravins latéraux , soit sur les terrasses qui bordent les fleuves . Et si les cours d' eau sont insuffisants , des barrages artificiels , organes aussi indispensables à ces villages que les tanks aux villes du sud de l' * Inde , pourvoient , par la formation d' étangs permanents , aux usages rituels et domestiques . Ainsi se groupe par gros villages la population de la région de la terre noire . Les maisons ne s' y dispersent pas au hasard ; elles se subordonnent à un alignement : une large voie unique forme l' axe du village . Avec la partie réservée à l' habitat , les bâtiments d' exploitation dessinent un carré qui est la cour . Lorsque , s' avançant vers le nord , on arrive au 53e degré de latitude environ , aux approches de la région forestière mieux pourvue d' eau , on voit peu à peu les villages s' éparpiller , s' écarter des rivières , et former , avec les champs défrichés qui les entourent , des oasis de plus en plus petites dans des forêts immenses . C' est entre 55 et 50 degrés de latitude que s' accuse la transition , sensible plutôt dans le mode de construction que dans la forme des villages . La maison de bois remplace la maison de pierre , le toit de bois le toit de chaume , mais la disposition générale ne change pas . Le type de village composé d' une large rue reste commun à la région moscovite et à celle de la terre noire ; la régularité du plan persiste comme signe extérieur de l' organisation villageoise . conclusion . - ne pouvons -nous pas tirer déjà de ces observations les généralités qu' elles impliquent ? Partout nous voyons que les surfaces étendues où prévaut une relative uniformité de relief et une certaine homogénéité de sol , ont donné lieu à des villages agglomérés ou à des établissements qui lui ressemblent par le personnel nombreux qui s' y trouve . Il en a été ainsi non seulement en * Europe , mais en * Chine . " ce sont , dit * Richthofen , en parlant des villages des pays de loess , des associations de familles unies par une communauté de descendance ou du moins de rites , dont la cohésion est maintenue par la nécessité d' entente dans la conduite des mêmes cultures . " à la * Chine on pourrait ajouter la plaine indo-gangétique , non compris le delta du * Bengale , où s' est développé et fixé un des types les plus complets de communauté de village . Tous ces établissements , sous des formes variées qu' expliquent les différences de climat ou des degrés d' état social , sont l' expression du même besoin de centraliser sur quelque point l' exploitation du sol . Une coopération réglant les dates des actes de la vie agricole , fixant certains procédés d' exploitation , s' impose comme avantageuse à tous . La nécessité de s' unir pour l' aménagement des eaux , la construction de puits , l' entretien de certains travaux , l' accommodation d' un milieu favorable aux cultures , resserre la cohabitation . Le village est un organisme bien défini , distinct , ayant sa vie propre et une personnalité qui s' exprime dans le paysage . La concentration de l' habitat s' y associe avec la multiplicité des parcelles , celles -ci ne pouvant trouver que dans le village l' intermédiaire commun auquel aboutissent toutes les pistes . Ainsi constitué , le village est apte à fournir un marché et à donner lieu à des industries rurales , de même que maintenant dans la * Petite- * Russie , dans la plaine allemande ou de la * France du nord , la culture industrielle a joint l' usine à la ferme . iii . - l' habitat dispersé : les établissements humains n' ont pas rencontré partout les mêmes sollicitations de groupement . La diffusion des eaux , la diversité des orientations , le morcellement des sols , fournissent spontanément sur divers points la somme des conditions nécessaires à une existence fixe . Les groupements élémentaires , tels que ceux que peuvent former les membres d' une famille , à peine assistés de quelques voisins , suffisent . Aucune condition n' impose les diverses servitudes qu' implique une communauté villageoise . L' habitat se disperse . Cet habitat dispersé se présente en * France sous des formes diverses , mais avec un caractère régional assez nettement marqué pour qu' on puisse , en traits généraux , lui assigner des limites . Tantôt c' est la petite ferme isolée , presque ensevelie dans les arbres , reliée par des sentiers couverts et fangeux à d' autres fermes distantes de quelques centaines de mètres , cas fréquent en * Bretagne et dans l' ouest de la * France . Ailleurs , dans le * Cotentin , s' observe fréquemment l' accouplement de deux ou trois fermes . Des hameaux assez serrés , groupant ensemble une douzaine de feux , forment un mode de peuplement assez ordinaire dans plusieurs parties du * Massif * Central . Des groupes de maisons séparées constituent ce que , dans le pays * Basque , on appelle un quartier . maisons isolées ou hameaux , ce sont des agrégats minuscules , incapables d' exercer autour d' eux une attraction semblable à celle qui coordonne les cultures autour des villages agglomérés des grandes plaines . La physionomie de paysage qui résulte de ces formes d' établissements reflète en ses traits généraux un tout autre mode d' exploitation du sol , un autre genre de vie , une disposition bien différente de celle que nous avons observée dans les villages agglomérés . C' est le particularisme substitué à la centralisation . Tout parle ici de séparation , tout marque le cantonnement à part ; des haies d' arbres dessinent partout leurs zigzags , raient les collines , et leurs cimes mutilées , présentant d' étranges silhouettes , divisent jalousement les enclos et les champs . Les mêmes cultures se déroulent rarement sur de grands espaces . C' est par lopins variés qu' elles s' encadrent entre les haies . Des landes s' entremêlent avec les cultures . Parfois le même enclos sert tour à tour à la culture et au pâturage . Au lieu d' espaces unis , rarement interrompus par des chemins , partout des sentiers creux , fossés et levées de terre garnies de buissons et d' arbres . Ce morcellement de détail laisse rarement place à des vues d' ensemble ; et , quand un point dominant s' offre par hasard , c' est un pays fourré qu' on découvre , où il est difficile de distinguer entre des croupes et des ondulations qui se ressemblent , entre des sentiers qui divaguent . Une impression d' isolement se dégage de cet ensemble ; et l' étranger se sent mal à l' aise devant ce dédale qui lui semble inhospitalier et hostile . Dans ce système d' établissements , les centres de vie se réduisent à des lieux de rendez -vous périodique , marché , église , chapelle , panégyrie . On est en face d' un état arriéré . Que ce genre de vie ait de profondes racines , qu' il tienne au sol autant qu' à des habitudes , c' est ce que montre sa persistance , sa généralité dans les contrées auxquelles il s' est adapté ; ainsi que les rapports , peut-être indissolubles , qu' il a noués avec les institutions , les conceptions sociales de certaines races . Les cadres de la vie sociale , aussi bien que l' aspect du pays , soulignent la différence entre les régions de villages agglomérés et celles où l' isolement , tout au plus interrompu à de certains jours , est la règle . L' opposition entre ces deux types d' établissements n' est naturellement point particulière à la * France , quoiqu' elle ne se présente pas partout avec un caractère aussi tranché . Elle a été signalée particulièrement en * Souabe , tandis que l' habitat aggloméré règne sur les plaines calcaires du * Moyen- * Neckar et sur les plateaux de la * Rauhe- * Alp , le système d' habitat disséminé ( einodhof ) trouve un domaine très distinct et très net dans la région morainique qui s' étend au nord du lac de * Constance et de l' * Allgau . Les mêmes causes physiques que celles qui ont été signalées plus haut semblent bien ici entrer aussi en jeu : le morcellement du relief , la richesse en sources , la présence diffuse des eaux ont laissé se multiplier les petites unités indépendantes , autour desquelles desquelles se pratique l' exploitation du sol . Et ce mode d' exploitation se traduit par le mélange et les enchevêtrements de champs et pâtures , où se reflète un genre de vie resté mi-agricole et mi-pastoral . Nulle part en * Europe ce type d' établissements morcelé ne se montre sur une plus grande échelle et avec un caractère plus marqué d' archaïsme que dans la péninsule des * Balkans . L' habitat dispersé et l' habitat aggloméré , le type hameau et le type village y semblent bien correspondre à des différences géographiques . En * Serbie , comme en * Bulgarie , ce sont les parties accidentées et montagneuses , pentes ou versants à l' exclusion des plaines et vallées , qui paraissent le domaine naturel de la dispersion . Plutôt que la ferme isolée , on rencontre là des maisons associées par groupes d' une douzaine de feux ou même davantage , dont les occupants sont ordinairement reliés par des liens de famille . L' habitat est calqué ainsi sur l' état social . Sur les confins de la vieille * Serbie et de la * Bulgarie , entre * Koumanovo et * Kustendil notamment , * Cvijic a cherché à tracer la limite , toujours incertaine en ces matières , qui séparerait les villages agglomérés des groupements de hameaux . Ces hameaux , désignés sous le nom de kolibé en * Bulgarie , y paraissent aussi le type dominant des collines et des montagnes , ils en constituent le mode de peuplement caractéristique , en antinomie marquée avec les villages de plaines . Même contraste en * Valachie : le catun , ou groupements par hameaux de 3 , 4 ou 5 maisons ou plus , est le type des collines et des avant-monts , comme le village est le type des plaines . " partout de l' eau , dans chaque repli du sol un ruisselet , une source ; la forêt , si ravagée qu' elle ait été , est encore prochaine , offrant les bois nécessaires à la construction de la maison et à l' entretien du feu en hiver . " même opposition encore au nord des * Carpathes entre le peuplement par hameaux des collines et les gros villages des plaines de * Galicie et * Podolie . Il y a trop de complexité dans les races et trop de fluctuations d' ordre économique pour que cette délimitation à base géographique ne puisse être entamée . Des causes diverses interviennent pour en modifier les linéaments , la prédominance de la vie agricole sur la vie pastorale peut s' accentuer ; la démarcation continuera cependant de subsister . Dans cette péninsule balkanique que tant d' accidents historiques ont traversée et qui a été livrée à un tel enchevêtrement de races , elle répond à des conditions naturelles ; elle demeure un témoignage vivant de l' ancienneté de genres de vie spontanément issus du milieu . iv . - types de régions subtropicales et subarctiques : soit qu' on s' avance dans la direction des pôles , soit qu' on aille dans la direction de l' équateur , les zones propices aux établissements humains se réduisent progressivement : ici par la surabondance d' eau , là par la sécheresse ou par d' autres causes . régions subarctiques . - dans le nord de la * Russie d' * Europe , c' est aux abords de la région forestière , sur les confins de la forêt d' arbres feuillus et de la forêt de conifères , par 58 degrés de latitude environ , que des différences tranchées , inconnues à nos régions tempérées , se dessinent entre les parties humanisées et les parties rebelles aux établissements . Dans la région de la haute * Volga , domaine des finnois tchérémisse à peine entamé par la colonisation russe , le contraste s' accuse entre le haut-pays dont le sol friable couvert d' une couche de terre noire a permis de pratiquer des clairières agricoles , et le bas-pays où la forêt de pins et de sapins , encore dominante , n' est interrompue que par des lacs et des marécages . Le village s' est constitué , florissant , entouré de vergers et de massifs de tilleuls , bouleaux et aulnes dans le haut-pays . Il n' existe dans le bas-pays qu' à l' état rudimentaire , " et ne montre pas de traces de végétation autour des constructions " . L' eau stagnante , avec les miasmes et les gelées qu' elle engendre , est visiblement l' élément hostile . Dans les provinces de la * Baltique , comme en général en * Scandinavie , l' éparpillement des fermes est le régime qui apparaît , dès qu' à la continuité des plaines se substitue le morcellement propre aux contrées qu' ont envahies les glaciers . Au nord du 60e degré , la * Finlande a été le siège d' une colonisation plus active . C' est là peut-être que l' homme a fait le plus d' efforts pour approprier à ses besoins une contrée peu hospitalière . Rabotée à la fois par les glaciers et jonchée de leurs dépôts , la surface en est sans cesse morcelée " en une foule de petits territoires par une alternance de petites collines rocheuses , de terrains de gravier , de lacs et de champs d' argile " . Ce morcellement , là comme dans les régions où nous l' avons vu déjà prévaloir pour d' autres causes , a produit son effet ordinaire : hostile à la formation de villages , et favorable aux hameaux et fermes isolés ( torp ) . Une sorte de besoin centrifuge a même porté les pionniers de la colonisation dans le plateau inférieur à s' établir autant que possible à l' écart les uns des autres , comme ils l' ont fait plus tard en * Amérique dans le * Far- * West , seul moyen de combiner librement des ressources éparses que la pêche et la chasse permettaient de joindre à une agriculture très restreinte . Peu à peu , il est vrai , par les progrès du drainage et de l' assainissement du sol , une marge plus grande s' est ouverte aux établissements des hommes . Dans l' est du plateau lacustre , la coutume s' établit alors de bâtir çà et là sur les collines de graviers et de sables , médiocrement fertiles mais moins exposées aux gelées que les terrains argileux ou les tourbières du fond des vallées . Des groupes sporadiques d' établissements ont pris naissance ; mais ils ne forment de véritables ensembles que le long des fleuves . Entre les solitudes sur lesquelles pèsent la stagnation des eaux et des marécages , l' immobilité des forêts de conifères et de bouleaux , où l' agriculture ne dispose que des misérables ressources de l' écobuage , la circulation des cours d' eau représente le mouvement et la vie ; c' est en effet le long des fleuves qu' ont afflué les établissements humains . Une frange d' établissements suit fidèlement les cours d' eau , surtout dans la partie orientale où l' évolution du réseau fluvial est plus avancée ; ils s' égrènent , plutôt qu' ils ne se concentrent sur leurs rives . Par une analogie remarquable avec nos pays de montagnes , on y remarque que chaque vallée fluviale forme une région à part . Ainsi la répartition des établissements est en rapport avec les forces physiques qui travaillent à substituer un réseau fluvial coordonné aux labyrinthes lacustres et marécageux , héritage des anciens glaciers quaternaires . la * Chine . - l' homogénéité du sol dans le nord de la * Chine est propice aux agglomérations : les unes ne dépassent pas les proportions de hameaux , les autres sont de gros villages agglomérés . Dans la vallée du * Veï- * Ho ce sont plutôt les hameaux réunissant dans une enceinte de terre un certain nombre de maisonnées en forme de cubes que de grands villages fermés . Le village se montre plus perfectionné dans la province de * Chan- * Toung , comme partie intégrante de cette vieille civilisation qui s' y est conservée mieux mieux qu' ailleurs . Avec ses temples ornés de grands arbres , avec les portraits ornés de moulures et d' inscriptions en pierres sculptées , il réalise parfois ce type classique que se complaisent à représenter les anciennes peintures chinoises . Lorsqu' on s' avance vers le sud , du * Ho- * Nan vers le * Hou- * Pé , ou du * Chan- * Toung dans le * Kiang- * Sou entre les deux grands fleuves , surtout dans le * Hou- * Nan et le * Tché- * Kiang au sud de * Yang- * Tseu , et dans la riche province de l' ouest , le * Szé- * Tchouan , l' effet des changements de climat et de sol se fait sentir sur le régime de l' habitat rural . Plus de loess pour amortir les inégalités du sol et répandre une teinte uniforme sur toutes choses . La tendance à l' éparpillement des maisons s' accuse de plus en plus , se conformant de plus près à l' usage d' association familiale . Tantôt l' habitat suit jusqu'au sommet des pentes les jardins de thé qui s' échelonnent , tantôt il élit domicile sur les terrains relativement trop élevés pour qu' il soit possible d' y faire parvenir en été l' eau nécessaire à la culture du riz ; il se superpose aux régions étagées comme le village méditerranéen se superpose au verger . Ces petits groupes de maisons juxtaposées expriment la cohabitation familiale au sens étendu qu' elle a chez ce peuple : avec ses ramifications , sa nombreuse descendance cimentée en étroite association par les croyances et les rites , et retenant ainsi autour des ascendants des groupes de 30 , 40 , 50 personnes et plus . Les travaux de saisons auxquelles la culture du riz , la cueillette du thé donnent lieu , doivent à cette coopération familiale un caractère patriarcal , auquel la maison ou le groupe sert de cadre . Cela représente quelque chose de plus expressif que nos hameaux , une incarnation plus exacte des principes sur lesquels est fondée la civilisation chinoise . Nulle part ce mode de répartition ne s' épanouit plus librement que dans le bassin " rouge " , la grande région irriguée du * Szé- * Tchouan , " un grand jardin regorgeant d' hommes " . Les cultures d' arbres s' y mêlent aux cultures de céréales et de légumineuses , riz , orge , blé , fèves , chanvre , colza , etc. , qui se pressent étroitement ; des massifs d' orangers , de mûriers , de résineux , de bambous , signalent les groupes d' habitation ; et dans cette * Chine où le déboisement a partout marqué ses stigmates , où il ne reste à l' arbre partout pourchassé que quelques refuges , autour des temples , ou de ces tombeaux de familles qui abondent dans la province essentiellement chinoise de * Ho- * Nan , les haies de bambou , peupliers , mûriers qui encadrent ces fermes du * Szé- * Tchouan , donnent çà et là la réminiscence de la forêt disparue . Mais quelle que soit la forme de l' habitat rural , fermes , hameaux ou villages , la zone en est restreinte en * Chine , comme les modes d' exploitation qu' on y pratique . Des vallées et des plaines qui sont ses lieux de prédilection , elle gagne péniblement à l' aide de terrassements tout ce qu' elle peut conquérir sur les collines ; mais l' absence d' élevage met une restriction à ses empiètements . De là ces contrastes qui prêtent à illusion . à la multitude de hameaux ou villages qui se pressent dans les vallées irriguées ou près des embouchures fluviales où l' adoucissement de la pente et le jeu régulier des marées facilitent l' aménagement des eaux , succèdent parfois de grands espaces inutilisés . Nous avons noté que des intervalles existent dans les régions arides ou semi-arides des bords de la * Méditerranée ; mais l' explication ici ne vaut pas , puisque c' est précisément dans les régions arrosées de la * Chine centrale et méridionale que s' intercalent des espaces où l' habitat se raréfie , ne se montre que sous ses formes les plus rudimentaires . Un fait social , tenant à des habitudes agricoles invétérées , concentrant toute l' ingéniosité et tout l' effort sur les cultures qui défraient les besoins de nourriture , de vêtement et d' éclairage auxquelles s' est accoutumée la société chinoise ; telle est et restera , du moins jusqu'à nouvel ordre , la cause de cette répartition singulièrement exclusive , qui ne répond à rien d' impératif dans les conditions physiques . Bien plutôt elle exprime un stade ancien , fixé dans une perfection précoce et auquel un isolement séculaire a servi de préservatif . à ce point de vue nous ne sortons guère de * Chine en passant au * Tonkin . Le delta y fourmille de villages analogues entre eux , très voisins et se reproduisant à des centaines d' exemplaires , comme un type de colonisation . Le site en est circonscrit par les casiers naturels formés par les bourrelets des fleuves . Entre les digues élevées contre les inondations , de petits compartiments s' inscrivent où l' eau s' accumule avec les pluies d' été dans des arroyos , des mares , des étangs en partie artificiels . C' est là que l' annamite du delta a constitué son village ; avec ses maisons en pisé , ses étangs , ses mares , ses jardinets de légumes et la lisière de bambous , interrompue de portes , qui lui sert d' abri ou de défense , il forme un tout . L' autonomie de ce petit monde est garantie par la réunion de tous les organes de culture , de défense , de réserve et d' assurance contre la sécheresse . Ce cadre n' est qu' en partie artificiel . Ces cuvettes où l' on recueille l' eau des pluies sont , comme les johls du * Bengale , dérivées des flaques que , chaque été , les pluies et les inondations laissent après elles . Il a suffi d' en consolider les contours , d' en régulariser le régime pour pratiquer un aménagement minutieux , tout à fait proportionné aux forces de main-d'oeuvre , aux procédés et aux instruments de culture dont disposent ces petites communautés . L' unité sociale sur laquelle est fondée la société annamite trouve dans ce cadre une expression adéquate ; c' est elle qui réduit en menue monnaie la richesse apportée en lingot par les fleuves . l' * Inde . - abstraction faite des vastes plateaux du centre où persistent les modes les plus rudimentaires d' établissements , l' * Inde est par excellence un pays de villages . Dans cette immense agglomération d' hommes les cités ne prennent que 2 pour 100 de la population ; et l' habitat rural se présente surtout sous forme de villages . La dissémination par hameaux ou par cases ne prévaut que dans le * Bas- * Bengale , où de toutes parts , les groupes s' éparpillent entre des haies de bambous , et sur la lisière étroite de * Malabar et de * Travancore , régions où l' abondance des pluies et la présence universelle des eaux permettent et favorisent l' éparpillement . Le village se montre au contraire très aggloméré dans le * Pendjab , si populeux , si complet , avec son organisation et ses corps de métiers , si bien circonscrit par des murailles de terre , qu' il ressemble à un campement de tribu . Entre les croupes herbeuses où l' élevage , les marchés , les foires entretiennent le mouvement ( bas-pays ou khadar ) , le captage des crues dans les vallées au moyen de dérivations élémentaires , le forage des puits au voisinage des monts , tiennent la population concentrée . Le rapprochement des genres de vie différents et hostiles se marque dans le mode de groupement . L' habitat se délie davantage , devient plus libre , dans la grande plaine de la * Djumna et du * Gange jusqu'à * Allahabad et * Bénarès . Non loin des frontières menacées et des marches d' invasions , le village a laissé se relâcher la rigueur de l' ancienne organisation en communauté ; les collectivités qu' il groupe sont moindres numériquement . Elles sont aussi plus voisines ; l' intervalle qui les sépare n' atteint pas en moyenne 2 kilomètres . Le voisinage de la nappe d' eau souterraine que les puits atteignent à une faible profondeur , a permis à ces communautés de se multiplier uniformément sur toute la surface meuble et légère que circonscrivent au nord le * Teraï , au sud les falaises de grès de l' * Inde centrale . On compte par centaines de mille les puits soit en maçonnerie , soit temporaires qui , perçant de toutes parts le sol du * Doab ( * Mésopotamie gangétique ) , y sont l' oeuvre anonyme et ancienne des cultivateurs du sol . Ils se sont groupés ; et sans doute ce mode d' habitat dans la haute et moyenne vallée du * Gange est moins dicté par la nature que par le désir de rester concentrés , de conserver les liens entre des races diverses traditionnelles . C' est un type de colonisation , comme dans le delta du * Tonkin . Les groupes , quoique rapprochés , vivent renfermés sur eux-mêmes , dans les cadres traditionnels qui contiennent , soit en agriculteurs , soit en artisans , tout ce que peuvent réclamer les besoins et même les ambitions de luxe , et qui , une fois complets , s' ouvrent difficilement à de nouveaux-venus . Nulle part les recensements n' ont relevé un plus grand nombre d' habitants vivant à l' endroit même dont ils sont originaires . Tout au plus des mariages entretiennent -ils quelque échange de population entre villages voisins . Si d' une part la facilité de culture sur un sol homogène et ami a favorisé la propagation d' un même type de villages , c' est la nécessité de se précautionner contre les insuffisances et les irrégularités des pluies qui en a maintenu la cohésion . Le rapport entre l' irrigation et le type de villages ne se montre pas moins dans les régions intérieures du décan , où il est nécessaire aussi de constituer des réserves pour parer aux insuffisances de pluie . Le substratum archéen des roches ne permet pas d' y multiplier les forages de puits comme dans les sols meubles des plaines indo-gangétiques ; mais il suffit de quelques barrages dans les larges ondulations de ces surfaces de pénéplaine pour former des tanks ou réservoirs artificiels . On a compté de ces bassins jusqu'à 43 . 000 rien que dans les 14 districts dépendant de * Madras , tous d' origine indigène . Il n' est pas de village qui ne possède cet organe essentiel , qui est à la fois son oeuvre et sa raison d' être . Ainsi , dans l' oeuvre anonyme qui a précédé dans le sud comme dans le nord de l' * Inde les grands travaux qu' ont accomplis des dynasties historiques , on retrouve , précédant les grands canaux du * Sind et du * Gange , les digues monumentales du * Cavery et des fleuves du * Carnatic , le travail préliminaire d' installations et d' aménagements modestes , conçus et exécutés à la mesure de villages ou groupes restreints , et qui n' avaient pas d' autre prétention que de nourrir des communautés de 200 à 1 . 000 personnes . Leur adaptation aux conditions de sol et de climat a fait que , soit dans les contrées de * Mysore et de * Carnatic , soit dans la plaine gangétique , le type une fois formé s' est répété , presque sans variantes , à des millions d' exemplaires . Il s' est propagé autant que le permettaient les conditions du sol . v . - conclusion : si incomplet que soit cet aperçu comparatif , il suggère quelques remarques . Il y a quelque chose d' essentiellement géographique dans la répartition de ces formes diverses d' habitat rural que nous avons rencontrées en * Europe autour de la * Méditerranée , en * Chine , au * Tonkin , dans l' * Inde , et que nous pourrions sans doute rencontrer ailleurs . Ces exemples montrent que la répartition s' organise régionalement . Ce n' est pas le hasard qui a implanté ici le type de villages agglomérés , là celui de hameaux dispersés , ailleurs celui de petites maisons ou cases semées comme une poussière . Cependant , il serait chimérique de prétendre établir des classifications générales en rapport avec les circonstances géographiques . Certaines conditions seulement de sol et de climat sont compatibles avec le mode disséminé , dispersé , ou aggloméré ; d' autres y sont réfractaires . Le groupement dispersé convient aux régions où , par suite du morcellement du relief , du sol et de l' hydrographie , la terre arable est elle-même morcelée . Le village aggloméré est chez lui , au contraire , dans les contrées où cette surface arable est continue , d' un seul tenant , permettant une exploitation uniforme . Sous l' empire de nécessités communes se sont formées des associations collectives . Le creusement et l' entretien de puits , d' étangs et de mares , la nécessité de construire des murailles , contribue à resserrer et à agglomérer l' habitat . Il serait vain de négliger l' influence de la question de sécurité et de défense . Au contact de la steppe et des domaines d' autres genres de vie , tout prend un aspect de forteresse : le village lui-même , aux confins du * Sahara , de l' * Arabie , du * Turkestan , de la * Mongolie , devient une prison et un refuge . Par contre , là où la sécurité , longtemps absente , commence à renaître , nous assistons à un mouvement de dispersion . L' habitat se délie en quelque sorte . Du vieux village fortifié , d' aspect méfiant , de plus en plus déserté sur sa montagne , se détachent , comme une bande d' écoliers émancipés , des groupes de maisons s' éparpillant à leur guise . Mais , dans le groupement de l' habitat rural , la considération de défense , de refuge , n' est pas la principale . Le site exprime une combinaison d' influences physiques , où la pente , le niveau d' eau jouent leur rôle , avec une association de cultures artificiellement assemblées . Ces combinaisons se coordonnent différemment , suivant que le noyau est un village , un hameau , une ou deux fermes isolées ; mais elles existent du fait de l' homme . Elles modifient profondément le paysage , et sont par là un des objets essentiels de la géographie humaine . De grandes différences sociales sont nées de différences d' habitat . Le village réalise un type de communauté dépassant le cadre de la famille et du clan . Les vieilles organisations villageoises ont leur rôle dans nos anciennes sociétés d' * Europe , sans parler même de celui qu' elles conservent en * Russie . Si elles l' ont perdu , cela tient à l' importance croissante des villes , au développement des communications et de la vie commerciale qui ont fait naître de toutes parts des germes nouveaux . Les industries villageoises ont en grande partie péri dans nos contrées ; l' industrie moderne tend à se distribuer d' après des lois nouvelles . Mais il y a de vastes contrées où le village est resté et reste encore l' organisme essentiel : l' * Inde , l' * Indochine et une grande partie au moins de la * Chine . Le village continue à réaliser dans l' * Inde ce qui partout ailleurs est le privilège des villes : division du travail , satisfaction des besoins , même du superflu . C' est un petit monde fermé et dont la prise est si forte qu' il étouffe tout autre sentiment de communauté , qu' il bouche l' horizon . " nous annamites , écrit le mandarin * Tran * Than * Binh , à cause de la grande variété des institutions communales , nous nous croyons en * Chine ou en * Amérique aussitôt sortis de notre village . " le village ainsi , dans ces contrées orientales , absorbe une plus forte part de vie sociale , au détriment des formes plus vastes d' organisation , ville ou état . L' antithèse est forte vis-à-vis de l' * Europe ; elle apparaît plus forte encore si l' on songe aux * états- * Unis d' * Amérique . Mais tout cela est matière qui participe à la vie , s' assouplit et s' adapte aux circonstances . L' insécurité , l' état de piraterie et de guerre modifient plus ou moins temporairement l' habitat . Aucun état ne saurait être considéré comme définitif et immuable . Le lien qui tenait autour de la * Méditerranée les habitations étroitement groupées sur les hauteurs s' est relâché . Les types de groupements évoluent comme toutes choses . Il sera d' un grand intérêt de suivre cette évolution , non seulement dans les contrées méditerranéennes , où elle est actuellement très sensible , dans les contrées de colonisation récente , l' * Amérique et les régions tempérées de l' hémisphère austral , où elle est à ses débuts ; mais encore dans les contrées tropicales , et dans ces contrées d' orient et d' * Extrême- * Orient où la population semble figée en des moules très anciens . Ils ont duré dans l' isolement ; mais ils ne résisteront peut-être pas aux chemins de fer , à la grande industrie , aux innovations qui résultent du contact avec le commerce mondial . chapitre vi . L' évolution des civilisations . i . - tendance naturelle au perfectionnement : observez dans une vitrine de musée l' attirail de vêtements , armes et parures du monde mélanésien ; aux coquilles , écailles de tortues , dents , arêtes , bois et fibres végétales , vous reconnaissez l' empreinte du milieu littoral et équatorial ; dans les ornements brésiliens , vous retrouvez les plumes des oiseaux bariolés des forêts ; dans ceux des pasteurs cafres les peaux de rhinocéros , les lanières d' hippopotames ; vous devinez autant d' adaptations à des genres de vie inspirés directement du milieu ambiant . Ce milieu a été peu modifié , sauf les incendies , les défrichements temporaires ; le monde végétal et animal reste à l' état de nature ; et d' autre part , presque rien n' a été emprunté au dehors . Jetez ensuite un regard autour de vous ; voyez ces contrées de haute civilisation , où nos champs , prairies , forêts mêmes sont en partie des oeuvres artificielles , où nos compagnons , animaux et végétaux , sont exclusivement ceux que nous avons choisis , où les produits , les instruments , le matériel sont plus ou moins cosmopolites . D' un côté des civilisations franchement autonomes : de l' autre des civilisations où le milieu ne se distingue qu' à travers les complications d' éléments hétérogènes . Il semble qu' il y ait un abîme entre ces rudiments de culture , expression de milieux locaux , et ces résultats de progrès accumulés dont vivent nos civilisations supérieures . Les uns sont si exactement calqués sur les lieux où ils se trouvent , qu' on ne peut ni les transporter ni les imaginer ailleurs ; les autres sont doués de la faculté de se communiquer et de se répandre . Cependant , chacun de ces types de civilisations procède de développements qui ont mêmes racines . C' est dans le milieu ambiant que partout les groupes d' hommes ont commencé à chercher les moyens de pourvoir aux besoins de leur existence . La plupart ont fait preuve dans cette recherche de qualités d' ingéniosité et d' invention qui montrent dans la nature humaine plus d' égalité originelle que nos préjugés de civilisés ne l' admettent : l' homme ne s' est pas contenté d' user de l' abri des arbres , des roches , pour se mettre en sûreté , de cueillir à l' aventure les racines ou graines spontanément sorties du sol , de chasser à la manière des bêtes de proie ; il a tiré du palmier , du bambou , des dépouilles d' animaux marins ou terrestres , de la pierre et de l' argile , du cuivre et du fer , un monde d' objets qu' il a frappés de son empreinte , créés à son intention . Ce que plus tard il a obtenu en appliquant à la navigation les énergies naturelles de l' air et de l' eau , plus tard encore , en utilisant la force d' expansion des gaz , les sources de chaleur et de lumière amassées par les anciens âges dans les entrailles du sol , récemment enfin les énergies plus mystérieuses de l' électricité , l' homme des civilisations primitives l' a commencé en appliquant à ces fins les animaux et plantes que rencontrait sa vue , le sol qu' il foulait à ses pieds . Par là il était condamné à rencontrer des conditions plus ou moins favorables . Dans l' espace mesuré dont il disposait , les auxiliaires pouvaient être rares , et l' on sait qu' en certaines contrées comme l' * Océanie , l' indigence de la nature native paralysa ces développements . Toutefois , même là , l' instrument qui supplée à ce qui manque à l' homme en force et vitesse , apparaît partout comme un germe d' où , si rudimentaire qu' il soit , peut sortir , les conditions étant favorables , une longue suite de progrès , comme un acte d' initiative , une force de volonté . La nature fournit à l' homme des matériaux qui ont leurs exigences propres , leurs facilités spéciales , leurs incapacités aussi , qui se prêtent à certaines applications plutôt qu' à d' autres ; en cela elle est suggestive , parfois restrictive . Toutefois , la nature n' agit que comme conseillère . En créant des instruments , l' homme a poursuivi une intention ; en s' appliquant de plus en plus à perfectionner ses armes , ses ustensiles de chasse , de pêche ou de culture , les demeures où il pouvait mettre en sûreté sa personne et ses biens , son outillage domestique ou ses ornements de luxe , il a été guidé par un désir d' appropriation plus précise à un but déterminé . Dans les différentes conditions de milieux où il se trouvait placé , ayant tout d' abord à assurer son existence , il a concentré tout ce qu' il y avait en lui d' adresse et d' ingéniosité sur ce but . Les résultats qu' il a atteints , si inférieurs qu' ils puissent nous paraître , témoignent de qualités qui ne diffèrent de celles qui trouvent leur emploi dans nos civilisations modernes , que par la moindre somme d' expériences accumulées . Il y a certes des inégalités , des degrés divers dans l' invention ; mais partout l' étude du matériel ethnographique dénote de l' ingéniosité , même dans un cercle restreint d' idées et de besoins . Les instruments que l' homme met en oeuvre au service de sa conception de l' existence , dérivent d' intentions et d' efforts coordonnés en vue d' un genre de vie . Par là ils forment un ensemble , ils s' enchaînent et montrent entre eux une sorte de filiation . Une application en appelle une autre . Le chasseur , pour perfectionner ses armes de jet , boumerang , sagaye ou javelot , sarbacane , arc et flèche , introduit des modifications : il recourbe ou allonge son arc suivant l' envergure qu' il doit obtenir ; il protège d' un bracelet le bras que peut endommager le contre-coup de la corde ; il garnit la flèche de plumes qui régularisent son élan , il en amortit la pointe quand il craint d' endommager le plumage de l' oiseau qu' il veut atteindre . Il s' arme d' un bouclier qui résiste à l' attaque . Le bouclier , léger et maniable devant les armes de jet , s' est allongé et alourdi en s' alliant à la pique et à la lance pour permettre de s' arc-bouter contre l' assaut de l' ennemi ou de la bête fauve . Si le nègre africain de la zone tropicale pratique la métallurgie du fer , il réalise dans les formes de couteaux , leurs contournements et ciselures , leurs barbelures , une variété qui vise autant de diversités d' emplois . Le matériel que le kirghiz a créé à l' usage de sa vie de déplacements périodiques , la forme de sa tente , de ses vêtements , réalisent un ensemble où tout se tient , comme la personnification d' un genre de vie . De même , le matériel qu' a créé l' eskimau pour subvenir aux besoins de la pêche , de la navigation sur mer , des rapides trajets sur la glace ou sur le sol de la toundra , traîneaux et attelages , kayaks et harpons , vêtements , huttes , représente un tout dont les diverses pièces sont coordonnées . Est -ce seulement le stimulant de l' utilité pratique qui préside à ces combinaisons ? On y reconnaîtra un élément qui entre dans toute oeuvre imprégnée de patience et d' attention minutieuse , quelque chose d' analogue à ce qui soutient l' artiste dans sa lutte contre la matière , dans son effort pour lui communiquer l' impression qui est en lui-même . La poterie n' est pas moins significative à cet égard que la métallurgie primitive . Le doigt du potier indigène , en * Guyane aussi bien qu' au * Pérou , depuis la * Chine méridionale jusqu'à l' extrémité occidentale de la * Berbérie , pétrit la matière au gré de ses fantaisies et de ses besoins . Le fini de certains instruments fabriqués , par exemple chez les eskimaux , avec de simples arêtes ou os de poissons , ou chez certains polynésiens avec des coquilles d' une remarquable dureté , chez les maoris de la * Nouvelle- * Zélande avec les bois durs dont ils cerclaient les membrures de leurs embarcations , dénote une patience qui n' est autre chose que l' amour de l' artiste pour son oeuvre . En * Océanie , comme dans le * Japon primitif , en * Chine ou au * Mexique , le travail humain s' est acharné sur certaines pierres dures , jade , obsidienne , serpentine , dont l' éclat l' avait séduit et en a tiré une multiplicité de figurines ou d' objets , tout un matériel de luxe qui est transmis et survit en partie dans les civilisations raffinées . L' étonnement que nous éprouvons devant la perfection que les préhistoriques du nord de l' * Europe surent donner aux instruments de pierre polie ; celui qui nous frappe devant ces images rupestres , où les artistes des grottes de l' * Espagne et du sud-ouest de la * France reproduisaient avec talent les animaux qu' ils rencontraient dans leurs chasses , nous révèlent chez ces lointains ancêtres l' artiste qui est en nous . Ainsi , à travers les matériaux que la nature lui fournissait , parfois en dépit de leur rebellion ou de leur insuffisance , l' homme a poursuivi des intentions , réalisé de l' art. Obéissant à ses impulsions et à ses goûts propres , il a humanisé à son usage la nature ambiante . Nous voyons à des degrés divers une série de développements originaux . Le matériel , si appauvri qu' il nous soit offert aujourd'hui , des civilisations autonomes qui se sont formées , dans les milieux différents que nous a révélés la connaissance de la terre , représente , non un début , mais toute une série d' efforts accomplis sur place . Ces civilisations rudimentaires , qui nous reportent aux périodes archaïques de nos propres civilisations , sont déjà pourtant elles-mêmes un aboutissement , un résultat de progrès dans lesquels se sont visiblement exercés l' initiative , la volonté , le sens artistique . ii . - stagnation et isolement : il est alors assez surprenant de constater que beaucoup de ces civilisations se sont arrêtées en route , que la série des progrès s' est interrompue , et que , en bien des endroits , la sève d' inventions semble s' être tarie . Les mêmes procédés de culture se répètent sans modifications au * Soudan ( bien que de nouvelles plantes venues d' * Amérique s' y soient introduites ) . La même charrue qu' il y a plusieurs milliers d' années est en usage sur les bords de la * Méditerranée , chez les berbères . Les types d' habitations , cases cylindriques en pisé et en paille , cases rectangulaires à toits inclinés et piliers de soutien , se répètent à satiété , suivant les zones , dans le centre et l' ouest africain . Le forgeron nègre travaille avec son appareil portatif comme le faisaient ses lointains ancêtres . Les couffins du fellah égyptien , les jarres du pays castillan restent fidèles à des types depuis longtemps fixés et désormais invariables que représentent les monuments figurés . Même dans ces contrées de civilisation avancée , le cercle des genres de vie s' est fermé . Les richesses minérales dont la * Chine abonde n' ont pas fait du chinois un mineur . Cet ingénieux cultivateur ne s' est adonné ni à l' horticulture , ni à l' élevage . Les mêmes errements persistent sans changement sensible . De telle sorte qu' après avoir noté les indices d' une évolution capable d' atteindre une perfection relative , nous notons une certaine impuissance , soit à pousser plus loin , soit à aborder des directions différentes . La série d' efforts par lesquels , chasseur ou pêcheur , agriculteur ou pasteur , l' homme a assuré son existence , semble avoir aiguillé son intelligence dans un sens dont elle ne dévie plus . Un moment arrive où ces efforts s' arrêtent . Si rien ne vient de nouveau solliciter l' activité , elle s' endort sur les résultats acquis . Une période de stagnation succède à des périodes de progrès ainsi qu' il est advenu en * Chine et ailleurs . L' homme est sollicité vers l' inaction par une pente naturelle . Une tentation de torpeur le guette . On a vu des naufragés que le hasard avait réunis dans l' archipel de * Tristan * Da * Cunha , s' y habituer à une vie de lenteur et d' indolence , au point qu' au bout d' une génération ou deux , ils étaient incapables d' en affronter une autre . Il faut donc qu' une force étrangère intervienne . Si nous en croyons le poète " l' activité humaine ne peut que trop aisément s' endormir . Elle ne tarde pas à se complaire dans un état complet de repos . C' est pourquoi je tiens à lui donner ce compagnon qui aiguillonne et agit et qui , étant le diable , doit créer . " diable ou non , ce principe d' inquiétude et de mécontentement , capable d' action créatrice , existe dans les replis de l' âme humaine , mais il n' agit qu' à son heure , suivant le temps et les hommes . Pour qu' il s' éveille il faut que l' idée du mieux se présente sous forme concrète , qu' on entrevoie ailleurs une réalisation capable de faire envie . L' isolement , l' absence d' impressions du dehors semblent donc le premier obstacle qui s' oppose à cette conception du progrès . Effectivement , les sociétés humaines que les conditions géographiques ont tenu à l' écart , soit dans les îles , soit dans les replis des montagnes , soit dans les déserts , soit dans les clairières des forêts , paraissent frappées d' immobilité et de stagnation . C' est en * Islande , chez les touareg , dans le * Kafiristan , que l' archaïsme offre aujourd'hui ses meilleurs types . Mais il y a aussi un autre isolement , celui que l' homme se forge à lui-même par ses créations , par tout ce qu' il échafaude sur ses oeuvres . à ces inventions , dans lesquelles l' homme a mis une part de lui-même , à ces genres de vie qui absorbent toute son activité , il mêle ses sentiments , ses préjugés , toutes ses conceptions de la vie sociale . Il y ajoute une consécration religieuse que leur prêtent le culte de ses ancêtres , le respect d' un passé qui s' enveloppe de mystère . Il finit ainsi par tisser autour de lui une toile épaisse qui l' enlace et le paralyse . La vie tout entière du nègre de * Guinée est empêtrée de rites et de superstitions qu' il serait aussi dangereux d' enfreindre que celle du tabou polynésien . Le paysan traditionnel chez nous , comme le cultivateur hindou , cambodgien ou chinois , sont des personnages scrupuleux , fervents observateurs de pratiques telles que l' essentiel ne s' y distingue plus du parasite . Chaque opération se complique de règles d' observance entre lesquelles l' initiative n' a plus de jeu pour s' exercer . Le genre de vie , entré à ce point dans les habitudes , devient un milieu borné dans lequel se meut l' intelligence . Le nouveau paraît l' ennemi ; on voit sous ces influences des organismes sociaux se cristalliser et , faute de renouvellement , des oeuvres combinées pour le bien commun devenir des conservatoires de routine . On a dit avec raison que la base de la société chinoise est la famille . Une hiérarchie rigoureuse en relie les membres , unis par le culte commun des ancêtres . Il est incontestable que cette force du lien familial a puissamment aidé cette société à grossir les rangs de sa population , à faire prévaloir une discipline commune , et qu' elle a été une source de vertus sociales . Mais n' a -t-elle pas entravé le progrès ? Ce qui convient à une société patriarcale ne convient pas à une société moderne . On est porté à se demander si ce patronage du chef de famille ne restreint pas l' esprit d' initiative , s' il ne s' oppose pas au développement de l' individu ? L' individualisme , briseur de routines , n' a guère sa place dans un cadre qui , depuis la naissance , s' ajuste à tous les actes de l' existence , et ne lâche même pas après la mort . Comme on l' a souvent remarqué , le développement outré des institutions communales rétrécit l' horizon et produit , même au sein de populations très denses , un isolement factice . La communauté de villages , telle qu' elle est pratiquée dans l' * Inde du nord , le mir ( ou commune ) russe , l' organisation ancienne des villages groupés dans une partie de l' * Europe occidentale , sont comme des conservatoires persistants de métiers spéciaux , de procédés agricoles , de types d' assolements dont , une fois fixés , on ne pouvait guère s' écarter . Ces organisations supposent une entente fondée sur des expériences séculaires et résumant de longs efforts d' initiative , mais elles indiquent aussi que , se reposant sur les résultats acquis , l' intelligence a cessé d' en poursuivre d' autres ; et , par là , ce qui était mouvement s' est figé ; ce qui était initiative est devenu habitude ; ce qui était volonté est tombé dans le domaine de l' inconscient . C' est ainsi que , parmi les sociétés animales , certains groupes ont su s' élever à une organisation supérieure . Pour que la fourmi reste attachée à sa fourmilière , l' abeille à sa ruche , il a fallu d' incalculables progrès antérieurs , mais les progrès se sont arrêtés ou sont devenus à peu près insensibles . Il ne reste des inventions passées qu' une impulsion qui se communique automatiquement aux générations successives . iii . - les contacts : il peut se faire que le contact d' autres civilisations glisse sans entamer profondément ces organismes endurcis . Des emprunts peuvent se produire , mais ils restent superficiels entre sociétés peu préparées à réagir l' une sur l' autre . Lorsque le continent noir entra , par l' intermédiaire des espagnols et des portugais , en contact avec l' * Amérique , un grand nombre de plantes comestibles s' introduisirent dans l' agriculture africaine . " le manioc , le maïs , l' arachide , l' ananas , et peut-être l' igname et la patate , ont été apportés vers le XVe siècle sur le continent noir " , en un mot , la plupart des plantes qui servent aujourd'hui de base à l' alimentation . Cet accueil montre une certaine aptitude au progrès . Voit -on cependant que les procédés de cette agriculture tropicale africaine aient été sensiblement modifiés , que la charrue ait remplacé la houe , que les moyens d' amendement et de renouvellement du sol se soient substitués aux habitudes traditionnelles ? En aucune façon . Les pratiques agricoles liées au genre de vie ont persisté , avec les organismes sociaux auxquels elles étaient adaptées et qui étaient nés avec elles . La vie de village , dans un cercle de culture borné , est restée le trait dominant de civilisation . L' addition de quelques plantes n' y a rien changé . L' horizon de ces petites communautés , isolées entre elles et livrées par là aux entreprises conquérantes du dehors , est resté aussi restreint que précédemment . Aucune vie urbaine solide , en dehors de la périphérie saharienne , n' a pris racine sur ce sol , non qu' il fût rebelle à la civilisation , mais au contraire parce qu' une civilisation exclusive s' y était fait place . L' introduction du cheval dans les plaines de l' * Amérique du nord , par les européens , fut une sorte de crise dans la vie des indigènes . Certaines tribus plus promptes à utiliser ce moyen de guerre , durent à la mobilité qu' il leur procura , une supériorité d' attaque et une extension subite de puissance ; on vit par exemple dans le nord-ouest celle des pieds-noirs , primitivement cantonnée entre la * Saskatchewan et la * Peace * River , lorsque , vers le commencement du XVIIIe siècle , elle fut entrée en possession du cheval , étendre subitement jusqu'au * Yellowstone et aux * Montagnes * Rocheuses le cercle de ses entreprises aux dépens de ses voisines . Le nomadisme plus ou moins marqué , qui était inhérent à la vie de chasse , reçut certainement de cet auxiliaire venu d' * Europe , un renfort et un surcroît d' expansion . Mais , à ce phénomène éphémère se borne l' effet produit . La vie indigène , en possession d' un moyen nouveau de persister dans son être et dominer ses voisins , aurait continué à durer sur ses bases traditionnelles , si la colonisation européenne n' y avait mis ordre . Dans les cas cités , les genres de vie formés sur place font preuve d' assez de résistance pour adapter à leurs propres besoins les innovations que des circonstances étrangères à leur volonté leur apportent . Ils trouvent en eux-mêmes de quoi se défendre , et , dans leurs emprunts mêmes , de quoi se fortifier dans leur être . Ils ne se modifient pas . La substitution du cheval à la locomotion pédestre , pas plus que celle des armes à feu à l' arc ou à la sagaie , ne changent rien d' essentiel aux habitudes contractées de longue date , en rapport avec le milieu local . Le choc direct de deux civilisations très inégales ne produit que des mouvements de surface . Mais , sous la pression des nécessités , il n' y a pas de résistances qui tiennent . Les exemples ne manquent pas de transformations essentielles qui ont modifié , soit sous la pression du dehors , soit par le développement de causes économiques , des sociétés solidement constituées , déjà coulées dans un certain moule . Nous pouvons en juger en voyant de nos jours , sous l' influence du marché universel , le développement de la vie industrielle et urbaine aux dépens de la vie agricole et rurale , et en constatant qu' il en résulte des changements non seulement dans les modes d' exploitation , mais dans les rapports sociaux , la natalité , les liens de famille , l' alimentation , etc. Nous sommes frappés , émus , souvent inquiets de ces faits mais le passé en a connu d' analogues . Du commerce , de la sécurité sur mer , de la colonisation , naquit autour de la * Méditerranée une forme sociale qui atteignit sa plus haute expression dans la cité . Ce fut une révolution que celle qui substitua la cité à la bourgade , le culte de la patrie aux sanctuaires de famille , un lien public aux liens de clientèle ; révolution intellectuelle autant que matérielle . Le costume changea ; il se fit plus simple ; on cessa de circuler en armes . L' âme du citoyen s' harmonisa avec l' aspect de la cité . élaborée , agrandie par * Rome , la notion de cité devint une forme de civilisation capable de se communiquer et de se transmettre à des groupes de plus en plus nombreux . Le réseau des voies romaines en fut le véhicule . Du bassin méditerranéen elle gagna une grande partie de l' * Europe centrale . Avec la conquête marcha le commerce ; l' usage du vin et du froment se généralisèrent ; des marchés s' ouvrirent ; des cultures se propagèrent . Cependant , dans cette * Europe se dressait en face du monde romain un type de civilisation bien moins avancé , assez différent pour que son originalité ait frappé l' esprit observateur de * Tacite . Il y eut entre ces deux mondes non pas seulement conflit , mais infiltration . Des siècles pénibles et douloureux s' écoulèrent avant qu' une fusion s' accomplît . Elle se réalisa grâce à une forme religieuse , sortie elle-même du creuset méditerranéen , issue du mélange d' hommes et d' idées qui s' y était accompli ; le christianisme servit de trait d' union entre les deux mondes qui semblaient s' exclure , romain et germanique . Ce qu' avait fait * Rome , * Charlemagne le fit à son tour : il fut fondateur de villes . Ces changements , d' ailleurs si décisifs qu' ils aient été dans l' histoire des civilisations , sont loin d' avoir éliminé les formes sociales antérieures . Il faut toujours tenir compte des variétés et des survivances dans l' étude des sociétés humaines comme des sociétés végétales ou animales . Même autour de la * Méditerranée , il s' en faut qu' ait disparu la vie de clans avec les habitudes de circulation en armes , de sites fortifiés , de vendettas ; l' * Albanie actuelle est une remarquable survivance , et non la seule , de cet archaïsme . Mais ces immédiates influences de milieux locaux sont devenues des exceptions . D' autres germes ont fructifié à côté d' eux , d' autres formes de vie se sont fait jour , ont exercé leur attraction . La civilisation a vu s' enrichir presque à l' infini le fond sur lequel elle travailla . iv . - contacts par invasion et opposition de genres de vie : l' * Europe occidentale montre un développement à peu près continu . Il n' en a pas été de même en * Afrique du nord et en * Asie , au seuil de la zone des déserts et des steppes . Depuis le * Maroc jusqu'à l' * Inde , depuis la * Russie jusqu'à l' * Arabie , les sociétés n' ont pas cessé d' être en rapport ; mais le contact a été le plus souvent hostile par l' opposition des genres de vie . De grands empires se sont élevés , depuis celui des perses jusqu'à celui des arabes et des mongols . L' islam a étendu son vaste domaine . Mais aucun de ces empires n' a disposé de la série des temps au même degré que la * Chine ou que * Rome , continuée par le christianisme . Les invasions arabes , turques , mongoles , ont interrompu le lien dans l' * Afrique du nord et en * Espagne , en * Asie * Mineure , en * Perse , dans le nord de l' * Inde , aussi bien que sur les bords du * Dnieper et de la * Volga ; elles ont été un hiatus dans le développement normal des sociétés ; elles ont amené une déviation , d' incessantes nécessités de recommencement . Si ces migrations , dont nous entretient déjà * Hérodote , et qui , surtout du IVe au Xe siècle de * J . - * C. , s' écoulent sans arrêt de l' * Altaï à l' * Asie occidentale , ont cessé en grand depuis un siècle ou deux ; elles se poursuivent en petit entre tribus , entre clans et villages voisins : de kurdes à arméniens , d' albanais à slaves , de bédouins à fellahs . Cependant , à travers ces vicissitudes , on observe la persistance à peine marquée d' anciennes civilisations : l' * égypte , sous ses travestissements successifs , garde dans sa race sa physionomie de sphinx . Le persan vit de ses souvenirs et de ses poètes . L' * Asie * Mineure , le nord de la * Perse , le * Turkestan , ont été " turquifiés " , mais comme les moeurs helléniques apparaissent à * Athènes sous le crépissage turc qui s' écaille , il n' est pas impossible de découvrir le fond de civilisations anciennes qu' ont laissé en * Asie * Mineure les thraces , phrygiens , hittites , araméens , comme en * Arménie et * Iran , tous ces vieux peuples fondateurs de sanctuaires et de monuments . Les vieilles religions naturalistes de * Syrie se sont émiettées en sectes diverses . Ce que les invasions ont imposé çà et là , c' est la langue , vêtement extérieur . Encore même , pour suffire aux exigences d' une vie plus compliquée que celle des steppes , les dialectes turcs , tartares qui ont remplacé dans le nord de l' * Iran , et des deux côtés du * Pamir , les dialectes iraniens , ont -ils dû faire de larges emprunts au persan et à l' arabe . Quant à la langue du camp , l' urdu , formée autour des souverains mongols de * Delhi , elle n' est autre que la langue hindoustani imprégnée de vocabulaire persan . L' islam , malgré ses cadres simples et rigides , n' a pas échappé à la loi : il s' est transformé suivant les milieux où il s' enracinait : maraboutique en * Berbérie , chiite en * Perse , altéré dans l' * Inde au contact de l' hindouïsme . Il a évolué suivant les milieux . Le résultat a été un fractionnement de religions en sectes , de nationalités compactes en poussières de nationalités . Arméniens , parsis , juifs , syriens sont des débris de peuples , dont l' axe s' est déplacé . Le commerce , l' industrie sont devenus leur monopole , comme autrefois celui du phénicien et des grecs autour des vieilles civilisations d' * égypte et d' * Assyrie . Ce sont des essaims qui vivent et pullulent en marge de grandes sociétés et rendent le service d' entretenir , entre des corps tendant à l' inertie , un reste de circulation . Contre ce fractionnement réagit l' époque présente . D' hier seulement la balance penche de nouveau . L' * Afrique du nord , l' * Asie centrale , l' * Inde et l' * égypte sont entrées dans le cercle des grandes dominations . La * Turquie et la * Perse sentent le cercle se refermer autour d' elles . v . - contacts par le développement du commerce maritime : sur un autre point la vie se rallume . Le monde occidental n' avait eu que de rares et lointaines échappées sur les grandes civilisations de l' * Extrême- * Orient : le contact devient aujourd'hui plus intime et c' est une des plus intéressantes expériences humaines qui s' accomplit . L' * Inde , depuis 1860 avec * Lord * Dalhousie , a été sillonnée de chemins de fer sous le contrôle d' une domination étrangère . Dans ces dernières années , le rail a pénétré en * Chine . Depuis la date fatidique du 8 juillet 1853 où l' escadre du * Commodore * Perry parut à * Yedo , le * Japon s' est ouvert , d' abord à demi , puis largement ; il a inauguré son premier chemin de fer en 1872 ; aujourd'hui ses usines , sa science et jusqu'à son costume sont européens . Nul n' est parti plus tard et n' a marché plus vite . Cette métamorphose déconcerte et , cependant , il semble que , cette fois encore , ce peuple n' ait fait qu' obéir à une loi particulière de son développement , que cette dernière mue soit une répétition de celle qui mit jadis le vieux * Japon à l' école de la * Corée et de la * Chine . Lorsqu' au VIe siècle de notre ère , le boudhisme pénétra au * Japon , il accomplit une révolution semblable à celle que , dans notre occident , le christianisme apporta au monde barbare . Sous ces emprunts , le * Japon a jalousement conservé son originalité de peuple insulaire dans son cadre de montagnes et de découpures littorales , ses pélerinages aux sanctuaires ombragés sous les cryptomerias , le goût de sa riante nature fleurie et de l' art religieux qui l' interprète . Est -ce de ses avatars antérieurs qu' il a acquis sa singulière aptitude à s' approprier la science européenne , à s' assimiler ce qui lui a paru essentiel dans les civilisations extérieures ; nous serions fort embarrassé de dire s' il faut en faire honneur à des qualités de race , à sa composition ethnique , à sa position géographique ; notons seulement que le présent ne dément pas le passé . Le cas insulaire du japonais offre un frappant contraste avec l' attitude des civilisations continentales qui se sont enracinées , poussant des rejetons autour d' elles : celle de * Chine ou de l' * Inde . Le commerce de l' * Europe et celui des * états- * Unis font à l' envi le siège du chinois : ils n' ont encore réussi qu' imparfaitement à introduire en lui de nouveaux besoins . S' ils y parviennent pour quelques articles , c' est à la condition de se plier à ses goûts et à ses coutumes . Habituée à répandre sa civilisation autour d' elle , à se considérer comme le centre du monde , la * Chine se résigne mal au rôle de disciple . Elle se retranche dans sa mentalité orgueilleuse . Aux idées subversives de l' * Europe ou de l' * Amérique , à leurs articles exotiques , elle oppose sa morale , sa philosophie , ses traditions littéraires , ses habitudes domestiques , sa conception du luxe et du bien-être . Aux compétiteurs jaloux lui offrant qui ses cotonnades et ses machines , qui son pétrole , qui ses allumettes , elle a longtemps opposé un flegme dédaigneux . Elle cède cependant et commence à prendre quelques marchandises . Le chinois , disent nos lyonnais , devient " un intéressant personnage économique " . Une période de fermentation a commencé dont il est impossible de prévoir les étapes . Mais , de la * Chine comme du * Japon , on peut dire la même chose : l' imitation de l' étranger ne vient que du désir de se passer de lui , un sentiment de xénophobie en est le principe . Au contact de ses maîtres britanniques , l' * Inde a certainement évolué ; mais dans quel sens ? Tout ce que les anglais ont tenté pour modifier par ce qu' ils croyaient avantageux la constitution sociale du pays , pour créer , par exemple au * Bengale , une aristocratie terrienne en favorisant les zemindari au détriment des ryotts ( 1793 ) , a échoué ou tourné à mal : ils ont réussi au contraire en s' appuyant sur les organismes traditionnels , en développant le régime municipal , en respectant les souverainetés indigènes . Les castes n' ont en rien cédé de la prise qu' elles exercent . Tout l' édifice social est resté à peu près intact . L' éducation , la presse , les universités , la diffusion de la langue anglaise ont affecté la mentalité indigène , mais dans un sens autre qu' il n' était prévu . Des médecins , des chirurgiens habiles ont pu se former parmi les indigènes ; l' axe de la pensée n' a pas été déplacé . Jamais l' attention des lettrés hindous ne s' est plus portée vers les anciens livres sacrés que depuis que la science européenne les a touchés du bout de son aile . Et quant au peuple , on a remarqué qu' un des principaux résultats des facilités données aux voies de communication , a été d' augmenter l' affluence de pélerins vers les vieux sanctuaires . Ainsi la branche tordue par le vent reprend sa direction première . Une conséquence , et celle -ci capitale , de la domination britannique , se dégage dès à présent : c' est la conscience d' une certaine unité de civilisation entre membres disparates qui s' ignoraient dans l' * Inde d' hier . vi . - caractère géographique du progrès : lorsque * Pascal parle de la suite des hommes comme d' un seul homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement , il exprime une vue philosophique de l' esprit , que confirme l' état actuel de la civilisation . Mais cela n' implique nullement que le progrès marche du même pas régulier et uniforme . Le cours de l' histoire abonde là-dessus en démentis . Encore aujourd'hui , nous voyons dans la moitié environ de la terre des sociétés qui n' ont rien appris depuis des milliers d' années , fixées , comme à un cran d' arrêt , sur une somme de progrès qui , une fois atteints , n' ont pas été dépassés . Ces progrès avaient permis à ces sociétés locales de vivre et subsister sur place ; elles n' ont pas été plus loin . Il y a , cependant , des parties de la terre où , à travers bien des vicissitudes , les progrès n' ont été que rarement arrêtés , où , non sans accident , le flambeau a passé de main en main . à quoi tient ce privilège et pourquoi ces différences ? Il y a dans ces faits une répartition à laquelle les causes purement géographiques ne sauraient être étrangères . Est -ce hasard si les terres concentrées dans l' hémisphère boréal de l' ancien monde , entre la * Méditerranée et les mers de * Chine , ont vu se produire la plupart des grands événements qui ont guidé les civilisations ? On est frappé de l' envergure qu' y prennent les faits sociaux , religieux ou politiques , qui servent de points de repère dans la marche du progrès . Là , par exemple , s' est opérée la diffusion de mêmes familles de langues , expressions de mêmes habitudes d' esprit , aryennes depuis l' * Inde jusqu'à la * Germanie , sémitiques de l' * Arabie au * Maghreb . Là aussi s' est faite la diffusion de formes religieuses à bases morales et philosophiques . Deux des principales religions entre lesquelles se partage l' humanité , le christianisme et l' islam , y ont trouvé non seulement leur berceau , mais leur aire de propagation . Et s' il est douteux qu' il y ait , au sens où l' entendit * Oscar * Peschel , une " zone de fondateurs de religion " , il est permis d' admettre qu' il y a des parties de la terre où les formes religieuses ont disposé de facilités spéciales d' expansion . Le bouddhisme lui-même , né dans l' * Inde , n' a -t-il pas cheminé à travers l' * Asie centrale au moyen des routes de commerce qui avaient déjà révélé à l' occident la contrée appelée * Sérique ? Mêmes remarques sur les genres de vie . La plupart des procédés de la vie agricole , méthodes d' irrigation , cultures d' arbres fruitiers , usage de la charrue , se sont largement répandus dans les contrées qu' embrasse cet ensemble . La vie pastorale , toujours si développée dans cette zone , implique un nomadisme qui la fait , il est vrai , généralement considérer comme un genre de vie inférieur . En réalité , ce type , tel qu' il s' est organisé en * Asie et dans le nord de l' * Afrique , de l' * Altaï à l' * Atlas , aux confins des steppes , avec points d' appui et relations d' échange dans les oasis ou dans les régions limitrophes de culture , représente une forme relativement élevée de civilisation . Il entretient , par les caravanes et les bazars , des rapports étendus ; il favorise , aux points de contact , la formation de marchés et de villes ; il défraie enfin le luxe patriarcal de la tente . De grands faits historiques , ayant fortement brassé les hommes , ont pris naissance dans ce milieu . On a vu les familles et les tribus se combiner en confédérations , s' agglomérer en hordes qu' ont signalées des éclairs de puissance quasi mondiale . Le cas de l' empire mongol , qui fit au XIIIe siècle trembler l' * Europe , ne fut pas un phénomène isolé et sans racines . VII . - les noyaux : il y a des contrées où la chaîne du progrès a été rompue ( * Europe orientale , * Asie occidentale ) , où elle ne s' est renouée que plus tard ou imparfaitement . Il y en a d' autres où les progrès n' ont jamais été tout à fait interrompus , qui n' ont pas éprouvé ces hiatus funestes . Les formations politiques s' y sont succédé en rapport les unes avec les autres ( * Europe occidentale et centrale , * égypte même , etc. ) . En somme , les faits généraux , dans l' histoire des sociétés humaines , ne se produisent jamais d' emblée . Il faut préalablement triompher des obstacles accumulés autour de chaque groupe par les distances , la nature des lieux , les hostilités réciproques . Un développement embryonnaire précède le plein épanouissement de l' être . Il faut donc remonter un peu plus haut dans la chaîne des faits . Le christianisme romain s' inscrit dans les cadres de l' empire d' occident , comme le christianisme grec dans celui de l' empire d' * Orient . C' est aux dépens de cet empire et de ceux des perses et des sassanides que l' islam a constitué son domaine . Mais ces différents empires s' étaient formés eux-mêmes d' éléments antérieurs , avaient absorbé en eux ceux d' * égypte , de * Chaldée , de * Macédoine . Continuant à remonter l' échelle du passé , ces grandes formes d' organisations politiques se décomposent en plus petites contrées , en une multitude de foyers distincts doués de vie propre . La puissance pharaonique s' élève sur la multitude de nomes éclos sur les bords fertilisés du * Nil . De petites royautés , dont quelques noms seuls nous sont parvenus , entrent dans la charpente des empires du * Tigre et * Euphrate . Un essaim de cités analogues à celles qui s' étaient formées à * Athènes , * Corinthe , * Milet , se répandent le long de la * Méditerranée , en face des colonies issues de * Sidon , * Tyr et * Carthage . La puissance de l' * étrurie se fond dans celle de * Rome ; et la conquête romaine , à son tour , absorbe la civilisation de type hallstatt préalablement formée au nord des * Alpes . Ainsi ces phénomènes dont l' ampleur nous étonne , n' ont fait que résumer des développements antérieurs . Ce que l' on distingue à l' origine , c' est la multiplicité de foyers distincts , l' action de sociétés de dimensions moindres , microcosmes , agissant chacun dans leur sphère . Ce sont elles qui ont servi de noyaux aux organisations plus vastes qui ont hérité de leur travail . Elles s' étaient formées elles-mêmes , à la faveur des circonstances régionales , dans des conditions particulières de milieux . Les alluvions fluviales du * Nil et de l' * Euphrate , les articulations du littoral méditerranéen , les voies d' aboutissement de l' arrière-pays continental , par le * Rhône , le * Danube , le nord de la mer * Noire ou la * Syrie : tels avaient été , dans ce coin du monde , sommairement résumés , les avantages qui avaient concouru à entretenir la vie entre ces sociétés de formation distincte et originale . Du rapprochement et du mélange de ces divers éléments se sont formés des empires , des religions , des états , sur lesquels a passé , avec plus ou moins de rigueur , le rouleau de l' histoire , avec ses chutes et ses retours , ses actions et réactions , ses fléaux et ses bienfaits : toutes les contingences en un mot qu' entraîne le jeu des causes humaines . Mais à travers ces contingents filtrent les influences géographiques . Une répercussion réciproque n' a cessé presque à aucun moment d' agir entre les sociétés qui ont couru leurs destinées diverses dans l' espace que circonscrivent l' * Europe , l' * Asie occidentale et l' * Afrique du nord . Elles ont engendré des rapports qui annoncent ceux que , dans notre monde contemporain , a créé l' extension des voies de commerce . L' agrandissement des horizons a été progressif . Les voies romaines et la navigation maritime permirent un développement urbain dont * Rome et * Alexandrie sont les types . * Rome eut son grenier en * égypte , comme notre * Europe urbaine et industrielle a le sien par delà les mers . Une balance s' opéra entre les pays nourriciers et les pays consommateurs . On peut ainsi , dans le spectacle économique du monde romain , apercevoir déjà , entre l' * Italie , la * Gaule et la province d' * Afrique , quelques-uns des rapports qui ont leur plein développement sur une échelle infiniment plus vaste , dans le monde contemporain . Cette précocité singulière tient à des causes géographiques : non pas à des causes simples , mais à un ensemble très complexe dont la force s' est révélée grâce à une continuité de relations . Ni les grands fleuves riches d' alluvions , ni la vivante * Méditerranée , ni les riches plaines du * Danube et de la * Russie méridionale , ne suffisent par elles-mêmes à expliquer la persistance , sous des formes diverses , de civilisations progressives . Mais la répartition des terres et des mers , l' intercalation des plaines et des montagnes , le rapprochement des pays de steppes et des pays de forêts réalisent dans cette partie du globe un agencement tel que les causes géographiques ont pu mieux qu' ailleurs combiner leurs effets . Il y a eu comme une série d' initiations réciproques . Ce phénomène historique ne s' est produit que là ; car les civilisations américaines sont restées confinées sur les plateaux , et la civilisation chinoise , si remarquable à tant d' égards , est restée presque exclusivement attachée aux plaines . La civilisation dont l' * Europe moderne est l' héritière finale , s' est nourrie à l' origine d' une foule de foyers distincts , a absorbé la substance d' un grand nombre de milieux locaux . C' est de ces antécédents , de cette longue élaboration séculaire , que des rapports mutuels ont maintenue active , qu' elle a tiré sa richesse et sa fécondité . La convergence des formes de configuration et de relief , le rapprochement des régions découvertes et des régions boisées , ont ménagé un concours de rapports et d' énergies géographiques qu' aucune autre région du globe n' a connu au même degré . e