_: Tennis de table - Mondiaux de Paris La fièvre du ping-pong VOUS PARLEZ D' UN CHOC ! Je me préparais à un tournoi contre l' ancien champion du monde Jean-Philippe Gatien à l' INSEP ( Institut national du sport et de l' éducation physique ) , dans le bois de Vincennes , le centre d' entraînement des champions français présents et à venir . J' aurais donc dû avoir droit à mes deux minutes de célébrité avec « Philou » devant les caméras de France 3 , mais le journaliste de télévision qui avait organisé cette rencontre se retrouvait coincé quelque part en Polynésie et je devais moi-même partir pour Londres le lendemain afin de participer à un congrès littéraire où j' étais censé parler ping-pong avec Matthew Syed , meilleur pongiste de Grande-Bretagne , et même peut-être faire un petit match de démonstration contre lui . Je suis un joueur moyen , obligé de recourir à toutes les astuces de ma raquette pour pouvoir me mesurer à des virtuoses de 15 ans qui attaquent comme le diable et disposent d' un service non moins diabolique . Mon énergie est moindre , à présent , et j' ai chuté dans le classement , mais je suis quand même toujours un tueur devant la table , du moins pour peu qu' une chance de tuer se présente à moi . J' adore le combat auquel exposent les tournois locaux de mon club , proche de la Bastille ( l' US Métro ) , étant convaincu que chaque match se gagne ou se perd avant même que le premier point ne soit marqué , que c' est la férocité qui l' emporte , ainsi que la capacité à lire les forces et les faiblesses de votre adversaire alors qu' il s' échauffe et n' est guère disposé à vous dévoiler son jeu . Et bon sang que j' aurais adoré jouer contre Philou ! Dans ma tête , j' avais organisé une rencontre de double opposant Philou et Georges Moustaki - mon équipier de l' US Métro - à Patrick Chila Chila et moi-même . Georges aurait eu le désavantage de jouer contre trois gauchers , mais bon ... Il aurait fallu que je contienne le lift de Philou et compter que Chila , le champion de France actuel , déréglerait assez longtemps le rythme de Georges pour que je puisse provoquer quelques dégâts . Mais mon interlocuteur de France 3 était à Bora Bora , et je ne suis jamais arrivé jusqu'à l' INSEP ... L' événement sportif auquel j' ai pris le plus grand plaisir cette année a été la finale du championnat national , opposant Damien Eloi à Chila . La rencontre a été féroce , extrêmement rapide , et Chila a fini par résister aux attaques d' Eloi . Je ne supporte plus de regarder la plupart des sports professionnels . Les joueurs ressemblent à des millionnaires choyés qui exécutent une pantomime idiote . Le dernier athlète professionnel qu' il m' a été possible de regarder a été Pete Sampras , qui , devant le public , jouait sans masque ni accoutrement particulier . Il était gauche , peu sûr de lui devant une foule , comme s' il était dénué de tout langage hormis celui , invisible , que doit se découvrir tout grand athlète , la « musique » qui lui est propre sur le terrain , cette « musique » qui lui permettra de l' emporter ... La dernière fois que le championnat du monde de ping-pong a eu lieu à Paris , c' était en 1947 , au Palais des sports , avant l' époque du caoutchouc-éponge et de la supercolle , du temps où l' Amérique , la France , l' Angleterre , la Hongrie et la Tchécoslovaquie avaient les meilleurs joueurs du monde . Le joueur américain le plus habile , Dick Miles , comptait parmi les favoris , mais il ne survécut pas même au premier tour . Ce fut le Tchèque Bohumil Vana qui reçut la couronne du simple messieurs . Il était très , très rapide et son coup droit couvrait l' intégralité de la table , il « cognait » comme un kangourou magnifique . Mais nulle gloire professionnelle ne l' attendait . Il devint pompier et finit par vendre ses coupes pour pouvoir se nourrir . Les champions de ping-pong paupérisés , ce n' est pas mon truc . Mais Bo Vana m' émeut infiniment plus que Michael Jordan et le ballet miraculeux qu' il exécute avec un ballon de basket . Le dernier championnat du monde à Paris se déroula au cours d' une période troublée , alors que le France , se remettant encore de la guerre , manquait de nourriture , de vêtements et de carburant : il faisait si froid au Palais des sports que Dick Miles voyait son haleine lui sortir de la bouche . « Je me suis étouffé , se souvient -il . Mon bras a gelé . Je n' arrivais plus à tenir ma raquette. » Et 2003 aussi est une période troublée , sous la menace d' une nouvelle et meutrière pneumonie , après une guerre contre l' Irak qui a divisé le monde en plusieurs camps politiques . Mais une petite balle en celluloïd possède ses propres remèdes , une capacité à tout guérir . Et , alors que des joueurs de la planète entière s' affrontent sans songer à la grosse galette , mais à grand renfort de colle puissante et de peaux en caoutchouc-éponge qui épousent les contours de leur raquette en bois , nous assisterons à des batailles spectaculaires où les « blessés » peuvent encore quitter la table par leurs propres moyens ... et où les vainqueurs ne seront peut-être pas obligés de vendre leurs trophées pour demeurer en vie , comme fit naguère Bo Vana , « le Tchèque bondissant » . Jerome Charyn vient de publier Ping-Pong , chez Robert Laffont , dont Le Monde publiera des extraits pendant la durée des championnats du monde de tennis de table . Professeur de cinéma à l' Université américaine de Paris , il est l' auteur de nombreux romans . Il est aussi un excellent joueur - classé - de tennis de table . Le texte ci-dessus , traduit de l' américain par Marc Chénetier , a été écrit spécialement pour Le Monde par Jerome Charyn .