_: Laurent Fabius : « Les dirigeants actuels préparent peu l' avenir » A la veille de l' université d' été du PS , qui s' ouvre vendredi 29 août à La Rochelle , l' ancien premier ministre porte de vives critiques contre le gouvernement Raffarin . « Il y a place , dit -il , pour un puissant parti réformiste de gauche » qui regroupe « tous les progressiste s » LE TEXTE de cet entretien a été relu et amendé par M. Fabius . Quel bilan tirez -vous de la gestion de la canicule par le gouvernement ? Mes réactions , ce sont d' abord la compassion et l' accablement . Le bilan humain est effrayant . Nous vivons dans un pays riche , dans un monde d' hypertechnicité , notre devise nationale comporte le mot « fraternité » , pourtant des milliers de personnes âgées sont mortes . Et ce qui a tué , c' est autant l' indifférence que la chaleur . Indifférence aux plus fragiles , aux conditions de travail dans les maisons de retraite , dans les services d' urgence ; indifférence aux problèmes d' environnement . Face à un tel drame , je refuse la polémique , mais je demande la transparence . Le PS ainsi que beaucoup de professionnels de santé ont souhaité une commission d' enquête parlementaire ; dans une démocratie et devant un tel drame , cela ne se discute même pas . Marie-George Buffet a proposé de réunir rapidement le Parlement pour qu' elle puisse être formée sans délai . C' est une bonne idée . Le PS a davantage critiqué le gouvernement que le chef de l' Etat . Certains pensent que ce rôle vous est peut-être dévolu ... Si j' ai bien compris , le gouvernement prend ses instructions auprès de celui qui l' a nommé . La cohabitation est terminée ! Je préfère donc m' intéresser à leur action commune , qui repose , me semble -t-il , sur trois ingrédients principaux : la « com » , l' ardoise et le dos rond . La communication est sollicitée au-delà du raisonnable par l' exécutif pour essayer d' accréditer sa proximité et son efficacité . Les ardoises , ce gouvernement les accumule et elles ne sont pas seulement financières : l' état du système de santé , la lutte contre les pollutions , la diversification énergétique n' ont pas avancé , alors que le développement durable est censé être une préoccupation élyséenne majeure . Enfin , la politique du « dos rond » sert précisément à masquer les ardoises : l' éducation nationale , l' assurance-maladie appellent une action urgente et de vrais arbitrages . Or , que disent les pouvoirs publics ? « Débattons et nous verrons tout cela dans un an. » Avec une nouvelle forme de gouvernance : le « remaniement rampant » - on ne change pas les ministres qui échouent , on les placardise . Secteurs déjà touchés : les affaires européennes , l' éducation , l' écologie , bientôt la santé , là où il faudrait au contraire une vision et une action d' ensemble . Et les retraites ne constituent pas un contre-exemple : une réforme profonde était indispensable , celle qui vient d' être adoptée n' est malheureusement financée qu' au tiers et on sait déjà qu' il faudra recommencer en 2008 , c' est-à-dire après l' élection présidentielle , un hasard ... Le PS n' a -t-il pas eu tort de s' opposer à la réforme des retraites sans proposer de projet alternatif ? La réforme devrait tenir compte de la pénibilité différenciée des métiers ; asseoir son financement non sur les seuls salaires , mais sur un partage capital / travail ; enfin , viser à garantir un niveau décent de retraite , notamment pour les femmes qui ont eu des carrières incomplètes et pour les revenus modestes , afin d' éviter une perte massive de pouvoir d' achat . Il avait été prévu d' adresser , chaque année , à tous les Français en activité le chiffre de leur future retraite . Je demande au gouvernement d' honorer cet engagement dès l' an prochain . Chacun verra alors que la question des retraites n' est pas réglée . Il faudra donc le moment venu la reprendre , après négociation avec les partenaires sociaux . Quel sens souhaitez -vous donner à l' université d' été du PS , qui s' ouvre vendredi à La Rochelle ? Les Français sont critiques sur la politique économique et sociale de la droite , mais pas encore convaincus que l' opposition ferait mieux . Nous commençons seulement à être entendus , nous devons encore travailler nos propositions , en faisant d' abord écho aux soucis des Français : l' emploi , la rentrée scolaire et la question éducative , le pouvoir d' achat , les problèmes sociaux et sanitaires , les questions européennes et l' environnement . C' est surtout à cela que doit servir La Rochelle . Que faire pour sortir l' éducation nationale du malaise ? D' abord constater les faits : avec la massification , l' école a changé de nature mais non de règles ; les conditions de travail des personnels éducatifs sont difficiles ; il n' y a pas de vraie égalité des chances ; l' atmosphère est inflammable . En fait , l' école ne doit pas seulement éduquer mais aussi intégrer , d' où l' importance de la laïcité . Nous devrions mieux écouter ce que les enseignants ont à dire . Réexaminer quel bagage donner aux élèves à la sortie de l' école - parce que tous ne seront pas agrégés ! Non pas engager la énième réforme baptisée du nom du ministre en place , définie par circulaire puis perdue en route , mais rechercher de meilleurs résultats en termes d' égalité des chances . Enfin , nous voulons lier effort éducatif et formation sur toute la vie : c' est une véritable « société éducative » qu' il faut viser , élargie d' ailleurs à la culture dans son ensemble , avec les moyens correspondants . Comment définissez -vous votre rôle au sein du PS ? Je vais à la rencontre des Français , j' essaie d' écouter la société , de réfléchir à ce que doit être une gauche moderne et de proposer un chemin . Et de vous préparer à une campagne présidentielle en 2007 ? Les Grecs avaient un mot pour désigner le « moment propice » : kairos . Nous ne sommes manifestement pas encore dans le « kairos » de l' élection présidentielle . Mais vous , plus précisément ? Je travaille sur des questions centrales pour notre pays . Ce nouveau siècle va accentuer des changements décisifs : la révolution de l' information et de la génomique - qui rend encore plus impérieuse la priorité à l' éducation et à la recherche - , le vieillissement de la population , l' éclatement des équilibres naturels , la montée de la Chine et de l' Inde qui appelle une Europe puissance , la dissémination du terrorisme . Ce qui me préoccupe , comme beaucoup , c' est combien les dirigeants actuels , quoique concentrant tous les pouvoirs , préparent peu l' avenir . Quelles leçons tirez -vous de l' échec de Lionel Jospin ? A Londres , en juillet , Bill Clinton m' a frappé en disant ceci , à partir de son expérience : « Le plus important dans une élection , ce n' est pas le bilan , c' est le projet. » Plusieurs raisons expliquent notre défaite , notamment la division de la gauche , mais une des leçons que moi aussi je tire , c' est le caractère central du projet . Le nôtre n' était sans doute pas suffisamment convaincant et porteur d' espérance . L' idée même d' Europe paraît peu populaire en France . Les politiques n' en sont -ils pas responsables ? Certainement , si . On présente surtout l' Europe comme une source de difficultés , on la rend coupable de nos dysfonctionnements nationaux , on n' évoque presque jamais le projet qui l' anime . On en souligne les querelles , non les ambitions . Elle semble ne s' intéresser qu' aux petits sujets et gêner les Etats , plutôt que d' ouvrir des perspectives . Quant au gouvernement actuel , je ne sais pas exactement quelle est sa politique européenne , sinon que les projets franco-allemands , pourtant décisifs et qui devraient entraîner , sont trop peu nombreux et trop peu ambitieux . Le PS , lui , est vraiment européen . Nous sommes prêts à accepter les partages de souveraineté . Mais nous voulons aussi une vraie reconnaissance du principe de « service public » , au même titre que celui de libre concurrence ; une véritable coordination économique ; davantage d' intégration politique ; et une défense européenne . Nous voulons davantage d' Europe , mais une Europe différente . La mondialisation aussi effraie . N' est -ce pas pourtant une idée positive ? Affirmer que beaucoup se passe désormais à l' échelle du monde , c' est dire qu' il fait jour à midi . C' est pourquoi l' antimondialisation n' a pas de sens . Les partisans de l' altermondialisation , eux , soulèvent des questions justes : quelle organisation internationale ? Comment lutter contre les pollutions ? Comment garantir la diversité culturelle et les biens publics mondiaux ? Comment rééquilibrer les relations entre le travail et le capital ? Nous ne voulons pas nous cantonner à la critique . La gauche réformiste a vocation à gouverner et à transformer . Nous devons donc préciser nos orientations . C' est la tâche des prochains mois . Dans le but de rassembler toute la gauche ? Je reste attaché au rassemblement de la gauche et de tous les progressistes . A nos partenaires - je l' ai dit récemment chez les Verts - , nous devons proposer un contrat global comportant des règles précises qui donnent à chacun des droits en contrepartie de devoirs clairs , comme la solidarité gouvernementale ou l' engagement de long terme . Au temps de la gauche plurielle , les droits et les devoirs n' étaient pas assez précisés , la logique relevait trop de la sous-traitance , chacun étant implicitement chargé d' un seul sujet : à l' un le social , à l' autre la laïcité , au troisième l' environnement , à celui -ci la nation , et au PS un peu de tout ... plus le reste . Cette majorité s' est divisée au moment des élections . L' idée de former un seul parti , je n' y crois pas à horizon rapproché : cela entraînerait trop de tensions . Mais pour proposer un « contrat global » à d' autres , le PS doit approfondir son projet . L' exigence écologiste , à laquelle je suis sensible depuis longtemps , devra y avoir sa pleine place . L' extrême gauche peut -elle être de ces « partenaires » ? Se couper du mouvement social serait pour le PS une faute . Mais les partis d' extrême gauche - je préfère dire « d' ultra gauche » - , c' est tout à fait autre chose . Ils n' établissent en général pas de distinction entre gauche et droite , ne proposent pas grand-chose de concrètement possible , restent fondamentalement hostiles à la social-démocratie et ne pratiquent guère la démocratie . Nous avons vocation à rassembler , nous savons qu' il y a des personnes sincères dans ces formations , mais nous devons d' abord être nous-mêmes . C' est ainsi que nous serons convaincants . Quel commentaire vous inspire le démontage du stand du PS pendant le rassemblement « Larzac 2003 » ? Le sectarisme et la violence , nous n' en voulons pas . Les Français dans leur ensemble non plus . Il revient aux organisateurs de dénoncer nettement ces agissements . Mais que voulez -vous faire du PS lui-même : un parti à la Tony Blair ? J' ai toujours été impressionné qu' en France on ne reconnaisse des mérites aux socialistes qu' à la condition qu' ils soient étrangers ou qu' ils soient morts - j' espère qu' il peut y avoir quelques exceptions ... Sans copier quiconque , il y a place , dans notre pays , pour un puissant parti réformiste de gauche que je décrirais ainsi : économiquement responsable , socialement juste , ouvert sur notre société et ferme dans la conduite de l' Etat . Je crois que le centre de gravité de notre nation , de notre République , est de ce côté -là . Une majorité de Français doit pouvoir se retrouver sur cette orientation . C' est , je pense , celle de François Hollande . C' est la mienne . Les Américains vous paraissent -ils durablement décidés à contourner les institutions internationales ? C' est le sentiment que donne l' administration Bush , équipe très idéologique qui proclame : « Pourquoi accepter les contraintes d' organisations internationales si nous ne les contrôlons pas ? » Cette approche nie les principes sur lesquels est bâtie la communauté des nations , et comporte une énorme faiblesse : aucune puissance ne peut à elle seule résoudre tous les problèmes du monde contemporain . C' est peut-être ce que les Américains découvrent tragiquement en Irak . La France doit continuer , sans arrogance , à tracer son sillon , à travailler activement pour renforcer l' Europe et à chercher les moyens d' avancer vers un modèle multilatéral de développement durable et de paix .