_: Comment Luc Ferry , coqueluche des politiques , en est devenu le mal-aimé Homme de réseau , jadis adulé à droite et à gauche , le ministre de l' éducation n' a gagné ni la confiance des enseignants ni celle des élus « De toute façon , être ministre est une expérience philosophique » Parce que , dit le président de l' UDF aujourd'hui , Tous en philosophie . Dîner avec quelques ministres ne constitue pas un réseau politique . Le voici , justement , en enfer ... » Deux ou trois fois , il s' est même agacé qu' on veuille lui imposer les rituels de la vie parlementaire , les règles du fonctionnement administratif , les traditions de la concertation syndicale : « Quel intérêt y a -t-il à faire venir des hommes de la société civile si c' est pour les obliger à se conformer aux usages de la politique ? » Mais il a longtemps cru qu' il pourrait maîtriser le système . Mettre en application ses idées est une envoûtante ambition pour un intellectuel français . Bien sûr , ni Jacques Chirac ni Jean-Pierre Raffarin ne lui ont caché que le défi serait de taille . Ses proches , eux , en ont d' abord ri . Mettant l' ambition de Luc Ferry de devenir ministre sur le compte d' un désir un peu juvénile . Mais lorsque sa nomination est devenue officielle , ils y sont tout de même allés de leur mise en garde . « C' est le poste le plus exposé d' un gouvernement , a expliqué le sénateur socialiste Henri Weber , ami de longue date , et la droite , depuis 1967 , a toujours échoué sur l' éducation nationale. » « Je te félicite , mais c' est un ministère impossible ir-ré-for-mable » , a assuré le philosophe Pascal Bruckner . Mais Luc Ferry a balayé tout cela d' un argument irréfutable : « J' ai toujours prôné l' éthique de responsabilité . Si je refuse , je m' interdis à jamais d' avoir le moindre regard critique sur la façon dont on conduit l' éducation dans ce pays. » « Il ne voulait pas rester dans l' abstrait » , confirme son ami Marek Halter . Et il a plongé . A son frère , Jean-Marc , Luc Ferry avait dit en riant : « De toute façon , être ministre est une expérience philosophique. » Est -ce à cette aune qu' il a d' abord jaugé la politique , se heurtant à l' aspect ultra-technique de la négociation budgétaire ? « Tu sais , c' est un peu comme la lecture de la phénoménologie de l' esprit » , sourit -il devant son ancien élève devenu ami , Pierre-Henri Tavoillot . Mais s' attendait -il à de si grandes difficultés ? A des grèves à répétition ? A la méfiance des parlementaires de droite comme de gauche ? A voir des enseignants lui jeter son livre à la figure ? A des moqueries sur sa femme , sa coiffure , son style ? De la politique , Luc Ferry a longtemps pensé avoir saisi l' essentiel . Un réseau du tout-paris Le philosophe a structuré sa réflexion autour de Fichte , Kant , Raymond Aron quand une grande partie des intellectuels de sa génération plongeaient dans le maoïsme et le trotskisme . Il en a critiqué bien des écueils , des dérives de « La Pensée 68 » ( écrit en 1985 avec Alain Renaut ) à celles du « Nouvel ordre écologique » ( Grasset , 1992 ) pour ne citer que deux ouvrages au sein d' une oeuvre abondante ( Le Monde du 9 mai 2002 ) . Depuis quinze ans , il fréquente aussi les boutiques de la République , les séminaires , les fondations . Là où les chefs de parti et les futurs ministres cherchent de quoi régénérer leurs programmes . Il a offert à chacun son agilité d' esprit , son sens de la pédagogie et ... un formidable réseau du Tout-Paris . Le milieu politique ne s' y est pas trompé . Une telle alliance entre intelligence , production philosophique , goût pour l' action publique et mondanités est trop rare pour ne pas être remarquée . A droite , François Bayrou , qui l' a rencontré au début des années 1990 , le nomme en 1994 , lorsqu' il devient ministre de l' éducation nationale du gouvernement Balladur , au Conseil national des programmes . LE MONDE politique est un monde de guerriers . « il avait un esprit délié , une vision assez sensible des évolutions de la société et un réseau médiatique exceptionnel » . Bayrou deviendra le parrain de Clara , sa dernière fille . Ses successeurs de gauche , Claude Allègre et Jack Lang , le reconduiront à la présidence du CNP . Voilà Ferry inclus au sein même de l' énorme machine de l' éducation nationale . Observateur des ministres et des enjeux . Il pense connaître le monstre : titulaire de deux agrégations ( philosophie et sciences politiques ) , il a lui-même enseigné . Un an seulement , au lycée François-Villon , dans le quartier des Mureaux , à Mantes-la-Jolie ( Yvelines ) , mais quelques années dans une Ecole normale et enfin à l' université . Sur les quatre frères Ferry ( Luc est le benjamin ) , trois sont d' ailleurs enseignants . Il ne l' a sans doute pas saisi tout de suite . « Notre éducation nous a exercés à une pratique de l' autoréflexion , souligne l' aîné , Jean-Marc , professeur à l' école libre de sciences politiques en Belgique . Notre mère , surtout , issue d' une famille d' instituteurs , nous demandait de thématiser nos disputes , d' en analyser les causes morales profondes ... » Cela ne l' empêchera pas , à la tête du CNP , d' essuyer sa première difficulté , en 1999 , en tentant de réformer avec son ami le philosophe Alain Renaut l' enseignement ... de la philosophie . « Vision constructive » Luc Ferry a sans doute gardé de ce premier échec une certaine méfiance à l' égard des enseignants . Et une volonté maladroite de se démarquer de ses prédécesseurs , qui lui vaut aujourd'hui une solide rancune de Jack Lang . « Au départ , il me paraissait avoir une vision constructive de l' école , cingle l' ancien ministre de l' éducation nationale socialiste , mais , aujourd'hui , il est le premier ministre qui jette les gens dans la rue sans avoir fait la moindre réforme . C' est à croire que le pouvoir rend sot ! » Luc Ferry n' a pas vu , en tout cas , que le pouvoir l' obligeait à certains usages . Quelques semaines après sa nomination , face aux mille petites tractations de l' Elysée , de Matignon , de l' UMP pour lui constituer un cabinet , instruit des premières critiques qui couraient déjà sur son compte , Luc Ferry a soupiré devant l' un de ses amis : Il n' a pas cherché à gagner à sa cause les élus de l' UMP . Des parlementaires venus dîner au ministère pour évoquer les demandes de leurs électeurs ont dû essuyer les remarques de sa jeune épouse sur leur « clientélisme » . Les directeurs d' administration se plaignent de n' être jamais reçus en tête à tête par le ministre . Les syndicats soulignent le « flottement » de son cabinet . « J' ai dû aller jusque dans le bureau d' un conseiller pour expliquer à l' aide d' un schéma tracé sur une feuille de papier le fonctionnement d' une fédération » , assure Patrick Gonthier , secrétaire général de l' UNSA-Education . Incompréhensions . Rumeurs de démission . Luc Ferry , qui n' avait à 52 ans jamais vraiment connu l' échec , se retrouve ballotté par l' adversité . Un jour , Soeur Emmanuelle , qui aime bien son « petit Luc » , lui a fait remarquer en souriant que l' anagramme de son nom est Lucifer . « Cet univers est une succession de pièges et de coups bas ...