Le Monde

1: De l' Assemblée nationale au congrès du Parti socialiste , onze mois de débat jalonnés de revirements et d' ambiguïtés

2: La question de la laïcité a resurgi en janvier avec l' appel à réviser la loi de séparation des Eglises et de l' Etat .

3: Des incidents dans des lycées ont imposé le foulard comme le sujet de polémique de l' année

4: ELLE a fini par s' imposer .

5: Peu à peu , l' idée d' une disposition législative sur la laïcité en général , les signes religieux en particulier et le voile islamique plus précisément a gagné une large part du monde politique français .

6: Le sujet a suscité atermoiements , revirements et palinodies , au sein du gouvernement , chez les élus de la majorité et de l' opposition .

7: De droite à gauche , cette controverse , qui aura constitué le le débat de société le plus marquant de l' année 2003 , a fait surgir des lignes de fractures internes .

8: Tout a commencé au mois de janvier , lorsque Pierre Bédier , secrétaire d' Etat aux programmes immobiliers de la justice , et Jean-François Copé , porte-parole du gouvernement , tous deux élus locaux de la région parisienne , mettent le thème de la laïcité sous les feux de l' actualité en appelant à une révision de la loi de 1905 qui fixe la séparation des Eglises et de l' Etat .

9: Pour eux , la question porte surtout sur l' impossibilité de financer sur les fonds publics la construction de mosquées .

10: Le thème du foulard islamique fait irruption un peu plus tard .

11: Alors qu' un cas de bandana-foulard sème le trouble dans un établissement scolaire lyonnais depuis décembre 2002 , le premier ministre , Jean-Pierre Raffarin , aborde le sujet le 3 avril sur France 3 :

12: il se prononce contre le port du voile " dans la sphère publique et notamment à l' école " .

13: Peu de temps auparavant , le ministre de l' éducation nationale , Luc Ferry , s' est , lui aussi , déclaré favorable à cette interdiction .

14: Mais nul ne parle encore d' en faire l' objet d' une loi .

15: C' est avec l' apparition de Nicolas Sarkozy , le 19 avril au Bourget , lors du rassemblement annuel de l' Union des organisations islamiques de France ( UOIF ) , que les événements vont s' emballer .

16: Sous les sifflets de la foule , le ministre de l' intérieur y rappelle l' interdiction du port du voile sur les photos d' identité .

17: Dans les jours qui suivent , le débat s' engage sur le thème : " Faut -il une loi pour interdire le voile ? " , pour l' heure centré sur l' école .

18: Si , le 22 avril , M. Ferry juge inopportun de légiférer - " Une loi [ sur ce point ] risquerait d' être anticonstitutionnelle " , dit -il - , quatre jours plus tard , le 27 , le président de l' UMP , Alain Juppé , avance que " le législateur doit prendre ses responsabilités sur le port du foulard islamique " .

19: Il " faudra en venir " à une loi , lui fait écho le ministre de la justice , Dominique Perben , le 28 avril , bientôt rejoint par le député François Baroin , porte-parole de l' UMP , qui confimera , à la fin du mois de mai , dans un rapport remis au premier ministre au nom du club Dialogue et initiatives , la teneur d' une tribune qu' il avait publiée , le 29 avril , dans Le Figaro .

20: Jack Lang leur emboîte le pas .

21: Le 30 avril , l' ancien ministre ( PS ) de l' éducation , jusqu'alors hostile à toute législation spécifique contre le voile , annonce qu' il va déposer une proposition de loi prônant l' interdiction " de tous signes extérieurs d' appartenance religieuse dans le cadre scolaire " .

22: LE " RÊVE " DE M. RAFFARIN

23: M. Raffarin , lui , vient de réaffirmer aux députés , le 29 avril , que l' on ne " touchera pas " à la loi de 1905 , en indiquant que le gouvernement songe à des mesures de protection de la laïcité , qui pourraient être intégrées dans une révision de la loi d' orientation scolaire de 1989 .

24: M. Ferry , cette fois , approuve : " Cette révision sera une très bonne occasion d' inscrire la laïcité dans la loi . "

25: Mais à l' Assemblée nationale le débat monte .

26: Pas moins de quatre propositions de loi visant à interdire le port ostentatoire de signes religieux dans les écoles publiques et les administrations sont annoncées ou exhumées .

27: Outre celle de M. Lang , deux proviennent des rangs de l' UMP , une de l' UDF .

28: Le 4 mai , sur Europe 1 , M. Raffarin reste cependant ambigu .

29: " La laïcité devrait être suffisamment forte pour ne pas forcément avoir besoin de loi pour s' imposer " , argumente -t-il , avant d' ajouter : " Si besoin , il y aura loi . "

30: Chez M. Ferry , en revanche , le discours se précise : " Je pense qu' il est possible quand même et je pense qu' il est souhaitable - en tout cas , si c' est possible , c' est certainement souhaitable - de légiférer " , lance -t-il le 22 mai lors d' une table ronde " Ecole et laïcité " , organisée par le groupe UMP de l' Assemblée .

31: La gauche commence à faire chorus .

32: Laurent Fabius prend position .

33: Le 17 mai à Dijon , au congrès du PS , il inclut la défense de la laïcité parmi les " trois grandes tâches " qui incombent aux socialistes , intitulant ce passage de son discours : " Marianne n' a pas de voile " .

34: " C' est aux politiques de prendre leurs responsabilités , déclare -t-il . A nous de dire que , autant dans la sphère privée chacun est libre de pratiquer sa foi comme il l' entend , autant dans l' espace public , donc d' abord à l' école publique , les signes religieux ostentatoires n' ont pas leur place - ce qui vaut pour le voile comme pour la kippa , comme pour la croix . "

35: Il précise : " Je crois juste et nécessaire de proposer qu' une loi exprime cette règle . "

36: Au Palais-Bourbon , la réflexion s' organise .

37: Le 6 juin , le président de l' Assemblée , Jean-Louis Debré , institue une mission d' information sur " la question des signes religieux à l' école " , qui était réclamée par les groupes UMP et PS et qu' il présidera en personne .

38: Son objectif :

39: dire s' il convient ou non de légiférer .

40: Le 20 juin , M. Raffarin redit son " rêve " d' une " pratique " de la laïcité qui serait " assez forte pour qu' on n' ait pas besoin d' une nouvelle loi " , relevant néanmoins : " S' il n' y a pas consensus , il ne faut pas hésiter à faire respecter la laïcité par la loi " .

41: Mais un consensus est -il encore possible ?

42: Au début de juillet , Jacques Chirac , jusqu'alors silencieux , décide de se saisir du dossier .

43: Le 3 , il crée la Commission sur la laïcité dans la République , dont il confie la présidence à son vieil ami Bernard Stasi , ancien ministre centriste et médiateur de la République .

44: Sa mission est de mener un débat public qui s' étende au-delà de la question du foulard , afin de " sortir de manière équilibrée du débat " .

45: Devant elle , les contradictions s' affichent :

46: le 16 septembre , le ministre des affaires sociales , François Fillon , prône une loi interdisant le port ostentatoire de tout signe religieux à l' école ;

47: le même jour , M. Ferry effectue encore un revirement , manifestant à nouveau sa réticence .

48: C' est aussi , désormais , l' avis de M. Perben .

49: Sur cette ligne se trouvent encore Nicolas Sarkozy , Edouard Balladur et le président de l' UDF , François Bayrou - auteur d' une circulaire fixant les règles applicables dans les établissements scolaires , du temps où il était ministre de l' éducation .

50: Le premier secrétaire du PS , François Hollande , plaide lui pour une " charte de la laïcité " , non pour une loi .

51: Le 22 octobre , à Valenciennes , M. Chirac dessine le cap. Il n' exclut pas un recours " à la loi s' il le faut " .

52: " On n' y échappera pas " , relaie M. Juppé devant la Commission Stasi , le 28 octobre .

53: Le 12 novembre , la mission d' information de l' Assemblée , unanime sur le besoin d' une loi , préconise l' interdiction du port " visible " de signes religieux et politiques dans les écoles publiques - après avoir songé , un temps , à étendre la consigne aux établissements privés sous contrat .

54: Le PS se rallie à cette position le même jour - tout en jugeant qu' une loi ne réglera pas tout .

55: Le conseil national de l' UMP fait de même le 28 novembre .

56: M. Raffarin laisse alors entendre qu' une loi est en préparation , évoquant " la décision législative que nous choisirons " .

57: Le 5 décembre , en Tunisie , M. Chirac le confirme implicitement : " Les Français étant ce qu' ils sont , dit -il , le port du voile est une sorte d' agression qu' il leur est difficile d' accepter . "