_: Deux témoins -clés des attentats de 1995 n' ont pas reconnu les accusés au procès Un gendarme , en escapade à Paris avec une amie , a raconté à la barre comment l' attitude de trois hommes dans le RER , juste avant l' explosion à Saint-Michel , l' avait intrigué LE 25 JUILLET 1995 , cet homme rentre d' une balade à Montmartre , il a hâte de rejoindre son hôtel . Le lendemain , il a prévu d' aller à Disneyland . Il fait beau , il a très chaud . Il est 17 heures passées lorsqu' il monte dans la rame de RER qui part de la gare du Nord , s' arrête quelques instants à la station Châtelet-les-Halles , puis reprend sa course en direction de Saint-Michel . Trois , quatre minutes plus tard , elle explose . Huit morts et près de deux cents blessés . Cet homme est gendarme . En poste en Bretagne , il est venu passer deux jours à Paris , dans des circonstances un peu particulières , souffle -t-il . A la barre , jeudi 10 octobre , sa silhouette massive chavire , sa voix s' étouffe et se brise . Je ... Je voudrais ajouter quelque chose . J' étais , euh , avec une amie à Paris , chacun comprendra ce qu' il voudra , j' étais marié en Bretagne . Les larmes l' étranglent , de grosses larmes d' enfant qui coulent sur son visage d' homme mûr et mouillent sa cravate à fleurs . Dans le décor solennel et glacé de la cour d' assises spéciale , la vie soudain s' engouffre , force les portes , fige les regards . La vie du dehors , banale et bête , avec ses petits arrangements et ses mensonges ordinaires , bouleversante d' humanité . Qu' importe la vie privée d' un gendarme , dira -t-on , dans ce procès où l' on juge deux auteurs présumés d' attentats meurtriers . C' est bien peu , en effet , au regard de la douleur de la centaine des victimes et de leurs familles présentes dans la salle d' audience , qui attendent aujourd'hui de la justice qu' elle leur donne le nom d' un ou des responsables de leur existence brisée ou blessée . Sauf que sur le témoignage de cet homme repose en partie le procès et , avec lui , la condamnation ou pas de Boualem Bensaïd à la réclusion à perpétuité . Ce 25 juillet au soir , dans sa chambre d' hôtel , Frédéric Pannetrat sait qu' un attentat a eu lieu à la station Saint-Michel . Des images précises et infiniment précieuses hantent sa mémoire . Des images qu' il n' aurait pas dû voir puisqu' il n' est pas censé être à Paris ce jour -là . Il est gendarme , il est aussi époux . J' ai passé une mauvaise nuit , parce que je pensais que j' avais vu l' attentat . J' étais obligé de parler , c' était mon devoir , je sais par mon métier que tout peut se jouer dans une enquête sur un témoignage . Mais je savais aussi que si je parlais , ça entraînait mon divorce . C' est tout , et ce n' est pas rien . Frédéric Pannetrat a donc raconté aux policiers , puis au juge d' instruction , tout ce qu' il avait vu . Devant la cour où il est venu répéter son témoignage , c' est le gendarme qui parle maintenant , précis , rigoureux , professionnel . Dans la rame de RER , entre gare du Nord et Châtelet , il est intrigué par le manège de deux hommes , debout , de type maghrébin , algérien . Le premier , tout près de lui , l' énerve particulièrement . Il est agité , le piétine à plusieurs reprises . Surtout , l' attention du gendarme est attirée par les signes que cet homme de forte corpulence , vêtu d' un costume noir et d' une chemisette vert pastel , portant des lunettes et une barbe de quelques jours adresse à un autre , plus jeune , de corpulence moyenne , cheveux noirs et crépus , portant une veste à grands carreaux verts et noirs , situé à l' autre bout de la rame . Tous deux semblent obsédés par l' horaire , ils ne cessent de regarder leur montre . Lorsque le train arrive à Châtelet , où Frédéric Pannetrat doit descendre , il remarque sur le quai , devant la porte de la rame , un troisième homme de corpulence fine , les joues très creusées , avec une tache sombre comme un gros grain de beauté sur le visage , le regard fixe , l' air maladif , engoncé dans un immense manteau de velours ou de daim . Le gendarme a juste le temps de voir cet homme remettre un sac qui a l' air lourd , en cuir ou en simili cuir noir au bras tendu dans la veste à carreaux . Les portes du train se referment . Sur le quai , M. Pannetrat aperçoit une dernière fois les deux hommes , celui à forte corpulence et celui au manteau , qui marchent d' un pas rapide vers la sortie . Il a perdu le troisième de vue . Devant la cour d' assises , vendredi 4 octobre , Christophe Descoms , chef adjoint de la brigade criminelle qui a refait toute l' enquête en 2000 , s' était déclaré absolument convaincu que ce jour -là , le gendarme a vu les trois auteurs de l' attentat . C' est aussi la conviction des deux défenseurs de Boualem Bensaïd , Mes Benoît Diestsch et Guillaume Barbe , qui ont fait citer ce témoin capital pour eux . Car sur les centaines de photos qui lui ont été présentées , Frédéric Pannetrat a successivement cru reconnaître Abdelkrim Deneche , mis finalement hors de cause , puis Ali Touchent , dans l' homme à forte corpulence . Sa description de l' homme au manteau évoque un autre suspect , mort depuis , Yahia Rihane , alias Clou de girofle , qui doit son surnom à un énorme grain de beauté sur le visage . Quant au troisième , celui de la veste à carreaux , il ne l' a reconnu sur aucune photo . Jamais , il n' a cité le nom de Boualem Bensaïd . Dans le box des accusés , celui -ci est tendu . Il sait que son sort se joue peut-être dans cette audience . A la barre , un autre témoin parle à présent . Employé d' une armurerie à Paris , il a vendu le 21 juillet 1995 à deux hommes 2 kg de poudre noire . Sur le registre de l' armurerie , il a noté approximativement le nom et l' adresse que l' un des deux lui a donnés , comme le veut la législation pour la vente de ce type de poudre . Ce nom est celui que Boualem Bensaïd utilisait sur son faux passeport . Est -ce que , dans le box , vous reconnaissez quelqu' un ? , lui demande le président . Tétanisé , Philippe Froment se tourne vers les deux accusés : Non . Levez -vous tous les deux , intime le président . Non , reprend le témoin , ils n' avaient pas de barbe . Regardez -moi très très bien , lance à son tour Boualem Bensaïd à l' employé de l' armurerie . Moi , je n' ai jamais vu ce monsieur , c' est la première fois , affirme l' accusé , les bras croisés sur la poitrine , un air de défi dans les yeux .