_: A Daqing , les ouvriers chinois résistent à la modernisation sociale Dans ce bastion mythique du maoïsme , ils protestent par milliers contre les contraintes de la Bourse et de l' OMC La place des Hommes-de-Fer de Daqing est un musée d' antiques rêves prolétariens . L' auguste statue de Wang Qingxi , ouvrier modèle du pétrole des années 1960 , domine l' esplanade de sa masse de bronze vert . Casquette ouvrière et paumes calées sur les hanches , le héros a fière allure . Un peu plus loin , des parois de pierre sont gravées de scènes épiques : corps à la peine s' affairant autour de derricks , muscles activant des roues d' acier dentelées . C' est Fernand Léger en Mandchourie rouge . Image surréelle : ces hommes de fer occupent aujourd'hui la place , leur place , leur lieu de mémoire . Ils se mêlent aux grappes de familles qui filent le cerf-volant dans le soleil orange de la fin de l' après-midi . On les dirait sortis des tableaux de légende . Ils sont là , un peu fripés , un brin voûtés , mais ils sont là . Et ils sont en colère . Appelons -les Wang Xiaohan et Zhu Xindong - noms modifiés par précaution . Ils n' ont accepté de parler qu' avec réticence , car ils craignaient un piège . Les agents de police en civil traînent en permanence sur l' esplanade . Depuis le 1er mars , Wang et Zhu viennent manifester tous les jours au pied du bouquet d' icônes révolutionnaires trônant devant le siège de leur société , le Bureau d' administration du pétrole de Daqing . Ils sont les irréductibles d' un mouvement de protestation ouvrière . Ils sont les fantassins d' une résistance sociale à laquelle se heurte la restructuration du secteur d' Etat dans une Chine aspirée par les nouvelles contraintes de l' Organisation mondiale du commerce ( OMC ) . La société de Wang et Zhu est liée à PetroChina , fleuron de l' industrie pétrolière nationale , qui , depuis son introduction en Bourse à New York et à Hongkong , commence à dégraisser pour satisfaire aux critères de rentabilité . Les deux hommes de fer font partie de ces sacrifiés , mais ils se rebiffent . Chaque jour , les rassemblements mobilisent sur l' esplanade plusieurs milliers de protestataires - avec des pics à dix mille , voire vingt mille personnes . Le contentieux porte sur les conditions de leur départ à la retraite anticipée . Ils estiment avoir été floués par des promesses qui n' ont pas été tenues . Outre une indemnité correspondant à 3 400 francs par année passée dans l' entreprise , on leur avait promis une retraite mensuelle de près de 1 000 francs sous réserve qu' ils versent une cotisation de près de 300 francs par mois . Or la direction a brutalement augmenté cette cotisation à 800 francs . Les 90 000 ouvriers qui avaient donné leur accord pour un départ à la retraite selon les termes initiaux se sentent donc trompés , expliquent Wang et Zhu . Officiels corrompus Ils sont amers , ces hommes de fer . Anciens héros de la mythologie maoïste , ils sont aujourd'hui envoyés à la casse comme des essieux rouillés . Agé de 56 ans , Wang Xiaohan était chauffeur de camion transportant l' outillage mécanique dans les champs d' hydrocarbures de la province du Heilongjiang , autour de Daqing , qui produit aujourd'hui le tiers du pétrole chinois . Son compère Zhu Xindong , 57 ans , était un ouvrier de prospection sur la ligne de front . Il fouillait les entrailles de la terre mandchoue en quête de gouttes d' or noir . Nous avons construit Daqing de nos mains , lance -t-il . Zhu esquisse un sourire triste . Il est lui-même un membre du Parti communiste . Il s' amuse de constater à quel point on l' ignore désormais . Du jour où nous avons signé notre départ à la retraite , raconte -t-il , l' attitude du parti a changé à notre égard . C' est devenu l' indifférence , comme si nous n' existions plus . Je voulais continuer à payer ma cotisation au parti , mais tout le monde s' en fiche . Zhu a bien compris . Ce parti a réellement changé . Le Parti communiste chinois ne représente plus les ouvriers . Il est devenu le parti d' officiels complètement corrompus . La corruption , voilà la source de la colère des hommes de fer . Daqing est l' endroit le plus corrompu de Chine , tempête Wang . Les officiels volent l' argent du petit peuple . Ils le détournent pour s' acheter de superbes maisons où ils logent leurs maîtresses . Pour l' heure , les ponts ne sont pas complètement rompus . Wang et Zhou continuent d' espérer que le gouvernement de Pékin finira par intercéder en leur faveur . Le problème , en Chine , disent -ils , c' est que les bonnes politiques du gouvernement central sont dévoyées par les officiels locaux corrompus . Du côté du pouvoir , la prudence prévaut pour l' instant . Deux semaines après le début du mouvement , les forces de l' ordre se sont bien gardées d' intervenir . Des renforts ont été dépêchés à Daqing , mais ils étaient invisibles en fin de semaine dernière sur la place des Hommes-de-Fer . A l' évidence , la police ménage la masse . Elle ne disperse pas les attroupements autour des dazibaos ( affiches murales ) dénonçant l' illégalité de la politique de la direction d' entreprise . Mais elle traque discrètement les meneurs . Les premiers jours , des ouvriers ont pris la parole à l' aide de mégaphones , raconte Wang . Le lendemain , on ne les a plus revus . Ils ont été arrêtés ou assignés à résidence . Aussi les deux hommes de fer préfèrent -ils rester silencieux en public . Mais on continuera à venir le temps qu' il faudra . C' est trop injuste de nous maltraiter comme ça .