_: Au Kurdistan turc , l' espoir de tourner la page sur quinze ans de conflit passe par les urnes Le parti pro-kurde Dehap est le plus populaire dans la région , même s' il n' a jamais franchi , à l' échelle nationale , la barre des 10 % des voix nécessaires pour être représenté à l' Assemblée Une foule colorée est alignée au bord de la route escarpée qui domine la gorge du Zap , où deux convois électoraux composés de dizaines de véhicules se croisent avec difficulté . Le paysage est spectaculaire , l' atmosphère joyeuse . Des bambins agitent avec enthousiasme les drapeaux du parti pro-kurde Dehap au son des tambours et des zurnas ( hautbois ) , sous le regard indulgent de leurs mères , vêtues des longues robes garnies de paillettes ou de fils brillants des Kurdes de la région . De jeunes supporteurs , affichant les couleurs jaune , rouge et verte du nationalisme kurde , défient , le bras levé en signe de victoire , les véhicules du mouvement rival , le Parti de la justice et du développement ( AKP , parti islamique modéré ) , qui tente lui aussi de gagner des suffrages pour les élections législatives du dimanche 3 novembre . Dans cette vallée isolée , coincée entre l' Iran et l' Irak , les partis traditionnels turcs suscitent relativement peu d' intérêt . Le contraste est frappant sur la place de la ville , où une foule modeste s' est réunie pour écouter Recep Tayyip Erdogan , chef de l' AKP , en tête , selon les sondages , dans le reste du pays . A cette communauté de montagnards , M. Erdogan parle de pauvreté , de chômage et d' injustice ; il promet 15 000 km de routes à double voie . Mais il n' évoque qu' à demi-mot le sujet qui les intéresse le plus : la situation politique des Kurdes . Ici l' état d' urgence n' a été levé qu' en juin et le conflit qui a déchiré la région pendant quinze ans est encore présent dans toutes les mémoires . Un vote de réaction 40 % de la population sont des réfugiés , explique Metin Tekçi , membre du parti Dehap . Ils veulent tous retourner dans leur village , mais ils ont besoin d' aide . Les habitants de Hakkari admettent que la situation s' est améliorée : l' époque où les échoppes devaient fermer à 18 heures en raison du risque d' affrontement est révolue , les routes ne sont plus interdites d' accès pendant plus de la moitié de la journée . Mais les contrôles routiers des gendarmes demeurent fréquents : Ils fouillent même nos femmes , s' insurge un paysan . L' élevage a presque disparu . La contrebande - de mazout , de drogue - en provenance d' Iran est la seule source de revenus . A 200 kilomètres de là , la ville de Van , avec ses 300 000 habitants , paraît plus prospère , mais les doléances sont similaires . Ici également , le parti pro-kurde est le plus populaire même si , au niveau national , il n' a jamais réussi à franchir la barre des 10 % des voix nécessaires pour être représenté à l' Assemblée nationale . La population locale n' a pas encore le droit de s' exprimer librement : c' est pourquoi elle choisit notre parti , affirme Mehmet Emin Aydemir , dirigeant du Dehap dans la province de Van . Qui est le candidat , quel est son programme ... cela n' est pas important . C' est un vote de réaction , une façon de démontrer qu' ils font partie d' une communauté qui ne peut pas être ignorée . Système tribal Les réformes constitutionnelles et légales ont brisé un tabou , c' est vrai , mais elles ne sont pas considérées comme suffisantes , explique un avocat . Il y a toujours des restrictions sur l' usage de la langue kurde . La plupart des ONG qui suivent ce dossier ont eu des procès . Au niveau de l' application , les autorités ne sont pas entièrement sincères . Gulsen Varisli en sait quelque chose . La jeune étudiante avait déposé une pétition , en janvier , en compagnie de 825 autres étudiants de l' université de Van , réclamant le droit à l' enseignement en kurde . Son intention était de contribuer au débat sur l' usage du kurde dans l' enseignement et l' audiovisuel , qui dominait alors la politique turque . Un bus nous attendait à la sortie du rectorat pour nous emmener au poste de police , explique Gulsen Varisli . Les signataires ont été accusés d' assistance au Parti des travailleurs du Kurdistan ( PKK , séparatiste armé ) et une quinzaine d' entre eux , dont Gulsen Varisli , considérés comme des meneurs , ont été emprisonnés pendant six mois . C' était une démarche personnelle , affirme Ozlem , une étudiante en géographie de 23 ans . Nous n' avons aucun lien avec un parti politique . Les avocats consultés par les étudiants sur la légalité du document qu' ils avaient présenté au recteur , parmi lesquels le président du barreau de Van , Husnu Ayhan , ont eux aussi fait l' objet d' une procédure judiciaire avant d' être acquittés . Si l' identité kurde est un facteur important dans ces élections , les tribus le sont tout autant . La structure féodale était affaiblie au début des années 1980 , mais elle a été renforcée après 1984 par le conflit , explique Kadri Salaz , président de l' Association des jeunes hommes d' affaires de Van . Pour lutter contre le PKK , le gouvernement , s' appuyant sur les rivalités tribales , avait armé des milices kurdes qui sont toujours en fonction . Les habitants se plaignent qu' ils abusent fréquemment de leur position . Dans la province de Diyarbakir , des miliciens ont récemment ouvert le feu sur des réfugiés qui retournaient dans leur village . Trois personnes ont été tuées . L' incident n' est pas isolé . Le système tribal est cependant exploité par les partis qui , en sélectionnant leurs candidats , s' assurent des dizaines de milliers d' électeurs . Les tribus sont une réalité en Turquie , explique Mehmet Kartal , candidat du Parti républicain du peuple ( CHP , social- démocrate ) , qui estime pouvoir obtenir 95 % des votes de sa branche des Buruki , soit environ 27 000 votes . M. Kartal admet que sa famille a longtemps soutenu un parti conservateur ; il a choisi le CHP pour son programme et son équipe dirigeante , qui inclut l' ancien ministre de l' économie , Kemal Dervis Dervis . La population n' a pas abandonné l' espoir d' un changement . Les gens ne veulent plus la guerre , dit Abdulwahab Ertan , avocat à l' Association turque des droits de l' homme , à Van . Ils veulent être des citoyens de première classe ; ils veulent pouvoir s' exprimer plus librement . 70 % de chômage Les réformes introduites dans le cadre du processus d' adhésion à l' Union européenne devront être confirmées par le prochain gouvernement , qui assurera leur mise en application . La Turquie est à un tournant . Est -ce qu' elle va s' ouvrir ? demande Ismail Goldas , candidat du Dehap . Après quinze ans d' un conflit qui a détruit le tourisme et l' agriculture locale , les Kurdes de l' Est et du Sud-Est anatolien continuent d' espérer , sans trop y croire , qu' Ankara va enfin développer la région . Des immeubles commerciaux luxueux , au centre-ville , témoignent du succès de la contrebande , mais la présence dans les rues de nombreux enfants sales et mal vêtus prouve qu' elle ne profite pas à l' ensemble de la population . Il y a 70 % de chômage dans la région , explique Kadri Salaz . Si l' on veut maintenir la paix et éviter un retour à la violence , priorité doit être donnée au développement . Ces élections sont un test pour la région et pour la démocratie turque .