_: Les économistes de banques succombent aux lois des marchés CDC-IXIS va fermer son département « émergents » . Les équipes du Crédit Lyonnais et du Crédit agricole s' inquiètent de leur sort Rideau . Dans quelques semaines , le département « marchés émergents » du service des études économiques et financières de CDC-IXIS sera définitivement rayé de l' organigramme . Dans un paysage dominé par les grandes agences anglo-saxonnes Standard & Poor's et Moody's auxquelles s' est joint Fitch , l' équipe confiée à Nicolas Meunier par Patrick Artus , le patron de la recherche à la Caisse des dépôts et consignations , était la seule en France à noter chaque mois une cinquantaine de pays en développement . Ce travail d' évaluation des risques sur les marchés les plus dynamiques et les plus mal connus aussi , régulièrement publié par CDC-IXIS alors que la plupart des grandes banques françaises ne divulguent pas les analyses de leurs équipes « risque-pays » , avait été initié en 1996 . Cette décision de fermeture n' étonne pas vraiment dans la petite communauté des directions d' études économiques . Avec sa quarantaine de collaborateurs , Patrick Artus a souvent fait des envieux dans une période de vaches maigres et de rationalisation des coûts . Continuer à s' offrir une dizaine d' économistes pour travailler sur les pays émergents quand le business de l' entreprise demeure avant tout franco-français relevait , selon les commentaires , au mieux de l' entretien d' un « bien public » , au pire d' une « danseuse » . Ce que récusent naturellement les intéressés . Au Crédit agricole et au Crédit lyonnais , les économistes sont tout autant dans leurs petits souliers . On voit mal comment la fusion entre les deux mastodontes du secteur bancaire français pourrait ne pas faire de nouvelles victimes . Le silence est de mise dans l' attente du dénouement d' une lutte qui se joue département contre département , poste contre poste . A en croire , David Naudet , économiste de la Deusche Bank à Paris , ces exemples risquent pourtant de n' être que les premiers d' une longue série à venir si les banques françaises veulent se mettre aux normes étrangères . « Les établissements français emploient des effectifs d' économistes pléthoriques par rapport à leurs concurrentes où un poste ne se justifie que s' il apporte un plus pour le business » , observe -t-il . « Notre travail est beaucoup plus ciblé sur les besoins de la clientèle , nous faisons du " tailor-made " ( du sur-mesure ) et les exercices de conjoncture traditionnels du type de ceux que fournit l' OCDE sont depuis longtemps jugés inutiles. » Eric Chaney , économiste en chef chez Morgan Stanley , décrit également un système dans lequel l' économiste doit avant tout se distinguer dans l' analyse et subit très directement les coups d' accordéon de la croissance ou de la crise du secteur . « Nos clients mondiaux sont très biens informés , ils veulent des idées originales . Quand tout va bien sur les marchés , nous pouvons faire travailler de grosses équipes d' analystes mais en cas de retournement , les effectifs doivent s' ajuster » , explique -t-il . Par essence , ce système fait la promotion des vedettes sur lesquelles les banques construisent en partie leur image . Avec ses risques de surenchères et de dérapages permanents quand pour exister , il faut à tout prix se démarquer du consensus . En France , depuis dix ans , la vie des directions d' études économiques n' a pourtant rien d' un long fleuve tranquille . Elles ont d' abord eu à subir une série de fusions : Crédit national-Banque française de commerce extérieur en 1995 pour créer Natexis , Crédit agricole-Indosuez en 1996 , Banques populaires-Natexis populaires-Natexis et BNP-Paribas trois ans plus tard , CCF-HSBC en 2000 . Enfin dernier épisode en cours , la fusion Crédit lyonnais-Crédit agricole . Parallèlement , ces équipes qui jusqu'alors travaillaient dans l' antichambre de la direction générale ont éclaté pour rejoindre en partie les salles de marchés et épauler les opérationnels désormais confrontés à des marchés de capitaux mondialisés . Depuis quelques années , les économistes ont aussi été appelés par les filiales de gestions d' actifs , les « asset managements » . Le paysage français fait ainsi coexister les économistes du « siège » , ceux de marchés et la nouvelle génération des « asset managers » , selon des alchimies propres à chaque établissement , mais partout avec une tendance à la dispersion et à la spécialisation des compétences . Dans l' environnement actuel , ce basculement de l' influence des économistes du siège vers les salles de marché est considéré , par certains , comme naturelle . Antoine Brunet , stratégiste chez HSBC-CCF , estime ainsi qu' un économiste ne peut que souhaiter « vouloir confronter sa grille de lecture conceptuelle avec la réalité » . C' est aussi , pour lui , au milieu des traders qui chaque jour déplacent des milliards de dollars , qu' il est le mieux capable de saisir les mutations . Bien mieux en tout cas qu' en moulinant des statistiques au milieu d' un groupe de conjoncturistes chargé de produire de la prévision . Il est loin de faire l' unanimité . « La montée en puissance des économistes de marché est dangereuse , affirme Michel Didier , de l' institut Rexecode , quand elle soutient une évolution vers le court-termisme aux limites du raisonnable . Il y a quelques années , ils produisaient encore des travaux fondamentaux , puis on leur a demandé de commenter quotidiennement des chiffres . Aujourd'hui , ils doivent être capables d' anticiper ce qui est susceptible de faire bouger les marchés . Nous avons basculé dans un univers virtuel qui favorise la volatilité des marchés et conforte une déconnexion croissante avec l' économie réelle . Dans le même temps , les macro-économistes qui étaient chargés d' explorer des scénarios de cycle ont de moins en moins de moyens. » Michèle Debonneuil qui , avant de rejoindre le Commissariat général au plan , dirigea au début des années 1990 , une « armée » de 50 experts chez Indosuez , s' inquiète aussi de cette évolution . « Les équipes n' ont plus la taille critique pour avoir une réflexion globale et approfondie alors que l' économie devient de plus en plus complexe . Le rattachement direct à des métiers crée des analystes collés à la réalité pour lesquels il devient impossible de prendre du recul. » Entre un économiste considéré comme « un centre de profit » marchant main dans la main avec les traders et « un individu à but non lucratif » chargé d' éclairer les vues du président sur l' évolution de la conjoncture , il y a certainement deux visions caricaturales . Reste qu' en décidant d' amputer son service des études de ses dépenses en apparence inutiles , CDC-IXIS ne peut que conduire à s' interroger . Tant sur la place que doit avoir la recherche économique que sur l' indépendance dont elle doit disposer pour orienter au mieux les choix stratégiques et anticiper les catastrophes liées à des crises financières récurrentes .