1: INDUSTRIE .
2: Dans les coulisses du sauvetage d' Alstom
3: Entre l' assemblée générale du 2 juillet et l' annonce du plan de sauvetage , le 6 août , le groupe a été au centre de négociations secrètes avec les banquiers et les plus hautes autorités de l' Etat .
4: Une fusion avec Areva a même été étudiée
5: Pour le tout nouveau PDG d' Alstom , Patrick Kron , nommé brusquement en mars 2003 , tout est allé très vite .
6: En juillet , quelques jours après le succès d' une ASSEMBLÉE GÉNÉRALE qui entérinait une augmentation de capital de 600 millions d' euros , les événements se précipitent .
7: Les chiffres des COMMANDES de mai sont catastrophiques .
8: Dès lors , une opération de sauvetage inédite s' élabore secrètement entre les dirigeants du groupe , ses banquiers et les pourvoir publics .
9: On envisage , un temps , une prise de contrôle d' Alstom par le groupe public nucléaire AREVA .
10: Devant le refus de sa présidente , Anne Lauvergeon , un autre plan de sauvetage est mis en place .
11: Il s' agit , ni plus ni moins , d' une NATIONALISATION PARTIELLE du groupe , dont l' Etat devient le principal actionnaire , avec 31 , 5 % du capital .
12: VOTÉE à 98 , 1 % !
13: Patrick Kron , le PDG du groupe d' équipement d' énergie et ferroviaire , et Philippe Jaffré , le directeur financier , respirent , ce 2 juillet :
14: l' augmentation de capital de 600 millions d' euros , préalable indispensable à la restructuration financière de la société , a été adoptée par l' assemblée générale .
15: Ils vont pouvoir poursuivre le redressement engagé dès le mois de mars .
16: Les deux hommes , le premier , X -Mines , le second inspecteur des finances , sont presque en mission de service public chez Alstom .
17: M. Kron , ancien patron d' Imerys , passé par Pechiney , a été nommé président en mars .
18: L' ancien président d' Elf , lui , est arrivé un an plus tôt .
19: Depuis , ils travaillent d' arrache-pied pour sauver le groupe .
20: Ils ont le sentiment , ce soir -là , que la voie se dégage .
21: Le répit ne dure pas .
22: Quelques jours plus tard , les mauvaises nouvelles recommencent à tomber .
23: Le chiffre des commandes de mai est arrivé .
24: Affreux !
25: Alors que le groupe avait , jusqu'alors , pas mal résisté , en dépit d' une chute de 50 % du marché mondial de l' énergie , il fait désormais moins bien que le secteur .
26: Ses clients commencent à douter de son avenir .
27: Côté banques , ce n' est guère mieux .
28: Si Alstom a souscrit aisément au printemps un crédit relais de 600 millions d' euros , il ne parvient pas à monter la ligne de 1 , 8 milliard d' euros nécessaire pour ses garanties sur les équipements .
29: Un à un , les banquiers se défilent .
30: Un soir , M. Kron est sous le choc :
31: le client qu' il vient de rencontrer était accompagné par un avocat spécialisé dans le droit des faillites !
32: Pour les dirigeants d' Alstom , le signal est clair :
33: ils se font prendre de vitesse .
34: Il leur faut un plan massif pour redonner confiance aux clients .
35: Leurs trois principaux banquiers - BNP Paribas , Société générale et Crédit agricole - en conviennent .
36: Pour que le groupe retrouve viabilité et crédibilité , il faut une restructuration de grande ampleur , déplacer au moins 2 , 5 à 3 milliards d' euros au bilan afin de redonner des capitaux propres à ce groupe , qui n' a que 900 millions d' euros de fonds propres pour 4 , 9 milliards d' endettement .
37: La survie d' Alstom est en jeu .
38: Baudouin Prot , directeur général de BNP Paribas , Philippe Citerne , directeur général délégué de la Société générale , Marc-Antoine Autheman puis Alain Papiasse pour le Crédit agricole-Crédit lyonnais gèrent directement le dossier .
39: Le « G3 » , comme ils se surnomment , est créé .
40: A elles seules , les trois banques estiment ne pas avoir le poids nécessaire pour bâtir un refinancement crédible .
41: Elles ont des comptes à rendre et si l' opération tourne mal , elles pourraient être accusées de soutien abusif .
42: Au mieux , elles pourraient convaincre les autres créanciers français - Natexis , Crédit mutuel , CCF HSBC , CIC - , le « G7 » , de les rejoindre dans un tour de table mais inutile de compter sur les banques étrangères .
43: Arrivées chez Alstom au gré des circonstances , elles n' ont qu' une seule envie :
44: partir .
45: Les banques ont une autre idée :
46: trouver un partenaire puissant , crédible .
47: Un nom s' impose , qui a le mérite d' avoir l' Etat pour actionnaire :
48: Areva .
49: Depuis le printemps , l' idée d' un rapprochement entre Alstom et le groupe public nucléaire , ennemis de trente ans , fait son chemin .
50: MM. Kron et Jaffré ont rencontré Anne Lauvergeon , présidente d' Areva , pour lui parler du projet .
51: Mariage , fusion , entrée dans le capital :
52: tous les schémas lui ont été proposés .
53: « Je te laisserai naturellement la direction de l' ensemble et je me retirerai » , lui a précisé en substance M. Kron , pour écarter tout problème de pouvoir .
54: La présidente d' Areva a repoussé l' offre .
55: Si elle est intéressée à reprendre l' activité très rentable de transport et distribution ( T & D ) d' Alstom , elle n' est pas du tout d' accord pour prendre en charge les difficultés de son concurrent .
56: Ce refus n' empêche pas les banquiers de suggérer un schéma de prise de contrôle d' Alstom par Areva , qui entrerait à hauteur de 51 % .
57: Un seul obstacle :
58: le projet est politiquement délicat .
59: Comment justifier ce qui ressemble à une nationalisation ?
60: Une campagne intense et discrète est lancée auprès des pouvoirs publics français à partir du 10 juillet .
61: Les banquiers se démultiplient auprès des personnes d' influence .
62: MM. Kron et Jaffré demandent rendez -vous à Jérôme Monod , le conseiller personnel de Jacques Chirac , Frédéric Lemoine , secrétaire général adjoint de l' Elysée , et Jean-François Cirelli , directeur adjoint de cabinet à Matignon , pour leur exposer les difficultés du groupe et leur projet .
63: Mme Lauvergeon , elle aussi , se démène pour ne pas se voir imposer une solution dont elle ne veut pas .
64: Elle aussi rencontre M. Cirelli et Francis Mer .
65: Pour elle , l' opération aboutirait notamment à mettre Areva en concurrence directe avec Siemens , alors que les deux groupes sont associés pour développer le réacteur nucléaire du futur , EPR .
66: Surtout , elle repousserait sa privatisation .
67: Côté Elysée et Matignon , il y a consensus pour sauver Alstom , une vitrine de la France .
68: Pas un voyage présidentiel au cours duquel duquel on n' évoque ses TGV , ses paquebots .
69: Et puis , il y a l' emploi :
70: plus de 28 000 personnes en France , sans parler des sous-traitants .
71: Mais cela justifie -t-il de faire une entorse aux principes et d' accepter une nationalisation de fait ?
72: La présidence comme les services du premier ministre sont partagés .
73: Le ministre des finances comme les services de Bercy , eux , sont vent debout contre le projet :
74: c' est aux banques d' assurer le sauvetage d' Alstom , pas à l' Etat .
75: Ils se voient d' autant moins soutenir l' idée d' un rapprochement avec Areva qu' elle est à l' opposé de tous les principes libéraux et de gouvernement d' entreprise qu' ils défendent .
76: Le 27 juillet au soir , de retour d' un voyage au Brésil et en Argentine , M. Mer téléphone à M. Kron , puis à Mme Lauvergeon :
77: c' est définitivement non .
78: Areva ne se portera pas au secours d' Alstom .
79: Mais , ajoute -t-il , l' Etat fera tout pour aider le groupe , dans la mesure de ses possibilités .
80: Sur quel soutien compter , s' interroge la direction d' Alstom .
81: Des hypothèses existent , mais ont -elles une chance d' aboutir ?
82: Le groupe doit honorer un remboursement de 254 millions d' euros au 1er août .
83: La trésorerie est basse , les avances clients se font plus rares et les banques ne veulent plus prêter .
84: Si une solution n' est pas trouvée , le groupe sera condamné à déposer son bilan d' ici à la fin du mois .
85: Lundi 28 juillet , le PDG d' Alstom et son directeur financier rencontrent le président du tribunal de commerce de Paris , Gilbert Costes .
86: Ils veulent voir s' ils peuvent éventuellement obtenir la nomination d' un mandataire .
87: La solution se veut plus élégante que le dépôt de bilan .
88: Mais les deux hommes ne se nourrissent guère d' illusions :
89: si les problèmes d' Alstom sont rendus publics avant qu' une solution soit apportée , il sera impossible d' échapper à l' engrenage de la défiance .
90: Les membres du « G3 » partagent l' analyse , comme Bercy .
91: Le compte à rebours est engagé .
92: A partir du lundi , les membres du cabinet de M. Mer , dont Xavier Musca , directeur de cabinet , puis François Pérol , directeur adjoint , les responsables du Trésor , emmenés par Jean-Baptiste Massignon , sous-directeur , les dirigeants d' Alstom et les banquiers se retrouvent chaque soir , à partir de 22 heures , au ministère des finances pour étudier un plan de sauvetage .
93: On campe dans le bureau du ministre , parti en vacances .
94: On fume le cigare , comme le veut la tradition bancaire , on vide les réfrigérateurs et on se sépare à 5 heures du matin .
95: Chacun constate l' absence de solution juridique claire .
96: Plusieurs scénarios de rechange sont envisagés .
97: Une prise de participation de l' ERAP , établissement public qui a déjà participé à la recapitalisation de France Télécom , des prêts garantis , des cautions prises en charge par l' Etat .
98: On travaille sur ce qui est acceptable , ou non , par Bruxelles , sur ce qui peut être , ou non , politiquement défendu .
99: Vendredi 1er août , vers 17 heures , ils ont le sentiment d' être proches d' un accord .
100: Bercy , pesant de son autorité , décide de convoquer l' ensemble des banquiers pour le samedi après-midi .
101: De son côté , M. Jaffré avertit les commissaires aux comptes du groupe , Ernst & Young et Deloitte , du plan en préparation .
102: Ceux -ci , qui n' ont émis aucune réserve pendant cinq ans , s' affolent et décident de déposer un droit d' alerte .
103: « Notre responsabilité est en jeu .
104: Légalement , nous devons le faire » , expliquent -ils à un Philippe Jaffré effaré .
105: Samedi 2 août à midi , M. Kron , M. Prot , M. Citerne , M. Papiasse et M. Musca sont au centre de conférences de Bercy pour signer l' accord .
106: Personne n' a eu le temps d' en parler à Bruxelles .
107: L' Etat est prêt à souscrire la moitié de l' augmentation du capital du groupe ( 300 millions d' euros ) , ce qui donnerait une participation de 31 , 5 % , et à accorder 200 millions de crédit ;
108: les banques françaises , qui totalisent 40 % des engagements du groupe , consentiraient un effort de 1 , 3 milliard d' euros , dont 700 millions sous la forme d' obligations remboursables en actions ( ORA ) et 600 millions sous forme de prêts subordonnés ;
109: les banques étrangères accorderaient 1 milliard , dont 300 millions pour les ORA .
110: Les signataires sont unanimes :
111: le plan est conditionné à l' accord de toutes les parties .
112: A 17 heures , une vingtaine de banquiers se retrouvent à Bercy , très ennuyés de faire des heures supplémentaires un samedi d' août .
113: Peu à peu , ils prennent conscience des enjeux :
114: la faillite possible d' un groupe de 117 000 salariés , près de 5 milliards d' euros de crédits plus 12 milliards de garanties , des difficultés en chaîne pour les sous-traitants et même pour le groupe helvético-suédois ABB , garant en dernier ressort de 4 milliards d' euros de cautions accordées sur son activité turbines , rachetée par Alstom .
115: Malgré cela , les banques étrangères ne se sentent pas du tout concernées .
116: Tous se retrouvent à Bercy le dimanche 3 août , dans la matinée .
117: Les représentants de JP Morgan , un des principaux créanciers étrangers , qui a compris l' importance du plan , prennent les choses en main et rallient peu à peu les banques étrangères .
118: Mais une réponse doit être donnée dès le lundi .
119: Dans chaque établissement , il faut trouver un responsable pouvant accorder une autorisation d' engagement .
120: A nouveau , chacun prend son téléphone .
121: M. Mer n' hésite pas à appeler Hans Eichel , le ministre allemand des finances , et le gouverneur de la banque centrale espagnole pour leur expliquer l' importance du dossier et le besoin d' obtenir des réponses très rapidement .
122: Même Jean-Claude Trichet , le gouverneur de la Banque de France , appelle des amis .
123: Lundi 4 août , la cotation est suspendue .
124: Si l' accord échoue , Alstom ne s' en remettra pas .
125: MM. Kron et Jaffré sont au pied du fax .
126: Une à une , les réponses tombent .
127: Vers 17 heures , c' est gagné .
128: Les banques étrangères acceptent de soutenir le plan de sauvetage .
129: Il faudra encore quelques heures pour lever certaines conditions et présenter publiquement le plan .
130: M. Mer a appelé , en Suisse , Mario Monti , le commissaire européen à la concurrence , pour lui expliquer le sauvetage .
131: A Bercy , on nettoie à fond le bureau du ministre .