Le Monde

1: Pari corse

2: Appelle à voter « oui » au référendum organisé dans l' île , le 6 juillet 2003

3: JACQUES CHIRAC était premier ministre en 1975 , au moment du drame d' Aléria .

4: Deux gendarmes y avaient trouvé la mort et le nationalisme corse un de ses actes fondateurs .

5: Le chef de l' Etat ne l' a jamais oublié .

6: D' autant moins qu' il a pu constater , depuis , l' impuissance de tous les gouvernements à trouver une réponse convaincante à la question corse .

7: Rien n' y a fait , ni le bâton de la fermeté républicaine , ni la carotte des subventions , ni les statuts administratifs sur mesure , sans cesse remis sur le métier .

8: L' appel du président de la République à voter « oui » au référendum organisé dans l' île , le 6 juillet , n' en est que plus significatif .

9: Tardivement certes , mais vigoureusement , Jacques Chirac est sorti de l' extrême prudence qu' il observait sur le sujet depuis des lustres .

10: Il ne pouvait pas faire autrement :

11: dès lors qu' il s' était laissé convaincre par le ministre de l' intérieur , Nicolas Sarkozy , qu' il fallait « bouger » et chercher , à nouveau , une issue politique à l' imbroglio corse , dès lors qu' il avait donné son feu vert à cette consultation , son silence aurait été interprété comme un désaveu implicite de la démarche engagée .

12: Voire comme un encouragement aux partisans du « non » .

13: Quel que soit son embarras , le président de la République a donc tranché .

14: Nettement .

15: Il faut l' en créditer .

16: La consultation du 6 juillet a , en effet , le mérite de demander directement aux Corses de décider de leur avenir , dans le cadre d' une France décentralisée , capable de prendre en compte les spécificités de l' île .

17: Elle offre - en principe , tant le système proposé est complexe - la possibilité de rendre plus efficace l' organisation institutionnelle et administrative de l' île , en créant une collectivité unique pour ses quelque deux cent mille habitants .

18: Enfin , l' instauration de la parité lors des futures élections des membres de cette collectivité assurera , souligne le chef de l' Etat ,

19: « la pleine participation des femmes à la gestion des affaires de la Corse » .

20: Trois bonnes raisons de voter « oui » .

21: Mais l' essentiel n' est pas là .

22: Soutenir la démarche du gouvernement , lance Jacques Chirac aux Corses ,

23: « c' est la meilleure manière d' affirmer votre attachement à la France et à la République » .

24: Or , au même moment , le porte-parole des nationalistes , Jean-Guy Talamoni , réaffirme son soutien au processus engagé par le gouvernement dont il entend faire une « étape » sur la voie de l' indépendance de l' île .

25: Que le vote « oui » , le 6 juillet , puisse être porté par deux visées aussi contradictoires permet de mesurer l' ambiguïté de cette consultation .

26: Et l' enjeu du pari engagé .

27: Ou bien l' on s' en tient à une définition historique , solennelle et univoque de la République ,

28: « une et indivisible » , au risque de radicaliser plus encore la mouvance nationaliste corse .

29: Ou bien l' on invente une République moins corsetée , plus souple , capable d' assumer des allégeances multiples et complémentaires .

30: Voter « oui » , le 6 juillet , c' est exprimer la conviction que l' on peut faire la Corse sans défaire la France .