_: Jean Fouquet , maître fantôme de l' enluminure A Chantilly et à Paris , deux expositions qui présentent la quasi-totalité de ses oeuvres font le point sur le plus grand peintre du XVe siècle , reconnu très tôt pour sa maîtrise du portrait et de la perspective , mais dont la vie reste très mal connueUne page de trois articles sur les deux expositions " L' enluminure en France au temps de Jean Fouquet " et " Jean Fouquet peintre et enlumineur du XVème siècle " à Paris et Chantilly QUI ÉTAIT Jean Fouquet ? Sa vie demeure très mal connue . Deux expositions , à Paris et à Chantilly , en présentant la quasi-totalité de ses oeuvres identifiées , moins le Diptyque de Melun , font le point des faits et des hypothèses . Une évidence l' emporte : l' éblouissante maîtrise de l' enlumineur et du portraitiste . Jean Fouquet est le peintre majeur du XVe siècle français . Son portrait de Charles VII a été reproduit un nombre incalculable de fois . Il demeure pourtant l' un des artistes dont la vie et la carrière sont le plus mal connues . Sa biographie abonde en « probables » , en « possibles » . Il est vraisemblable qu' il est né entre 1415 et 1420 et probable qu' il a eu des contacts avec des peintres flamands - ou leurs oeuvres - vers 1440 . On tient pour établi qu' il s' est rendu en Italie autour de 1445 . Il est passé sans doute à Florence et à Rome , où il a peint un portrait du pape Eugène IV - disparu depuis le XVIIIe siècle . A son retour en France , il peint son effigie de Charles VII , vers 1450 . De ce moment à sa mort , à peu près trente ans plus tard , il travaille selon des techniques et dans des genres variés : sur bois , sur papier , sur toile . De temps en temps , un document d' archives livre un détail . En 1460 , Fouquet est astreint au service du guet sur les remparts de Tours . En 1470 , il est payé pour des tableaux exécutés pour les chevaliers de Saint-Michel . Indices lacunaires . Fouquet échappe aux historiens . Il leur a même si longtemps échappé qu' il n' a été redécouvert qu' à la fin du XIXe siècle . Les expositions à la Bibliothèque nationale et à Chantilly oscillent donc entre certitudes admirables - les tableaux , les enluminures , les dessins qui subsistent - , hypothèses fragiles et questions nombreuses . Quelle part de l' oeuvre de Fouquet connaît -on aujourd'hui ? La totalité ? Sûrement pas . Une infime partie ? Non plus . En l' absence de tout inventaire , on n' en saura probablement jamais plus sur ce point . Ni sur d' autres : comment se fait -il qu' il ne reste de lui que deux grandes oeuvres religieuses , le Diptyque de Melun et la Pietà de Nouans ? Selon les uns , les destructions des guerres de religion , qui ont ravagé la vallée de la Loire au siècle suivant , expliquent pareille pauvreté . Selon d' autres , les tableaux de grande taille n' étaient pas dans les habitudes en France , où dominait le petit format . Et pourquoi si peu de portraits préservés , alors que Fouquet était renommé pour son habileté en la matière ? Trop de destructions là encore ? Il se peut . L' époque est celle de la fin de la guerre de Cent Ans et des combats entre Louis XI et les grands seigneurs féodaux , qui finirent en 1477 par la bataille de Nancy et la mort de Charles le Téméraire . Fouquet est un fantôme . Mais ce fantôme a un visage , ce qui ne fait qu' exaspérer la recherche . Sur un médaillon circulaire de cuivre fixé dans l' encadrement du Diptyque de Melun , il se présente de face , en camaïeu d' or sur fond d' émail bleu nuit . Son prénom et son nom s' inscrivent de part et d' autre de la tête d' un homme d' une trentaine d' années , assez maigre , les lèvres épaisses , les yeux fixés sur le miroir . Le vêtement et le bonnet sont simples . l' art du détail Impossible de ne pas chercher à déduire : Fouquet aurait été cet homme calme , au regard curieux , l' air réservé , presque maussade . Mais indiscutablement certain de sa valeur : sinon , il n' oserait pas placer son image près de celle du commanditaire , le puissant Etienne Chevalier . Du reste , s' il y a de la réserve dans l' expression , il y a aussi l' affirmation d' une présence forte et l' éclat de l' or sur l' arête du nez , les yeux et le front du peintre . Le voici donc , se révélant . Et guère moins énigmatique pour autant . En Italie , il est devenu habile dans l' art de la perspective , savoir dont il fait usage dans ses enluminures au point de triompher des exercices les plus périlleux , une cour de justice réunie dans une tribune en losange , des forteresses vues de biais avec tours , tourelles et chemins de ronde . Mais , en Italie , c' est pour la vérité d' un portrait qu' il fut renommé , qualité réputée nordique . Elle se retrouve dans d' innombrables détails , qui sont autant de tours de force réalistes : Fouquet sait peindre un rayon de lumière traversant l' eau d' une bouteille sur une étagère , alors que l' ombre du récipient se projette , très légèrement , sur le mur . Les Heures d' Etienne Chevalier , qu' il faut aller revoir à Chantilly , abondent en exploits de ce genre : eaux mouvantes d' une rivière et reflets d' une barque , chevaux aux attitudes exactes , villes brumeuses dans les lointains . Les anatomies et les gestes sont aussi justes que ceux de Van Eyck . A l' inverse , les couleurs sont étrangement libres : roses vifs et verts frais , rouges et bleus saturés très éloignés de l' impératif réaliste . Dans la même enluminure , Fouquet allie précision descriptive et invention chromatique . Aussi a -t-on coutume de dire que son art serait une synthèse des Flandres et de l' Italie . Soit . Mais le processus de synthèse n' en devient pas explicable pour autant . Comment Fouquet parvient -il à cette alliance ? Suffit -elle à le définir ? Ce serait trop facile , comme il était trop facile de proclamer , dans les années 1910 et 1920 , que Fouquet incarnait le « génie » français . De temps en temps , à force de scruter ces petites images si denses , on croit reconnaître des constantes : propension à composer par horizontales parallèles coupées d' une ou deux verticales dures ; tendance à situer la scène principale à gauche et à ouvrir l' espace à droite ; peu de goût pour le surnaturel ; art de représenter un mouvement alors qu' il s' amorce ; préférence accordée à la suggestion retenue sur l' expression paroxystique . Pour s' en convaincre , il faut rapprocher Fouquet de ses contemporains , souvent anonymes , dont les enluminures sont présentées à Chantilly dans une exposition brève et éblouissante à la fois . Rares sont ceux qui ont sa dextérité impeccable dans l' emploi de la gouache , des transparences , des détails minimes , presque invisibles . La plupart usent et abusent des symboles , des devises , des inscriptions . Pas lui , qui refuse ces artifices et veut signifier situations et sentiments exclusivement par les attitudes , les figures , les lignes et les couleurs . Cette économie de moyens est ce qui le rend aujourd'hui encore immédiatement compréhensible et irrésistible , à six siècles de distance . « Jean Fouquet , peintre et enlumineur du XVe siècle » , BNF , galerie Mazarine , 58 , rue de Richelieu , Paris - 2e . Tél. : 01 - 53 - 79 - 59 - 59 . Du mardi au dimanche de 10 heures à 19 heures , le dimanche à partir de 12 heures . Entrée : 5 euros . Jusqu'au 22 juin . Catalogue 416 p. , 430 ill. , 65 euros . « L' enluminure en France au temps de Jean Fouquet » , Musée Condé , château de Chantilly ( Oise ) . Tél. : 03 - 44 - 62 - 62 - 62 . Du mercredi au lundi de 10 heures à 18 heures . 7 euros . Jusqu'au 22 juin .