_: A Düsseldorf , les plaisirs inépuisables de l' ambiguïté Exposition Autour de " L' Enigme sans fin " de Dali , 350 oeuvres et objets jouent avec allégories , anamorphoses et illusions d' optique troublantes En 1938 , Salvador Dali peint L' Enigme sans fin . Au premier regard , c' est un paysage rocheux au bord de la mer , sous un ciel nuageux , avec un rameau d' olivier au centre . Scruté avec plus d' attention , le tableau se révèle une superposition très adroite de motifs . Les rochers du deuxième plan dessinent un corps de femme allon- gée sur le flanc , la tête appuyée sur le coude . Ceux du premier plan contiennent une nature morte à la mandoline et au compotier , un cheval et un visage d' homme barbu dont l' un des yeux est figuré par une toute petite barque . Une étude encore plus minutieuse permet de reconnaître une femme à l' oeil affolé et , dans les lointains , des collines en forme d' épaules et de fesses . Et si le titre de l' oeuvre n' est pas excessif , il devrait y avoir d' autres figures cryptées dans L' Enigme sans fin . La toile est au centre de l' exposition du Kunst Palast de Düsseldorf et lui donne son nom . L' idée première est simple : réunir des oeuvres dans lesquelles , par divers procédés , l' artiste suggère une deuxième image dans celle qui apparaît d' abord en surface . Au degré le plus enfantin , c' est le dessin de l' arbre qu' il faut retourner pour découvrir le gendarme qui surveille le braconnier . Au degré le plus complexe de la plastique et du symbolique , ce sont les allégories d' Arcimboldo , les métamorphoses anatomiques de Bellmer , les fantaisies " paranoïaques " de Dali . Entre ces extrêmes s' étend un territoire vaste et accidenté , peuplé de nymphes qui se cachent dans les pierres et les branches , d' animaux qui se lovent dans d' autres animaux , de monstres souples qui se dissimulent dans les plis des rideaux et les rides de l' eau . L' oeil n' en finit plus de chercher . Il veut suivre la moindre ligne qui a l' air bizarre . Il se perd dans des tourbillons et poursuit des fantômes . Si l' exposition est captivante , elle est aussi épuisante . On en ressort les yeux fatigués d' avoir tant observé près de 350 objets , tous piégés . Jean-Hubert Martin , son commissaire - également directeur du Kunst Palast - , s' est follement amusé à la composer . Il s' est approvisionné dans toutes les époques et toutes les civilisations : chez les sculpteurs africains dont les femmes ont des allures de cuillers et réciproquement ; chez les miniaturistes indiens qui adoraient inscrire dans le contour d' un éléphant des patchworks de tigres et d' antilopes ou des suites princières cavalcadant ; chez les anonymes auteurs d' images pornographiques à rabats , tirettes et glissières , chez les collectionneurs de pierres à figures et , bien sûr , chez les surréalistes . Il n' a oublié ni les anamorphoses qui obligent , pour les décrypter , à regarder l' image en biais , selon un angle tel qu' il faut se coller au mur pour y parvenir , ni les extravagantes gravures de Giovanni Battista Bracelli , lequel , en 1624 , avait trouvé comment composer un homme avec des cubes et des prismes ou en juxtaposant une équerre , un pot et une pelle . Quatre siècles plus tard , De Chirico a fait de cette idée la base de sa pittura metafisica . VOIR AVEC LA MÉMOIRE De Chirico est cependant l' un des rares absents de Düsseldorf , avec - ce qui est plus regrettable - ceux de nos contemporains qui se risquent à de tels exercices de métamorphoses , Alberola et Corpet particulièrement . La part vivante de l' exposition n' est ni la plus dense ni la plus convaincante , à l' exception d' une salle consacrée à Markus Raetz , le prestidigitateur qui sait transformer un lièvre en Joseph Beuys . Il aurait été pourtant intéressant de montrer comment , dans la création actuelle , les jeux avec les formes , si longtemps interdits par minimalisme et conceptuel , sont à nouveau possibles , avec tout ce que cela suppose de liberté . Telle est la sensation qui domine : le plaisir de la création . L' artiste , quels que soient le lieu et l' époque , se laisse aller à sa fantaisie . Son art n' est qu' illusion ? Raison de plus pour accomplir des tours de force d' illusionniste . L' art n' est pas sérieux ? Raison de plus pour pousser jusqu'à l' absurde . Josse de Momper , peignant ses allégories des saisons , fait donc surgir des têtes de vieillards barbus de la roche , avec une tour en guise de nez et des broussailles pour chevelure . Max Ernst , trois cents ans plus tard , découvre un sphinx dans l' empreinte d' une éponge , un oiseau dans le corail , un dragon dans la mousse . Ainsi fonctionnent perception et création : par associations , par analogies , par glissements . On aurait donc tort de ne tenir cette exposition que pour un fantastique et universel cabinet de curiosités optiques ou pour un hommage rendu conjointement au maniérisme et au surréalisme . Au-delà de l' histoire , elle touche à la phénoménologie de la perception , aux neurosciences , à la philosophie critique . Les objets et les oeuvres qui la composent rappellent combien sont complexes les processus de la vision et de l' interprétation . Car , en dépit des apparences , ce n' est pas l' oeil qui voit , mais la mémoire . L' Enigme sans fin . Dali et les magiciens de l' ambiguïté , Museum Kunst Palast , Düsseldorf . www.museum-kunst-palast.de mardi au dimanche de 11 heures à 20 heures . Entrée : 7 euros . Jusqu'au 9 juin .