_: CULTURE - ARCHITECTURE . GROUND ZERO se construit un AVENIR A New York , le World Trade Center reprend vie . Trois architectes ont été associés à Daniel Libeskind pour dessiner les tours du futur quartier d' affaires , tandis que d' autres rivalisent pour imaginer un monument en souvenir des victimes des attentats de 2001 La vie , une forme de vie , a repris ses droits autour de Ground Zero , ainsi qu' a été baptisé le site de l' ancien World Trade Center ( WTC ) , quartier financier du sud de Manhattan . Le cratère de Ground Zero , vidé de 1 , 6 million de tonnes de débris , occupe environ 6 , 5 hectares . Une longue pente rectiligne descend au fond du chantier . Tout autour , la « baignoire » , structure de béton qui préservait les infrastructures du WTC de l' infiltration des eaux de la rivière Hudson , apparaît intacte . Long mur bourrelé , sauvage , sans souci esthétique . Tout autour , une couronne de gratte-ciel un peu amochés mais encore debout . « Ce sont les meilleurs qui sont partis les premiers » , déclare un architecte américain , sarcastique , à la vue de ces édifices plutôt disgracieux . Avant d' indiquer que la dimension du site ne réside pas dans sa taille réelle , mais dans sa capacité à susciter le rêve . C' est là , au pied du mur , que Daniel Libeskind , Américain d' origine polonaise , architecte du Musée juif de Berlin , eut l' intuition de son projet final . Il ne le formule jamais ainsi , mais ce mur pourrait être le mémorial , le véritable souvenir du drame , transcription profane du mur des Lamentations dans cette ville , New York , qui est aussi la plus grande ville juive du monde . Après le 11 septembre 2001 , un sourd grondement ponctué des avertisseurs des engins de déblayage a habité le site de la tragédie . Une poussière de cendre et de terre a longtemps donné sa couleur au quartier . Parfois , dans les premières semaines , un grand bruit indiquait la chute contrôlée d' un des orgues étranges , carcasses foudroyées de l' une ou l' autre tour du World Trade Center . Puis le chantier s' est peu à peu enfoncé , explorant les débris de la baignoire , triant les restes de corps , les fragments de métal , qui repartaient aussitôt chez les ferrailleurs , et tout un bric-à-brac de meubles aplatis , de béton , de cendre ... AUTELS MI-PAÏENS Deux années plus tard , le fond de la baignoire est nettoyé , vaste chantier sévèrement clôturé et gardé . Ici et là , des autels mi-païens mi-oecuméniques , photos , casquettes , petits mots , fleurs , offrandes , s' accumulent . Témoignages des familles endeuillées , de la sympathie de toute une Amérique , de la fascination pour le courage des pompiers . Les commerces de pacotille , de parapluies , de souvenirs ponctuent l' étrange chemin de croix qui circonscrit le lieu du drame , et que parcourt un flot de curieux . Ground Zero est passé du stade du déblaiement à celui de la reconstruction . Là où rien ne semblait pouvoir être reconstruit , l' idée de nouvelles tours a fait son chemin pour devenir une solution naturelle . Depuis le 23 novembre , le PATH , le train qui relie Manhattan au New Jersey en passant sous la rivière Hudson , a repris du service . Au fond de la baignoire , une gare provisoire attend celle dessinée par l' Espagnol Santiago Calatrava . 50 000 personnes y passent quotidiennement , soit 15 000 de moins qu' avant le drame . Après la fin des travaux , on en attend 80 000 . Voilà qui donne une idée du redéploiement du futur WTC , placé sous la houlette du Lower Manhattan Development Corporation ( LMDC ) . Cet organisme a été créé pour coordonner la reconstruction par le gouverneur de l' Etat de New York , George Patacki , et par l' ancien maire , Rudolph Giuliani , devenu héros de toute l' Amérique . Vaste programme : réinventer d' abord la vie et les liens sociaux de cette ville dans la ville ; reconstituer d' urgence les infrastructures , notamment les transports ; inventer la ville nouvelle sans que celle -ci oblitère le passé ; construire enfin l' inévitable mémorial aux victimes , sans que celui -ci empêche le retour de la vie ou altère la fierté de New York . Ces deux derniers enjeux apparurent longtemps contradictoires . D' autant plus qu' ils devaient intégrer les intérêts plus strictement économiques de Larry Silverstein , heureux promoteur : il venait à peine d' acheter les tours lorsque les avions de Ben Laden vinrent les pulvériser . Grâce aux assurances , il aura du neuf commercialisable sans publicité . Le projet de Daniel Libeskind pour reconstruire le quartier du WTC émergea de la série des concours organisés par le LMDC , sous la pression d' une opinion publique exigeante . Manipulée , éclairée ou perturbée par des critiques d' architecture partisans de tel ou tel concurrent , elle trouva son plus beau champ de bataille sur Internet . Laissant vierge de toute construction l' emplacement des Twin Towers , le projet lauréat propose un large square dont la pente laisse apparente une des parois de la baignoire . Cinq tours viennent l' enserrer , de taille décroissante , ainsi que plusieurs édifices plus bas , à vocation culturelle ( Le Monde du 30 septembre ) . Enfin , pour la dimension urbaine de sa proposition , l' architecte rétablit plusieurs rues , chères aux New -Yorkais . Libeskind a donné à son projet urbain une dimension architectonique forte , et sans doute trop précise pour Larry Silverstein . Jean Nouvel , Lord Foster , de Londres , et Fumihiko Maki , de Tokyo , ont donc été appelés en septembre par le promoteur , qui ne passe pas pour un passionné du style dit déstructuré de Libeskind . Nouvel , Foster , Maki , une tour pour chacun . La plus haute , qui reprend en nombre de pieds la date de l' indépendance américaine ( 1776 ) , devra être coproduite avec David Childs , gourou actuel de la firme SOM . Ce dernier passe pour un as du compromis depuis qu' il a transformé le projet ultrasensible de Columbus Circle , près de Central Park , dont le plan original , ventru et trapézoïdal , dû à Moshe Safdie , avait , selon la presse locale , besoin d' un sérieux antidote . L' histoire se répétera -elle au sud de Manhattan ? Tout laisse penser le contraire . Le projet de Libeskind est apprécié , au-delà de ses formes , pour la façon dont il respecte à la fois la mémoire du lieu et l' orgueil architectural de la métropole . Mais , comme le souligne Jean Nouvel , « nous sommes encore loin de parler de formes , ou même d' y songer . Nous n' en sommes qu' à une phase préliminaire de contacts » . En attendant , l' architecte d' origine polonaise , tenu à la réserve et à l' enthousiasme , est revenu s' installer à New York , en haut d' une modeste tour , d' où il peut surveiller les manoeuvres d' approche de ses confrères . Avec une équipe petite mais fidèle , glanée aux quatre coins du monde .