_: CULTURE CINEMA . Un cinéaste dans le chaudron israélien Film israélien . Avec Avi Mograbi . ( 1 h 12 ) Août ( avant l' explosion ) , d' Avi Mograbi Trois histoires en abyme , autour de la recherche d' une forme cinématographique qui reflète le quotidien de ce mois d' été en Israël . Un brûlot caniculaire signé par le plus impertinent des réalisateurs de son pays AUJOURD'HUI , le cinéaste israélien Avi Mograbi n' est vraisemblablement connu que par une poignée de cinéphiles voyageurs et de téléphages insomniaques - ses oeuvres principales ont circulé dans divers festivals et ont été diffusées par la salubre mais tardive Lucarne d' Arte . Défendu en France par un lobby modeste mais estimable - on y compte notammant le critique Raymond Bellour , qui l' introduisit lors d' un mémorable festival de Lussas , ou le producteur Serge Lalou , qui travaille depuis quelques années avec lui - , Avi Mograbi gagne de fait à être connu . La sortie nationale d' Août , film réalisé en 2002 et qui conserve sa funeste actualité , devrait y contribuer . On aurait aimé , à cet égard , faciliter la tâche du lecteur en lui dévoilant d' une formule bien sentie la quintessence de ce film . Mais l' art retors , polymorphe et miroitant de Mograbi , porté ici à son plus haut degré d' instabilité , interdit de se livrer à un tel exercice . Voudrait -on , par exemple , indiquer à quel genre ressortit Août ? Il faudrait évoquer , tout ensemble , un documentaire , une fiction , un journal intime , un pamphlet , un film d' intervention , un essai . Faudrait -il caractériser le ton qui l' affecte ? Ce serait l' humour , mais non moins le tragique , l' absurde , la bouffonnerie , la colère . Quant à ce que raconte ce film , force est de dénombrer trois histoires parallèles , leur synthèse en formant naturellement une quatrième , pour ne rien dire de la réalité à laquelle il se confronte , qui semble avoir de longue date largué les amarres de la raison . FOLIE FURIEUSE L' histoire numéro un - on l' appellera ainsi par pure convenance , tant la notion d' ordre est étrangère à ce film - met en scène , dans un cadre domestique exigu et un cadrage grotesque à souhait , le producteur et l' épouse du cinéaste , celui -là , écumant de rage , poursuivant celle -ci au nom d' une commande trop longtemps retardée par l' auteur du film qu' on est en train de voir , et qui lui-même interprète , pour pimenter un peu les choses , ledit producteur , ladite épouse ainsi que son propre personnage . L' histoire numéro deux est celle de ce film à faire à propos du massacre de fidèles musulmans perpétré voilà quelques années par Baruch Goldstein à Hébron , et dont les molles velléités de réalisation sont présentées sous forme de bouts d' essai tournés avec de jeunes actrices interprétant , consécutivement et sans conviction , le rôle de la femme du meurtrier . L' histoire numéro trois , enfin , est dévolue à ce qu' Avi Mograbi , désespérant de conférer une forme cinématographique à cet acte de folie furieuse , passe son temps à filmer réellement , histoire sans doute de rattraper la folie par la queue de la quotidienneté : le mois d' août en Israël . Par chance , les récentes extravagances climatiques permettront au spectateur de prendre concrètement la mesure atmosphérique d' un mois d' août ordinaire en Israël : l' enfer sur terre , toute promise qu' elle soit . A l' échauffement des esprits que cet état de fait suscite , comme on l' a vu , en zone tempérée et pacifiée , il convient de rajouter ici deux facteurs aggravants : le tempérament local , porté à l' ébullition , et la situation d' un Etat qui joue son existence et s' enferre dans un conflit qui dure depuis plus d' un demi-siècle . En un mot comme en cent , Avi Mograbi , avec comme toujours l' air de ne pas y toucher , feint de ne s' intéresser qu' aux bouffées de chaleur caniculaire , pour filmer la violence et l' intolérance ordinaires de la société israélienne . Le cinéaste a mis au point une méthode infaillible : la provocation délibérée . Avi Mograbi s' en est allé filmer les lieux et les situations les plus sensibles , du ministère de la défense jusqu'à l' arrestation mouvementée de Palestiniens , en passant par un cordon de police qu' il entreprend de forcer ou encore des activistes de droite qui distillent dans la rue leur credo déguisés en Arabes . Le résultat ( compte tenu du fait que le cinéaste oppose sa propre rage à l' irascibilité de ses compatriotes ) , bien entendu savoureux , fait frémir , tant les réactions à sa présence filmante , qu' elles émanent des forces de l' ordre ou de simples citoyens , dénotent au mieux une sourde inquiétude , au pis une violence à fleur de peau . Film viscéral suscitant une réaction qui ne l' est pas moins , Août appelle toutefois une certaine réserve , tant son parti pris de tournage ( qui provoque et décontextualise en même temps la violence de la société israélienne ) serait susceptible de faire passer n' importe quelle démocratie au monde pour un Etat fasciste . Cette tendance caricaturale de la partie documentée du film est d' autant plus regrettable que celui -ci , dans son ensemble , démontre une réelle intelligence de la tragédie israélienne ainsi que de l' esthétique pouvant lui conférer une forme idoine . L' ESSEULEMENT , L' ENFERMEMENT Le brouillage de la frontière entre fiction et documentaire , destin collectif et perspective intime , la démultiplication de l' écran et la prolifération des personnages interprétés par Mograbi , l' effet de miroir déformant des gros plans , les strates enchevêtrées et dissonantes de la narration évoquent ainsi un pays qui a maille à partir avec la définition et le peuplement de son espace , et dont le rapport au réel est incessamment guetté par le spectre de l' esseulement et la tentation de l' enfermement . Ces qualités , qui constituent le meilleur du cinéma de Mograbi , caractérisent tout particulièrement ses films précédents , que l' Espace Saint-Michel met à l' affiche à Paris à l' occasion de la sortie d' Août . On ne saurait trop recommander leur vision au public curieux de découvrir ce cinéaste israélien atypique , qu' il s' agisse de Comment j' ai appris à surmonter ma peur et à aimer Ariel Sharon ( 1997 ) ou de Happy Birthday , M. Mograbi ( 1999 ) . Là , le cinéaste entreprend de filmer l' homme qu' il hait le plus au monde , au risque de sympathiser avec lui et de se voir abandonner par sa femme ; ici , il reçoit , le jour de son anniversaire , deux commandes concomitantes de films célébrant le même événement , de points de vue contradictoires : la naissance de l' Etat d' Israël pour l' un , la Nakba , catastrophe de l' exil palestinien , pour l' autre . Ici et là , Mograbi met son corps accablé , tiraillé , divisé au centre de l' écran , en faisant de son propre personnage le grotesque terrain de bataille de la schizophrénie qui déchire cette région du monde . Happy Birthday , M. Mograbi et Comment j' ai appris à surmonter ma peur et à aimer Ariel Sharon à l' Espace Saint-Michel , 7 , place Saint-Michel , Paris 5e . Tél. : 01 - 44 - 07 - 20 - 49 .