_: A la Conciergerie résonne le fracas poétique des corps et des meubles Le festival Les Inaccoutumés accueille des chorégraphes contemporains atypiques L' ATMOSPHERE nocturne sépulcrale de la Conciergerie du Palais de justice , à Paris , convient -elle à un spectacle de danse contemporaine ? Programmée conjointement par la Ménagerie de verre et Monum ( du 8 au 11 avril ) , dans le cadre du festival Les Inaccoutumés , la chorégraphe Emmanuelle Huynh , sentinelle toujours aux aguets sur le front de l' expérimentation , répond par l' affirmative . Repliée dans un coin de la grande salle à colonnes nappée d' ombres , elle a circonscrit son aire de jeu , plutôt restreinte , avec des chaises et des bancs . Bord quatre , tentative pour corps , texte et tables , peut commencer dans le fracas sec des tables métalliques claquant sur le sol en pierres . Cette mise en condition sonore , très raide , indique le ton tranchant avec lequel Emmanuelle Huynh entend poursuivre cette recherche entamée il y a un an à la Villa Gillet de Lyon , puis reconduite dans la Bibliothèque municipale de Montpellier ( Le Monde du 10 juillet 2001 ) . L' essai se révélait alors peu concluant , plus proche du jeu de construction ou de l' exercice de déménagement de mobilier que d' une proposition artistique . Cette fois , Bord quatre s' affranchit du réel dans ce qu' il a de plus contraignant et de réducteur pour accéder à une sorte de rituel dont l' absurdité apparente prend force d' évidence . Quand on entend la chorégraphe redire cette phrase du poète Christophe Tarkos : La réalité n' invente rien , c' est moi qui invente tout , on constate immédiatement , sous nos yeux , comment sa vision et sa sensibilité d' artiste créent un nouvel ordre du monde , en réorganisant l' ordinaire selon des règles singulières . L' installation des tables opérée tout au long du spectacle , les textes de Tarkos lus ou dits par les danseurs , les agglutinations de corps , autant d' éléments indépendants , mais qui s' appuient pourtant les uns contre les autres , articulant un bloc plastique et sonore ( Cathy Olive signe les lumières , Manuel Coursin , le son ) dont l' étrangeté impose sa loi . Il en est de même pour Jachères , improvisations , pièce proposée le 16 avril par Vincent Dupont avec la collaboration de Myriam Lebreton , Eric Martin , Thierry Balasse ( création sonore ) et Yves Godin ( lumières ) . Un ouvrage de Christophe Tarkos , Ma Langue , complète le dispositif . La première image cernée par un cadre noir en fond de plateau - un couple immobile dans un appartement moderne entre David Lynch et Edward Hopper - joue la confusion entre film et spectacle vivant . Une légère vibration , puis des mouvements au ralenti , quasi imperceptibles , font basculer dans la réalité en chair et en os . Façon de parler d' ailleurs , tant cet homme et cette femme semblent sournoisement désincarnés , comme momifiés , suspendus dans un espace-temps étiré , immense . Cette béance entre deux êtres apparemment intimes , mais qui ne se touchent jamais , se lit comme une blessure blanche , indolore , une sorte de nausée contemporaine , véritable opération de désaffection sentimentale . Une thématique certes dans l' air du temps , au cinéma et ailleurs , mais formidablement éclairée par Yves Godin . La profondeur de champ de chaque tableau , la subtilité des nuances lumineuses qui densifient l' air et le moindre objet ( certaines scènes développent des harmonies de gris d' une rare beauté ) instaurent un mode de perception aiguisé que le port de casques-son , pas franchement indispensables d' ailleurs , accentue . Spectacle tout en vibrations fines , Jachères imprime l' esprit telle une obsession .