_: Les femmes dans le miroir de la préhistoire Un livre et une exposition au Musée d' Aquitaine analysent les représentations de notre lointain passé . Des images mythifiées qui en disent plus sur la conception de la femme aux XIXe et XXe siècles que sur le réel partage des rôles chez nos ancêtres Un couple déambule dans un paysage neigeux . L' homme et la femme sont nus , velus , et leurs traits largement simiesques . Le premier a posé sa main sur l' épaule de sa compagne . Celle -ci , plus petite , gracile , a l' air effrayé . Il y a de quoi . Dans le lointain , un épais panache de fumée est vomi par un volcan en éruption - la neige est , en réalité , une épaisse couche de cendres où les hominidés inscrivent leurs pas . Ces australopithèques , tels que les a imaginés le paléontologue américain Ian Tattersall pour un diorama du Museum d' histoire naturelle de New York , évoquent sans aucun doute Adam et Eve , sur le point d' être expulsés du paradis terrestre . Claudine Cohen a placé la reproduction de ce diorama en tête de son ouvrage , La Femme des origines , sous-titré « Image de la femme dans la préhistoire occidentale » . Si le Musée d' Aquitaine préfère s' inscrire sous le signe de Vénus et de Caïn - version laïcisée et scientiste du même mythe - , les commissaires de l' exposition qui est présentée à Bordeaux racontent la même histoire : celle de la représentation des hommes et des femmes de la préhistoire , de la fin du XIXe siècle au début du XXe . Et c' est incontestablement les premiers qui tiennent ici la vedette . Le tableau de Cormon , Retour d' une chasse à l' ours à l' époque néolithique , accroché au Musée d' Aquitaine , montre bien le partage des tâches tel qu' on l' imaginait en 1882 : l' homme affronte courageusement les animaux redoutables ; il revient triomphant , chargé de gibiers qu' il dépose aux pieds de ses femmes restées devant la grotte pour élever les enfants et faire la cuisine . La toile est également reproduite dans l' essai de Claudine Cohen qui nous explique pourquoi Caïn-Adam a longtemps été omniprésent sur la scène tandis qu' Eve-Vénus végétait en coulisses . Pour l' historienne de la paléontologie , cette représentation du lointain passé de l' homme fonctionne à la façon d' un miroir . Ce dernier enregistre les différentes postures de la société qui tente de percer les secrets du passé . Or cette société est , jusqu'à une époque très récente , essentiellement masculine . Les gravures illustrant L' Homme primitif de Louis Figuier ( 1870 ) montrent le mâle partout sur la brèche : il chasse , taille un outil , dessine , fait du feu , fabrique une poterie ; sa compagne se contente d' allaiter ses petits . Au mieux , elle moud du grain . Pourtant , l' homme préhistorique , à la fois chasseur et conquérant , artisan et artiste , voit sa place remise en cause par la découverte de Lucy en 1974 . Cette jeune australopithèque médiatique , dont une récente émission de télévision nous présentait la fin tragique dans les flots d' un torrent , devint soudain , pour le grand public , la « mère de l' humanité » , la nouvelle Eve . « La question scientifique de l' origine humaine reste aujourd'hui chargée de mythes , constate Claudine Cohen , et les schèmes du récit biblique demeurent comme la toile de fond de nos représentations. » Cet héritage religieux va jouer un rôle non négligeable , même au sein du débat scientifique , quand Charles Darwin , par exemple , aborde le rôle de la femme dans l' évolution humaine . Le moteur de l' évolution biologique est -il la pure sélection naturelle - un mécanisme aveugle - ou la sélection sexuelle qui implique un choix ? L' auteur de L' Origine des espèces table - avec prudence - sur l' importance des choix sexuels et notamment sur ceux opérés par les femmes , « conférant à la différence sexuelle un rôle essentiel dans les scénarios de l' hominisation » , nous dit Claudine Cohen . Celle -ci insiste , de son côté , sur la perte de l' oestrus - l' état hormonal de réceptivité sexuelle commun à tous les mammifères et notamment aux grands singes - , autre pilier du fameux scénario d' hominisation . Car la conséquence de cette perte est une disponibilité sexuelle absolue qui « fut peut-être la raison d' être des normes et des interdits qui , dans toute société humaine , limitent les usages et les pratiques de la sexualité » , insiste Claudine Cohen . L' inceste , par exemple , à la base du fondement de tout groupe social humain . La vie sexuelle au paléolithique reste néanmoins un grand mystère que Claudine Cohen tente de percer en revenant sur des images tirées de l' art paléolithique : corps de femmes , vulves , phallus , signes géométriques , scènes d' accouplement , etc. S' agit -il de rituels érotiques visant à favoriser la fécondité et à protéger les grossesses ? Ces actes renverraient alors à la magie de la chasse , chère à l' abbé Breuil , et aujourd'hui délaissée . Ont -ils un sens symbolique lié aux sanctuaires que sont les grottes , selon André Leroi-Gourhan , et à un système de pensée duale ? Questions sans réponses convaincantes . En revanche , celle du matriarcat des sociétés originelles a été renouvelée par le mouvement féministe américain . Claudine Cohen pointe les tenants de la thèse d' une société harmonieuse et paisible puisque maternelle et nourricière , donc probable âge d' or de l' humanité . Le mythe de la déesse mère lui est voisin . L' idée d' un culte de la grande déesse qui aurait régenté les civilisations préhistoriques se fonde sur l' existence d' une très grande abondance d' images féminines peintes , gravées , sculptées , modelées que l' on trouve dans toute l' Europe , de l' Oural à l' Atlantique , au Proche-Orient et sur le pourtour du bassin méditerranéen . L' archéologue Jacques Cauvin voit dans ce culte la pierre angulaire d' un nouvel ordre du monde , au moment du passage au néolithique , vers 10 000 ans avant notre ère . Thèse renforcée par l' ethnologue californienne Marija Gimbutas , qui a plaidé pour l' homogénéité idéologique et religieuse de ce monde néolithique sous l' égide de la grande déesse . Mais le succès de ce mythe qui , une fois de plus , nous apprend beaucoup plus sur les besoins de spiritualité de nos contemporains que sur les croyances des sociétés primitives , est également porteur de danger pour l' archéologie féministe . « Cautionner le mythe de la déesse préhistorique , indique Claudine Cohen , c' est pérenniser en la divinisant l' image éternelle de la femme définie par sa passivité et sa fécondité , laissant au héros mâle le privilège de l' individualité et de l' action. » Or à partir des années 1960 , le mouvement féministe qui prend un essor considérable aux Etats-Unis trouve dans la préhistoire un point d' ancrage . La place des femmes dans les sociétés primitives renvoie à celle qu' elles occupent dans le monde contemporain . Il s' agit donc de mettre en pièces le modèle dominant : celui d' une humanité dominée par l' homme chasseur . Des travaux vont alors mettre en évidence le rôle économique majeur tenu par les femmes ( la cueillette , soit les deux tiers de la nourriture consommée par un groupe de chasseurs-cueilleurs ) , la place tenue par le dépeçage d' animaux morts ( le chasseur est d' abord un charognard ! ) et l' inventivité féminine à qui on attribue l' origine du tissage , de la vannerie , voire de l' agriculture . Aujourd'hui , si la virulence du combat féministe tend à s' apaiser , la polémique a conduit à un renouveau des approches archéologiques , qui ne vise plus à produire des modèles globaux . « Il ne s' agit plus de chercher dans un recours à l' origine les preuves de la prééminence des femmes - mais plutôt d' identifier , à l' aide des méthodes archéologiques rigoureuses , les différents rôles qu' elles ont réellement assumés dans la préhistoire. » Mais ces débats passionnants dont Claudine Cohen se fait l' écho n' ont guère été entendus en France , où les chercheurs se cantonnent de plus en plus dans une approche purement descriptive de la préhistoire . La Femme des origines , de Claudine Cohen , Belin-Herscher éd. , 192 p. , 29 , 90 euros .