_: CULTURE - ACADÉMIE FRANCAISE . Valéry Giscard d' Estaing , TEMPÊTE sous la COUPOLE Les académiciens se prononcent , jeudi 11 décembre , sur la candidature de l' ancien président de la République au fauteuil de Léopold Sédar Senghor . La " campagne " qui a précédé cette élection a donné lieu à une vive polémique et a mis l' institution en crise GÉNÉRALEMENT , Quai de Conti , on est entre personnes de bonne compagnie , et les tempêtes sont rares . Avant que sa candidature ne soulève un orage , on imaginait mal Valéry Giscard d' Estaing tenir le rôle du trouble-fête . Et pourtant , l' ancien président de la République , que l' on devine si respectueux des étiquettes et des ordres de préséance , a mis l' institution du quai de Conti en état de crise . M. Giscard d' Estaing sera -t-il élu , jeudi 11 décembre , au fauteuil de Léopold Sédar Senghor ? Même si cela semble vraisemblable , rarement élection à l' Académie française se sera déroulée dans une atmosphère aussi survoltée . On se souvient encore de celle de 1980 , lorsque Marguerite Yourcenar fut la première femme à se présenter . " On m' avait traité de naufrageur de l' Académie " , se rappelle Jean d' Ormesson d' Ormesson , qui avait activement soutenu l' auteur des Mémoires d' Hadrien . Comme il soutient aujourd'hui celle du président de la Convention européenne . Rappelons les faits . Le 7 novembre , Valéry Giscard d' Estaing annonce qu' il se porte candidat au fauteuil , le 16e , qu' occupait un autre ancien président de la République , Léopold Sédar Senghor ( Le Mond e du 8 novembre ) . Bien qu' aucun propos officiel ne le confirme , on apprend assez vite qu' il a le soutien d' Hélène Carrère d' Encausse , secrétaire perpétuelle , et aussi d' un groupe d' académiciens parmi lesquels on compte notamment Jean d' Ormesson , Marc Fumaroli , Pierre Rosenberg , François Jacob , un gaulliste historique ... Du même côté , il y a aussi Michel Déon , Félicien Marceau , Jean-Marie Rouart , Alain Decaux , René Rémond et Pierre Nora . Soutiens dont l' ancien président était évidemment assuré en présentant sa candidature . Une semaine plus tard , dans son numéro du 13 novembre , " Le Figaro littéraire " dirigé depuis peu par l' académicien Angelo Rinaldi - au profit duquel Jean-Marie Rouart a été évincé - accueille en première page une tribune au vitriol de Maurice Druon , ancien secrétaire perpétuel , qui stigmatise violemment la candidature et la personnalité de l' ancien chef de l' Etat ( Le Monde du 21 novembre ) . L' auteur des Rois maudits n' avait pas , semble , été prévenu de l' initiative de M. Giscard d' Estaing , ce qui l' a irrité . A partir de cet instant , les choses basculent . L' ironie un peu convenue sur cette compagnie de vieilles personnes soudain enfiévrées ne suffit plus . C' est toute l' institution qui chancelle . Les motifs de l' allergie de M. Druon sont multiples , à la fois personnels - on parle de la promesse non tenue d' une ambassade au Saint-Siège - , accessoirement littéraires et surtout politiques , au nom du gaullisme dont M. Giscard d' Estaing reste , à ses yeux , un adversaire emblématique . Mais , derrière cette querelle aux accents un peu désuets , se cache ( mal ) une autre , plus actuelle , celle du souverainisme . Il est clair qu' aux yeux de certains le président de la Convention européenne incarne une option inverse à celle de M. Druon . Mais ce n' est pas sur ce thème que l' Immortel a choisi d' attaquer . " Depuis trente-sept ans que je suis à l' Académie , précise -t-il , je n' ai jamais fait de déclaration publique sur une candidature . C' est donc qu' il doit y avoir une raison sérieuse . Il est pour moi indécent qu' un ancien protecteur de l' Académie veuille y entrer . Le président de la République donne son agrément aux choix de l' Académie . Il était au-dessus de l' Académie par sa fonction ; en se présentant , il rabaisse sa fonction . " Même tonalité chez Henri Troyat , qui cite le général de Gaulle que l' on avait sollicité : " " La France n' entre pas à l' Académie " , avait -il répondu . Je trouve cette phrase très pertinente . " Pour Angelo Rinaldi , reçu sous la Coupole en 2002 , si en prenant la parole " Maurice Druon s' est affranchi de la règle et des usages " de l' Académie , c' est qu' il est , en tant qu' ancien secrétaire perpétuel , " dépositaire de la loi et de la tradition : c' est en cette qualité qu' il a soulevé un lièvre juridique et formulé des objections " . Pour Jean d' Ormesson d' Ormesson , " Rinaldi s' est révélé : après avoir pris la place de Rouart , après s' être révélé comme souverainiste , il publie Druon en " une " du " Figaro littéraire " . " Bertrand Poirot-Delpech , entré Quai de Conti en 1986 , est plus réticent : " Maurice Druon m' avait appris qu' on ne parlait pas en public " , souligne -t-il sobrement . Mais l' usage qui voulait que l' on n' étale pas au grand jour d' évidentes dissensions politiques n' est plus qu' un souvenir . Mme Carrère d' Encausse a elle-même apporté publiquement son soutien à M. Giscard d' Estaing , une initiative jugée " malheureuse " par Maurice Druon . Du côté des partisans , on ne désarme pas , même si on reste plus respectueux du devoir de réserve . Jean d' Ormesson n' a pas ces scrupules et se déclare ouvertement optimiste sur l' issue du vote - comme Marc Fumaroli - , égratignant au passage Maurice Druon : " Je l' aime beaucoup , mais il a toujours pensé que l' Académie était une réunion de notables ; moi j' ai toujours défendu les écrivains . Je souhaiterais que Robbe-Grillet ou Simon Leys viennent . Mais , à défaut , prenons un président de la République . " Il ajoute : " Je soutiens Giscard car je pense qu' il faut redonner un peu de lustre à l' institution . Il est assez connu en Europe . S' il est élu , on parlera de l' Académie en Europe et dans le monde entier . " Mais le " front du refus " à l' ancien président n' a pas seulement recruté dans la vieille garde gaulliste ou chez les souverainistes déclarés . A côté de Maurice Druon , Jean Dutourd , Pierre Messmer , Henri Troyat , Jean Bernard et Angelo Rinaldi , on trouve également des écrivains qui ne sont pas particulièrement marqués à droite , comme Hector Bianciotti , Florence Delay ou Erik Orsenna . Ce dernier estime que " les hommes politiques français pensent toujours que s' ils n' avaient pas fait de la politique ils seraient devenus de grands écrivains " . Cette qualité d' écrivain , toute l' histoire de l' Académie le prouve , n' est pas une condition d' appartenance . Jean-Marie Rouart résume le problème en ces termes : " Il y a deux questions . Le protecteur peut -il faire partie de l' Académie ? Je n' y suis pas hostile . Ensuite , il y a la question de l' oeuvre littéraire . Personne ne dit que Giscard est écrivain . Il y a toujours eu des académiciens sans oeuvre littéraire , comme Michel Debré par exemple , qui avait été soutenu par Maurice Druon . L' Académie a toujours été conçue pour mêler les gens du monde à des écrivains . " Henri Troyat " déplore " de son côté qu' il " y ait de moins en moins d' écrivains à l' Académie . Je ne m' explique pas pourquoi " . Tempête sous une coupole parisienne , dira -t-on ? Ce n' est pas si sûr . Il est clair que la vieille institution est ébranlée , fragilisée , et que cela laissera des traces . Par exemple , si le candidat président n' est pas élu , Mme Carrère d' Encausse , qui s' est engagée fortement en sa faveur , devra affronter un grave désaveu . Et celui -ci posera la question de la place et de la fonction de l' Académie dans la société française aujourd'hui .