_: A Vienne , DÜRER ou la révolution du CORPS Le musée de l' Albertina , à Vienne , consacre une grande exposition à Albrecht Dürer ( 1471 - 1528 ) . Peintures , dessins et gravures témoignent du génie de cet humaniste , portraitiste novateur La mort , il y a 475 ans , d' Albrecht Dürer a fourni le prétexte de l' exposition : comme si besoin était ! Il n' y avait pas eu de grande démonstration du génie de l' artiste depuis la célébration , en 1971 , du cinquième centenaire de sa naissance , à Nuremberg , en Allemagne . Le musée viennois de l' Albertina , qui possède un fonds considérable d' oeuvres sur papier du maître ( 140 dessins et aquarelles ainsi que la collection complète des gravures ) , avait sorti en 1985 un ensemble de ces feuilles à l' occasion d' une exposition portant sur l' étude des animaux et des plantes à la Renaissance . Et c' est tout . Il semble donc naturel que l' une des premières manifestations de ce musée rénové après dix ans de fermeture soit consacrée au maître allemand . C' est bien évidemment autour de ce fonds que l' exposition a été conçue , par ensembles thématiques pouvant réunir peintures , dessins , aquarelles et gravures , et permettant pour la première fois de comparer études préparatoires et tableaux venus de musées étrangers . Par exemple , les études de visages et de mains pour Jésus parmi les docteurs entourent le tableau de la collection Thyssen-Bornemisza . Même chose pour La Célébration du rosaire de la Galerie nationale de Prague , pour le Saint Jérôme du Musée d' art ancien de Lisbonne , ou encore pour le Martyre des Dix Mille ou le portrait de Maximilien Ier , ces deux peintures étant conservées au Kunsthistorische Museum de Vienne . Le parcours sur fond de murs bleus , gris , verts , rouges , excessifs et dérangeants , pointe les facettes multiples de l' oeuvre au fil d' un itinéraire respectant grosso modo la chronologie . Il n' est pas de tout repos , mais fidèle à l' image complexe de l' artiste pris entre plusieurs feux , dans l' assomption du gothique au nord des Alpes et l' emprise des idées humanistes en vigueur en Italie , puis le schisme religieux . Il est , de fait , sans complaisance pour un public qui pourrait en redemander à la rubrique histoire naturelle . L' émerveillement est inévitable devant la cimaise où se côtoient la Corneille morte , son aile bleue aux plumes dessinées avec la minutie de l' orfèvre - le premier métier que Dürer a appris dans l' atelier du père - , les Hautes herbes et le Lièvre . C' est l' image familière de ce dernier qui a d' ailleurs été choisie entre toutes pour faire l' affiche de l' exposition . Elle rappelle le grand intérêt de Dürer pour le règne animal ( et plus généralement pour l' animalité dans la figure humaine ) au même titre que tout ce qui est et croît dans la nature . La part théorique de l' oeuvre , couronnée par la publication post mortem , en 1528 , de ses Quatre livres sur les proportions humaines , est évoquée à travers plusieurs dessins et calculs savants des mesures du corps de l' homme et , nouveauté , de la femme . Celle -ci était jusque -là considérée comme trop imparfaite , puisque née d' Adam et non façonnée par Dieu , pour servir une recherche des canons de la beauté . Ce sont d' ailleurs Adam et Eve , plutôt que le seul Apollon , que Dürer associe à cette démarche d' humaniste se mesurant aux Italiens , d' Alberti à Léonard . TRADUCTEUR DE PULSIONS Dürer oublie ces recherches face à la réalité , qu' il observe avec acuité et qu' il s' agit de représenter dans sa mouvance . Il s' y est attelé de bonne heure , scrutant le visage humain mais aussi le paysage , qu' il traite en « moderne » , en lui accordant une forme d' autonomie . Les aquarelles de paysages accompagnent ses premiers voyages : vues d' Innsbruck , rochers escarpés pleins d' âme , déjà , dont il note les strates marquant le temps géologique , grands arbres verts ou foudroyés , lacs ... S' il nous épate dans ces exercices , c' est bien évidemment le peintre de portraits et d' autoportraits , le traducteur des pensées et de pulsions profondes , le peintre de l' homme , de son tourment , de ses faiblesses et de son inexorable cheminement vers la mort qui convainc le plus . La fascination persistante de Dürer pour sa propre image est mise en évidence d' entrée de jeu , avec ce premier autoportrait à la pointe d' argent , réalisé en 1484 en se regardant dans une glace . Dürer , dessinateur précoce , n' a alors que 13 ans . Il est encore apprenti chez son père et , déjà , on relève ce geste du doigt pointé d' une personne qui argumente . Vingt-deux ans plus tard , on le retrouvera décuplé dans le tableau Jésus et les docteurs . Le jeu expressif des mains en est le sujet central autour duquel les visages font cercle . L' un d' eux est d' ailleurs l' occasion d' une étude de tête monstrueuse de vieillard à la peau du cou blafarde , fine et ridée . Les mains sont partout dans l' oeuvre de Dürer , admirables de justesse , crispées , jointes , désignant , touchant , tenant la Bible ou une pomme . Dans la peinture des Italiens , elles ont un tout autre rôle . Elles servent une composition , l' organisation spatiale d' un groupe , la relation des figures entre elles au même titre que le regard . Chez Dürer , et plus généralement au nord des Alpes , les mains participent de l' expressivité des individus . D' autres apparitions vives du maître à différents âges émaillent le parcours . On le voit au dos d' une Sainte Famille , visage catastrophé , humeur de chien , une main plaquée sur le côté droit du visage qui déforme la joue . Il la reprend dans son Christ de douleurs , autre cas de glissement de l' autoportrait à l' image du Christ . Et peut-être encore dans cet étonnant autoportrait nu , debout , le corps tendu , décharné , à la limite de la déformation , en pleine lumière sur un fond noir inachevé , les bras occultés . Cette représentation sans précédent du corps humain , sans prétexte religieux ni mythologique , tient de l' Ecce homo . Et d' Egon Schiele ! TEMPÊTES PHILOSOPHIQUES Le créateur est toujours là comme être de chair , corps habité , avec ses blessures intérieures et ses états d' âme au coeur des tempêtes religieuses et philosophiques , avec son doute et sa mélancolie . Sa fierté et sa noblesse aussi : le deuxième des trois grands autoportraits peints , l' Autoportrait du Prado , réalisé en 1498 , de retour de Venise , en atteste . Père , mère , femme et amis ont aussi servi de modèles : Agnès Dürer , sa femme , sera tour à tour la Vierge et sainte Anne . Les images de jeunesse et de vieillesse alterneront . Un homme de 93 ans incarnera le Saint Jérôme , sévère et interrogateur , de 1521 , l' un des derniers grands portraits peints , après celui de Maximilien Ier . Dans les parages de la figure de l' empereur , l' exposition permet de découvrir des travaux de commande effectués pour sa gloire : trois versions d' un Grand char triomphant , et l' Arc de triomphe de 1515 , la plus grande gravure connue , constituée à l' origine de 195 planches , et dont l' Albertina conserve la quasi-totalité . Sa présentation est l' occasion de mesurer le rôle grandissant de la gravure dans l' oeuvre de Dürer , au détriment de l' activité picturale . Albertina , 1 , Albertinaplatz , 1010 Vienne ( Autriche ) . Jusqu'au 30 novembre . Tél. : + 43 ( 0 ) 1 - 534 - 83 - 0 . Tous les jours , de 10 heures à 18 heures . De 3 , 50 ? à 9 ? . Jusqu'au 30 novembre .