_: FESTIVALS . Les intermittents tentent de s' organiser Après les annulations des festivals d' Avignon et d' Aix-en-Provence , les grévistes s' interrogent sur les suites à donner à leur mouvement ET MAINTENANT ? Aix annulé , Avignon annulé , les Francopholies annulées , que vont faire les intermittents ? Quel va être le sort des autres festivals de l' été - les Chorégies d' Orange d' Orange , qui doivent commencer le 12 juillet , Paris Quartier d' été , dont l' ouverture doit avoir lieu le 14 , Chalon dans la rue , qui doit débuter le 15 avec la nouvelle création de Royal de Luxe , beaucoup d' autres encore ? A Avignon , tout est -il vraiment fini , ou un festival « alternatif » peut -il se mettre en place ? Groggy , sonnés , mais déterminés à continuer : voilà , globalement , quel était l' état des troupes intermittentes , syndiquées ou non , jeudi 10 juillet , après l' annonce par Stéphane Lissner de l' annulation du Festival d' art lyrique et celle , par Bernard Faivre d' Arcier , du plus grand festival de théâtre au monde . Avignon , où une immense tristesse s' est abattue sur la ville : beaucoup pleuraient quand , à midi , Bernard Faivre d' Arcier a pris la parole dans un silence consterné . Sentiment général de gâchis qui laissait un goût amer , mais n' encourageait en aucun cas les intermittents , artistes comme techniciens , à abandonner le terrain . « L' arrêt d' Avignon , c' est une défaite , mais elle était inéluctable , explique Thierry Otin , membre du collectif du 25 février et des Interluttants . C' est la défaite de la culture face à un gouvernement dévastateur , qui a lancé une bombe atomique sans avoir conscience des conséquences . Et cette date symbole ne signe pas l' arrêt du mouvement : au contraire , il est en train de se structurer de plus en plus , avec la mise en place d' une coordination nationale . Le mouvement est plutôt à un tournant : nous sommes pour la poursuite de la grève dans les festivals , mais nous souhaitons surtout devenir un interlocuteur crédible dans d' éventuelles nouvelles négociations . Il faut que les membres de cette profession , où le taux de syndicalisation est très bas , puissent enfin être représentés au plus niveau. » A Culturendanger , le collectif de Montpellier qui a déjà vécu l' annulation du festival Montpellier-Danse , Michel Bourelly parle lui aussi de « gâchis » : « Jusqu'où faudra -t-il aller pour que le gouvernement entende ce que nous avons à lui dire ? demande -t-il . Nous sommes pour la poursuite de la grève , mais nous souhaitons nous inscrire dans une démarche plus politique : il faut lancer , enfin , cette concertation nationale sur les politiques culturelles et la place de l' art dans la société . C' est de cette réflexion que devrait découler le statut des professions du spectacle , et non l' inverse ... » A la coordination des intermittents et précaires d' Ile-de-France , réunie en assemblée générale à La Villette jeudi après-midi , aucune position « officielle » n' avait été arrêtée dans la nuit de jeudi à vendredi , mais les rares personnes qui se sont prononcées pour l' arrêt de la grève se sont fait copieusement huer et siffler . Une équipe travaillant sur Paris Quartier d' été a annoncé qu' elle déposait un préavis de grève pour l' ouverture du festival . Un groupe a prévu d' aller occuper le site des Vieilles Charrues à Carhaix ... « Avignon n' est en aucun cas une fin . Au contraire , c' est une étape dans la mobilisation » , précise une jeune femme , chargée de production auprès de compagnies de spectacles . Poursuite de l' action , donc , mais , là aussi , le mouvement souhaite visiblement rentrer dans une phase plus responsable : une commission de la coordination travaille sur des propositions de réforme de l' accord , propositions qu' elle devrait rendre publiques dans les jours à venir . D' Avignon , où le sort du « off » reste en suspens , et où Ariane Mnouchkine et ses comédiens du Théâtre du Soleil , qui avaient pris position contre la grève , se sont fait traiter de « collabos » , sont aussi venues des propositions d' action « alternatives » . La chorégraphe Régine Chopinot , qui a participé activement depuis le début à la lutte des intermittents , se projette déjà à la rentrée , souhaitant une fédération , hors de tout syndicat , des cinéastes , metteurs en scène et chorégraphes qui ont soutenu les intermittents . Le représentant du collège des techniciens du festival « in » , qui a voté majoritairement la grève , a déclaré qu' ils « engageaient des négociations avec Bernard Faivre d' Arcier pour envisager de mettre les moyens techniques du festival au service d' artistes qui souhaiteraient jouer ou mener des actions pour faire avancer la réflexion sur le mouvement . Nous n' avons pas l' intention de nous faire déposséder de notre outil de travail » , a -t-il conclu . Le chorégraphe Jean-Claude Gallotta constate que « beaucoup de compagnies souhaitent rester à Avignon et trouver un moyen de continuer la lutte , autrement » . « Très vite , dans le milieu de la danse , on a senti que ce mouvement était très fort , précise -t-il . Nous avons suivi la démocratie , donc la grève , mais , pour beaucoup d' entre nous , il y avait peut-être une alternative qui n' a pas pu s' exprimer . Pour que ce sacrifice ait un sens , il faut maintenant essayer de creuser cette alternative , sans faire d' enfant dans le dos au festival : on pourrait par exemple jouer les spectacles en boucle , non stop , et en reverser la recette aux intermittents ... » Avignon , annulé , va -t-il se transformer en vaste festival « alternatif » , forum permanent de discussions et de réflexions , foyer d' agitation et de création ? C' est , en tout cas , la forme que risque de prendre aussi le festival de Chalon-sur-Saône , le plus important pour le théâtre de rue en France : ses directeurs , Pierre Layac et Jacques Quentin , ont décidé de ne pas l' annuler , mais d' en faire , « dans un esprit républicain , un espace de parole , de débat et d' écoute , en mettant la logistique du festival à disposition de tous les points de vue qui voudront s' exprimer » . « Annuler , ce serait faire le jeu du Medef et du gouvernement » , concluent -ils . Et la CGT , syndicat majoritaire - et non signataire des accords - chez les intermittents ? Jean Voirin , secrétaire général de la Fédération des syndicats CGT du spectacle , appelle à « l' amplification de l' action et à la généralisation de la grève » . « Si le ministre des affaires sociales reste sur ses positions , précise -t-il , l' été va être très chaud ... Et si cela ne suffit pas , on continuera aussi tout l' automne et tout l' hiver. » « Nous ne nous laisserons pas suicider par le Medef et par sa courroie de transmission qu' est le gouvernement Raffarin » , ajoute M. Voirin , qui en appelle à un geste de l' Elysée . « On attend beaucoup de Jacques Chirac sur ce dossier . S' il avait l' intelligence , le 14 juillet , par exemple , de proposer à tous les partenaires une renégociation sur de nouvelles bases , alors on pourrait envisager d' arriver à un accord , qui serait signé , cette fois , par toutes les parties , et pas seulement par trois syndicats minoritaires dans la profession . Si le président de la République ne propose aucune solution d' apaisement , je n' exclus pas que le mouvement des intermittents puisse déboucher sur une grève générale ... » , conclut le responsable des syndicats CGT du spectacle . A Avignon , dès la fin de la conférence de presse de Bernard Faivre d' Arcier d' Arcier , les représentants de la CGT ont essayé de prendre la parole . Ils n' ont pas pu dire un mot : ils ont été hués pendant dix minutes . Les intermittents sont plus déterminés que jamais à prendre leur sort en main . La grève , ils l' ont votée , jour après jour , la mort dans l' âme . « La mort dans l' âme » , avait aussi dit Bernard Faivre d' Arcier en annonçant l' annulation .