_: MUSIQUE . A Baden- Baden , un festival fier de sa gestion privée Fréquentée au XIXe siècle par de célèbres virtuoses , écrivains et compositeurs , la ville d' eaux allemande ne veut pas vivre sur son passé . Elle a inauguré , en 1998 , un nouvel opéra , le Festspielhaus , et repris à Salzbourg , depuis 2000 , le Festival de Pentecôte Herbert-von-Karajan Alphonse Allais eût été content : à Baden-Baden , la ville est bien à la campagne . Nul panneau publicitaire , nul magasin d' usine . Toute pavoisée de roses et d' arbres , de pelouses et d' oiseaux . La fameuse « entrée verte » : un jardin dans lequel aurait poussé une ville . Boisée , dit -on avec une précision toute teutonne , à 61 % . De son XIXe siècle flamboyant - ballet de têtes couronnées et gotha artistique - , la ville a gardé un je-ne-sais-quoi de pétillant qui fait que le Sekt ( mousseux ou champagne ) , aussi mauvais là qu' ailleurs , grise plus vite . En dépit des aléas des guerres et du temps , « Roulettenburg » , ainsi que la surnomma Dostoïevski dans Le Joueur , se targue encore d' être la ville d' Allemagne qui concentre le plus de millionnaires . A cette garnison pour riches qu' est une ville d' eau , avec magasins de luxe et maisons de volupté , palaces et palais , thermes et casino , ne manquait que la musique grand format . De là , sans doute , l' idée d' un Festspielhaus , conjointement soutenu par les autorités du Land de Bade-Wurtemberg ( Lothar Späth et Erwin Teufel ) et de la ville de Baden-Baden ( Ulrich Wendt ) . Lancés en mai 1996 , les travaux , initialement conçus par Walter Veyhle et réalisés par l' architecte autrichien Wilhelm Holzbauer , sont achevés en décembre 1997 . Le 8 février 1998 , l' inauguration découvre une élégante infrastructure de béton , de verre et d' acier réalisée en extension de la vieille gare XIXe néo-Renaissance de la ville ( Alten Bahnhof ) . Doté d' une salle multifonctionnelle de 2 500 places , l' ambitieux « Festspielhaus à 120 millions de marks » est devenu la deuxième plus grande salle d' Europe , après l' Opéra-Bastille . Objectif : concurrencer Salzbourg . Dès 1989 , Baden-Baden a suivi avec intérêt l' arrivée du trublion Gérard Mortier aux commandes du sacro-saint festival salzbourgeois , successeur d' un Herbert von Karajan qui régnait en despote depuis 1956 . La déstabilisation opérée dans les rangs de la « Karajanopolis » rend possible la délocalisation et la récupération du prestigieux Festival de Pentecôte Herbert von Karajan : il suffira pour cela d' acheter les droits du label à la Société Karajan . Cependant , l' entrée en lice du jeune Festspielhaus est pour le moins controversée . Scandalisées par un fonctionnement qui met en jeu des promoteurs privés adossés à des finances publiques , choquées par l' aveu d' une politique artistique qui fait fi des autochtones et se veut avant tout destinée à une gentry internationale , l' opinion publique , la presse et la profession émettent des critiques d' autant plus virulentes que la situation menace rapidement de tourner au désastre . Appelé en renfort , l' actuel intendant et administrateur du Festspielhaus , Andreas Mölich-Zebhauser ( le vibrionnant AMZ ) , confirme : « Très rapidement , au bout de quelques mois , le Festpielhaus s' est retrouvé au bord de la faillite . Je suis arrivé dès 1998 . Quand j' ai vu le potentiel de cette maison , cette salle magnifique et son acoustique , je n' ai pas hésité . Je n' avais jamais géré de maison d' opéra , mais je rêvais de cela depuis mon enfance : mon père était chef d' orchestre à l' Opéra de Gesellkirchen. » Modeste , l' ancien directeur de l' ensemble Modern de Francfort ( l' homologue de notre Ensemble Intercontemporain ) ne dit pas qu' il est précédé d' une flatteuse réputation de gestionnaire . La gestion précédente , confiée à une entreprise de promotion de spectacles , s' est révélée un échec et la ville de Baden-Baden a dû récupérer , à tous les sens du terme , une structure en crise . Andreas Mölich-Zebhauser restera maître à bord lorsqu' elle en rétrocédera à nouveau la gestion en 2000 , pour la somme symbolique de 1 DM ( 0 , 511292 euro ) , à une nouvelle organisation privée : la Fondation culturelle du Festspielhaus ( Festspielhaus GmBH ) , dont le capital appartient à cinq investisseurs , au rang desquels le célèbre New-Yorkais Alberto Vilar , mécène du Met et du Festival de Salzbourg de Salzbourg , lequel avait empêché en 1998 l' annulation pure et simple du festival d' été . « Quand on ouvre une maison comme celle -ci , on doit s' attendre à des débuts difficiles , précise M. Mölich-Zebhauser . Or la première saison tablait sur une vente totale des quotas de places . Irréaliste ! A cette époque , le taux de remplissage moyen n' excédait pas 500 personnes , soit 1 / 5e de la jauge ! Aujourd'hui , nous tournons autour de 72 % et ça va continuer . Notre public vient essentiellement des grandes villes situées dans une périphérie de 200 km ( Bâle , Francfort , Stuttgart ) , de Karlsruhe , qui est à côté , ainsi que de la région alsacienne . Le public local ne représente que 15 % du total . Mais pour ce qui est du Festival de Pentecôte Herbert von Karajan , la clientèle est vraiment internationale. » Les raisons d' une telle réussite , M. Mölich-Zebhauser les énumère sans ambages : réduire le nombre de représentations tout en élaborant une programmation de haut niveau , travailler avec une petite équipe ( 50 permanents ) en engageant au coup par coup le personnel nécessaire aux grosses productions , développer enfin des activités connexes entièrement autogérées . C' est ainsi qu' une restauration est assurée les soirs de spectacle dans le restaurant Aïda , situé dans l' ancienne salle d' attente de la gare . A cela s' ajoute la location des salles pour des événements artistiques ou privés , un service de transport à destination de villes ou d' aéroports . Et , bien sûr , un mécénat qui se décline du haut en bas de l' échelle . Il suffit de 100 euros pour devenir membre de « Mein Festspielhaus » , 520 pour faire partie du « Freundeskreis » ( cercle des amis ) et 1 500 pour accéder au rang de « Förderkreis » ( cercle de promoteurs ) . Quant aux membres de la Fondation culturelle , qui détient la quasi-totalité d' un capital oscillant entre 13 et 15 millions d' euros par an , son nombre a doublé depuis le printemps 2000 . « Les investisseurs n' interfèrent en rien dans la programmation . Par contre , nous utilisons leurs compétences professionnelles dans des domaines aussi différents que la gestion , le développement et le marketing. » Avec 55 % de recettes de billetterie , 15 % à 20 % de produits d' activités extra-artistiques et 25 % à 30 % de mécénat , M. Mölich-Zebhauser a le sentiment d' avoir inauguré en Allemagne le modèle d' avenir d' une gestion exclusivement fondée sur des fonds privés , qui devrait se développer inexorablement , les pouvoirs publics tendant à se désengager . « Pour autant , je ne pense pas qu' il faille faire de ce modèle le seul existant . L' opéra , par exemple , par nature déficitaire , doit pouvoir continuer à bénéficier des finances publiques afin de réaliser des projets que la logique de l' argent ne permettrait même pas d' envisager . Dans les théâtres subventionnés , les fonds privés atteignent à peine 1 % du budget . L' idéal serait d' arriver à 5 % . Entre un mode de financement à l' américaine et le tout-subventionné , il y a certainement une voie médiane. » Vendredi 6 juin , c' est avec la Missa solemnis de Beethoven , interprétée par le Choeur et l' Orchestre Balthasar-Neumann , sous la direction de Thomas Engelbrock , que la belle salle ocrée du Festspielhaus a ouvert la 6e édition du Herbert von Karajan Pfingstfestspiele . Le 7 , ce fut au tour de Mozart , avec la naissance d' une coproduction : celle d' un Enlèvement au sérail conçu et préparé dans les ateliers du Festival d' Aix-en-Provence d' Aix-en-Provence , et donné ici , en première , pour des raisons de calendrier et d' amitié . Festival de Pentecôte Herbert-von-Karajan , jusqu'au 15 juin . Festspielhaus Baden-Baden , Alten Bahnhof , Baden-Baden ( Allemagne ) . Tél. : 49 ( 0 ) 7221 - 3013 - 101 . www.festspielhaus.de