_: L' incroyable ferveur de Jane Birkin PARIS Elle a toujours la grâce , Jane Birkin , avec son court pull noir en V manches trois quarts , son pantalon à pont trop grand , la plage de ventre visible entre les deux , petit mousse embarqué il y a longtemps sur le Melody Nelson , bateau fantôme qui aborderait ce soir au rivage d' Orient . Cet Orient d' où l' on ne peut fuir , et dont elle espère toujours un peu le ramener , lui , Gainsbourg , qui s' y connaissait dans les ailleurs . Elle a eu de lui , Pygmalion suicidaire , ce cadeau rare : là où d' autres auraient écrit pour ses capacités , il a écrit pour ses incapacités . Ses phrases funambules sur le fil des notes , ses aigus tremblés de souris , cette voix plus tout à fait un son et pas encore un timbre . En 1999 à Avignon , elle a pris dans ses filets un ban de musiciens d' origine marocaine rencontrés pour une émission avec Laure Adler . Ensemble , ils ont résolu de partir : Reims , Alger , Annaba , Besançon ( où réside le groupe Djam et Fam fondé par le violoniste Djamel Benyelles ) , Dieppe , enfin Paris . Silhouette frêle et âme forte , Jane s' adresse à la salle avec sa délicieuse maladresse . Chante . Entre , elle sourit , elle remercie . Salue , un peu gauche . Vocalement , une surprenante autorité lui est venue , une liberté aussi de dire enfin ce qu' elle éprouve . Encore un verre , une cigarette , après j' arrête ... Elle raconte cette chanson que lui a offerte Zazie , C' est comme ça , chantée dans le son creux du piano . Ses mains aussi racontent l' homme à la tête de chou . Dans la salle , on a commencé à pleurer dès le début . Une heure et demie , comme ça , dans le noir , ce n' est pas si souvent . Elle s' est assise tout au bord de la scène pour dire La Chanson de Prévert . Comment peut -on savoir par où commence et quand finit l' indifférence ? C' est à ce moment -là qu' ils sont entrés , violon , luth et percussions , et avec eux les mélismes douloureux , les voluptés hardies , les pas dansés de la Méditerranée . Elisa , Les Chants de Maldoror , ça s' est mis à sonner avec des profondeurs inattendues , à vibrer dans la couleur café . Comment aurait -on pu savoir qu' Elisa nous chercherait des poux dans le coeur ? Et puis elle a imaginé de nous donner cette si belle chanson ancienne , L' Amour de moi s' y est enclose , avec une ferveur incroyable , comme si chacun des mots venait s' ouvrir sur ses lèvres . Quand elle s' est assise à nouveau au bord de la scène , cette fois de l' autre côté , on a retenu son souffle . Elle a parlé de son neveu , le fils de son frère Andrew , récemment disparu dans un accident avec tous ses musiciens . De la gravité radieuse , aucune pesanteur . Elle a dit de lui un texte magnifique de désespérance et d' amour . Jane dit que les poètes ne meurent pas si on porte leurs paroles . A la longue , on n' a pas été dupe d' un certain systématisme dans les arrangements arabisants justement trop arrangés , la démultiplication obsessionnelle des sons du violon par le synthétiseur devenant franchement lassante , au détriment d' un luth et d' une percussion sous-employés . Si certaines chansons comme Elisa ou Couleur café ont opéré de belles métamorphoses , d' autres ont semblé moins intéressantes : les Dessous chics notamment , si délicatement ciselés , ne se prêteront pas à la moindre surenchère . Mais Jane est là , qui danse maintenant dans sa longue robe rouge . Qui danse , qui danse sur Les Clés du paradis . Et on se dit que saint Pierre peut bien aller se rhabiller .