_: Christian Lapie , le Blanc qui fait des statues partout Dans la plus grande ville du nord du Cameroun , Ngaoundéré , le plasticien français a installé , au centre de la cité comme à sa périphérie , cinq groupes de figures anthropomorphes , autant de totems figuratifs plantés au coeur d' une communauté noire islamisée de longue date A Ngaoundéré , au Cameroun , le plasticien français Christian Lapie a érigé cinq groupes de statues taillées dans des troncs d' arbre . CE PROJET , soutenu par la ville , est une initiative de l' Alliance franco-camerounaise de Ngaoundéré , qui souhaitait inviter un artiste français à créer en relation avec ce très beau site . LA POPULATION musulmane réserve un bon accueil à ces statues , s' appropriant ces oeuvres d' un artiste occidental et les passant au filtre de sa culture . JE SUIS très intéressé par cette oeuvre d' art que chacun peut traduire à sa manière . Les gens commencent à comprendre ce que c' est , estime le maire de la ville , Mohaman Toukour . CHRISTIAN LAPIE est un sculpteur qui a dépassé son cursus classique pour élaborer une oeuvre indifférente aux courants et au commerce . Pour lui , la forme primitive est la projection de nos peurs . Ngaoundéré , la plus grande ville du nord du Cameroun , avec plus de 200 000 âmes , est la capitale de la province de l' Adamaoua , région de savane qui ne manque pas d' eau , où les Peuls élèvent du bétail , où les manguiers sont opulents , où les parcs nationaux et réserves de chasse s' étendent à l' infini . Ngaoundéré , qui , littéralement , veut dire la montagne du nombril , tire son nom d' une colline voisine , une sorte de mont chauve surmonté d' un boule de pierre , qui fait plutôt penser à un sein . Partant de ce repère symbolique dominant la ville , Christian Lapie a tout naturellement situé ses groupes de figures anthropomorphes , bien droites , très grossièrement taillées dans des troncs d' arbres et peintes en noir . Chaque groupe - il y en a cinq - occupe un site , ici aux portes de la ville , parmi les rochers corrodés , là sur le haut d' une colline face au soleil couchant , ou bien dans le centre de la ville , à un carrefour où elles se couvrent de la poussière rouge de la route ; près du stade , de la nouvelle bibliothèque et des taxis ; ou encore sous les manguiers qui apportent de la fraîcheur à une école . On les perçoit différemment selon le lieu , bien que chaque groupe de figures forme systématiquement un demi-cercle , en rappel du dessin du djaoulérou , l' espace traditionnel construit à l' entrée des concessions qui est ouvert à tous et fait le lien entre la vie publique et la vie privée . Mais comment diable ce Blanc qui fait des statues partout a -t-il pu planter ses totems chez des Noirs pour la plupart islamisés depuis longtemps ? On trouvera des élements de réponse en regardant du côté des forces culturelles locales , qui , en fait , se résument à une petite institution , l' Alliance franco-camerounaise de Ngaoundéré . Cela , malgré une importante université qui compte près de 7 000 étudiants dont pas mal de Nigerians et de Tchadiens désireux d' étudier en paix . Elle fut construite pendant le boom des années 1970 , et dans la crainte des émeutes , sur un campus en bordure de brousse à une bonne dizaine de kilomètres . L' université de Ngaoundéré est trop décentrée pour avoir quelque rayonnement culturel . En pays francophone , l' Alliance a autre chose à faire que l' enseignement du français , activité principale de ce genre d' institution . Elle tient une bibliothèque , organise des expositions d' artistes locaux , des conférences aussi bien sur l' astronomie que sur la condition des femmes en Afrique , des concerts , promène des films dans les villages de la région ... Anton Barral , son directeur tout terrain , doit faire avec un modeste budget , des pannes d' électricité , des coupures d' eau et l' indiscipline de ses usagers . Depuis longtemps , il désirait inviter un artiste de l' Hexagone à produire des oeuvres en relation avec le très beau site de Ngaoundéré . Le nom de Christian Lapie est sorti du chapeau de l' Association française d' action artistique ( AFAA ) , bras culturel du ministère des affaires étrangères , qui a payé des billets d' avion permettant à l' artiste de partir en reconnaissance et de travailler sur place . Le rôle de l' AFAA s' arrête là . La délégation aux arts plastiques du ministère de la culture n' est pas intervenue . Pas de parachutage . La chose est rare , voire exceptionnelle . Parce que le projet n' est pas ronflant ? Lapie n' est pas une vedette et le Cameroun , c' est loin . Pour que le projet puisse être accepté , il fallait , bien sûr , l' accord des autorités locales ; le pluriel est d' autant plus de rigueur à Ngaoundéré que la conduite des affaires de la ville est assumée par un double pouvoir dont l' étranger au pays n' est pas sûr de comprendre l' étendue respective : l' un est moderne et laïque , avec maire et préfet , l' autre dans la tradition des chefferies , en la personne du lamido . Le lamido est un chef spirituel musulman auquel il peut être fait appel pour trancher des différends et dont la concession , presque aussi close que la Cité interdite , peut se visiter sur rendez -vous . Elle est faite de cases rondes aux murs d' adobe et aux toits de chaume , pour recevoir et pour habiter . Y vivent ses quatre femmes qu' on ne voit jamais , ses trente-cinq enfants , ses gardes , ses eunuques , ses esclaves et , parfois , ses prisonniers , pour de courtes peines qui ressemblent à des punitions de troufions , Vous me ferez vingt jours . La surprise , c' est que le lamido entretient la tradition d' un côté quand , de l' autre , il cultive sa modernité . C' est probablement son moi moderne et tolérant qui lui a fait accepter le projet Lapie , mais à condition qu' on n' aille pas l' installer dans les parages de la grande mosquée . Faut -il rappeler que la loi islamique interdit ces formes de représentation ? On dit cependant que , dans les arrière-cours des concessions , il est des figures ancestrales qui se dressent encore . Quant au maire , il était très preneur . Signes d' intégration et d' adoption ? Peu de temps après leur installation , des jeunes ont commencé à se faire photographier tout près des groupes installés en ville , où les sculptures paraissent plus près des hommes et de la vie que des dieux et de l' au-delà , contrairement aux groupes installés à la périphérie qui prennent l' aspect d' idoles archaïques , ou vouées à quelque culte astral . On entend dire aussi que des passants s' écartent de leur chemin habituel quand ils approchent du groupe planté à la porte de la ville parmi les rochers ronds , où elles prennent l' aspect d' idoles archaïques . Vous avez réhabilité les lieux sacrés , dira un autochtone à Christian Lapie , qui n' avait pas prévu que ses figures produiraient un tel effet . Un autre y verra l' aura troublante qui entoure ses figures , et qui touche l' Africain dans ses racines profondes , par-delà la religion , qu' il soit chrétien ou musulman , pour conclure : On doit voir ces oeuvres comme un dépassement des religions . Si , dans l' ensemble , les étudiants de Ngaoundéré perçoivent son travail comme de l' art , il n' en est pas de même pour les personnes âgées : Le travail que vous avez fait , vous verrez que personne n' y touchera jamais parce que cela appartient au sacré et que , pour le toucher , il faut se prémunir , à cause du mauvais sort . Et si les génies venaient effectivement habiter ces figures ? Ca fait peur . Une lycéenne futée de première estime pour sa part curieux de voir qu' un Blanc installe ça en Afrique . Ce sont les Africains qui font ça , dans l' ouest du Cameroun . Des étudiants pensent que c' est un travail politique qui évoque la dignité de l' homme africain , son indépendance . Le travail du plasticien , décidément , n' est pas neutre . Mais pourquoi il fait ça avec autant d' énergie ? Elles peuvent guérir ? Sont -elles habitées par les esprits ancestraux ? En tout cas , un des assistants d' Anton Barral à l' Alliance n' en finit pas de s' interroger : Cette présence qui tranche avec le quotidien , c' est une bonne chose . On la perçoit comme une chose qui a de la valeur , mais personne ne sait ce que cela représente . On ne demande qu' à savoir . Mais quand on veut que vous nous expliquiez ce que vous avez voulu faire , vous nous renvoyez la question en nous demandant ce que nous y voyons . Et vous partez , nous laissant avec toutes ces questions .