1: Mireille Havet , " enfant perdue " du XXe siècle
2: Le " Journal " d' une passionnée de littérature , découverte par Apollinaire , morte à 34 ans
3: JOURNAL 1918 - 1919 de Mireille Havet .
4: Edition établie par Pierre Plateau , présentée et annotée par Dominique Tiry , éd. Claire Paulhan , " Tiré à part " , 256 p. , 20 euros .
5: Elle avait l' indécence insolente des " enfants perdus " , fous de littérature , mais qui savent qu' ils n' iront pas au bout de leur désir , n' auront pas la force de faire leur oeuvre , avec ce que cela suppose de résistance , à la malveillance , à l' incompréhension , à la cécité - qui fera un jour crier à Aragon , face à une caméra : " Je demande qu' on me lise ! "
6: Elle était de ces jeunes gens que le très raffiné critique Edmond Jaloux désignait comme " ceux de sa génération qui , refusant les conditions communes du monde , se jetèrent dans une aventure de caractère absolu , qui les conduisit à une mort précoce : Jacques Vaché , René Crevel , Jacques Rigaut , ( ... ) Mireille Havet ( ... ) , Raymond Radiguet ( ... ) et tant d' autres ( ... ) quel cortège d' ombres douloureuses " .
7: Contrairement à d' autres noms de cette liste , celui de Mireille Havet - née en 1898 , deux ans avant René Crevel , cinq ans avant Raymond Radiguet , et morte en 1932 - est demeuré inconnu .
8: Elle a pourtant été publiée par Apollinaire , qui encourageait ses débuts , à 16 ans , dans le numéro de juillet-août 1914 des Soirées de Paris .
9: Mais ce fut le dernier numéro .
10: Ensuite , quatre ans de guerre , la mort d' Apollinaire et ce constat de Mireille Havet : " Nos maîtres sont morts et nous sommes seuls . "
11: " L' AGE DE L' AMERTUME "
12: Après la guerre , elle a écrit un roman , Carnaval ( Albin Michel , 1923 ) , avant de se perdre dans la drogue - opium , morphine , cocaïne , héroïne - et de mourir , usée , tuberculeuse , à 34 ans .
13: Mais , surtout , elle a laissé un Journal , tenu de 1913 à 1929 , que Claire Paulhan , grande découvreuse de trésors cachés du XXe siècle , a décidé d' éditer dans son intégralité , en plusieurs volumes .
14: Elle en donne ici un avant-goût , en isolant une année ( octobre 1918 - septembre 1919 ) marquant " une charnière " dans la vie et l' écriture de Mireille Havet .
15: Bien avant Paul Nizan , Mireille Havet voit ses vingt ans comme " l' âge de l' amertume " : " A force d' exigences et de retombements , de projets et de défaites froides comme l' averse qui donne la fièvre dont on crève à vingt ans , je n' attends plus rien que moi-même . "
16: Elle joue de son image de " jeune prodige " , qui lui permet de naviguer chez les mondains , de rencontrer Cocteau , Misia ( future Misia Sert ) , Jean et Valentine Hugo ...
17: et de faire des conquêtes féminines .
18: Car , si les rares photos qui demeurent ne rendent guère justice à Mireille Havet - sauf celle d' une adolescente volontaire , défiant l' objectif , un livre à la main , en 1912 - , ceux qui l' ont croisée la décrivent comme l' une de ces amazones provocantes , très début de siècle ( le XXe ) :
19: cheveux courts , rasés dans la nuque , cravate , canne d' une main et cigarette de l' autre .
20: Elle fréquente les salons , mais ne perd pas sa cruauté lucide : " Une curiosité violente me mène partout , chez tous , chez Natalie Barney , chaque vendredi , où l' on ne voit guère que des gousses et des vieux messieurs décorés . "
21: " J' écoute tout , je vois tout , dit -elle encore , et cependant mon coeur est si loin , ma tête pleine d' une étonnante marée qui bourdonne . Je souris , insolente , tête nue , à la foule qui dévisage ma scandaleuse jeunesse . "
22: De même que Jean Genet n' était pas de ces homosexuels que les maîtresses de maison snobs trouvent " tellement amusants " pour égayer leurs dîners convenus , Mireille Havet n' était pas de ces " femmes préférant les femmes " , en une sorte d' exotisme qui fait sourire les hommes et , parfois , les excitent .
23: Elle était de ces lesbiennes impardonnables , conquérantes , envahissantes , prenant volontiers aux maris leurs épouses et proclamant leur détestation du masculin : " Tristesse ! Tristesse , je ne puis rien supporter , j' ai en moi la haine de l' homme , l' instinct unique de la défense , de la fuite et de l' injure . Tout en eux me semble grossier et ridicule , j' ai la haine de leur corps , de leur sexe , de leur désir . Ils sont pour moi d' infâmes faiseurs d' enfants , blesseurs de rêves , ennemis et bourreaux de nos tendresses et de nos féminités . "
24: Probablement , de tels propos , enverraient aujourd'hui Mireille Havet devant les tribunaux ...
25: Le début du siècle suivant , le nôtre , déteste cette énergie , cette férocité , comme il déteste , au fond , la littérature , dont Mireille Havet est nourrie , qui lui semble la seule vérité de l' existence .
26: C' est sans doute pour cela qu' on attend avec impatience la suite du Journal de " ce méchant garçon de fille adorée " , selon le mot de Paul Fort .