_: Le marchand et le diplôme ( Le ministre de l' Éducation nationale prétend être étranger à la privatisation , la dénationalisation , la marchandisation et la mise en concurrence des enseignements supérieurs . Il nous trompe . C' est l' essence même du libéralisme que le gouvernement Raffarin applique à tous les secteurs de la société . ) Évidemment , dès que la température monte dans quelque amphithéâtre de faculté , les gouvernements sont dans tous leurs états . Ils n' ont pas la mémoire courte et se transmettent , inconsciemment en quelque sorte , des souvenirs bien cruels : les capitulations en rase campagne - en 1986 , 1992 , 1994 , 1999 , etc . - , face à d' irrésistibles mouvements de la jeunesse universitaire . On n' en est pas là aujourd'hui . Mais l' équipe au pouvoir est d' autant plus inquiète qu' elle a un handicap très lourd : il n' y a pas une catégorie de la population française - sauf les seigneurs des " stock-options " - qui n' éprouve une méfiance instinctive à son égard . Et désormais chacune de ses initiatives appelle la question que traduit bien la formule populaire : quel enfant vont -ils encore nous faire dans le dos ? La communauté universitaire à d' autant plus de raisons de manifester cette suspicion que le ministre en charge de ses affaires a élevé la fourberie mielleuse à la dimension d' un véritable art. Il s' est fait une spécialité : il annonce avec superbe , puis il renonce , puis il renonce au renoncement , puis il dénonce , puis il annonce à nouveau ... Quand il n' est pas mis sous tutelle du ministre de l' Intérieur , ou prié d' aller jouer dans la cour des " petits " et de laisser les " grands " s' occuper des choses sérieuses . Il a aggravé son cas , en quelque sorte , en élaborant autrefois une philosophie qui n' entrera pas dans l' histoire de la pensée et qui prend pour cible l' esprit de contestation et de critique . Hier , dans un entretien à un hebdomadaire il a cru apercevoir , au coeur des mouvements dans plusieurs universités , la main " d' une minorité altermondialiste et antieuropéenne " . Autrefois , on appelait ça la main de Moscou ... Le gouvernement et M. Ferry s' habillent de probité candide et de lin blanc . Qui , en effet , dans un monde idéal refuserait l' harmonisation européenne des diplômes dans l' esprit d' un grand service public de l' éducation , et la souveraineté dynamique d' universités nationales pour offrir au plus grand nombre le niveau le plus élevé des connaissances ? Personne . Mais le ver est dans le fruit . Le ministre se tue à répéter que la privatisation , la marchandisation , la dénationalisation , la mise en concurrence des enseignements supérieurs sont étrangères à sa politique . L' ennui , et il est de taille , c' est que le gouvernement dont il est membre a fait de ces mots , appliqués à tous les secteurs de la société française , ses tables de la loi , et des dogmes du libéralisme le plus pur et le plus dur sa Bible . L' ennui c' est que l' esprit qui souffle dans les hautes instances européennes , en provenance de la Mecque américaine , pourrait se résumer brutalement dans ce triptyque : l' université est une entreprise ; le savoir est une marchandise ; l' étudiant est un client . L' ennui c' est qu' hier les présidents d' universités réunis à Paris ont , notamment , affirmé : " Sans une université publique forte , les logiques de la marchandisation l' emporteront " ! C' est donc qu' elles sont à l' oeuvre ... L' ennui c' est qu' ils réclament que l' enseignement supérieur soit la priorité de la nation : mais à l' examen du budget de la prochaine année , ce sont la police et l' armée qui sont l' objet de toutes les attentions et de toutes les faveurs . L' ennui c' est que l' équipe au pouvoir est la plus réactionnaire que notre pays ait connue depuis des décennies . Lui faire confiance relèverait d' un angélisme bien naïf ... Et puis , avoir vingt ans sous Raffarin , on pourrait rêver mieux , non ?