_: Un zèle à haut risque La dérive sécuritaire est européenne . Quelles tractations occultes ont eu lieu entre la France et Berlusconi pour extrader Persichetti ? Un vent mauvais souffle sur l' Europe , une " folie sécuritaire " , pour reprendre les mots de Toni Negri dans l' entretien qu' il nous accorde . Le philosophe italien parle même de la montée d' une " hystérie " politique qui assimile progressivement toute contestation à du terrorisme . Il y a un an , au lendemain du 11 septembre , alors que les dirigeants américains tentaient à toute force d' entraîner le monde sur cette pente dangereuse , la France avait semblé y résister . Aujourd'hui , elle fait du zèle . La mise au secret du jeune Ahmed Meguini au terme d' un jugement expéditif , et l' extradition de Paolo Persichetti au mépris de la parole donnée sont les derniers avatars d' un engrenage sécuritaire extrêmement dangereux . Ces faits ne claquent pas dans un ciel serein . La campagne électorale de la droite est passée par là . Elle laissait présager le pire , et la présence de Le Pen au second tour alertait à sa manière sur les ravages déjà causés . Le gouvernement Raffarin a embrayé sur le même registre . L' emprisonnement de José Bové , la condamnation du syndicaliste Alain Hébert ont donné le la , tout comme le sommet européen de Séville qui a consacré en juin la politique de l' Europe forteresse . Cela ne suffisait pas . En juillet , les grands travaux parlementaires ont accouché d' une réforme de la justice qui restera dans les annales sécuritaires . En août , on a transformé la chasse aux raves en sport national pour la police française . En chacune de ces occasions , on voit se conforter un discours qui stigmatise des groupes ou des populations entières : les syndicalistes un peu trop remuants deviennent des délinquants , les jeunes ravers des trafiquants de drogues , les mineurs délinquants des poisons irrécupérables , les sans-papiers des clandestins à expulser au plus vite , Ahmed Meguini un terroriste en puissance et Paolo Persichetti un danger pour l' État italien . Tous les amalgames sont cultivés . De la lutte contre l' insécurité , on glisse insensiblement mais très sûrement vers une inquiétante mise en cause des libertés . La dimension européenne de cette dérive n' est pas la moins inquiétante . Depuis le sommet de Gênes , les choses vont de mal en pis . Dans l' affaire Persichetti , nous sommes curieux de savoir ce qui a motivé le revirement de la position française . Quelles tractations occultes ont eu lieu entre le gouvernement Raffarin et celui de Berlusconi pour en arriver là ? Il faut s' alarmer de tout cela , d' autant que l' Europe n' a peut-être pas fini de virer au sombre . L' éventualité d' une victoire du chrétien-démocrate bavarois Edmund Stoiber en Allemagne n' est pas faite pour nous rassurer . Cette mobilisation répressive des États européens n' offre aucune garantie de meilleure sécurité à nos concitoyens . Elle divise les populations , en usant sur tous les registres de la stratégie du bouc émissaire . C' est d' ailleurs le moment choisi par Jean-Marie Le Pen pour faire sa rentrée politique avec une interview au lance-flammes publiée hier dans France-Soir . L' immigration nourrirait , selon le leader du FN , l' augmentation " des populations à risque " . Et voilà comment le chef du FN continue de faire sa soupe dans les eaux troubles des marmites de la droite française et européenne . Le 21 avril n' a pas suffi . Certains continuent de jouer avec le feu . Peut-être la stigmatisation de toutes les contestations est -elle le seul moyen trouvé pour tenter de faire passer les pilules amères promises par l' accélération des politiques libérales ? C' est une folie , car c' est précisément l' obstination à faire tourner le monde comme aujourd'hui qui le rend chaque jour plus dangereux .