_: Les dés ( Le gouvernement jette les dés : ou ils roulent dans le sens de la négociation générale ou ils roulent vers la confrontation , le mépris et l' arrogance . À ses risques et périls . ) En 1986 , le premier ministre Jacques Chirac avait renoncé au projet de loi , dit Devaquet , qui avait jeté dans les rues des centaines de milliers de jeunes gens et de jeunes filles , rejoints par leurs aînés . En 2003 , le premier ministre Jean-Pierre Raffarin serait bien inspiré d' imiter son prédécesseur et de renoncer à ses funestes entreprises . D' ailleurs , s' il jetait un coup d' oil rétrospectif rapide sur les dernières décennies de la vie politique française , il pourrait constater , amèrement sans doute , qu' aucun gouvernement n' a remporté de victoire durable sur une lame de fond née au cour de la société . En quelques heures , hier au cours d' un comité interministériel consacré à l' Éducation nationale , et ce matin pendant la réunion du Conseil des ministres en présence du président de la République , M. Raffarin jette les dés . Ou il les fait rouler dans le sens de la négociation , sereine et profonde , avec les organisations syndicales , qui est en définitive une des plus élémentaires expressions d' une démocratie vivante . Ou il les jette dans le brasier de la confrontation , du mépris , de l' arrogance , et d' une seule loi , celle de la force . À ses risques et périls ... Les conclusions de la première réunion qu' a exposées hier soir le premier ministre ne sont pas de bon augure pour la suivante . La pommade de mots flatteurs pour le corps enseignant ne suffira certainement pas à apaiser sa colère . Il affirme avoir entendu et écouté : mais il n' a pas répondu . Puisque le dialogue qu' il propose s' inscrit aussi bien pour les retraites que pour la décentralisation " dans le cadre que nous avons posé " . Autrement dit , il invite à poursuivre l' explication de texte , de son texte . Il est certes de la souveraineté des organisations syndicales d' en juger . Mais on peut imaginer que le ton menaçant ( " l' école n' est pas le lieu pour un conflit politique " ) de son épilogue n' est pas marqué du sceau d' un grand esprit de concertation . Hier , à l' Assemblée nationale , M. Fillon a cru bon d' imputer à la députée communiste Marie-George Buffet l' accusation " d' extrémisme " et d' en apercevoir le spectre dans " l' agitation d' aujourd'hui " . Décidément ce gouvernement se trompe et nous trompe : il va bientôt ressembler au couple de l' aveugle et du paralytique et à l' évidence il n' a pas pris la mesure du séisme qui secoue le pays . Par exemple , pour la seule journée d' hier , on a recensé 20 000 manifestants à Avignon , 100 000 à Marseille , 20 000 à Nice , 20 000 à Grenoble , 7 000 au Havre , 25 000 à Clermont-Ferrand , etc. Il y aurait donc tant " d' extrémistes " dans notre pays , monsieur Fillon ? Quant à la journée de grève des enseignants , la neuvième depuis l' automne ( et ce n' est pas pour eux une partie de plaisir quoi qu' en pensent certains esprits obtus ) , elle a été plus suivie que la précédente du 22 mai et elle gagne les enceintes universitaires . On ne saurait trop , par ailleurs , attirer l' attention du cénacle gouvernemental qui a cru découvrir l' arme fatale , en opposant les salariés du secteur public aux autres , sur ce fait : hier des dockers ont manifesté à Calais , des métallos à Dunkerque , des travailleurs des chantiers navals à Lorient , et ailleurs des salariés de l' automobile , du textile , de la papeterie , de la chimie , des autoroutes ... La tactique de l' apprenti sorcier se retourne parfois cruellement contre son auteur . Le pouvoir finasse en déclarant clos le débat social au profit du débat politique à l' Assemblée nationale . Cette conception de la démocratie ne vaut pas un pet de lapin : en somme , selon ceux qui nous gouvernent , on élit les députés tous les cinq ans et , entre-temps , on la ferme et on ne bouge plus ? Et pourquoi cette marche forcée fiévreuse des réformes des retraites et de l' école , alors qu' il s' agit d' horizons à long terme sinon très lointains ? On ne le comprend que trop : l' équipe de Matignon craint le télescopage des tempêtes . Après celles du système éducatif et des pensions des salariés au repos , s' amorce la bourrasque imminente de la Sécurité sociale . Et puis les marchés sont impatients : on sait bien que les hommes qui sont aux affaires ont pour dogme de livrer au feu de la concurrence , la santé , l' éducation , les transports , la poste , l' eau , l' énergie , la culture ... Les amis de M. Raffarin multiplient les déclarations de soutien . Un humoriste écrivait autrefois : " Un gouvernement qu' on soutient , c' est un gouvernement qui tombe ! "