_: Rome et le monde ( Le pontificat de Jean-Paul II entre dans l' histoire : quel jugement portera celui qui croyait au Ciel et celui qui n' y croyait pas ? ) L' Église catholique a fêté hier les vingt-cinq ans du pontificat de Jean-Paul II avec une pompe et une solennité dont elle est seule capable . La munificente cérémonie était d' autant plus fervente qu' elle consacrait aussi l' apostolat au service des déshérités de Mère Teresa et que le pape Wojtila lui-même paraît proche des rivages de la mort . La communauté des catholiques représente une force spirituelle et politique qui influe sur la marche du monde , ou s' y efforce . Son action est donc redevable de l' appréciation de tous , de ceux qui croient au Ciel comme ceux qui n' y croient pas . Et les uns et les autres sont sans doute reconnaissants au premier pape slave de l' histoire d' avoir inlassablement rappelé pendant un quart de siècle que c' est l' homme qui doit être la mesure de toute chose . Ces messages puissants ont retenti quand le raz-de-marée de la mondialisation consacrait la tyrannie de l' argent qui chassait les hommes du centre de gravité du monde . Dans la froide machinerie planétaire du capital , ils ne sont plus qu' un rouage parmi d' autres . Et parfois ils en meurent : toutes les quatre secondes aujourd'hui , la faim tue un des habitants de la terre . Quand ce n' est pas la guerre ... Et l' on sait gré à Jean-Paul II d' avoir été le pasteur infatigable de la paix , se prononçant en particulier avec courage contre les deux aventures militaires américaines dans le Golfe . On dit partout , et c' est vrai , que le pape polonais a été un des acteurs majeurs de l' effondrement des systèmes installés à l' est de l' Europe . Il a en effet mis la main à la pâte . On aurait mauvaise grâce de lui en faire grief puisqu' aucun des peuples concernés n' a levé le petit doigt , au contraire , pour sauver des sociétés minées de l' intérieur . Mais on voudrait être sûr que , sous sa houlette , la hiérarchie catholique a déployé autant d' énergie pour combattre la terreur , l' oppression et la misère qui ravagent de nombreux pays dans le camp " libéral " . On n' en est pas sûr . Jean-Paul II a hérité d' une méfiance historique instinctive de l' appareil de l' Église pour les élans de la contestation , de la révolte et de la révolution . Elle avait par exemple conduit le Vatican pendant la Seconde Guerre mondiale à de bien malheureux accommodements avec l' Allemagne nazie et à un aveuglement ineffaçable sur l' extermination des juifs dans les camps de la mort , pour ne pas faire le jeu du " communisme athée " ... Dans un registre plus contemporain et heureusement moins tragique , cet esprit de soupçon a inspiré la condamnation par le Saint-Siège de " la théologie de la libération " en Amérique latine , jugée trop sensible aux " thèses marxistes " . Et l' on n' a pas oublié qu' un jour de 1987 Jean-Paul II est apparu au balcon du palais présidentiel de Santiago du Chili ... au côté d' Augusto Pinochet ! Le même esprit a tenu le pape Wojtila dans des postures archaïques à l' égard du mouvement de libération des femmes . Il l' a même conduit à une faute majeure aux conséquences humaines désastreuses : la condamnation du préservatif , alors que le sida tue trois millions et demi de personnes chaque année . Et puis l' ancienne malédiction historique a resurgi . La foi ( " ce soupir de la créature humaine opprimée dans un monde sans cour " , comme écrivait Marx ) est prise en otage et enrégimentée au service d' appétits de puissance . Au nom de l' islam , des apprentis sorciers déchaînent la terreur de masse et , quand ils conquièrent le pouvoir , se révèlent comme des tyrans cruels et moyenâgeux . C' est comme " missionnaire de Dieu " que George Bush a prétendu envahir l' Irak . Au Proche-Orient , les fanatismes religieux de part et d' autre alimentent la machine à tuer . On sait gré à Jean-Paul II et à d' autres autorités spirituelles de ne pas souffler sur les braises d' un nouveau choc des religions et des civilisations .