_: Bien commun , gestion privée Le " savoir-faire " invoqué par les multinationales de l' eau est -il réellement si inaccessible qu' il faudrait que le public renonce d' emblée à la gestion de ce bien commun ? Si elle a beaucoup brillé cet été , c' est surtout par son absence . Du fait d' une sécheresse record , pas moins de soixante-seize départements faisaient encore l' objet , hier , selon le dernier pointage du ministère de l' Écologie , de restrictions d' eau . Une situation historique , même si le niveau des nappes phréatiques semble moins problématique cette année qu' en 1976 . Les cours d' eau , eux , ont particulièrement souffert . Une mauvaise nouvelle pour la faune aquatique , mais pas de quoi s' inquiéter - encore - pour notre approvisionnement en eau potable . Car l' inquiétude vient d' ailleurs . Plus précisément de la mise en coupe réglée d' une ressource vitale , essentielle , première . L' affaire n' est pas nouvelle . En tout cas en France . Depuis de longues années , trois mastodontes de l' économie nationale ( Vivendi , Suez et Bouygues ) se partagent le lucratif marché de la distribution et de l' assainissement de l' eau . Et ce dans des conditions que la morale , et parfois la justice , ont réprouvé sévèrement . Appels d' offres bidons , surfacturations manifestes , opacité généralisée ... C' est une pollution d' un genre que nous connaissons bien qui a frappé et frappe encore nos robinets , une pollution qui , peu à peu , a substitué à l' idée de service , celle de profit . Les conclusions de l' audit commandé voilà presque deux ans par la nouvelle municipalité parisienne , et dont nous nous sommes procurés une copie , ne font qu' ajouter une nouvelle pierre à un édifice déjà impressionnant . Sommes -nous pour autant condamnés à cet état de fait ? Le " savoir-faire " invoqué par les multinationales de l' eau est -il réellement si inaccessible qu' il faudrait que le public renonce d' emblée , et pour toujours , à la gestion - c' est-à-dire à l' assainissement et à la distribution - de ce bien commun ? Nous ne le croyons pas . Déjà , en mai 2001 , un rapport parlementaire pointait le surcoût de 25 % qu' engendrait la concession au privé de ce service . Édifiant . Ici et là en France , des communes , et pas seulement de gauche , se rebiffent contre l' héritage pesant de ces contrats de délégation , négociés parfois sur des périodes de trente ou quarante années . Bien sûr , les procédures sont longues et parfois coûteuses , les géants du secteur étant peu disposés à se défaire de rentes aussi sûres et aussi pérennes . Mais le jeu n' en vaut -il pas la chandelle ? Dans ce contexte , l' État et le législateur , volontaires en paroles , n' ont cessé de bégayer leurs interventions , ajoutant les déceptions aux regrets , et les regrets aux colères de ceux - usagers , responsables associatifs , élus ... - qui attendaient depuis dix ans la définition d' une véritable politique de l' eau en France , tant sur les questions de transparence que de protection de la ressource . Encadrée par deux lois de 1964 et 1992 , cette politique a , de l' avis général , besoin d' un sacré lifting . Dominique Voynet s' y était attelée en son temps , pour accoucher , à quelques jours de la fin de son passage avenue de Ségur , d' un texte comportant certaines avancées mineures . C' en était déjà trop pour certains lobbies , notamment agricoles , dont les relais Palais-Bourbon permirent , une fois l' alternance consommée , un enterrement en bonne et due forme de la loi . Et ce n' est pas le processus , lancé d' ailleurs fort discrètement par Roselyne Bachelot au début de l' année , qui promet de modifier radicalement la donne . Le contexte est bien trop lourd . Longtemps sourde aux problèmes de pollutions de ses sols et de ses nappes , et à l' avant-garde dans la délégation du service de l' eau au privé , la France est en effet rattrapée aujourd'hui dans ce processus par l' Union européenne dans son ensemble , devenue le moteur de la " pétrolisation de l' eau " Selon l' expression utilisée par Raoul Marc Jennar , " La nouvelle machine à privatiser l' eau " , in l' Eau , res publica ou marchandise ? sous la direction de Riccardo Petrella , La Dispute , 2003 , 219 pages , 16 euros . engagée au sein de l' accord général sur le commerce des services ( AGCS ) . Il faudra donc plus qu' une énième loi sur l' eau pour contrer sa marchandisation . C' est à Cancún en septembre , et demain ailleurs , que cette voix devra porter .