_: Encore ! ( Nouveau et puissant coup de boutoir contre les projets du gouvernement . Le rapport de forces se modifie à son détriment . Il recule : il doit reculer encore ) . Avec angoisse et fébrilité , ils ont scruté hier toute la journée la longueur des cortèges dans les rues , la cadence des convois sur les rails , l' affluence devant le tableau noir des écoles , la teneur des appels dans les amphithéâtres des facultés , l' amplitude des débrayages dans les ateliers : toute la journée d' hier les hommes du pouvoir ont espéré un miracle , autrement dit un recul du mouvement général de la contestation . C' est raté ! Raté sur toute la ligne . Malgré la débauche d' efforts déployés auprès des usagers des services publics ou des parents des élèves pour décourager les grèves et les manifestations , le vent de la lutte a balayé une fois de plus tout le territoire . Et l' on peut affirmer ce matin que les lignes du rapport des forces ne sont plus ce qu' elles étaient il y a quarante-huit heures : elles continuent de se modifier au détriment des projets du gouvernement et en faveur de ceux qui les combattent . On ne saurait donc trop conseiller à Jean-Pierre Raffarin et à ses ministres , dont la popularité est sur une pente de plus en plus savonneuse , de ne plus spéculer sur on ne sait quel essoufflement de la mobilisation , mais au contraire de regarder la réalité bien en face et de changer de cap , il en est encore temps . Et il ne fait pas de doute que cette journée du 3 juin , et celles qui précèdent , et celles qui vont suivre ... , s' inscrivent dans les tablettes du mouvement social parmi les plus remarquables en ténacité , en puissance , en sérénité et en nouveauté . Certes , quelques petits malins ont comptabilisé à la calculette le nombre de trains en circulation sur les voies ferrées et noté qu' ils étaient plus nombreux que le 13 mai dernier . Pourtant , à Matignon , on ne devrait pas s' y fier ! Selon la direction de la SNCF , 41 % des agents ont répondu à l' appel de la grève ( contre 56 % il y a trois semaines ) : si l' on veut bien tenir compte du fait que tous les syndicats n' étaient pas cette fois engagés , et qu' il s' agit d' un mouvement reconductible tous les jours , il est en définitive une brillante réussite . D' ailleurs les cheminots ne prétendent nullement à un rôle de fer de lance ou de locomotive , c' est le cas de le dire , mais inscrivent leur combat comme une composante du combat de tous . Hier soir la tendance dans les assemblées générales dans les gares était à la reconduction de la grève ... comme dans l' enseignement . " Les cheminots ne sont pas dupes " , commentait un chroniqueur de RTL . " Ils savent bien qu' ils seront les prochains sur la liste " : en effet , les régimes spéciaux quels qu' ils soient ne feraient pas de vieux os et seraient vite balayés si , par malheur , le projet Fillon était définitivement adopté . Tous les ministres , et les dirigeants de la droite en service commandé , déploient des trésors de vocabulaire pour expliquer que le report du projet de décentralisation dans l' éducation et de la réforme des universités n' est pas un recul : c' en est pourtant un , inspiré par la crainte du mouvement ! Ils font penser à ce soldat qui sortait de la caserne en reculant pour faire croire qu' il y entrait . Ils espéraient enfoncer un coin sur le front de la contestation et faire prendre la proie pour l' ombre . C' est l' inverse qui s' est produit : quel formidable encouragement pour pousser encore l' avantage ! Et le simple bon sens s' impose : pourquoi le report de deux projets ne s' appliquerait -il pas à la réforme des retraites elle-même ? Après tout , il n' y a pas le feu au lac , et elle engage l' avenir de toute la société pour des décennies . On peut pendre un peu de temps pour négocier , non ? Au fond , ce sont toujours les mêmes qui " gagnent " et qui sont à " la grande fête des puissances marchandes et du spectacle " , écrivait le sociologue Christian Laval . Eh bien l' autre France - celle des ouvriers , des enseignants , des chômeurs , des vieux , des infirmiers , des jeunes , des cheminots et des autres en a assez de " perdre " . Si M. Raffarin ne veut pas le comprendre - et vite - , il va avoir de graves ennuis .