_: Les Vieilles Charrues avant les boeufs Le festival a bien eu lieu . La lutte des intermittents aussi , à Carhaix comme partout ailleurs en France . Le public a manifesté sa solidarité . Les Vieilles Charrues ont eu lieu . " Et après ? " , a -t-on envie de se demander en pensant à Léo Ferré ... La foule , jeune ou familiale , tranquille ou joyeuse , est au rendez -vous , qui profite du soleil et du temps suspendu de trois jours de réjouissances , assise dans l' herbe ou debout selon l' alternance des tempos entre les deux grandes scènes bâties en plein air sur le vaste champ de Kerampuil , avec la promesse de quelque soixante-dix concerts d' un festival devenu lieu de diffusion des grandes têtes d' affiche du moment , de Zazie à REM , de Supergrass à Salif Keita , de Renaud aux Pretenders . Cela vous a un air , en plus vaste , de pendant breton aux Eurockéennes de Belfort . Mais là où , il y a quelques semaines , on affichait ensemble une solidarité sans faille avec les salariés d' Alstom et les intermittents , ici , dans cette Bretagne du centre , l' ambiance prévalant ces derniers jours était toute autre . Entre le dernier week-end de juin , au lendemain de l' accord minoritaire voulu par le MEDEF , et aujourd'hui , de l' eau a coulé sous les ponts . On sait l' annulation de festivals , Montpellier Danse , Avignon , les Francofolies , les Tombées de la nuit ou encore Paris Quartiers d' été ... À Carhaix , dans le même laps de temps , l' humeur était plutôt à " touche pas à mon festival " avec , à l' arrière-plan , un " touche pas au grisbi " sur fond d' une bonne dose de populisme de gauche ( lire le point de vue de Françoise Morvan dans l' Humanité du 18 juillet ) . Une potion pas vraiment magique appliquée à une terre qui , jusqu'à ces dernières années , était réputée pour son sens de l' accueil de l' autre , aussi étrange et étranger fût -il . Il aura suffi que , le 12 juillet dernier , une poignée d' intermittents inorganisés tente d' envahir le chantier des Vieilles Charrues , tandis que syndicat CGT et coordination régionale des artistes et techniciens en lutte discutaient avec les organisateurs et élus locaux , pour voir ces mêmes élus prendre la tête - voitures à haut parleur en appui - et sillonner les rues carhaisiennes pour en appeler à la formation d' une chaîne humaine censée se défendre de " l' invasion " . Jusqu'à quel point cela a -t-il été prétexte ou révélateur d' un état d' esprit ? Toujours est -il que les discours du maire et de l' un des créateurs du festival , Christian Troadec , comme celui des organisateurs de l' événement , relayés par la presse , ont vite glissé vers une opposition " intermittents-Charrues " , comme le titrait l' hebdomadaire local . MEDEF et gouvernement en étant alors singulièrement absents , au détriment d' une dénonciation d' une rare virulence de " la CGT " . À qui on ira jusqu'à attribuer la responsabilité d' avoir " détourné " le site Internet du Technival pour appeler les 40 000 teufeurs à venir sur le site même des " VC " pour leur rave géante . Un cran supplémentaire est franchi le mardi suivant quand la " résistance " , qui revêt des allures d' une " drôle de guerre " , en arrive à ce que se fédèrent les directeurs des grands festivals de l' été autour du maire et de l' équipe organisatrice . Dans une déclaration commune qui réunit les festivals Interceltiques de Lorient , de Cornouailles à Quimper , du Bout du monde à Crozon , de la Saint-Loup à Guingamp , des Arts de la rue à Morlaix , on peut lire qu' une " solidarité sans faille allait unir leurs différentes manifestations de l' été face aux mensonges , annonces de blocage , voire aux menaces de sabotage " . Les représentants carhaisiens iront même jusqu'à proposer le " soutien " de bénévoles des Vieilles Charrues pour venir à Lorient . Côté syndical , Patrice Paichereau , délégué régional de l' Union de Bretagne des syndicats du spectacle , rappelait que leur " objectif n' était pas de faire plier les Vieilles Charrues " mais un gouvernement " bulldozer " . Pour Gilles Grall , autre responsable syndical breton , " le soutien [ aux intermittents - NDL ] ] affiché par les organisateurs de festival devrait aussi prendre des formes concrètes , comme l' interdiction de la captation d' images des artistes sur scène par ces boîtes de production audiovisuelles responsables de nombreux abus à la signature de la convention collective du spectacle vivant " élaborée lors du dernier printemps de Bourges . Le recours au travail au noir , voire l' absence pure et simple de licences d' entrepreneur de spectacles , devraient aussi se retrouver au coeur des actions des prochaines semaines d' une lutte " innovatrice " . Des " milliers de personnes menacées de disparition , poursuit -il , n' entendent pas se faire confisquer la parole parce que des patrons de festival ont décidé que ceux qui ont leur mot à dire sont uniquement ceux qui bénéficient d' un contrat de travail " . Dans ce contexte piégé , d' où ne sont pas absentes des ambitions politiques six mois avant les prochaines élections régionales , les organisateurs des Vieilles Charrues avaient promis un " festival militant " , et organisé jeudi soir un vote contrôlé par huissier , sans surprise après pareilles " folles journées " : 112 techniciens du site contre 10 ont voté " pour la poursuite du travail sur le site des Vieilles Charrues , édition 2003 " selon le libellé du bulletin de vote d' où , symptomatiquement , toute référence à l' accord du 26 juin était expurgé , contrairement à Avignon par exemple . Les Vieilles Charrues ont donc ouvert leurs portes en plein air . Des banderoles ont été accrochées un peu partout : " Sans les métiers du spectacle , pas de spectacle " , " Les Vieilles Charrues solidaires des intermittents " , " Non au protocole d' accord du 26 juin " . Une carte postale a été éditée . Les conférences de presse sont transformées en lieu d' expression sur la question des intermittents par des artistes qui , d' Enrico Macias à Hocus Pocus en passant par Arthur H , ont , chacun à sa manière , glissé quelques paroles de soutien à la lutte en cours . Un forum , sous une méchante toile , réunit à midi en catimini les professionnels qui , sur le site , veulent débattre de la question . Ils sont peu nombreux ce samedi mais symptomatiques d' un état d' esprit qui refuse la division et s' interroge plus profondément sur la création et le commerce . Une proposition émane des artistes du théâtre de rue et du personnel du Fourneau d' organiser , ce jour -là , une manifestation avec le public à 19 h 30 dans l' endroit du festival qui leur est réservé . Ils demandent à la direction du festival de prendre ses responsabilités et donc la parole , à 20 h 30 , avant le premier " gros " concert du soir sur la grande scène . Propositions acceptées . La compagnie de théâtre de rue Les Cousins ne sait toujours pas si elle va jouer . " Ecoeurés " , les trois acteurs ne veulent pas " servir d' alibi à un festival qui n' est en rien militant " . Ils prennent la décision , difficile , d' interrompre leur spectacle au bout des vingt premières minutes . Ils s' adressent au public pour expliquer leur geste , redire la menace qui plane sur leur métier et l' avenir de la création . " La culture ne se compte pas en euros mais en heureux " , ajoute Lolo , l' un des Cousins . Applaudissements . La Fura , une jeune comédienne originaire d' Espagne , explique que dans son pays " il n' existe pas de couverture sociale , pas d' aide pour la création artistique : ne laissez pas cela vous arriver " . " Je suis enseignante , tenez bon ! " , lance une jeune femme depuis le public . Tous se lèvent , scotchent au petit bonheur la chance sur leur tee-shirt un " Culture en danger " et participent à la manifestation dite " à l' américaine " : quinze minutes à tourner autour de la scène sous la houlette des " Trois points de suspension " , haut perchés sur leurs échasses et bâillonnés . Quelques instants auparavant , les Massilia Sound System ont organisé la disparition des intermittents sur la scène Kerouac . Un à un , les membres du groupe s' effondrent sur le plateau : cinq minutes de silence , le temps d' une chanson , pour figurer l' état du paysage après l' application du protocole . 20 h 30 , samedi : les organisateurs , devant des dizaines de milliers de spectateurs , condamnent l' accord du 26 juin , s' en prennent au MEDEF et au gouvernement de M. Raffarin : le ton a changé , le propos aussi . La réalité d' une situation , insoutenable pour les artistes et les techniciens du spectacle , s' est rappelée au bon souvenir de l' équipe directrice du festival .