_: Troisième édition des Étonnants Voyageurs à Bamako : festival émergent pour littérature foisonnante Étonne -moi , BamakoCréé il y a trois ans , à l' initiative de l' écrivain malien Moussa Konaté et de Michel Le Bris , fondateur des Étonnants Voyageurs de Saint Malo , la troisième édition du festival du livre de Bamako vient de se dérouler du 7 au 10 février . Parcours en acrostiche de notre envoyé spécial Tirthankar Chanda . Étonnants Voyageurs , il faut le reconnaître , demeure un événement encore marginal et peu marquant dans la vie culturelle du Mali . Une désaffection qui s' explique , selon les organisateurs , par le déplacement du festival du centre culturel français , qui avait accueilli les deux premières éditions , au Palais de la culture , peu fréquenté malgré le charme de ce lieu hors du commun . À cela s' ajoutent les difficultés liées à l' installation de la culture du livre et de l' écrit dans un pays de l' oralité . Mais ce déficit de la fréquentation n' a pas ralenti les activités du festival . Les débats et les cafés littéraires ont été , comme les années précédentes , vifs , riches en querelles et en idées . B comme Amadou Hampaté Bâ . Situé dans un site de six hectares , sur la rive sud de Djoliba ( " le fleuve de sang " , nom par lequel le Niger est désigné dans la capitale malienne ) , le Palais de la culture Amadou Hampaté Bâ a accueilli la troisième édition du Festival international du livre de Bamako . Un lieu plein de charme , quoiqu' un peu endormi . L' immense édifice central , construit en briques rouges , dans le style néo-soudanais , date des années quatre-vingt . Il comprend une salle de spectacle de 3 000 places - l' une des plus grandes salles de la sous-région , rappelle la directrice du palais - , une salle de conférences et une salle d' exposition . C' est dans la vaste esplanade du palais , sous un vélum en patchwork implanté entre deux rangées d' eucalyptus , que se sont déroulés cette année les débats et les cafés littéraires . Bâti par les Coréens et dédié au grand homme de lettres malien dont il porte le nom , ce palais est sans doute l' endroit idéal pour accueillir une rencontre internationale de la culture et du livre . Seul inconvénient , son éloignement du centre-ville qui a découragé plus d' un Bamakois , malgré leur passion avérée pour la chose littéraire . A comme Auteurs . Ils étaient vingt-huit cette année . Beaucoup moins nombreux que les dernières années , coupes budgétaires obligent ! Ils sont venus de tout le continent africain , mais aussi des Caraïbes et d' Europe . Ce fut un véritable " melting-pot " où se mêlaient conteurs , romanciers , essayistes . Pour certains d' entre eux , c' était le deuxième , voire même le troisième passage à Bamako , comme pour Kossi Efoui dont la brillance intellectuelle , les fulminations contre les idées reçues sur l' identité africaine ou sur le devenir des lettres africaines font toujours recette dans les rencontres littéraires . Parmi les nouveaux venus , figuraient Azouz Begag , Vassilis Alexakis , Pierrette Fleutiaux , Boniface Mongo-Mboussa et les deux indo-mauriciennes : Ananda Devi et Nathacha Appanah-Mouriquand . On les prenait pour soeurs , bien que tout semble les séparer . L' une s' habille en sari , l' autre à l' occidentale . L' une a déjà derrière elle une oeuvre riche de plusieurs romans et de recueils de nouvelles , alors que l' autre en est à son premier roman . Ananda Devi se préoccupe du sort des femmes hindoues de la Maurice dont elle a fait le thème obsédant de son oeuvre . Quant à sa soeur supposée , bien que son premier roman ( les Rochers de poudre d' or , Gallimard 2003 ) se déroule parmi les esclaves des champs de canne à sucre , elle trépigne d' impatience de sortir de la fiction du soi et de ses ancêtres pour raconter les drames qui se nouent et se dénouent dans les faubourgs bourgeois de Lyon où elle partage sa vie avec son mari français . M. comme Manifestation . En l' espace de trois ans , ce festival est parvenu à s' imposer comme la première manifestation littéraire francophone du continent à cause de la qualité des débats qui s' y déroulent . Il a accueilli cette année quatorze débats et autres cafés littéraires en tout , tous axés sur le livre et la littérature en Afrique . Écrivains et participants ont planché avec plus ou moins de bonheur sur des thèmes très divers , allant de la mondialisation à l' héritage de l' écrivain , en passant par l' amour , le surnaturel et les heurs et malheurs de l' édition africaine . C' est sans doute pour conjurer l' image d' une édition africaine en déroute , que les organisateurs avaient programmé une table ronde consacrée au succès des publications " à l' eau de rose " . Calquée sur le modèle Harlequin , la collection Adoras ( Nouvelles éditions ivoiriennes ) connaît depuis son lancement en 1996 une popularité croissante surtout auprès des jeunes filles en fleur d' Abidjan , de Dakar et de Bamako . Son directeur , armé d' études marketing et de statistiques , est venu expliquer les secrets de la réussite de la formule Adoras . Les quarante-trois volumes déjà parus dans cette collection , aux titres révélateurs tels que Cours piégés , Folie d' une nuit ou Pari de l' amour , se sont tous vendus à plus de dix mille exemplaires . De quoi faire rêver les producteurs de littérature dite sérieuse ! Ceux -ci se sont consolés en écoutant les intervenants du séminaire " Cinéma et littérature " qui ont parlé de l' énorme potentiel de la réécriture filmique des romans africains . À la question " pourquoi alors les producteurs ( en général , des Occidentaux ) rechignent -ils à financer les projets d' adaptations cinématographiques de romans africains ? " , l' universitaire Romuald Fonkoua a une réponse particulièrement éclairante : " Les Occidentaux ont du mal à imaginer l' Afrique comme pourvoyeuse d' histoires . Son image reste encore associée à des mythes , à des rituels plus ou moins primitifs , à l' exotisme qu' il vaut mieux venir vérifier sur place plutôt qu' à l' écran . " A comme Autodérision . L' humour est le trait commun des écrivains africains . C' est un humour fortement teinté d' autodérision . Est -ce pour oublier les persécutions , les tortures dont certains d' entre eux ont été victimes , comme le suggérait une journaliste de RFI qui a une longue pratique de ces auteurs ? Toujours est -il que les blagues , les plaisanteries , les galéjades fusaient chaque fois qu' ils se trouvaient ensemble . Connaissez -vous la blague de l' Ivoirien et du diable ? Non ? Alors , voici voilà . Après leur mort , un Américain , un Français et un Ivoirien se retrouvent ensemble en l' enfer . Coupés de leurs proches et de leurs patries , ils veulent appeler chez eux pour rassurer les parents , mais aussi pour avoir des nouvelles de leurs pays respectifs . C' est l' Américain qui ose le premier demander au diable s' il peut utiliser le seul téléphone de tout l' enfer qui se trouve , comme il se doit , dans le bureau personnel du maître des lieux . Celui -ci se montre particulièrement courtois et conduit John à son bureau d' où il peut enfin joindre sa famille à New York pour s' enquérir de la guerre annoncée avec l' Irak . La guerre n' a pas encore commencé , mais ne devrait tarder , lui disent ses parents . La communication dure une quinzaine de minutes et coûte 100 dollars que John règle en espèces . C' est ensuite le tour du Français qui appelle à Paris pour savoir si la France résiste toujours au Conseil de sécurité . Comme la position française sur la question de la guerre avec l' Irak est compliquée , la communication de François dure une demi-heure . La secrétaire lui réclame 200 dollars que celui -ci paie sans broncher . Enfin , l' Ivoirien s' approche du téléphone et appelle Abidjan . " Où en est la guerre avec les rebelles ? Gbagbo s' est -il enfin décidé de mettre en oeuvre les accords de Marcoussis ? Qu' en est -il de l' ultimatum lancé par ses adversaires ? " Firmin a du mal à obtenir des réponses claires . On lui demande d' appeler le quartier général des rebelles à Bouaké qui , à son tour , le renvoie sur la primature à Abidjan où se déroulent les négociations . Il reste presque trois heures au téléphone . Sa communication terminée , l' Ivoirien quelque peu inquiet demande au diable combien il lui en coûte . 15 dollars , répond le diable . Seulement ? Firmin n' en croit pas ses oreilles . Il demande à comprendre . " Mais voyons , c' est simple , lui répond le diable , d' un sourire complice . L' Américain et le Français , eux , ont appelé des numéros à l' international . Les communications locales coûtent comme partout beaucoup moins cher ! " K comme Kossi Efoui , auteur de la Fabrique de cérémonies , un des écrivains les plus prometteurs de la nouvelle génération des écrivains africains . - Kossi , à quoi sert un festival littéraire ? - Cela dépend du lieu où il se déroule . C' est évident que les Étonnants Voyageurs ne poursuivent pas les mêmes objectifs à Saint-Malo qu' à Bamako . En Afrique , où nous sommes en train de sortir de plusieurs décennies de dictatures , nous souffrons aujourd'hui de l' absence totale d' espaces publiques qui sont des lieux d' apprentissage de la pensée critique . Un festival littéraire à Bamako sert d' abord à créer ce lieu de débats citoyens entre des hommes libres . Si le festival des Étonnants Voyageurs réussit à créer cet espace -là et à installer la pensée critique dans les habitudes mentales de la population malienne , il aura contribué substantiellement à la culture de la démocratie . Il faut l' encourager . O comme " Opérations décentralisées " . Il ne faut jamais se fier aux noms ! Les Étonnants Voyageurs de Bamako ne se sont pas exclusivement déroulés à Bamako . En 2002 déjà , certains écrivains invités avaient participé à des rencontres dans trois villes de l' intérieur dans le cadre des " opérations décentralisées " . Cette décentralisation , chère aux organisateurs , s' est amplifiée cette année puisque trois nouvelles villes sont venues s' ajouter au programme des écrivains voyageurs . Du 3 au 6 février , ceux -ci se sont ainsi partagés entre Mopti , Ségou , Kayes , Kita , Koulikoro et Tombouctou , avant de se retrouver tous à Bamako pour l' inauguration formelle du festival . De retour de Ségou où elle s' est rendue avec d' autres écrivains , la Malgache Michèle Rakotoson a raconté combien elle a été bouleversée par ses rencontres avec les lycéens et les adultes qui restent de véritables " mordus " de la littérature , malgré la pénurie de livres . " C' est dans les villes de l' intérieur qu' on rencontre les réalités du pays , le dénuement et la passion " , dit -elle .