_: DANSE . A l' Opéra-Garnier , trois chorégraphes donnent leur version de trois oeuvres d' Igor Stravinsky créées à l' origine pour les Ballets russes DU PRIMESAUT A LA PULSATION ARCHAIQUE Douglas Dunn , George Balanchine et Pina Bausch remettent sur le métier Pulcinella , Violin Concerto et le Sacre du printemps , sous la direction musicale de Vello Pähn . Le ballet de l' Opéra de Paris repart sur les traces d' Igor Stravinsky , compositeur hors pair des Ballets russes , doté d' un sens du spectacle inné , qui avait subjugué Serge Diaghilev . Trois chorégraphes d' aujourd'hui ont chacun , à un moment de son histoire , repris un des ballets du maître , visibles de nouveau ces jours -ci Soirées Stravinsky à l' Opéra national de Paris avec , Douglas Dunn ( " Pulcinella " ) , George Balanchine ( " Violin Concerto " ) et Pina Bausch ( " le Sacre du printemps " ) , les 7 , 9 , 10 , 14 , 15 , 17 , 18 , 20 et 21 mai à 19 h 30 . 8 , rue Scribe , 75009 . Tél : 01 40 01 17 89 .. En débutant la soirée par Pulcinella ( créé en 1920 ) , chorégraphié par Douglas Dunn ( en 1980 ) , nous avons à faire d' emblée à un divertissement frais , mutin , primesautier . Les danseurs de l' Opéra , vêtus en collants bleu ou rouge , évoluent au fil d' une danse abstraite , selon le registre d' une métamorphose bondissante . Pulcinella , notre fameux Polichinelle , ils le donnent à voir sur scène selon ses attributs - bosse dans le dos , gros ventre - sous l' espèce de corps courbés en avant , pour sa célèbre révérence , avec des gestes cassés et un je-ne-sais-quoi d' une animalité franchement carnavalesque . Nul sautillement anecdotique , mais des postures cubiques , volontiers déformées , sans aucun pas classique . L' éparpillement des figures , sous le chaud et froid des costumes , propose une danse qu' on dirait ingouvernable , tour à tour singulière et plurielle , où peuvent se lire les multiples facettes du personnage de la commedia dell'arte . Sous la caresse des violons , percent les cuivres , dont le timbre s' augmente et s' adoucit du souffle mat du hautbois . En regard , sur scène , chaque proposition , à peine ébauchée , se disloque selon une stridence panique . Cela tient tout à la fois de l' agacerie visuelle acidulée et d' une minutieuse machinerie délicate et ludique . On apprécie l' ouverture des jambes , celle des bras ( Laëtitia Pujol et Lionel Delanoë y sont deux morceaux de grâce incarnée ) qui enserrent l' espace pour mieux s' y mettre en scène . On aime les passations de pouvoir entre l' alacrité printanière des mollets et la subite raideur de la colonne vertébrale d' un Pulcinella mué en marionnette . Ces corps , manipulés , piquent du nez , chacun à sa manière forte et personnelle . Cela tient de l' épiphanie d' un univers en rupture , selon un arrangement des anatomies dans l' espace , investi de manière continuellement différente . Douglas Dunn Dunn a retenu la leçon de son maître Cunningham , expert dans l' art de refuser de privilégier un point de l' espace par rapport aux autres " . Avec George Balanchine , dans sa version du Violin Concerto ( créé en 1941 puis retravaillé en 1972 ) le corps s' écoute et la musique se regarde . Le chorégraphe excelle dans l' art de transformer le son directement en mouvement . Rendant hommage à Igor Stravinsky , qu' il connut bien , avec qui , même , il travailla ce ballet , George Balanchine dit ceci : " Stravinsky comprenait aussi bien la danse que Tchaïkovski lui-même , et qu' il est impossible d' écrire de la musique ennuyeuse pour des ballets . Il faut que tout s' enchaîne avec souplesse et rapidité - du tempo , du tempo ! C' est comme un train express qui ne s' arrête pas dans les petites gares . " Avec cette oeuvre " néo-classique " , le chorégraphe , né à Saint-Pétersbourg , parvient à établir de secrètes résonances entre le violon et le corps des interprètes . Le pas de deux de Marie-Agnès Gillot et Jean-Guillaume Bart , celui de Delphine Moussin et Stéphane Phavorin , jouent sur les fibres sensibles du public , environné de sons , au fil d' un étirement des bras qui s' emmêlent comme des cordes , en mille complications de chair . Le ballet devient une visualisation de la musique . Cet accord de haut vol entre corps et sons semble si durable que l' on croit voir défiler une caravane de correspondances : ici le coude vibre , la jambe crie , la main grince , le cou murmure , les doigts galopent sous l' assaut des pizzicati ; quant au violon , il sursaute , se ranime , bondit . Les duos élargissent leur accord dans l' arrondi des bras mis en commun . Le corps du danseur espère sur scène au plus fort de la musique , laquelle se penche sur lui sans que plane , entre eux , nulle sorte de différence . Ainsi , par on ne sait quel bizarre effet , la vue et l' ouïe se répondent . A un tel degré de perfection c' est l' oeil lui-même qui écoute . En achevant la soirée par le Sacre du printemps , chorégraphié par Pina Bausch , l' Opéra-Garnier ne manque pas d' audace . Avec ce ballet , la dame de Wuppertal mettait un point final à une période strictement chorégraphique pour mieux développer son idée du théâtre dansé . Le sol du plateau est recouvert d' une couche de terre . Champ d' action intensément physique , l' espace scénique confère pesanteur aux mouvements des danseurs . L' accord musical fixe , répété , se résout sur scène en une danse de l' attente , pleine d' effroi pour le présent , non sans un air funèbre qui s' imprime aux gestes des bras féminins , endeuillés avant l' heure . Les hommes colorent leurs sauts d' une force agressive . Ils vont de l' avant , quand elles marchent vers la mort à reculons . La frénétique impudeur des torses barbouillés , des cuisses souillées , des seins de femmes salis , dit l' épuisement progressif des danseurs . Vision de sauvagerie haletante . Les femmes s' infligent en continu de sacrés coups de coude à l' estomac comme on se donne un coup de couteau . Le sol vient manger les chevilles des danseurs , il clapote sous les pas , exige sa proie comme une bouche qui remue .