_: Manu superstar Pour ses soixante-dix ans , le saxophoniste et compositeur africain Manu Dibango monte un nouveau projet avec un DJ parisien . Entretien . Manu Dibango jongle avec les casquettes . Elles s' accumulent sur son crâne lisse , il les porte l' une sur l' autre , sans contradiction . D' un côté , il est le père , le baobab , l' éléphant , le gardien d' un immense trésor musical , riche de quarante ans de projets et de rencontres . De l' autre , c' est un sale gosse , un gamin toujours à l' affût d' une nouvelle farce . Orchestrateur avant-gardiste dans son genre , il écoute les plus jeunes , se tient à l' affût des poly-sons en cours . Question culture , Manu Dibango cultive la même ambivalence . D' un côté , il est musicien blanc à la peau noire , élève de la dure école du music-hall . Il a appris la musique avec les Blancs des orchestres de Dick Rivers , d' André Verchuren et de Nino Ferrer . Est -ce pourquoi il se meut avec autant d' aisance dans le circuit européen ? De l' autre , le succès de sa musique en Afrique tient à ce qu' il a su colorer le " makossa " traditionnel du jazz et de la soul européenne . Là-bas , il est perçu comme le plus blanc des Camerounais . Ne cherchez pas , l' homme est à un carrefour , incontournable . Manu Dibango accumule les médailles . Comptons avec lui , pour rire : en novembre dernier , c' était le grand prix in honorem de l' académie Charles-Cros , une première pour un artiste africain . Avant ça , il y a eu la légion d' Honneur , le trophée de l' Olympia , le trophée Senghor , une victoire de la musique , le grade de commandeur des arts et lettres , une nomination aux oscars , la citoyenneté d' honneur de Cortina d' Ampezzo , la direction honoraire des droits d' auteurs à la Cameroon Music Corporation , et on en oublie sans doute . Bien sûr , posé comme ça , ce tas de médailles fait un peu clown , mais il a tout de même un sens . Ça dit quelque chose de l' importance que Manu Dibango tient dans son milieu , dans l' histoire de la musique et de son peuple . Du coup , il prend ça au sérieux , mais pas trop . Avant d' être un symbole , Manu est musicien , un musicien dont la carrière tient du miracle . Manu naît à Douala ( Cameroun ) en 1933 , d' un père fonctionnaire et pasteur . Il chante dans le choeur de maman , qui s' occupe de la chorale du temple . À quinze ans , c' est le départ , les études en France , où il fait chauffer ses premiers instruments . Premiers jobs dans une boîte de nuit , échec au bachot . Sa famille lui coupe les vivres . Fin de sa vie d' étudiant , début de sa carrière . Exilé à Bruxelles , il court le cachet , jouant de la variété , du music-hall , s' imprégnant à la dure des us et coutumes des scènes d' Europe . " À mon époque , il fallait faire des cabarets , des bals , des cirques , André Verschueren . Les jazzmen faisaient de l' alimentaire , puis des boeufs , pour le plaisir " . Mais l' Afrique en lui sommeille . Quand il rencontre , en 1961 , le groupe congolais African jazz , il les suit en tournée , et rentre avec eux au pays . Là , Manu la cigale se lance dans les affaires . Une catastrophe . Trois ans plus tard , il est de retour en France , sans le sou . Il court les cachets , sort deux albums sous son nom et puis c' est le succès mondial , en 1972 , avec Soul Makossa , hymne de la Coupe d' Afrique des nations . " À partir de là , je suis rentré dans une nouvelle catégorie . Je suis devenu un produit " , estime Manu le malin . Artiste reconnu , il accompagne les plus grands , et les plus grands l' accompagnent : Fela Kuti , Herbie Hancock ou Ray Lema . Son succès à l' étranger ne fait pas de lui un Africain vendu , mais un Africain qui vend . Et qui gagne . Manu Dibango promène dans son sax les sons d' Afrique : soukous congolaise , rumba zaïroise , clin d' oeil au Nigérian Fela , hommage au Sud-africain Franklin Boukaka dont il reprend souvent le solennel morceau Aye Africa . Il distille un peu de reggae par -ci , un zeste de rythme techno par -là , fait des oeillades au hip-hop , du charme à tout le monde . À soixante-dix ans , il continue à se faire plaisir en rendant à chacun ce qu' il lui doit . Comment décririez -vous la nouvelle vague des musiciens camerounais comme Richard Bona , Étienne M' Bapé , qui ont débuté dans votre orchestre ? Manu Dibango . Quand j' ai commencé la musique en 1956 , j' étais un autodidacte entouré d' autodidactes . Les petits nouveaux , eux , sont passés par les écoles , les conservatoires de musiques . Ils ont appris Bach , Mozart , mais aussi les bases du savoir musical européen : la partition , les règles de composition . Ils ont donc un rapport plus structuré à la musique africaine . Leur musical s' en trouve élargi d' autant : j' ai confiance en eux pour faire sortir , grâce à ces outils musicaux , la musique africaine de la simple reproduction des traditions ethniques . Ces musiciens qui ont été formés en France finissent par s' installer ailleurs , en Europe ou aux États-Unis . Vous-même éprouvez des difficultés à jouer en France . Pourquoi ? Manu Dibango . La culture des producteurs français , c' est : chacun joue son truc dans son coin pour sa pomme , inutile de travailler ensemble pour élever le niveau . Ce n' est pas étonnant que les jeunes talents s' envolent ailleurs , en Angleterre par exemple . À Londres , j' ai participé ces quatre dernières années à dix projets différents avec des ensembles , des orchestres du monde entier . En France , la seule fois où on m' a laissé faire un travail symphonique , c' était avec l' Orchestre de Lille , et ça remonte à un moment ! C' est une question de mentalité du milieu français . En France , depuis 1973 , les gouvernements successifs durcissent les lois sur l' immigration . Pensez -vous que ces mesures posent problème aux musiciens africains pour venir en France ? Manu Dibango . C' est un grave problème , parce que beaucoup de musiciens africains sont francophones . Et dans francophone , il y a France , ça veut dire ce que ça veut dire . Le lien culturel entre la France et les pays francophones est fort . Ces lois les malmènent . La circulation des idées par la poste et Internet , c' est bien joli , mais il faut avant tout pouvoir voir , fréquenter les gens qui véhiculent ces idées . Les calculs des États sont souvent malheureux dans ce sens -là , et à mon avis on aborde trop peu ce problème , ou trop maladroitement . Vous avez rencontré il y a peu DJ Source , un jeune artiste de la scène Drum'n'Bass française . Vous avez enregistré un nouveau disque qui sort bientôt . Que retirez -vous de ce nouveau projet ? Manu Dibango . Ce DJ est une vraie pointure dans son domaine . Le contact est passé très facilement . Pourquoi ? Parce qu' il aime ce qu' il fait , qu' il sait le faire partager . Après , qu' il joue le makossa , la house ou la biguine , quelle importance ? J' ai amené ma culture musicale afro-européenne , il a fait jouer son travail électronique , et de tout cela a jailli la " blue note " , la mère de toutes les musiques . Cette note , c' est mon Graal de musicien ( rires ) , je la traque , je la cherche oreille aux aguets . Cette quasi-quête demande une curiosité , une disponibilité de tous les instants . Des rencontres imprévues de ce genre me maintiennent bien éveillé . Qu' est ce qui vous a réveillé dans le travail de DJ Source ? Manu Dibango . J' ai découvert des sons , des architectures sonores que je n' avais pas dans mon langage , d' où un plaisir terrible à sonder par le son ces nouvelles frontières musicales . Le disque est dans la boite . Il sortira quand il sortira , ce n' est pas le problème , je souhaite juste que quand il sorte , ceux qui l' écoutent éprouvent à l' écouter un plaisir comparable à celui que j' ai eu à le faire . À soixante-dix ans , vous écrivez donc une nouvelle page de votre carrière . Quel est votre secret de jeunesse ? Manu Dibango . Si je vous le dis , ce n' est plus un secret . En concert ce soir au stade Mbappé Leppé ( Douala , Cameroun ) . Dernier album paru : Africadelic , best of avec 3 titres remixés par DJ Flex . Mercury ; CD album .