_: SUR LE COMPTE DE LA FOLIE EXTRAORDINAIRE Que dire d' autre , hormis les condoléances et la solidarité ? C' est une tragédie , surgie d' un cerveau malade , imprévisible , soudaine , parfaitement gratuite comme le sont souvent les gestes des fous . Puisque face à l' arme dégainée sans raison nous sommes désarmés , comment dès lors chercher une explication , une revendication un tant soit peu crédible à ce crime hors de toutes normes ? La haine des élus , la haine du pouvoir , la haine de ceux qui , à un titre divers , sont pris pour responsables d' une injustice ou d' un mal- vivre ? Bien entendu , les psychiatres viendront à l' aide des enquêteurs pour nous décrire le phénomène complexe du passage à l' acte , pour tenter de déchiffrer ce qui peut l' être au plus profond du cerveau humain . Notre homme , paraît -il , souffrait , et c' est sans doute vrai . Ce sera la seule explication « sociale » - à ranger sur le compte de la folie extra-ordinaire . Mais des tueries gratuites , instruites seulement par ce que qu' on appelle le délire paranoïaque , il y en a toujours eu dans toutes les sociétés , des plus primitives aux plus développées . Avec le temps , nous avons pourtant élaboré des instruments d' alarme , nous avons « civilisé » , pour ne pas dire domestiqué , la démence et ses possibles accès . Toutefois la prévention , qu' elle soit médicale ou policière , n' existe pas dès lors que le meurtrier en est à son premier acte - et personne ne saurait envisager de placer un gendarme derrière tous les déprimés , surveiller en permanence tout individu souffrant de troubles du comportement . Oui , notre société paraît si désarmée ... On peut plus sûrement mettre en accusation « l' outil » du crime , et dénoncer la prolifération des armes à feu , des armes de toute nature qui font à nos villes un décor de western . On sait qu' il en circule beaucoup , bien que la vente et la détention d' armes soient chez nous strictement réglementées . Rien à voir par exemple avec le système très libéral des Etats-Unis où , d' ailleurs , fleurissent bon nombre de ces faits- divers énormes qui hantent la chronique . En France , il faut exciper d' une bonne conduite ( casier judiciaire vierge ) , d' une maturité psychologique ( certificat médical ) , il faut appartenir à un club de tir homologué pour pouvoir bénéficier d' un permis de port d' arme . Il n' empêche : ces filtres ne suffisent pas . Notre meurtrier de Nanterre détenait son permis en bonne et due forme bien que suivi pour « troubles psychiques » ! On ne l' a su qu' après . Il a simplement fallu huit morts pour faire remonter un tel dysfonctionnement administratif ! Enfin , c' est aussi nos propres angoisses qui resurgissent et nous renvoient au visage la violence sourde de nos sociétés . La mort donnée s' est considérablement banalisée , elle est aujourd'hui une « norme » marchande qui revient plus de vingt fois par jour sur les télévisions : aussi bien dans des oeuvres de fiction que dans l' actualité ordinaire , le crime , le sang , l' ultraviolence , les grands cataclysmes , les charniers , les accidents de toute nature , bref le peu de prix que coûte une vie - tout ce « reality show » de la mort pénètre dans la mémoire d' une société spectatrice sans que nous appréhendions vraiment l' étendue de ses effets pervers . Ainsi , à chaque tuerie , nous clamons notre innocence collective , autant dire notre impuissance - faute de mieux . Comme si la folie était une compagne cachée , qu' elle était le contrepoint ou plutôt la rançon de notre liberté - la face obscure de notre humanité .