_: EDITORIAL : L' APPEL DU GRAND NORD Les Pôles nous attirent comme l' image même de la plus haute et sévère conquête de soi . Que dis -je ? Ils nous aimantent d' où que nous soyons . Jean-Louis Etienne , grandi dans les vertes plaines tarnaises en est un exemple . Le voilà qui vient de repartir pour une nouvelle dérive sur la banquise . Il pourrait à bon droit aujourd'hui , au terme de tant d' expéditions dans l' Arctique et l' Antarcatique , faire sienne l' interrogation de celui qu' on appelait au début du siècle dernier le seigneur des glaces : le commandant Charcot qui sillonnait les mers polaires au bord du « Pourquoi pas ? » le si bien nommé : « D' où vient donc , écrivait -il , l' étrange attirance de ces régions polaires , si puissante , si tenace , qu' après en être revenu on oublie les fatigues morales physiques pour ne songer qu' à retourner chez elles . D' où vient le charme de ces contrées pourtant désertes et terrifiantes ? » C' est que la vocation polaire -ascèse et aventure à la fois - est une vocation singulière . Le goût du risque le dispute à la curiosité scientifique . Une vocation qui exerce sur le reste de l' humanité fascination et admiration , comme si en atteignant les extrêmités gelées du globe , l' homme allait en notre nom à tous à l' extrémité du monde visible , aux bords mêmes des gouffres de l' inconnu . Comme si celui qui abordait ces terres témoignait plus que d' autres de notre sens du dépassement et de notre impérieuse soif d' absolu . Comme si l' or précieux de la connaissance se transmuait ici en aventure métaphysique . Comme si se rendre au pôle Nord c' était retrouver ce que Jean-Louis Etienne appelle « le pôle intérieur » c' est à dire retrouver dans les déserts de glace une vision renouvelée du monde et de nous-même . La technique vient au secours de l' aventure polaire , la transforme , la sublime . Là où , au siècle dernier , on partait à dix scientifiques sur un trois mâts goélette « entièrement en chêne » , aujourd'hui un médecin seul dans un igloo fait de matériaux composites , nanti de tous les appareils de mesure et de communication , est prêt pour une nouvelle et féconde exploration . Les Français peuvent se flatter dans ce domaine d' une glorieuse tradition qui va de Charcot à Paul-Emile Victor en passant par Jean Malaurie . Aujourd'hui on sait un peu plus qu' hier que dans l' aventure polaire se joue aussi une part non négligeable du destin de la planète . Il s' agit désormais d' observer , d' ausculter , de guérir des nuisances qui sont , dans ces bouts du monde , accumulées , - les retombées de Tchernobyl incluses - comme autant de témoins de nos défaillances . Quoi de neuf sous le soleil du printemps arctique ? La conscience de plus en plus forte que le destin des esquimaux , ces « mangeurs de viande crue » , des ours et des phoques , sont intimement liés à nos agissements et qu' un tremblement d' aile de papillon ici peut provoquer un tremblement de terre là-bas .