_: Péril en la demeure La télévision publique est sur la sellette une fois de plus . Cette bonne vieille télévision que l' on regarde d' un oeil fourbu , le soir « après le turbin » comme dit la chanson , fait l' objet , à un mois de distance , de deux rapports rédigés , excusez du peu , par de distinguées philosophes . Blandine Kriegel a planché sur la violence sur le petit écran et Catherine Clément vient de rendre sa copie sur la culture à la télévision . Le destinataire de ces deux rapports est l' actuel ministre de la Culture dont on admirera qu' il a l' art et la manière de créer l' événement autour de textes qu' on voue d' habitude aux oubliettes . La publicité faite autour de ces documents ne nous garantit pas pour autant que la télévision va changer , s' adoucir ou se cultiver . Comme disait Alain Finkielkraut , il n' y a pas si longtemps , à la télévision d' ailleurs , ce n' est pas qu' il faut changer le monde , c' est qu' il faut le sauver . De même , la télévision publique demande à être non pas changée mais sauvée . Sauvée de la médiocrité , de l' insignifiance , du verbiage qui deviennent son pain quotidien . On se doute bien que pour la soeur aînée de Jérôme Clément , lui-même responsable d' Arte , la culture sur les chaînes publiques est dans une grande misère , réduite au ghetto des horaires tardifs , dissuasifs pour ceux qui sont dans la vie active . Qu' il y a régression et non progression , que l' âge d' or de la télévision est derrière et non devant , est une constatation à la portée du premier venu , pourvu qu' il soit doté de mémoire . Et qu' il se souvienne du temps où on lui administrait du Dickens et du Maupassant , sans que ce soit le moins du monde ennuyeux , où on chantait l' opéra ( merci Jacques Chancel ! ) dans des mises en scène somptueuses qui , du coup , n' étaient plus réservés aux seuls initiés mais devenaient le bien de tous . Un temps où deux grands cinéastes , Rossellini et Bergman , ne dédaignaient pas d' y donner le meilleur deux-mêmes , parce qu' ils croyaient eux aussi , comme les pères fondateurs , que la télévision c' était l' université du pauvre . Un temps où les provinciaux que nous sommes avaient le sentiment d' être invités de plain-pied au banquet parisien . Mais je vous parle d' un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître . En lieu et place des raisins verts d' Averty , nos bambins sont fous de « Star Academy » ... Et s' ils entendent Catherine Millet , grande prêtresse de l' art moderne affirmer que l' émission de Thierry Ardisson est une émission culturelle , comment ne se sentiraient -ils pas confortés dans leur préférence ? Des Ardisson , certes , il en faut , puisque « Tout le monde en parle » et qu ' à vouloir vendre aujourd'hui un livre , un film , il faut en passer par là . Mais si on en est , comme le prescrit Catherine Clément , à « inscrire la télévision publique dans la Constitution » , c' est bien qu' il y a péril en la demeure . C' est bien que le petit écran est un chef-d'oeuvre en péril , un patrimoine national qu' il est urgent de défendre de la convoitise des marchands du temple .