_: LA CONTESTATION DE LA MONDIALISATION : Les groupes s' expriment également à travers une intense activité de lobbying auprès des " décideurs " ou du grand public en réalisant un certain nombre de campagnes sur des thèmes spécifiques comme la dette , la taxe Tobin ou les organismes génétiquement modifiés ( OGM ) ; Ils s' expriment en particulier par le biais de manifestations , souvent assez spectaculaires , mais aussi de campagnes contre l' OMC . Ainsi , personne , au sein de la mouvance contestataire , ne défend l' expérience soviétique en tant que modèle alternatif au capitalisme . L' association compte aujourd'hui environ 30 000 adhérents et 230 comités locaux , y compris dans les universités et les grandes écoles . Les Français ne sont pas majoritairement et foncièrement hostiles à la mondialisation , et n' apparaissent pas globalement partisans d' une fermeture économique et culturelle . En définitive , leur influence la plus notable est sur le débat . Elle soulève également l' un des principaux défis économique , social et politique en liaison avec les effets de la mondialisation , à savoir l' intégration économique , La singularité de la contestation à la française La contestation française de la mondialisation n' est pas tant singulière par ses caractéristiques , que par son influence notable sur la société et sur le débat politique . Cette contestation à la française est née , en grande partie , dans le sillage du débat sur Maastricht , mais aussi de la réapparition de mouvements sociaux importants , avec les actions des " sans " ( logement , travail , papier ) et surtout les grèves du secteur public fin 1995 . Elle le reste et le sera tout particulièrement en 2003 puisqu' elle devrait accueillir deux des grands événements de l' année sur le front contestataire : les manifestations à l' occasion du sommet du G8 à Evian du 1er au 3 juin 2003 , et le Forum social européen , qui se déroulera à Saint-Denis du 29 octobre au 3 novembre 2003 . Il n' existe pas pour autant un mouvement antimondialisation en France . On doit davantage parler d' une mouvance ou d' une nébuleuse de groupes souvent très disparates par leurs structures , leurs objectifs ou leurs effectifs que d' un mouvement structuré . En outre , la contestation française apparaît plutôt altermondialiste qu' antimondialiste , dans la mesure où les protestataires défendent une autre mondialisation que l' actuelle " mondialisation libérale " . Ses acteurs apparaissent donc assez diversifiés et éloignés des clichés réduisant la critique de la mondialisation en France aux groupes ou aux personnalités les plus visibles lors des manifestations à l' occasion des sommets internationaux ou des réunions propres aux contestataires ( Forum social mondial et , aujourd'hui , Forum social européen ) ou dans les médias , à savoir José Bové et ATTAC . En effet , les activités protestataires ne se résument pas à ces manifestations . UNE NOUVELLE EXCEPTION FRANÇAISE ? une activité d' information , d' analyse , de pédagogie et de publications ; et de contre-expertise sous la forme d' une surveillance et d' une évaluation de la politique menée par diverses institutions ( nationales ou internationales ) ou par des entreprises , fondement d' un véritable contre-pouvoir . En fait , la mouvance contestataire française est composée de trois types de groupes : les ONG , les mouvements sociaux et les " nouveaux groupes contestataires " . Les ONG appartenant à la mouvance sont des organisations spécialisées dans l' aide au développement et la lutte contre la pauvreté dans les pays du Sud ou la protection de l' environnement . Mais d' autres ONG tendent également à s' impliquer dans la critique de la " mondialisation libérale " , comme celles qui défendent les droits de l' homme , la condition féminine ou les minorités sexuelles . Elles s' expriment principalement par le biais de campagnes , surtout axées sur l' amélioration de la situation des pays du Sud ( développement durable , annulation de leur dette , lutte contre la politique menée par les institutions financières internationales ) . Une part notable de la contestation française , à l' instar de la situation existant dans d' autres pays , est ainsi composée d' organisations d' origine confessionnelle , rappelant que l' Église est également un pôle important de critique du capitalisme . Eddy Fougier Les mouvements sociaux comprennent des mouvements de défense des exclus - les " sans " - , des mouvements paysans et des syndicats radicaux , comme Sud-PTT . Enfin , les nouveaux groupes contestataires , contemporains de la mondialisation , ont été spécifiquement créés en liaison avec ce thème . Ils comprennent des associations , comme ATTAC , des réseaux , des observatoires et des " groupes de surveillance " qui s' expriment par le biais de campagne , de publications ou de promotion de telle ou telle action . Ils sont surtout présents dans la lutte contre l' OMC . On peut distinguer parmi eux des groupes réformistes , qui sont dans une logique d' engagement plus que d' affrontement face aux " acteurs " de la mondialisation ( gouvernements , entreprises , institutions internationales ) et qui acceptent d' entrer dans des mécanismes de consultation mis en place par ces derniers , et des groupes radicaux qui , eux , sont plutôt dans une logique d' affrontement et se refusent à tout compromis avec le " système " . Pourtant , concrètement , leurs différences apparaissent beaucoup plus floues , en tout cas plus de degré que de nature . Ces groupes incarnent une certaine continuité historique avec les formes de contestation passées ( ouvrière , intellectuelle , " anarchiste " , mais aussi celle de l' Église ) et dans la tonalité de leurs critiques . Mais ils s' inspirent également de courants plus contemporains , comme les mouvements " post-matérialistes " des années 1960 - 1970 ou la mouvance ONG . Par ailleurs , ils ont une structuration inédite et de nouveaux objectifs . A la fin des années 1980 , un consensus semble se dégager en France autour de l' idée de la fin de ce que l' on appelait l' " exception française " . A la différence de la contestation ouvrière et marxiste d' autrefois , les groupes protestataires actuels n' aspirent plus au " Grand soir " , c' est-à-dire à une forme de prise de pouvoir politique et de transformation radicale de la société par la force , ou de toute révolution de type socialiste impliquant , par exemple , une appropriation collective des moyens de production . Un groupe comme ATTAC affirme même ne refuser ni l' existence du marché , ni celle de l' entreprise privée . Leur objectif réside donc plutôt dans la formation de contre-pouvoirs efficaces , et non dans la prise de pouvoir politique ou même une éventuelle participation gouvernementale . La contestation française présente donc de nombreuses similitudes avec la nébuleuse contestataire internationale , mais aussi quelques particularités , avec d' un côté , une quasi absence de think tanks , de groupes spécialisés sur la mondialisation , d' organisations radicales de jeunesse et de pôle alternatif et , de l' autre , une surreprésentation des mouvements paysans et la singularité d' ATTAC . Elle se structure également autour des grandes campagnes internationales ( contre l' OMC et les institutions de Bretton Woods , et en faveur de la taxe Tobin et de la remise de la dette du Sud ) , mais aussi sur des thèmes spécifiques , comme l' Europe , la défense des services publics ou les OGM , souvent sur fond d' antiaméricanisme . Une France contestataire ? Il existe une contestation à la française . Son influence est tangible tant sur la société que sur le discours politique . Elle peut être mesurée par le nombre d' adhérents ou de sympathisants des groupes protestataires . Les clivages idéologiques irréconciliables et l' atmosphère de guerre civile larvée ont disparu , tandis que les grands conflits sociaux , mais aussi l' engagement et la participation politique , sont en net déclin . Le cas d' ATTAC est particulièrement emblématique de ce point de vue . Les résultats aux élections professionnelles des syndicats appartenant à la mouvance montrent que ces groupes ont une représentativité certaine dans des secteurs qui tendent à fournir une grande partie des soutiens à la contestation de la mondialisation en France : l' agriculture , le secteur public et l' enseignement . La Confédération paysanne a obtenu 28 % des suffrages lors des élections aux chambres d' agriculture en janvier 2001 . Le syndicat Sud obtient des scores importants lors des élections de représentants des salariés au conseil d' administration de grandes entreprises du secteur public ( second syndicat à la Poste et à France Télécom , troisième à la SNCF ) ou même d' entreprises privées ( second syndicat chez Michelin ) . Enfin , la FSU est la première fédération syndicale du personnel enseignant , mais aussi de la fonction publique de l' État . Les succès éditoriaux ( ouvrages de José Bové , de Susan George , de Viviane Forrester ou de Pierre Bourdieu , l' évolution des ventes du Monde diplomatique ) ou le nombre important de signataires de pétitions ( 110 000 en faveur de la taxe Tobin , 520 000 pour l' annulation de la dette ) et de manifestants ( par exemple à Millau lors du procès des militants de la Confédération paysanne en juin 2000 ) en sont également les symptômes . Les enquêtes d' opinion soulignent enfin que la perception des contestataires et surtout de leurs principales propositions est largement positive et tend même à dépasser les clivages partisans traditionnels , sauf si ces groupes sont bien identifiés à gauche . Ainsi une très importante majorité des personnes interrogées est favorable à la taxe Tobin et à l' annulation de la dette . C' est pourquoi l' apparition d' une forte contestation de la mondialisation constitue une véritable surprise , tant pour les observateurs que pour les acteurs eux-mêmes . On ne peut pas parler pour autant de France contestataire . Ils se montrent néanmoins plutôt inquiets face aux conséquences les plus négatives de ce processus et tendent à soutenir les propositions de régulation et d' " humanisation " . L' influence des contestataires est également évidente sur la politique et sur le débat . Mais elle apparaît faible sur la décision politique à proprement parler . En effet , au-delà de leur impact très notable sur le discours politique , leur effet sur la décision paraît assez limité . Ceci est illustré par l' étude de deux cas où la France a joué un rôle fondamental : l' échec des négociations sur l' Accord multilatéral sur l' investissement ( AMI ) , suite à son retrait , et l' adoption d' une législation sur la taxe Tobin . Dans le premier cas , considéré comme la première " victoire " des contestataires , leur rôle sur la décision française a été beaucoup plus réduit que ce qu' ils affirment eux-mêmes , tandis que dans le second , la législation adoptée n' a aucune incidence pratique et le gouvernement , malgré une rhétorique plutôt favorable , s' est montré fermement opposé à toute mise en place effective d' une taxe Tobin . En fait , l' étude du processus de décision indique que les contestataires sont influents lorsque deux conditions sont réunies : Elle paraît contredire cette forme de " fin de l' histoire " à la française , c' est-à-dire cette reconnaissance quasi généralisée des principes de l' alternance démocratique , mais aussi , et surtout , de l' économie de marché . lorsqu' ils font la promotion de micro propositions concrètes et techniques sur lesquelles le gouvernement français peut avoir prise , et lorsqu' ils utilisent un relais politique , comme c' est le cas de la Gauche socialiste au sein de la gauche française . La grande victoire des contestataires français est , en effet , d' avoir réussi à influencer la perception globale de la mondialisation en France et à définir les termes mêmes du débat . Les résultats des élections présidentielles et législatives de mai-juin 2002 en ont , par exemple , été une illustration . La gauche au pouvoir , écartelée entre , d' une part , une approche pragmatique et réaliste de l' économie de marché et de la mondialisation et , d' autre part , un discours souvent assez proche des thématiques des contestataires , a certainement souffert électoralement de ces contradictions , alors qu' un grand nombre de sympathisants de gauche étaient séduits par le discours contestataire défendant une " gauche de gauche " . Cette influence est également perceptible dans les débats au sein d' une gauche en crise suite à ces défaites , en particulier chez ceux qui souhaitent que sa pratique s' adapte à son discours et qui reprennent à leur compte nombre d' analyses et de propositions contestataires . Malgré sa vigueur , la contestation en France n' a pourtant , pour le moment , pas véritablement modifié les trois grandes tendances durables de la société française : la pacification idéologique , sociale et politique . Elle ne constitue donc pas le ferment d' une nouvelle " exception française " , celle -ci n' ayant pas vraiment créé de nouvel antagonisme idéologique fondamental autour de la mondialisation et les Français , globalement , n' étant pas opposés à son processus . La contestation apparaît en fait comme le symptôme d' une crise , celle de la difficile adaptation du " modèle social français " - crise d' adaptation de l' économie , de la société et du gouvernement , au sens large du terme - et du " modèle républicain " - crise de la représentation , de la démocratie représentative et du politique - au contexte contemporain marqué par la mondialisation . On peut dès lors se demander si cette contestation témoigne d' un retour de cette fameuse " exception française " ou si elle est seulement le symptôme des difficultés traversées par une société confrontée aux défis de l' actuel processus de mondialisation .