_: | Le Liban et le couple syro-libanais dans le processus de paix Horizons incertains Joseph Bahout Joseph Bahout est enseignant en sociologie politique à l' Université Saint-Joseph de Beyrouth et chercheur associé au CERMOC ( Centre d' études et de recherches sur le Moyen-Orient contemporain ) . On a trop souvent tendance à oublier que l' accord de Taëf - mettant fin à la guerre du Liban - comprenait presque sur pied d' égalité deux volets consacrés à l' interne et à l' externe ; tandis que le premier incluait un ensemble de réaménagements de l' édifice institutionnel et politique , le second était consacré à la souveraineté libanaise avec , pour partie principale , les lignes directrices des futures relations libano-syriennes . On a aussi trop tendance à oublier que c' est au moment où ces mêmes accords de Taëf devenaient effectifs qu' un nouvel ordre stratégico-politique s' ébauchait au Moyen-Orient dans la foulée de la deuxième guerre du Golfe et que c' est , surtout , à ce même moment que s' annonçaient les voies du processus de paix entamé quelque temps plus tard à Madrid . Cet enchaînement faisait d' ailleurs un bien curieux écho à quantité d' analyses averties , récurrentes dans les milieux libanais depuis 1975 , ainsi qu' à des certitudes populaires bien ancrées , selon lesquelles il ne saurait y avoir de solution au conflit libanais sans solution durable de la question israélo-arabe . Si les causalités sont loin d' être aussi directes - et les déterminismes aussi simples - entre les deux dossiers belligènes , il n' en demeure pas moins frappant qu' à l' heure où le processus de paix semble durablement enlisé , la question d' un avenir viable pour le Liban peut être à nouveau légitimement posée aujourd'hui . Dans un premier temps , par sa structure à deux étages , l' accord de Taëf faisait de la de la Syrie le garant principal de l' application des réformes et y liait ainsi en partie sa présence dans ce pays . Dans un deuxième temps , et par le fait d' évolutions régionales et plus proprement libanaises qu' il n' y a pas lieu de rappeler ici , la Syrie faisait passer son rôle libanais à un stade supérieur , devenant un acteur interne de la vie politique libanaise , quitte à y apparaître parfois comme le décideur exclusif . L' entrée de la Syrie dans le processus de paix , sans en être l' explication unique , est sans doute pour beaucoup dans ce processus de tutellisation rampante . Elle l' est , d' abord , par l' acquiescement implicite dont cette tutellisation fait l' objet de la part des États-Unis , parrains et architectes en chef des négociations , soucieux de rassurer le plus possible Damas quant à son principal acquis régional à l' heure où tout , dans la région , connaît des transitions aussi rapides qu' imprévisibles . Elle l' est , ensuite , par le fait que cet acquis devient de plus en plus précieux pour la Syrie après les paix séparées d' Oslo et de Wadi Arba qui voient les Palestiniens et la Jordanie échapper à la coordination arabe telle que la comprend Hafez al-Assad . Ainsi laissé par la majeure partie de la communauté internationale en tête-à-tête avec son puissant voisin syrien , le Liban voyait le temps mort de la négociation l' effacer graduellement comme sujet sur le plan diplomatique , et son tuteur mettre à profit cette fenêtre d' opportunité pour institutionnaliser son emprise et rendre l' ingestion le plus difficilement réversible . D' où l' hypothèse la plus partagée , et qu' il s' agira de soumettre à l' examen ici , selon laquelle un déblocage des négociations et l' aboutissement à un règlement syro-israelien ne manqueraient pas de se traduire par un affaiblissement de l' emprise syrienne sur le Liban , et par un meilleur recouvrement par ce dernier des chances de sa viabilité économique et politique . Le présent article se propose donc d' explorer les avenirs possibles du Liban dans un tel contexte , en prenant en considération les champs politico-sécuritaires et socioéconomiques . Aux niveaux de la situation du Sud , de la relation régissant le couple syro-libanais , des institutions et forces politiques internes , et de la reconstruction et du socioéconomique , le diagnostic de l' effet pervers de l' état actuel de " ni paix , ni guerre " qui se prolonge dans la région sur la situation libanaise conduira à constater une déperdition croissante de la réalité libanaise en termes de souveraineté et de vitalité politique . Si l' ordre actuel au Liban est celui de la fin d' un état de guerre , il est encore loin d' être celui d' une pleine paix civile dont le sens s' imposerait à tous . À partir de cet état des lieux , il s' agira alors d' examiner , par une approche aussi prospective que possible , les probabilités d' inversion de la dégradation en cours , et ce , en cas de reprise sérieuse des négociations de paix et en cas de percée réelle sur le volet syro-israélien . Le Liban entre blocage régional et abdication diplomatique Sept ans après le début du processus de paix ouvert à Madrid en 1991 , la situation du Liban comme acteur étatique et comme négociateur à part entière a quelque chose d' ironiquement paradoxal . De tous les États appelés à se joindre à la négociation , le Liban était en effet le seul dont la lettre d' invitation faisait figurer autre chose que la seule résolution 242 comme base de règlement de son contentieux avec Israël . Fort , lui , d' une autre résolution du Conseil de sécurité ( la 425 ) , il s' écartait ainsi insensiblement du principe directeur de la négociation , à savoir " La terre contre la paix " , pour - du moins la diplomatie libanaise l' a -t-elle pensé un moment - aller devant les instances internationales réclamer tout simplement , serait -on tenté de dire , un retrait israélien inconditionnel du sud du Liban . À ceux qui , au sein de la classe politique libanaise issue de Taëf , considéraient alors qu' en entrant dans un forum où les retraits étaient conditionnés par des traités de paix , le Liban perdait sa carte diplomatique maîtresse , ou encore à ceux qui , au sein de la même classe , estimaient que l' attitude du Liban constituait un écart à leurs yeux inacceptable par rapport à la stratégie syrienne résumée par la résolution 242 , la diplomatie libanaise répondait par un argumentaire en deux temps : la 425 devra uniquement assurer un retrait militaire du Sud et cette étape ne sera que technique . C' est alors que le Liban se joindra à ses pairs arabes , étape politique et diplomatique , pour signer avec eux , et pas avant , une paix " juste et globale " basée sur la résolution 242 . Pour logique qu' il soit , cet argumentaire occultait deux choses : d' une part , il n' intégrait pas réellement ce qui se passait au même moment sur le terrain , c' est-à-dire dans le Sud occupé , où la résistance opérée par le Hezbollah doublait la dynamique politique des négociations libano-israéliennes par une logique militaire qui finirait , forcément , par imposer d' autres temporalités et d' autres équations . L' argumentaire n' admettait pas assez , d' autre part , que l' objet de ses propres négociations , le Sud , ne soit plus exclusivement sien , mais revête maintenant une fonctionnalité essentielle dans la stratégie négociatrice syrienne , comme l' un des derniers leviers à même d' amener Israël , sous la pression des coups portés par la résistance , à débloquer l' impasse sur le Golan d' abord et à y concéder davantage ensuite . C' est l' alignement graduel de la position officielle libanaise sur ce dernier point , ainsi que l' instrumentalisation à outrance par la Syrie de la carte libanaise , qui vont progressivement mettre un terme à la singularité et à la distinction offerte au Liban par la résolution 425 et miner son existence comme acteur régional autonome . Alors que les négociations libano-israéliennes s' arrêtent définitivement au bout du 12e round , la Syrie reprend les siennes en incluant dans ses dossiers la question du Sud ; négociations dont elle tient quand même le Liban informé - a posteriori , il est vrai . La " concomitance des deux volets " ( Talazum al-masarayn ) , comme l' appelle désormais le lexique officiel libanais , devient dès lors l' unique doctrine diplomatique du pays ; seulement , elle n' est nullement comprise comme un parallélisme résultant de la coordination entre deux acteurs étatiques agissant de concert , mais comme l' attente libanaise passive que quelque chose se débloque sur le front syrien pour pouvoir revenir dans le jeu . De cette subordination en découlent alors bien d' autres , qui ont pour résultat de dévoyer le rapport existant au départ entre la présence syrienne au Liban et les dynamiques internes en cours dans ce pays . À l' équation de Taëf qui liait la mise en oeuvre des réformes au redéploiement militaire syrien et à la redéfinition des " relations privilégiées " , succède une équation qui , implicitement , fait de la présence syrienne une fonction de la donne régionale . D' où l' évidence selon laquelle le temps mort des négociations est un temps durant lequel se perpétue et s' aggrave le rapport inégal syro-libanais , avec les conséquences politiques et économiques internes qui en résultent . Le couple syro-libanais isolé Il est désormais admis que la carte libanaise est l' atout régional le plus précieux entre les mains de la Syrie . Aussi , c' est sur le couple syro-libanais que se concentreraient pressions des uns et réactions des autres pour tenter de modifier le statu quo , et dans un contexte pareil , l' utilisation du terrain libanais pour amener la Syrie à plus de souplesse dans la négociation n' est pas à exclure . L' éventail des instruments est à ce niveau multiple , empruntant le biais du socioéconomique et de la dette libanaise croissante , jouant sur le ressentiment politique du camp chrétien , ou prenant aussi le visage de la " légalité internationale " en ouvrant plusieurs registres sur lesquels le Liban est perçu comme en manquement ( drogue , asiles de terroristes recherchés , ou encore droits de l' homme non respectés ... ) . Un degré supérieur de pression serait par ailleurs celui de la déstabilisation sécuritaire de faible ou moyenne intensité . Face aux cas de figure évoqués , l' alternative de Damas serait de s' agripper avec encore plus de force à son acquis régional . Dans ces cas extrêmes , le recours de la Syrie elle-même à la violence n' est pas totalement à exclure . Toutefois , une logique de ce type est lourde de risques , ne serait -ce que parce qu' elle mettrait en lumière une carence essentielle du rôle dévolu par la communauté internationale à la Syrie au Liban , à savoir celui de mettre à profit le temps de sa gestion libanaise pour y consolider la paix civile . En cas de blocage prolongé dans la région , et aussi éloignée qu' une telle éventualité puisse paraître , le retour de la violence armée sur la scène libanaise ne saurait être exclu . L' ancienne équation " paix libanaise si paix régionale " redeviendrait alors opératoire . Nombre de dynamiques internes libanaises se prêtent d' ailleurs à un tel appel belligène . La guerre s' est achevée sur un sentiment de réconciliation incomplète ; perçu ou réel , ce sentiment exprime l' idée que la guerre a clairement fait des vainqueurs et des vaincus . À d' autres niveaux aussi , beaucoup de comptes sont encore à régler entre les différentes factions libanaises , et leur règlement par les armes n' est pas - comme on pourrait le penser -unanimement rejeté , si les conditions régionales le permettaient - en assurant l' approvisionnement en armes et les prolongements d' alliances . De telles attitudes trouvent des relais jusqu'au sein du pouvoir , dont les pratiques ont généralisé un regain de crispation communautaire devenue depuis sept ans une véritable culture politique dominante . Aussi , force est de constater qu' aujourd'hui au Liban s' expriment dans certains milieux , et se lisent à certains indices , des perceptions qu' un climat semblable à celui de l' année 1975 couve sous la cendre ... Bien sûr , d' autres forces travaillent les sociétés civile et politique libanaises ; des forces qui tentent de démontrer que la guerre a été une véritable leçon et que la violence ne saurait rien régler . La transversalité de ces forces est toutefois encore bien faible et leur impact limité à certains cercles élitaires , sinon marginal . Il l' est d' autant plus que les partenaires extérieurs du Liban , ignorant trop souvent ces dynamiques pourtant dignes d' être investies , préfèrent se donner pour seul interlocuteur un Liban certes officiel , mais lourdement hypothéqué . L' éventualité d' un regain de tension violente au Liban acquerrait plus de consistance encore - mais aussi plus de complexité - si elle venait à se greffer sur , ou à avoir lieu à un moment où la situation interne syrienne risque de se compliquer en raison de la transition délicate que ne manquera pas d' ouvrir la succession du président Assad . Ce texte n' est bien sûr pas le lieu d' envisager des scénarios de cet ordre , mais il est nécessaire de remarquer que l' imbrication des espaces politiques libanais et syrien a atteint un degré tel qu' il est difficile d' en séparer les dynamiques strictement internes et d' en délimiter des effets circonscrits . Le va-et-vient entre ces deux espaces est loin d' être à sens unique ; depuis vingt ans maintenant que le pouvoir syrien pratique et fréquente le Liban , ses crises et ses modes de production sociales et politiques , nul ne sait plus très bien qui des deux acteurs a le plus teinté l' autre . Dans ce domaine comme dans d' autres , plutôt que de parler uniquement de domination à sens unique ou d' hégémonie unilatérale , il conviendrait aussi de parler de convergence entre deux régimes et deux types de fonctionnement . Dans un cas de figure comme celui -ci , l' espace libanais ne serait plus un espace neutre où se projette seulement la puissance syrienne , mais un espace où se projettent également les rivalités des " barons " de cette puissance . Plus encore , plusieurs indices montrent que le Liban est aussi pour eux un espace-ressource et - par procuration - un vivier de forces d' appoint pour leurs propres luttes d' influence . Hypothèques et viabilité du politique au Liban En cas de blocage persistant et durable au niveau des négociations , et si la dégradation sécuritaire était exclue - la Syrie ne pouvant ainsi contribuer à nier sa propre raison d' être au Liban - , Damas a tout de même largement d' autres moyens de s' y assurer le contrôle quasi exclusif , pour un temps du moins , en profitant de sa maîtrise devenue inégalée de toutes les ressources du jeu local . Dans pareil cas de figure , il faut s' attendre à la perpétuation sous égide syrienne des modes de gestion politique en cours aujourd'hui au Liban , sans exclure , de plus , de brusques durcissements sur des dossiers sensibles ou à même de le devenir . L' ensemble de l' édifice politique mis en place au Liban depuis Taëf est dans ce sens parfaitement instrumentalisable . D' abord , la " troïka " présidentielle - née d' un enchevêtrement savamment dosé des pouvoirs et des prérogatives entre les deux branches de l' exécutif , et entre elles et le législatif - est une structure doublement propice . Elle est génératrice de divisions durables et infinies d' une part , permettant , à chaque fois , à Damas d' en réconcilier in extremis les acteurs . Elle est , d' autre part , génératrice d' immobilisme et de statu quo décisionnel , ce qui permet , à chaque fois aussi , à Damas de trancher pour l' option qui a sa faveur . En perpétuant ainsi le besoin d' arbitrage syrien , la structure constitutionnelle libanaise assure à la Syrie un " monitoring " permanent et sans failles , tout comme elle la prémunit contre tout risque de dérapage et contre toute velléité - de quelque partie libanaise qu' elle émane - d' élargissement de marge de manoeuvre . Le pouvoir étatique ainsi tenu , le contrôle s' étend par la suite à l' ensemble de la classe politique institutionnelle ou à l' activité agréée ou admise . Au terme de deux scrutins législatifs , d' un long travail de pénétration du terrain qui dure depuis parfois deux décennies , d' innombrables retournements d' alliances entre les forces locales sur la scène libanaise et d' une connaissance profonde des ressorts de la sociologie politique libanaise , Damas peut être assurée aujourd'hui de contrôler la quasi-totalité des membres du Parlement , des partis politiques en exercice , des forces , groupes et associations à capacité mobilisatrice plus ou moins notable . Elle profite , de surcroît , en cela de la dislocation des forces traditionnellement opposées à sa politique libanaise ( les Forces libanaises , l' ossature de certaines anciennes brigades de l' armée , le mouvement aouniste , certains groupes islamistes , des réseaux arafatistes ou proches de l' OLP , les sympathisants du Ba'th irakien rival ... ) . Enfin , maîtresse des échéances diverses , Damas peut , tour à tour , les utiliser pour renforcer et consolider ses instruments de contrôle ( élections législatives , par exemple ) ou , au contraire , pour les geler et les annuler afin d' éviter des tests difficiles ou gênants selon la conjoncture ( élections municipales , jusque -là ; élection présidentielle de 1995 ) . Aussi , au nom des " circonstances ( régionales ) exceptionnelles " et des " dangers qui menacent la sécurité nationale et la paix civile " , le déficit démocratique ne cesse de se creuser au niveau de l' exercice du pouvoir , mais aussi - de façon croissante - à celui de l' exercice et de l' expression des libertés et des droits fondamentaux . Dans un tel contexte , l' équilibre actuel - imposé mais fluctuant , entre les trois principales forces politiques libanaises que représentent Rafiq Hariri , le Hezbollah et l' armée libanaise - est appelé à perdurer . Concernant ce triangle , il est possible de parler de trois projets politiques sensiblement divergents en termes d' objectifs , de stratégies et d' alliances locales et régionales . Leur compétition et leurs différends restent toutefois pour l' heure inscrits dans une équation de conflit et de coopération très précisément rythmée et dosée par l' impératif de leur subordination à ce que les libanais appellent désormais le " plafond syrien " ( As-saqf as-sury ) . Par son ambitieux projet de reconstruction , et la dynamique économique que cela provoque et entretient , Rafiq Hariri joue sur un besoin syrien de stabilité économique et sociale au Liban dans la période d' attente qu' imposent à tous les négociations . C' est cette logique qui a largement présidé à sa nomination comme Premier ministre en 1992 , à l' issue des élections législatives controversées auxquelles il n' avait pas directement pris part , et à un moment où la crise économique libanaise atteignait la côte d' alerte . Certes , par ailleurs , Rafiq Hariri incarne et représente bien d' autres aspects et bien d' autres fonctionnalités . Présent dans les coulisses du jeu politique libanais depuis près de quinze ans , son entregent , sa surface financière et ses réseaux lui confèrent une possibilité non négligeable de convertir l' ensemble des forces politiques de la guerre en forces de gouvernement . D' autre part , sa facette saoudienne , ses relations d' affaires et personnelles avec plusieurs dirigeants du Golfe , d' autres parties du monde arabe et de certains pays industrialisés , constituent des atouts sur lesquels Damas peut s' appuyer pour gérer la période difficile d' adaptation aux nouvelles règles du jeu international , de négociations et de gestion de la carte libanaise dans un environnement volatil . Considérant la centralité que la résistance au sud occupe dans la stratégie négociatrice syrienne , le Hezbollah acquiert une place prépondérante , et souvent à part , dans le jeu politique libanais . Son exception provient bien sûr de l' activité militaire qu' il est désormais pratiquement le seul à entreprendre contre Israël , ce qui l' a exempté de se soumettre à la dissolution des milices à la fin de la guerre . Mais elle provient aussi de ce qu' il est l' expression la plus évidente de l' alliance syro-iranienne . D' un point de vue strictement libanais , les analyses et les degrés d' acceptation du fait que représente le Hezbollah sont multiples et diverses . " Contre-société " potentiellement dangereuse ( car porteuse de projet de théocratisation de la vie politique ) pour les uns , vecteur d' ingérence syro-iranienne ( à l' origine de la prolongation de l' épreuve du Liban-sud ) pour d' autres , le Hezbollah est aussi considéré par beaucoup comme un parti politique - aux spécificités certes notables - somme toute parfaitement intégré au jeu politique libanais , voire banalisé . Ce qui est invoqué à cet égard est l' entrée du parti dans le paysage parlementaire dès 1992 , ses positions relativement modérées sur plusieurs questions internes et ses relations très largement étendues à toutes les parties libanaises : autant de caractéristiques qui font de lui une force semblable à d' autres forces dites de " l' opposition institutionnelle " . Il reste évident que l' importance du Hezbollah s' impose à tous , ne serait -ce qu' en raison de sa fonction - en concurrence avec le mouvement Amal - d' encadrement et de mobilisation effective et symbolique d' une partie de la communauté chiite , et de la place qu' occupe désormais cette dernière dans tous les équilibres libanais . La fin de la guerre a fait apparaître un besoin pressant de sécurité . L' armée libanaise , devenue au fil du conflit l' un de ses acteurs majeurs , se voit alors confier , en étroite collaboration avec les troupes syriennes stationnées au Liban , le rôle de gardien de l' ordre et de la paix civile . À la croissance numérique qu' un tel rôle impose , s' ajouteront par la suite d' autres fonctions que l' armée se donnera . Face au projet de la résistance et à ses débordements potentiels , l' armée joue - vis-à-vis des parrains du processus - le rôle de garant , afin que les termes de tout arrangement soient respectés ; corollairement , elle suggère , également aux partenaires étrangers , qu' en cas de défaillance soudaine de la présence armée syrienne - pour des raisons qu' il n' est pas possible de discuter ici - elle serait prête à remplir le vide sécuritaire , mais aussi à parer à toute potentielle défaillance politique . Face au projet " tout-économique " , l' armée se donne une image de creuset intégrateur de la nation et de ses générations montantes , multipliant publications , camps de jeunes et campagnes diverses de civisme . Plus encore , face à la dégradation de l' image de la classe politique libanaise , elle se pose aussi en recours possible , en jouant de surcroît sur une opinion dont de vastes segments ne seraient pas hostiles à un scénario bonapartiste . Représentant la reconstruction , la résistance et la sécurité , ces trois forces expriment - parfois lourdement - des divergences découlant de leurs logiques intrinsèques , mais dont les expressions reflètent aussi les positions nuancées de leurs propres alliés et protecteurs respectifs au sein du leadership syrien , quant aux politiques à suivre au Liban ou envers le dossier régional . Les membres de ce leadership , en retour , jouent de ces différences , afin de mettre en avant telle ou telle option en fonction de l' état d' avancement du processus lui-même . La divergence la plus flagrante , la plus profonde aussi , est celle qui oppose Rafiq Hariri au Hezbollah . En la matière , tout ou presque a été dévoilé durant les deux semaines d' avril 1996 , lors de l' opération " Raisins de la colère " . Pour le Premier ministre dont la priorité absolue est son projet de reconstruction , la libération du Sud doit - autant que possible - être obtenue par la négociation . La résistance est en ce sens coûteuse , au sens propre du terme , surtout si elle devait mener Israël à exécuter sa menace de destruction des infrastructures , en riposte à sa vulnérabilité au Sud . D' autre part , c' est la véritable opposition entre deux " projets de société " qui sépare les deux forces , les valeurs sociétales véhiculées par le Hezbollah pouvant difficilement s' acclimater avec l' imagerie du Liban de demain incarnée par les technocrates d' une économie de services , extravertie et dépendante . En présentant sa bataille législative à l' été 1996 comme étant celle de la " modération contre l' extrémisme " , Rafiq Hariri pointait aussi bien cela du doigt . Aussi , il fait peu de doute que le modus vivendi entre la formation islamiste et Rafiq Hariri doive presque exclusivement à la pression syrienne . Entre Rafiq Hariri et l' armée libanaise , les crises ont été tout aussi fréquentes et pas toujours feutrées . Des promotions d' officiers - dont le numéro deux des renseignements militaires - bloquées par le Premier ministre , aux accusations directes lancées aux " services " pour leur immixtion dans plusieurs manifestations de la vie civile , en passant par les manoeuvres médiatiques et politiciennes visant à promouvoir l' image du commandant en chef de l' armée comme présidentiable hors-cadre donc hors-calibre , la liste des confrontations évitées mais ajournées est longue . Par deux fois , Rafiq Hariri ira jusqu'à sous-entendre que l' une des raisons essentielles de la crise économique est à rechercher dans le budget démesuré alloué aux forces armées et au traitement de la troupe . Effectivement , en absorbant une bonne partie des milices dissoutes , l' armée a vu ses effectifs s' hypertrophier depuis le début de la décennie . Mais à ce développement numérique correspond aussi un changement assez profond de structure , l' armée se présentant aujourd'hui comme un corps où les officiers sont en surnombre et où les avantages sociaux et matériels qui leur sont conférés sont en croissance constante . D' instrument militaire , l' armée est en passe de devenir un véritable corps social , doté de ses logiques propres et de ses revendications corporatistes . Par ailleurs , se greffent sur ces évolutions des lectures politico-communautaires de la troupe . Alors que , traditionnellement au Liban , l' armée était considérée comme l' un des outils privilégiés de l' hégémonie maronite , elle est aujourd'hui perçue comme le vecteur d' une ascendance chiite au sein des appareils de l' État . Plus profondément , c' est là encore deux quasi- " projets de société " qui s' affrontent et qui cherchent , chacun , à se placer d' ores et déjà comme l' acteur de réserve idéal en cas de règlement régional . En cas d' avancée des négociations , non seulement ces équilibres seront modifiés , mais la nature et l' action mêmes de chacun de ses acteurs ( pour deux d' entre eux du moins ) seront appelées à varier sensiblement . La déflation du conflit israélo-libanais poussera sans aucun doute vers une plus grande conversion du Hezbollah en force exclusivement politique et vers une plus grande intégration de cette dernière dans les rouages institutionnels . C' est en ce sens qu' une ligne de plus en plus affirmée au sein des cadres du parti prône , depuis un certain temps déjà , la " libanisation " , c' est-à-dire une plus grande distance à prendre par rapport aux impératifs stratégiques proprement iraniens , même si la filiation idéologique et spirituelle avec Téhéran n' est pas à remettre en question . La Syrie aura - encore plus qu' actuellement - un rôle essentiel à jouer dans ce processus , en faisant accepter à son allié local les logiques du règlement régional et en obtenant probablement pour lui , en compensation , des concessions substantielles à l' intérieur du système libanais . Dans le cas contraire , la conversion du Hezbollah pourrait s' avérer plus problématique . L' option du désarmement forcé du Hezbollah serait alors imposée à la Syrie ou encore à l' armée libanaise . Tant l' une que l' autre ont déjà eu des affrontements avec le Hezbollah : en 1987 , lorsque l' armée syrienne ne put entrer dans la banlieue sud qu' après un assaut qui fit 27 morts dans les rangs du Hezbollah ; et , en septembre 1993 , lorsque l' armée libanaise tira sur des manifestants du parti qui protestaient contre la signature des accords d' Oslo , faisant 13 morts dans leurs rangs . Si les ranc ? urs se sont depuis éteintes , elles pourraient être suscitées à nouveau . La reconversion pourrait d' autre part être freinée - ou compliquée - par la relance , de la part des États-Unis le plus probablement , de demandes judiciaires concernant des affaires passées de " terrorisme " et pouvant atteindre certains cadres aujourd'hui bien en vue du Hezbollah , dont des parlementaires . Cette dernière éventualité étant bien entendu sujette à l' état des relations libano-américaines et syro-américaines à ce moment là . Quant à la coexistence du Hezbollah avec le projet Hariri dans un système où ce dernier , toutes choses étant égales par ailleurs , sera une force probablement plus autonome , elle sera sans doute fonction de l' état des relations entre la Syrie , les États du Golfe - essentiellement l' Arabie Saoudite - et l' Iran . Il faut toutefois se figurer ce que pourrait devenir le Hezbollah comme force politique interne , si la carte de la résistance au Sud ne faisait plus partie de son arsenal discursif et mobilisateur . Dans ce sens , le parti a déjà entamé une diversification de ses thèmes d' action et de revendication , en se portant présent sur les fronts de la revendication sociale et des libertés publiques où il montre d' ailleurs une capacité notable à lier des alliances avec des forces très disparates sur l' échiquier politique libanais , jouant en cela d' une forte légitimité acquise sur le champ de bataille . Par ailleurs , une reconcentration du parti sur des thèmes politiques proches de ceux des autres mouvements islamistes de la région - avec lesquels le Hezbollah est d' ailleurs en relation - n' est pas à exclure ; elle a toutefois pour limite de faire alors réapparaître un clivage communautaire entre les deux grandes familles de l' Islam . Quant à l' armée , son rôle dans l' après-règlement continuerait d' être crucial . Aussi , au nom de la nécessité d' assumer l' engagement sécuritaire au Sud , elle plaidera probablement pour un accroissement de ses effectifs et de ses moyens , surtout si elle devait à la fois assurer le déploiement dans la partie méridionale et dans le reste du pays . C' est sur cette économie des forces armées que joue d' ailleurs l' argument de la nécessité d' un maintien des troupes syriennes au Liban après la paix . Le déploiement de forces étrangères de maintien de la paix dans le cadre des arrangements à prévoir serait en ce sens un moyen de sortir de cette logique . C' est du reste en se présentant comme la force concrète de substitution à l' armée syrienne que l' armée libanaise tente de promouvoir son image tant auprès des franges anti-syriennes de l' opinion qu' auprès - plus discrètement - des Etats-Unis dont elle a traditionnellement toujours été très proche . À cet égard , le travail de contrôle syrien à l' oeuvre au sein de l' armée depuis 1991 , et dont attestent le traité de défense commune et les sessions d' entraînement des officiers libanais en Syrie , est supposé constituer pour Damas la garantie que les forces armées libanaises ne seront pas entraînées , comme elles l' ont souvent été , dans des actions hostiles à la politique libanaise . C' est pourquoi il serait à craindre qu' en cas de divergences sérieuses entre la Syrie et les parties tierces , autour de la gestion du terrain libanais en situation de paix , l' armée ne soit l' objet de polarisations . À plus long terme , il serait cependant plus probable que la pacification de la région entraîne une diminution de l' importance de l' armée dans l' équation politique , même si elle devait conserver l' essentiel de ses acquis sociaux . À cet égard , il faut rappeler que ce débat est propre à l' ensemble des États de la région : la démobilisation entraînera -t-elle un recul d' influence des militaires dans la vie politique des sociétés concernées ou , au contraire , cette influence sera -t-elle appelée à s' affirmer , parfois sous l' encouragement des parrains de la paix , pour garantir les engagements pris ? Dans le cas du Liban , un facteur supplémentaire s' ajoute à cela . La coexistence entre l' armée et le projet Hariri , toujours en cas de pacification , pourrait se faire sur le mode " taiwanais " , c' est-à-dire celui de la nécessité d' assurer les investisseurs étrangers et leurs capitaux contre des risques de mécontentement social ... En cas de percée sur le volet syro-israélo-libanais des négociations et en cas de desserrement de l' emprise syrienne sur le Liban , la relève libanaise et la viabilité politique du pays dépendraient encore d' autres facteurs , largement internes . Les hypothèques à ce niveau sont nombreuses . En premier lieu , la grande fragmentation de la société libanaise , aggravée par quinze années de guerre , et dont l' histoire montre qu' elle est une source récurrente d' appel à l' ingérence extérieure dans les affaires du pays mais aussi de ses communautés . La classe politique libanaise reflète , amplifie et sans doute recrée les conditions de cette fragmentation ; elle y ajoute un égoïsme indépassable et une culture politique souvent étroite et " paroissiale " . En contrepartie , une contre-élite foncièrement différente - et à même de jouer des rôles de nature et d' envergure qualitativement autres - n' a pas émergé ou , du moins , n' est pas prête d' être structurée autour de projets lisibles et repérables . Pour une bonne part , elle est d' ailleurs le fait de personnalités de l' ancienne classe politique ou de ses héritiers , souvent marquée par des velléités revanchardes . Des personnalités politiques se détachent pourtant , et contribuent encore , par des positions courageuses et notables , à préserver un minimum d' immunité à la vie politique libanaise . Leur action reste toutefois individuelle et le moindre de leurs échecs n' est pas justement cette incapacité à fédérer des positions par ailleurs attendues par une large part de la société . Le poids de la tutelle et celui des blocages régionaux sont certainement à cet égard un facteur à prendre en compte . Il reste que la nécessité de recréer les circuits de recrutement et de mobilité d' une nouvelle élite politique , mais aussi administrative , est pressante si le Liban doit , dans un Proche-Orient pacifié , affronter des défis d' un tout autre ordre que ceux qu' il a connus jusqu'ici . Dans ce sens , l' un des atouts majeurs du projet Hariri est justement de pouvoir se présenter comme un vecteur politique de transversalité dans la société libanaise et comme porteur d' une modernisation - certes coûteuse et autoritaire . Reste que la culture politique suggérée tant par son discours que par certaines des mesures prises depuis cinq ans laissent entrevoir une distance certaine entre ce projet et des pratiques pleinement démocratiques . Quoi qu' il en soit , la principale limite du projet Hariri reste dans sa propre surévaluation . En accréditant - ou ne laissant se confirmer - la thèse de la " non-alternative " ( La badil ) à ce projet , le Liban court le risque - auquel il a jusque -là échappé - d' aligner son système politique sur celui de l' ensemble des États arabes de la région , dont la principale hypothèque sur l' avenir est justement , en raison du manque total d' alternance et de la non-circulation de leurs élites , leur difficulté à entrevoir avec sérénité la succession politique ou naturelle de leurs dirigeants . L' économique , entre déperditions et potentialités La perpétuation du statu quo actuel se paie d' ores et déjà en forte déperdition du potentiel économique libanais . Il est difficile de ne pas voir que l' essentiel du projet économique engagé après la guerre , et qui prendra une ampleur et une vitesse grandissantes à partir de 1992 avec l' arrivée directe au pouvoir de Rafiq Hariri , est basé sur l' hypothèse , faite alors , que la paix serait installée dans l' ensemble de la région quelque deux à trois ans plus tard . Au moment de son entrée en fonctions en octobre 1992 , le Premier ministre promettait aux Libanais des réalisations considérables pour le printemps suivant . La plupart des rapports rédigés au tout début des années 90 prévoyaient la réduction quasi totale du déficit public libanais dès 1994 - 1995 , un taux de croissance soutenu de 8 à 9 % à partir de ces mêmes années , le début du passage de l' investissement public en travaux d' infrastructure à des investissements plus productifs , etc. Il est facile de constater aujourd'hui le caractère plus qu' optimiste de ces projections et de ces promesses . Bien sûr , la réparation de l' infrastructure physique du pays a été largement entamée . Elle est toutefois encore insuffisante alors qu' une majeure partie des sommes qui lui étaient allouées ont été dépensées . Ces dépenses comprennent une large part de coûts et de frais non pris en compte au départ , et que l' on peut sans risque attribuer à la situation alarmante de l' administration , mais aussi et surtout aux blocages et nuisances politiques - locales et régionales - qu' il s' agit chaque fois de surmonter ou de contourner financièrement . Alors que le coût global de la reconstruction était censé se chiffrer à environ 20 milliards de dollars , la seule dette publique libanaise - interne et externe - atteint déjà 13 milliards de dollars . En cas de blocage durable des négociations , il faut s' attendre à la perpétuation de la morosité économique , à la dégradation de l' état des finances publiques , à l' accroissement de la dette - ou au moins de son service - sans décollage réel de l' activité productive . Les taux d' intérêt élevés , outils d' une politique monétaire restrictive destinée avant tout à la défense de la stabilité de la monnaie nationale , découragent une bonne partie des investissements productifs au plan local , réduisent le niveau de la consommation et gonflent artificiellement la bulle spéculative foncière . Les investisseurs étrangers , lorsqu' ils s' installent au Liban , le font en " stand-by " , par le biais de petites structures , mobiles et peu coûteuses , dans une logique de prise d' options au cas où les choses se débloqueraient dans la région . Quant aux capitaux libanais à l' étranger , estimés à plus de 30 milliards de dollars , et sur lesquels beaucoup d' espoirs se fondent , il s' agit d' abord de voir quel est leur degré de mobilité , quel est encore leur degré de " libanité " et , enfin , quelles sont les conditions politiques que leurs détenteurs attendent pour les diriger vers leur pays d' origine . Dans le même temps , les pesanteurs et blocages politiques rendront pratiquement impossibles et vaines les tentatives de réforme administrative - si elles ont lieu . Ainsi , la corruption qui grève les finances publiques est appelée à perdurer . Un déficit accru par le fait que la situation sociale devenant de plus en plus critique , il sera difficile à l' ensemble de la classe politique de priver le corps social des fonctionnaires de la prébende que constituent pour eux l' emploi public et ses avantages en nature . Ces considérations macroéconomiques se traduisent douloureusement sur le niveau de vie des Libanais . Si la classe moyenne à l' assise autrefois large n' en finit pas de s' étioler depuis le début de la guerre , l' après-guerre a vu se développer une nouvelle pauvreté aux proportions objectivement alarmantes . C' est dire que le blocage persistant de la situation régionale aura donc pour effet d' entamer sérieusement la crédibilité et l' image - au départ très avantageuses - de Rafiq Hariri comme opérateur économique et comme homme miracle de la convalescence libanaise d' après-guerre . Si cette situation s' envenimait , ses effets pourraient même s' avérer politiquement dangereux et devenir , par contrecoup , des facteurs de crise économique syrienne , ne serait -ce que par le biais du marché de l' emploi que le chantier libanais offre au surplus de main-d'oeuvre syrienne . Ce n' est d' ailleurs là pas la moindre des fonctions syriennes du projet Hariri , à savoir celui de générateur de prospérité pour la Syrie . En dépit de tous ces signaux négatifs , l' économie libanaise garde quand même de grandes ressources de viabilité si le blocage régional était levé . Certes , comme tous les autres États de la région , le Liban aura à vivre des adaptations difficiles et parfois douloureuses , la nouvelle division régionale du travail imposant sacrifices et contraintes de type nouveau . Il est d' ores et déjà probable que le Proche-Orient économique dans l' après-paix se dessinera autour de deux ensembles plus ou moins intégrés , dont les relations seront sujettes aux considérations politiques , mais aussi à celles de l' avantage comparatif . Si la première de ces zones regroupe les " trois " - Palestine , Jordanie et Israël - , une zone " à deux " devra lui faire contrepartie , regroupant la Syrie et le Liban . Dans ce sens , les dynamiques à l' oeuvre dès maintenant dans le couple syro-libanais sont essentielles et constituent autant de chances que de pesanteurs . Si la perception actuellement dominante est celle du modèle Chine / Hong-Kong , et s' il est vrai qu' à maints égards , le Liban remplit pour la Syrie la fonction d' un espace économique compensatoire , il n' en demeure pas moins que le fonctionnement optimal de cet ensemble pour le bénéfice des deux parties comporte ses conditions . Il appartiendra donc au pouvoir libanais de rééquilibrer la mise en oeuvre des traités économiques entre le Liban et la Syrie , en faisant jouer pleinement la règle des avantages comparatifs , en réduisant les protectionnismes appuyés sur les rapports de force inégaux entre les deux pays et en s' éloignant - le plus tôt serait le mieux - de pratiques plus proches de la prédation économique que la Syrie exerce sur certains secteurs libanais . À ce niveau , le problème de la main-d'oeuvre syrienne , dont les estimations les plus prudentes chiffrent la ponction à un minimum de 1 milliard de dollars par an , se pose en termes particulièrement complexes , tant il mêle les considérations économiques à d' autres , plus psychosociologiques , engageant des représentations dangereusement négatives de l' autre . Par ailleurs , le Liban peut être envisagé par la Syrie aussi comme un espace de spécialisation par procuration . Certains faits signalent déjà que plusieurs entreprises libanaises servent dès aujourd'hui d' école à des cadres syriens formés pour la plupart à l' étranger . Au sens plus large , d' ailleurs , l' entrée dans le marché libanais de la reconstruction d' un certain nombre d' entrepreneurs syriens contribue à l' acquisition par ces derniers de réflexes propres à une économie de marché ouverte et plus compétitive . Les conditions économiques de la paix imposeront au Liban une double adaptation : avec l' économie syrienne , mais aussi avec celle d' Israël . Dans ce sens , plusieurs secteurs devront être sacrifiés , d' autres développés plus encore et mieux dans une perspective de spécialisation et d' excellence ( banque , hospitalisation , système éducatif , informatique et télécommunication ... ) . À plus long terme , et si les blocages étaient véritablement levés , la possibilité que le Liban serve d' espace intermédiaire entre le marché israélien et les marchés arabes - et plus spécifiquement syrien - ne peut pas être exclue . De pareilles perspectives ne manqueront pas , cependant , de placer les entrepreneurs libanais dans des situations de tension , difficiles à tenir si les échanges commerciaux continuaient d' être idéologisés dans une logique de refus de normalisation totale même après la paix . Relever ces défis nécessite dès maintenant que le Liban s' engage sur la voie de certaines corrections et réformes de son environnement économique et social . Les conditions du miracle économique des années 50 , 60 et 70 ont drastiquement changé et la guerre n' y est certainement pas pour peu . À titre d' exemple uniquement , l' économie libanaise devra progressivement accommoder un nombre croissant de nouveaux venus sur son marché du travail , en raison d' une pyramide des âges en rajeunissement constant depuis un certain temps . Le système éducatif et de formation professionnelle devra retrouver son rôle central de qualification . C' est de lui , ainsi que d' un système fiscal plus juste , que dépend la recréation d' une classe moyenne importante . Une grande partie des entreprises devront moderniser leurs structures organisationnelles et consolider leur capitalisation ; à l' ère de la compétition régionale et de la mondialisation , il y a peu de place pour des entreprises essentiellement familiales et parfois sous-capitalisées . L' avantage comparatif du Liban en termes de tourisme ne pourra être exploité si des actions résolument volontaires n' étaient entreprises pour arrêter la dégradation catastrophique de son environnement naturel ... Le Liban et l' intégration régionale L' économie libanaise dans un Proche-Orient en voie de pacification , voire même le couple économique syro-libanais dans un tel environnement , sera aussi largement dépendant de ce que les négociations multilatérales dessineront comme cadres et comme contraintes . Concernant le Liban , cela est vrai pour deux domaines au moins : celui de l' eau et celui des réfugiés . Si la position officielle israélienne , maintes fois réitérée , est de n' avoir aucune visée territoriale sur le Liban , cela ne saurait exclure que des arrangements concernant l' eau libanaise ne soit mis sur la table des négociations . À tort ou à raison , le Liban est présenté comme un pays excédentaire en eau , dans une région où sa rareté fait loi . À cet égard , Israël pourrait invoquer le précédent du traité libano-syrien de partage des eaux de l' Oronte , où le Liban s' est montré légèrement généreux , pour exiger à son tour , et sur d' autres cours d' eau , le droit à l' utilisation de certaines quantités . Pareil point renvoie à la question plus globale des négociations multilatérales et à ce qui y attend le Liban . Pour politiquement défendable que soit la position libanaise de boycott des négociations multilatérales , celle -ci aura eu jusque -là , et aura davantage encore à l' avenir , un prix plus élevé pour le Liban que pour le partenaire syrien , dans la mesure où le Liban est concerné de façon vitale par le dossier des réfugiés où se joue le sort des quelque 300 000 Palestiniens stationnés sur son sol . S' il peut continuer à s' en tenir à une stricte rhétorique juridique en la matière , le Liban ne pourra pas longtemps ignorer qu' en cas de paix , ce genre de question sera plutôt réglée selon des modes de transnationalité , modes qui revisiteront sans doute largement les principes traditionnels du droit international public au profit de mécanismes juridiques plus souples et plus inventifs aujourd'hui envisagés sans lui . Si l' absence aux négociations multilatérales a ses raisons , un palliatif momentané serait , pour le Liban , d' être aussi présent que possible au sein d' autres forums - multilatéraux mais moins chargés diplomatiquement et politiquement . Outre que le Liban , s' il y était traité comme acteur autonome réaffirmerait ainsi son identité diplomatique , il y gagnerait aussi par le fait que ses représentants prendraient là le pouls de ce qui se prépare pour lui et pour la région dans différents domaines . À cet égard , on peut légitimement s' inquiéter de l' état d' " impréparation " du négociateur libanais en ce qui a trait à certains dossiers techniquement pointus . Sur des questions cruciales comme celle de l' eau , des réfugiés palestiniens , de l' intégration économique ou des futurs systèmes de sécurité collective , le consensus national est loin d' être formé , l' accumulation de connaissances et d' expertises est embryonnaire , la mise à contribution des spécialistes est au mieux informelle et dispersée , quand elle n' est pas simplement écartée pour des raisons de conformité politique . Le temps mort depuis l' arrêt des négociations libano-israéliennes aurait pu être mis à profit pour avancer sur la maîtrise de ces dossiers . Dans ce sens , en se montrant aussi craintif et réticent à l' encontre de toute présence d' experts libanais dans des cénacles internationaux portant sur ces sujets , Beyrouth se prive d' opportunités sérieuses de construction de capacités négociatrices futures . Conclusion : l' avenir du couple syro-libanais Si , selon certaines analyses , la Syrie peut - ou préfère - s' accommoder de l' état de " ni paix , ni guerre " , le Liban , lui , a clairement intérêt à un déblocage et à une issue rapides des négociations . Là n' est pas la moindre de ses différences avec la Syrie . Le Liban joue aujourd'hui sa viabilité dans une course contre la montre et chaque jour passé dans la situation actuelle se paie cher : en vies humaines au Sud , en déliquescence politique à l' intérieur , en marasme économique , en ponction de plus en plus lourde opérée par son protecteur sur ses ressources , en désenchantement tous les jours plus profond que vivent ses citoyens . Est -ce à dire que c' est dans la paix que réside la seule clef de l' entier recouvrement du Liban ? La relation syro-libanaise dans sa forme actuelle est sans doute appelée à se prolonger pour un temps encore . Il s' agit là d' un processus tissé sur le long terme , dont les configurations sont fluides et à même d' accommoder les pressions exogènes . La Syrie a créé au Liban des facteurs de contrôle durable , dont le moindre n' est pas sa maîtrise du complexe que constituent l' élite politique et une partie importante des forces sociales effectives . Le Document d' entente nationale mettant fin à la guerre devait être compris , au départ , comme un arrangement intérimaire , adaptable et améliorable , une plateforme offrant des perspectives ouvertes sur des relations syro-libanaises plus mutuellement bénéfiques et sur des équilibres internes plus novateurs . Toutefois , la conjoncture régionale et internationale des premières années de la décennie 90 , ainsi que les rapports de force interarabes et intra-libanais , avaient alors laissé le champ libre à une lecture unilatérale - et fermée - par la Syrie du sens de l' accord de Taëf et avaient ainsi gravement dévoyé la relation syro-libanaise . L' impact simple et direct d' une percée réelle du processus de paix sur cette relation reste donc limité , contrairement à ce qu' un " wishfull thinking " largement répandu chez les Libanais laisserait croire . Quand bien même un tel processus entraînerait le retrait , le redéploiement ou l' allégement des effectifs militaires syriens au Liban , d' autres types de contrôle pourraient aisément s' y substituer ou en prendre le relais . Dans ce sens , si le retrait militaire syrien est nécessaire , il n' est en aucune façon suffisant . Un véritable rééquilibrage des relations syro-libanaises reposera largement sur la capacité qu' auront - à partir des données du Liban actuel - de nouvelles forces sociales et politiques à mettre à profit les marges offertes par la nouvelle donne régionale , par la vitalité économique du pays , et par leur formulation commune d' un projet de vie politique - où les Libanais seront réconciliés autant avec eux-mêmes qu' avec leur environnement , pour réaffirmer une véritable souveraineté libanaise . Celle -ci ne devra , en aucun cas , se reconstruire contre la Syrie ou sur le ressentiment aveugle envers elle . De telles tendances existent . En effet , malgré le côté incantatoire des déclarations officielles libanaises sur la fraternité qui caractérise désormais les relations entre les deux pays , malgré le slogan du président Assad lui-même selon lequel Libanais et Syriens sont " un seul peuple dans deux États " , l' aspect idyllique d' une telle relation est démenti par les détails du vécu quotidien . Les échauffourées sanglantes de la Cité sportive , qui ont opposé au mois de juin 1997 les supporters des équipes syrienne et libanaise de football , ne sont qu' un spécimen des ranc ? urs accumulées entre les deux sociétés , où se mêlent l' économique et le social à l' identitaire et au patriotique . Aussi , l' avenir d' une réelle coopération syro-libanaise qu' exige un Proche-Orient en paix passe , en grande partie , par un travail de réajustement des perceptions croisées de ces deux sociétés . D' une part , la Syrie a été véritablement intériorisée par la représentation collective libanaise comme le démiurge et le régulateur des crises , comme la partie prenante et l' arbitre , omnisciente , omnipotente et omniprésente . De l' autre côté , on oublie parfois que le Liban a fini par devenir partie intégrante du système syrien lui-même . Le régime du Mouvement rectificatif du président Assad vit avec le Liban - et avec sa crise - sans interruption aucune depuis au moins 1976 . Une grande partie de son édifice politique et militaire s' est structuré au Liban , s' est même parfois structuré par le Liban . Il est vrai que des pratiques uniformisées de part et d' autre de la frontière ont peut-être progressivement lissé les deux espaces ; mais elles ont aussi exacerbé les plus petites différences . C' est justement entre ces deux extrêmes , celui de la fusion et celui du rejet , que le Liban et la Syrie - seuls mais ensemble - devront réapprendre à vivre . |