_: Politique étrangère 4 / 2001 Les États-Unis à l' épreuve de la vulnérabilité Jacques BELTRAN Guillaume PARMENTIER Jacques BELTRAN et Guillaume PARMENTIER Au-delà du traumatisme psychologique , les attentats du 11 septembre auront des conséquences profondes , à la fois sur la société américaine et sur la politique étrangère des États-Unis . Sur le plan interne , ce sont bien les valeurs du contrat social américain qui pourraient être affectées pour parer à la menace terroriste , qu' il s' agisse de la liberté de circulation ou des échanges . Sur le plan extérieur , on peut se demander si le multilatéralisme affiché par l' Administration Bush depuis les événements restera une constante de sa politique étrangère , ou si l' unilatéralisme fera son retour une fois que les nécessités de la riposte coalisée au terrorisme cesseront de se faire sentir . En matière de défense antimissile , il est probable que la fin du mythe de l' invulnérabilité américaine et le souhait d' adopter une posture de défense renforcée accélèrent ce programme . Quant aux relations transatlantiques , elles pourraient être affectées par une plus grande dévolution de responsabilités aux Européens en matière de sécurité sur le Vieux continent , ainsi que par le rôle joué par la Russie dans cette crise . Il est délicat de prétendre tirer des conclusions solides d' un événement aussi traumatisant que les attaques du 11 septembre contre le World Trade Center et le Pentagone . Les effets aux Etats-Unis en seront largement psychologiques , et beaucoup dépendra des circonstances qui suivront : poursuite de la terreur , réactions des dirigeants et du peuple américains , perception chez les Américains d' un soutien ou d' une indifférence internationaux . Les réflexions qui suivront doivent donc être interprétées comme provisoires et sujettes à révision , l' objectif de cet article étant avant tout de cerner les facteurs à l' oeuvre et les évolutions possibles . L' analogie reprise par de nombreux observateurs entre les attentats du 11 septembre et l' attaque japonaise sur Pearl Harbor ne tient pas aux situations politique et stratégique mais au choc psychologique ressenti par la population américaine . La conséquence première et fondamentale de ces attentats qui ont provoqué la mort de milliers de civils sur le sol américain est bien d' avoir fait disparaître le mythe , largement partagé jusque -là aux États-Unis , de l' invulnérabilité . Même pour l' opinion publique américaine , l' Amérique n' est plus un sanctuaire . Ce n' est certes pas la première fois que les États-Unis sont frappés par des attaques terroristes . À maints égards , les années 1990 ont été celles de la découverte du phénomène terroriste , interne - dans les cas des attentats d' Oklahoma City et des Jeux olympiques d' Atlanta - mais aussi international : attaque au camion piégé contre le World Trade Center en 1993 ( déjà attribuée à Ben Laden ) , contre la base américaine de Dharan en Arabie Saoudite en 1996 , contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie en 1998 et contre la frégate USS Cole au Yémen en 2000 . Pourtant , les attaques du 11 septembre et la psychose entretenue par les découvertes d' enveloppes contenant du bacille du charbon donnent le sentiment qu' un cap a été franchi . Par le nombre très élevé de victimes , tout d' abord , qui rend dérisoire le qualificatif d' attentat et incite à évoquer un acte de guerre , même si l' absence d' ennemi identifié ne rend pas ce terme vraiment satisfaisant . Par la nature des cibles , ensuite , symboles de la puissance militaire et économique des États-Unis , qui donnent la mesure des intentions et de l' idéologie destructrice qui animent les terroristes . Par le mode opératoire choisi , enfin , qui accentue ce sentiment de grande vulnérabilité : en détournant des avions de ligne intérieure ou - s' il s' avère que les coupables sont les mêmes - en utilisant le système postal comme vecteur de leurs attaques bactériologiques , les terroristes ont détourné l' utilisation des fondements de la société américaine que sont la libre circulation , les échanges et la communication . Au-delà du nombre effroyable de victimes , la peur suscitée outre-Atlantique vient bien de ce que les terroristes ont infiltré la nature même de la société américaine . Pour les Américains désormais , se protéger contre les terroristes suppose sinon de lutter contre eux-mêmes , du moins de se méfier de leur propre mode de vie . Le point demeure encore ouvert de savoir , par exemple , si la loi antiterroriste signée par le président Bush le 26 octobre 2001 ( après une approbation ultra rapide de la part des deux Chambres ) représente un tournant décisif en matière de libertés publiques . En accroissant la capacité de l' État fédéral à intercepter les communications téléphoniques et électroniques , et en autorisant la détention des " non-citoyens " , c' est-à-dire de ceux qui ne sont pas détenteurs de la nationalité américaine , cette loi va à l' encontre d' un mouvement de libéralisation entamé au cours des années 1960 , et qui n' avait guère encore connu de recul . L' arrestation et la détention , sans accès à des avocats , de quelque mille résidents arabes posent également question . Il est encore trop tôt pour dire quelle sera exactement , à long terme , la réaction des États-Unis , et quelles en seront toutes les conséquences , en particulier parce que de nombreuses inconnues subsistent encore et que les événements à venir pourraient influer considérable-ment sur l' état d' esprit de la population américaine et de ses dirigeants . On ignore , par exemple , quelles seraient les conséquences d' une deuxième vague d' attentats . À coup sûr , la très forte tension ressentie aujourd'hui dans les villes se transformerait en réelle psychose . Mais quelles en seraient les conséquences politiques , économiques , psychologiques , tant au plan interne qu' international ? De même , on ignore si l' opinion publique restera toujours favorable à l' engagement américain en Afghanistan . Si le concept du " zéro mort " semble avoir vécu outre-Atlantique et si , d' après de récents sondages , l' opinion publique semble prête à supporter le coût d' une longue campagne , encore faudra -t-il qu' elle reste convaincue de l' adéquation entre les moyens mis en oeuvre et l' objectif poursuivi , à savoir la destruction des réseaux terroristes , entreprise longue et incertaine . Si de nouveaux attentats sont perpétrés aux États-Unis et que , par ailleurs , les forces américaines s' enlisent en Afghanistan ou subissent des pertes importantes , il faudra s' attendre à ce qu' un nombre croissant d' Américains remette en cause l' opportunité d' une guerre lointaine , à l' heure où les terroristes agissent sur le territoire national . Si , traditionnellement , la capacité des opinions publiques à supporter les coûts d' une opération militaire est liée à la conviction de mener une guerre " juste " , elle est également fonction de la lisibilité du conflit et de la conviction de mener une guerre " efficace " . Enfin , au plan politique interne , on peut s' interroger sur la pérennité de l' union sacrée qui réunit démocrates , républicains et indépendants depuis le discours du président Bush devant le Congrès , le 20 septembre . Si l' on a encore en mémoire l' image des représentants et sénateurs américains applaudissant debout leur président , tous partis confondus , à l' issue d' un discours qualifié à maintes reprises et sans surprise d' " historique " , il convient aussi de signaler les tensions qui sont apparues peu de temps après entre démocrates et républicains quant au bien-fondé et au montant du plan de relance de l' économie américaine annoncé par la Maison Blanche et même quant à la fédéralisation des contrôles de sécurité dans les aéroports . Le président va -t-il toujours bénéficier des pleins pouvoirs qui lui ont été de facto accordés le 11 septembre ? Ou faut -il s' attendre à ce que le jeu des partis reprenne son cours , en particulier à l' approche des élections de mi-mandat , avec - rappelons -le - l' enjeu d' un possible basculement de l' ensemble du Congrès sous majorité démocrate ? Autant de questions dont les réponses sont encore inconnues et qui dépendront dans une large mesure de facteurs exogènes . On ne peut donc que se contenter , à ce stade , d' émettre des hypothèses et tenter d' entrevoir l' impact que cette découverte de la vulnérabilité pourrait avoir , non seulement sur la société américaine , mais également - par voie de conséquence - sur la perception que les États-Unis auront de leur relation avec le reste du monde . Il se peut en effet qu' au-delà de la riposte militaire , les attentats du 11 septembre aient provoqué une réaction en chaîne qui , de l' impact psychologique interne aux conséquences sur la politique étrangère américaine , pourrait peser lourd sur l' évolution du système international de l' après-guerre froide , y compris sur la nature de la relation transatlantique . De la vulnérabilité à la peur de l' étranger Le sentiment d' invulnérabilité du peuple américain n' était évidemment pas total , même avant le 11 septembre . Les sondages du Chicago Council on Foreign Relations , dont John Rielly a régulièrement commenté les résultats dans Politique étrangère , montrent que les Américains craignaient dans une certaine mesure les conséquences du terrorisme sur leur sécurité . L' expérience de la tentative de renforcement de la sécurité aérienne , menée par l' Administration Clinton d' août 1996 à février 1997 , montre cependant que cette crainte était demeurée diffuse . La White House Commission on Aviation Safety and Security , présidée par le vice-président Al Gore , avait en effet conclu à la nécessité de renforcer de façon significative les conditions de contrôle à bord des avions . Devant la perspective d' une moindre rotation de ceux -ci , qui aurait réduit leur rentabilité , les compagnies aériennes , et leurs relais au Congrès , avaient résisté à cette tentative . Le compromis auquel sont parvenues les autorités américaines fut significatif d' un état d' esprit trop optimiste quant à la capacité des États-Unis à demeurer invulnérables . Les nouvelles consignes de sécurité ont en effet été appliquées aux vols en provenance ou à destination de l' étranger , mais les vols intérieurs en ont été exemptés . Or , les quatre avions détournés le 11 septembre assuraient précisément des vols intérieurs . Une confiance sociale excessive dans une ligne de démarcation entre God's own country et un étranger plus dangereux a ainsi facilité la tâche des terroristes . En bonne logique , les événements du 11 septembre devraient réduire cette césure mentale , contribuant à persuader les Américains que leur sort est inséparable de celui du reste du monde . La délicate tâche des responsables politiques consistera à traduire ce point de vue général en résistance aux groupes de pression organisés qui souhaitent soustraire le territoire américain à certaines mesures restrictives . Un tel conflit pourra se manifester à l' avenir aussi bien en matière de libertés publiques qu' en matière de port d' armes , par exemple . En effet , cette découverte de la vulnérabilité pourrait bien alimenter un sentiment de " peur de l' étranger " qui dépasserait la traditionnelle méfiance à l' égard des foreign entanglements et pourrait se traduire , à terme , non seulement par une réticence à l' égard d' une implication des États-Unis dans les crises extérieures , mais également par un réflexe de fermeture et de repli sur soi de la société américaine . Certes , l' effet immédiat du 11 septembre a été d' ouvrir les yeux de tous les Américains sur le rôle que le reste du monde pourrait avoir sur le sort de la nation américaine , mais la réalité reprendra ses droits . Rapidement , la tendance des médias à ne se consacrer pour l' essentiel qu' aux affaires locales surgira de nouveau . L' attention à l' étranger se relâchera , comme ce fut le cas pendant les conflits précédents auxquels ont participé le pays . Surtout , dans ce contexte , si l' opinion , les groupes de pression et le secteur politique américains sont déçus par les résultats de l' opération , le risque d' une résurgence d' une méfiance générale à l' égard de tout ce qui provient de l' étranger se manifestera , et peut-être avec plus de force encore que par le passé . La mise entre parenthèses temporaire des intérêts minoritaires dans la définition de la politique étrangère L' une des caractéristiques essentielles du système politique américain , et en particulier du processus d' élaboration de la politique étrangère , est que cette politique internationale est - dans une large mesure - le fruit de considérations internes . Le rôle du Congrès et le poids des lobbies ( économiques et ethniques , en particulier ) font que la politique internationale de la première puissance mondiale est souvent prise en otage par des groupes d' intérêts puissants , organisés et disposant de moyens financiers considérables leur permettant de peser sur le jeu électoral , et donc sur les choix effectués par les élus . Or , les attentats du 11 septembre pourraient avoir comme conséquence d' inverser pendant au moins un temps l' ordre des priorités : les groupes d' intérêts continueront certes à exercer des pressions pour faire valoir les projets qu' ils défendent , mais ceux -ci seront largement contrebalancés ou renforcés , selon les cas , par les impératifs de sécurité nationale et de la lutte contre le terrorisme . Ainsi , l' importance des enjeux internationaux actuels rendrait la politique étrangère des États-Unis moins sensible aux intérêts minoritaires , précisément parce que - de manière indiscutable - l' intérêt national est en jeu . Il ne faut dès lors pas s' étonner de voir les États-Unis revenir de manière spectaculaire sur des programmes de coopération internationale qu' ils avaient jusqu'à présent rejetés , au motif qu' ils mettaient en cause la souveraineté et les intérêts américains . Le programme de l' OCDE de lutte contre le blanchiment d' argent et les paradis fiscaux - dont les États-Unis s' étaient désengagés juste avant les attentats sous la pression du lobby bancaire soucieux d' éviter aux banques américaines des réglementations et des procédures imposées de l' extérieur - a ainsi été relancé par Washington . On peut aussi s' attendre , selon le même schéma , à ce que les Américains manifestent un intérêt nouveau pour l' accord sur le contrôle des armes à petit calibre , rejeté il y a quelques mois à peine par le Congrès sous la pression de la puissante National Rifle Association . Pour autant , il ne faut pas se dissimuler que l' évolution inverse est également possible . Si la campagne actuelle en Afghanistan ne parvient pas à obtenir des résultats probants dans un délai raisonnable , on pourrait assister à terme à un choc en retour tendant à raviver la méfiance intuitive du peuple américain envers l' étranger . Les arsenaux en circulation restent , eux , dopés pour un temps indéfini par la liquidation des armées de l' Est européen , et ils comptent de plus en plus de matériels à haute capacité de nuisance , aisément opérables . Ceci ne mènerait pas à un quelconque " nouvel isolationnisme " , au demeurant parfaitement irréalisable , mais pourrait avoir pour effet de renforcer encore le poids des déterminants internes dans les décisions des États-Unis en matière internationale , de limiter encore davantage la marge de manoeuvre de l' exécutif face au Congrès et , ce faisant , de renforcer le rôle des groupes de pression . La partie qui se joue avec la campagne actuelle est donc d' une importance capitale pour l' engagement américain futur dans les affaires internationales . À ce titre , elle peut conditionner l' avenir du système international dans son ensemble . Une nouvelle posture de défense ? La lutte contre le terrorisme est devenue l' enjeu numéro un du mandat de George W. Bush , et l' on peut s' attendre , au moins à court terme , à ce que la plupart des choix de politique intérieure et internationale soient examinés à l' aune de cet objectif . Ceci devrait avoir des conséquences sur la posture de défense des États-Unis . La première conséquence pourrait être précisément un renforcement de cette posture de défense , au détriment des stratégies de projection de forces . En d' autres termes , la puissance militaire des États-Unis verrait ses missions recentrées sur la défense du territoire américain et de ses bases et intérêts à l' étranger , au détriment d' une utilisation de ces forces à des fins d' intervention extérieure . Par ailleurs , la tendance ne devrait pas être celle d' un abandon des systèmes de défense reposant avant tout sur la technologie , mais au contraire d' un renforcement de ces systèmes en même temps qu' un développement du facteur humain . En d' autres termes , tout ce qui servira la défense du pays sera considéré comme indispensable . Ainsi , contrairement à ce que l' on pourrait légitimement conclure à la suite des attentats , les attaques terroristes du 11 septembre qui - loin d' être menées à l' aide de missiles intercontinentaux- ont été perpétrées par détournement de moyens civils , n' ont pas rendu caduc le programme de défense antimissile mais pourraient bien avoir renforcé sa légitimité . Loin d' être perçue comme un contre-exemple de l' utilité d' un tel système , la défense antimissile pourrait sortir renforcée de cette crise , ses partisans insistant précisément sur le risque qu' un groupe de terroristes mette la main sur des missiles et les lance contre le territoire américain . C' est ainsi que , quelques jours seulement après les attentats , les sénateurs démocrates ont décidé de lever leurs objections au niveau de dépense portant sur la défense antimissile proposé par l' Administration pour 2002 . Depuis le 11 septembre , l' argument des Européens selon lequel les Américains auraient une fâcheuse tendance à surestimer la menace , à des fins de développement industriel , est de plus en plus difficile à avancer . Ces attentats ont ainsi fourni une caution morale à tout programme militaire ou civil visant à accroître la protection du territoire et des intérêts des États-Unis dans le monde . La seconde conséquence , découlant directement de la première , pourrait être une augmentation sensible du budget de défense américain . En dépit du fait que les États-Unis dépensent déjà 320 milliards de dollars par an pour leur défense , soit davantage que les neuf pays les plus dépensiers en matière militaire après eux , on peut s' attendre à ce que les responsables américains se montrent favorables à de nouvelles augmentations . Les chiffres oscillent à l' heure actuelle entre 20 et 40 milliards de dollars d' augmentation dans le prochain budget . Par ordre de comparaison , le budget militaire annuel de la France est de moins de 30 milliards de dollars . Une telle attitude ne sera d' ailleurs pas sans poser certains problèmes de fond . En premier lieu se pose naturellement la question des moyens . Il est clair qu' une posture de défense renforcée coûte cher et qu' à l' heure où les États-Unis connaissent un ralentissement de leur croissance et que l' Administration Bush a décidé d' une réduction importante des impôts , on peut légitimement mettre en doute la capacité des États-Unis à assumer un tel choix . Du moins , des choix budgétaires délicats seront -ils exigés au détriment d' autres secteurs , comme ceux de l' éducation et de la santé . Le deuxième problème est celui de la hiérarchisation des priorités . À force de dépenser sans discrimination , les États-Unis risquent précisément de se priver d' une réelle politique de défense , c' est-à-dire d' une stratégie qui - après avoir hiérarchisé les menaces - développe les moyens d' y faire face , en fonction des besoins relatifs . Une politique de défense tous azimuts court paradoxalement le risque de ne pas voir venir la menace . Un multilatéralisme de circonstance Certains observateurs ont cru voir dans les premières déclarations et décisions de l' Administration Bush au lendemain des attentats un changement de comportement important . En tentant de constituer une coalition la plus large possible , les États-Unis ont pu donner le sentiment de rompre avec l' unilatéralisme initial de cette Administration . Washington a ainsi fait appel à ses alliés - en particulier européens - en leur demandant un soutien sans faille pour mener à bien une riposte à laquelle ils ne manqueraient pas d' être associés . Cette volonté de constituer une coalition internationale a ensuite été étendue à l' ensemble des pays du monde par le biais de l' ONU , en demandant au Conseil de sécurité de voter une résolution condamnant les attentats et légitimant une riposte militaire . Cette démarche a heureusement surpris ceux qui craignaient de voir l' ONU mise de côté , comme ce fut le cas lors de la campagne aérienne du Kosovo , et a pu donner le sentiment que les États-Unis avaient renoncé - dans cette crise tout du moins - à l' action unilatérale . La nature de la menace à laquelle l' unique superpuissance est confrontée rend de facto indispensable une coopération internationale et force donc les États-Unis à agir en concertation avec leurs principaux alliés . Faut -il pour autant considérer ces gestes comme des signes d' un multilatéralisme retrouvé ? Rien n' est moins sûr et il convient sans doute d' être très prudent en la matière . Si l' on admet en effet que les États-Unis - à la suite de ces attentats - vont mettre en oeuvre une politique visant essentiellement à éviter que de telles attaques ne se produisent à nouveau , on peut s' attendre à ce que ce multilatéralisme apparent ne soit que de circonstance et ne masque en réalité une politique de défense de l' intérêt national primant sur toutes les autres considérations . Ainsi , les États-Unis ne feraient aujourd'hui appel à une coalition que dans la mesure où celle -ci a un effet rassurant et qu' elle est utile pour tenter d' adoucir les conséquences internationales de leur riposte militaire . Mais , comme cela a déjà été signalé précédemment , on peut tout aussi bien s' attendre à ce que ce multilatéralisme soit dénoncé par les responsables américains dès lors qu' il serait perçu comme un obstacle à la défense d' un intérêt supérieur . Les États-Unis seront d' autant plus incités à ne compter que sur eux-mêmes qu' ils auront placé la lutte antiterroriste au premier rang de leurs priorités . Et , dans cette perspective , l' adage multilateralist if possible , unilateralist when necessary devrait être particulièrement d' actualité . Au-delà de la riposte militaire : les conséquences diplomatiques La riposte militaire en cours n' est d' ailleurs qu' une étape dans la réaction des États-Unis aux attentats qui ont endeuillé la première puissance mondiale . Le président américain l' a fait savoir de manière très claire en comparant cette lutte antiterroriste de longue haleine à l' affrontement bipolaire de la guerre froide , qui avait exigé la mise en oeuvre de moyens très variés , allant de la puissance militaire à l' influence culturelle , en passant par l' action diplomatique et les moyens économiques . Les Européens ne peuvent que se réjouir de cette attitude patiente qui exclut a priori toute réplique militaire massive et entend privilégier l' action de long terme . Mais ils auraient tort de croire que cette riposte américaine se fera " toutes choses égales par ailleurs " . Les attentats du 11 septembre pourraient , au-delà de l' action militaire en cours et des mesures politiques et économiques adoptées , avoir des conséquences majeures sur l' ensemble du système international , par le biais des inflexions qu' elles pourraient produire dans l' attitude internationale des États-Unis . L' asymétrie du système international actuel fait que toute modification de la posture internationale de l' unique superpuissance aura nécessairement des répercussions sur l' ensemble des relations interétatiques . Il faut en particulier s' attendre à ce que les États-Unis redéfinissent leur stratégie à l' égard d' un certain nombre de pays . En proclamant que tous les pays du monde doivent décider s' ils sont avec les États-Unis ou avec les terroristes , le président Bush a volontairement restreint l' alternative , montrant bien que les coalitions n' auront d' intérêt pour les Américains que si les autres membres sont en accord avec la stratégie élaborée par Washington . Mais cette déclaration aura surtout pour effet de rendre les ambiguïtés stratégiques de moins en moins tenables . Ainsi , par effet presque mécanique , les attentats du 11 septembre ont provoqué des rapprochements spectaculaires entre les États-Unis et certains pays comme la Russie , l' Inde et dans une moindre mesure la Chine . D' autres , comme la Libye ou Cuba , jadis ouvertement hostiles à l' égard de Washington , ont surpris par leurs déclarations de solidarité . Bien entendu , ces déclarations de compassion ne sont pas dénuées d' arrière-pensées , mais les attentats terroristes ont sans nul doute également fournit aux dirigeants de ces États l' argument de poids susceptible de faire accepter , au plan intérieur , un rapprochement difficilement envisageable auparavant . Surtout , les attentats terroristes qui ont frappé les États-Unis vont sans doute provoquer un débat interne et international sur l' attitude des Américains à l' égard d' un certain nombre de pays . C' est le cas tout d' abord de la catégorie des rogue states , dans laquelle se retrouvent , pêle-mêle et sans aucune justification sérieuse , des États aussi divers que Cuba , l' Iran , l' Irak , la Libye ou la Corée du Nord . Comme il a été vu précédemment , nombreux sont ceux qui ont exprimé leur solidarité à l' égard des États-Unis , rompant ainsi avec leur rhétorique anti-américaine habituelle . Or , ces marques de soutien pourraient bien remettre en cause l' existence même de cette catégorie , dont l' un des critères établis par son concepteur , Anthony Lake , alors conseiller national de sécurité du président Clinton , est précisément l' animosité à l' encontre de Washington . Si l' une des nombreuses conséquences du 11 septembre est un rapprochement entre les États-Unis et certains rogue states , alors la liste de ces derniers devra être revue en conséquence . Le cas de l' Iran est , à cet égard , significatif . Si les tensions politiques internes ( entre le président réformateur Khatami et l' imam Khamenei ) et le passif iranien en matière de soutien au terrorisme international peuvent faire douter de l' éventualité d' un rapprochement rapide avec les États-Unis , on ne peut pas non plus exclure que la communauté d' intérêt qui lie Américains et Iraniens face au régime des Talibans ne serve de base à un rapprochement à plus long terme . En ce sens , les attentats du 11 septembre pourraient servir d' accélérateur à une lente évolution , entamée sous Clinton . Toute la question , pour l' Iran comme pour les autres pays qualifiés de rogue states , ainsi que pour la Russie , l' Inde et la Chine , est de savoir si ces rapprochements seront durables ou si , une fois le problème réglé en Afghanistan , les antagonismes reprendront leur cours . Au-delà de ces améliorations des relations diplomatiques , dont il reste à savoir si elles sont circonstancielles ou durables , la logique voudrait que les attentats du 11 septembre amènent les États-Unis à revoir leurs stratégies au Proche-Orient , et plus particulièrement à l' égard d' Israël , de l' Arabie Saoudite et de l' Irak . Il est d' ailleurs notable à ce propos de noter combien les États-Unis , au cours des dernières années , se sont rendus politiquement dépendants des États qui sont dépendants militairement à leur égard et dont ils assurent la protection . D' une relation qui aurait dû être une relation de dépendance à sens unique , ces États alliés des États-Unis ont su faire une relation de dépendance réciproque . C' est naturellement vrai d' Israël , protégé par le soutien de l' opinion publique américaine qui voit en lui , de façon quelque peu caricaturale , un pays aux valeurs occidentales confronté à des pays arabes aux valeurs différentes . Cette dépendance est liée à ce partage culturel , comme on l' a vu chaque fois que la politique israélienne s' en éloignait , que ce soit face au Liban ou sous la mandature Nétanyahou ou , plus récemment , avec la politique d' Ariel Sharon à l' égard des civils palestiniens . Dans chacun de ces cas , le soutien du groupe de pression proisraélien , incarné par l' AIPAC , ne s' est pas transformé en soutien de l' opinion publique américaine . Cependant , dans la plupart des situations , la dépendance politique des États-Unis à l' égard de leur allié israélien demeure . Les signes d' une inflexion modeste de la position américaine à l' égard du conflit israélo-palestinien sont pourtant , peut-être , déjà perceptibles . Les déclarations du président Bush en faveur de la création d' un État palestinien et les pressions exercées à l' encontre d' Israël pour éviter l' escalade militaire ont rompu avec l' attitude réservée observée jusque -là par l' Administration républicaine . Il devrait être clair désormais que les attentats du 11 septembre ont conduit à une communauté d' intérêt plus visible que par le passé entre certains responsables palestiniens et américains , ces derniers craignant avant tout d' être perçus comme engagés dans un " conflit de civilisation " contre le monde musulman . Il est encore difficile aujourd'hui de savoir si ces événements auront marqué une rupture majeure dans les relations entre Washington et Tel-Aviv . Mais ils auront sans doute provoqué outre-Atlantique un débat qui devrait conduire un nombre croissant d' observateurs à s' interroger sur le bien-fondé de la politique suiviste des États-Unis à l' égard du conflit israélo-palestinien , ce qui pourrait donner plus de jeu à la politique américaine sur ce dossier . Il en est de même , pour des raisons bien différentes , à l' égard de l' Arabie Saoudite et des monarchies pétrolières du Golfe , qui tiennent au rôle majeur que jouent ces pays en matière d' approvisionnement énergétique des États-Unis et de leurs alliés , et de la conscience qu' il n' existe pas d' alternative aisément repérable aux régimes actuels . Pourtant , le rôle actif joué par Riyad dans le soutien financier et idéologique au développement d' un islamisme radical et parfois extrémiste irrémédiablement hostile à l' Occident pourrait légitimement avoir modifié l' attitude de Washington à son égard . La question demeure de savoir si la dépendance politique dans laquelle la diplomatie américaine s' est placée à l' égard de ses alliés au Moyen-Orient rendra possible les évolutions nécessaires . Enfin , bien qu' aucune déclaration n' ait officiellement mis en cause l' Irak dans les attentats du 11 septembre ou dans les envois de lettre contenant de l' anthrax , les attaques terroristes subies par les États-Unis ont été l' occasion de remettre sur la table la stratégie américaine à l' égard de Bagdad . L' Administration républicaine - ou plus exactement le secrétaire d' État Colin Powell - s' était illustrée dès le début du mandat de George W. Bush par ses initiatives visant à modifier le régime de sanctions dans le sens de l' adoption de mesures plus ciblées , épargnant les populations civiles . Cette initiative avait été considérée à l' époque , en particulier au Pentagone , comme le signe avant-coureur d' une mesure d' assouplissement risquée de la position américaine vis-à-vis de Bagdad . Depuis le 11 septembre , les voix des partisans d' un recours à la force se sont fait entendre au plus haut niveau ( l' adjoint du secrétaire à la Défense , Paul Wolfowitz ) , ceux -ci voulant saisir l' occasion de l' opération militaire en Afghanistan pour se débarrasser de Saddam Hussein . En dépit de leurs pressions , la Maison-Blanche semble jusqu'à présent avoir compris les risques qu' une telle initiative ferait peser sur la coalition internationale , en particulier dans les pays musulmans et chez certains Européens , dont la France . Mais rien ne permet , à ce stade , de préjuger des rapports de force à venir au sein de l' Administration et du Congrès . On peut s' attendre , en particulier , à ce que des analogies soient établies entre l' Irak et l' Afghanistan , où un soutien militaire à l' opposition ( Alliance du Nord ) a permis un changement de régime à Kaboul . L' impact sur la relation transatlantique Cette redéfinition des relations entre certains États et la première puissance mondiale ne manquera pas de concerner les Européens eux-mêmes . Non que l' alliance transatlantique soit remise en cause dans ses fondements , mais parce que le bouleversement des priorités stratégiques que ces attentats pourraient provoquer outre-Atlantique posera inévitablement la question des priorités européennes . Cette crise devrait tout d' abord relancer le débat sur l' implication des États-Unis dans la sécurité de l' Europe et , plus largement , sur le partage du fardeau pour assurer la sécurité des membres de l' OTAN , y compris à l' égard de la menace terroriste . Il est en effet fort probable que cette crise ait un effet immédiat : La politique étrangère américaine en serait rendue plus imprévisible , oscillant entre des périodes de retrait et des poussées d' interventionnisme d' autant plus fortes qu' elles seraient dictées par des contingences intérieures . On peut ainsi s' attendre - après une telle attaque - à ce que les États-Unis placent la lutte antiterroriste au premier rang de leurs priorités et que le rééquilibrage au profit du Moyen-Orient et de l' Asie s' en trouve accéléré , au détriment de l' Europe . Après les attaques sur le sol américain , l' importance de la stabilité en Macédoine a sans doute été relativisée à Washington . Les demandes faites aux Européens par le Pentagone de compenser les retraits éventuels de troupes américaines des contingents internationaux en Bosnie et au Kosovo représentent sans doute un signe annonciateur de mouvements futurs . D' une manière générale d' ailleurs , la relation transatlantique va probablement connaître des modifications sensibles du fait de l' impact du 11 septembre . Sans s' avancer à l' excès , on peut faire le pari que deux changements sont à prévoir . D' une part , la guerre du Kosovo avait convaincu les états-majors américains que l' OTAN pouvait représenter une gêne pour la conduite d' opérations militaires , du fait du contrôle multilatéral et pointilleux effectué par le Conseil Atlantique sur celle -ci . Le résultat de cette méfiance s' est manifesté avec force depuis le 11 septembre , puisque la décision prise par les Alliés d' invoquer pour la première fois l' article 5 du traité de Washington n' a été suivie que de mesures symboliques . Les Américains ont préféré mener une guerre nationale sous le couvert d' une coalition internationale , et en choisissant à la carte parmi les Alliés ceux qui pouvaient leur apporter une contribution utile , plutôt que de s' appuyer sur l' appareil collectif de l' OTAN . D' organisation politico-militaire , l' OTAN est en passe de devenir un réservoir de moyens au service des ses membres dans des formations diverses . En second lieu , le rôle joué par la Russie dans le conflit actuel , et en particulier l' habilité du président Poutine et sa capacité à lever les objections internes à une attitude de soutien envers la campagne menée par les États-Unis ont des chances de relancer la relation entre l' OTAN et la Russie , qui restait peu satisfaisante . Le processus induit par l' Acte fondateur OTAN-Russie en 1997 devrait être réactivé . Cela pourrait changer la donne en ce qui concerne l' élargissement futur de l' OTAN . L' Administration Bush semble en effet déterminée à obtenir un élargissement incluant au moins l' un des États baltes lors du sommet de l' Alliance de 2002 , qui se tiendra à l' automne à Prague . Cependant , si la Russie continue à soutenir les Américains dans l' entreprise dans laquelle ils se sont lancés , il est fort improbable que cet élargissement puisse être conduit sans tenir compte des positions de Moscou . Il serait en effet hasardeux de prendre une mesure considérée comme peu amicale par un allié dans la lutte contre le terrorisme . Quels que soient les sentiments antirusses qui persistent dans l' Administration , au Congrès et dans l' appareil militaire , il paraît difficilement envisageable , pour des raisons politiques , de laisser à la Russie le rôle d' unique État européen n' ayant pas vocation à participer à l' Alliance atlantique . On pourrait donc envisager que la liste de pays susceptibles de participer au prochain élargissement soit effectivement approuvée à Prague , mais que les pays de l' OTAN ajoutent que la candidature de la Russie pourrait également être envisagée à terme . En attendant , un renforcement de la consultation OTAN-Russie serait défini et mis en oeuvre . Tel est probablement le sens des paroles sibyllines du président Poutine , prononcées le 4 octobre 2000 à Bruxelles : " Il est possible de voir ( l' élargissement de l' OTAN ) sous un jour complètement nouveau - si l' OTAN prend une teinte différente et devient une organisation politique . " L' instrument principal de la relation transatlantique est donc probablement appelé à se transformer profondément . Tel n' est pas , d' un point de vue européen , la moindre conséquence des attaques du 11 septembre .