_: Perspectives Thierry de Montbrial Thierry de Montbrial directeur de l' Ifri , membre de l' Académie des sciences morales et politiques 13 juillet 2002 La " surprise " du 11 septembre Selon toute vraisemblance , la date du 11 septembre 2001 est entrée dans l' histoire universelle . Elle est et restera considérée comme dividing , selon le mot américain , c' est-à-dire que l' on distingue et distinguera un " avant " et un " après " . Ce n' est pas que le monde ait brusquement changé avec la réussite des attaques contre le World Trade Center - celle qui a le plus frappé - et contre le Pentagone . Ce qui a changé , c' est la manière d' interpréter le passé et de raisonner sur l' avenir . On ne peut pas prétendre que pareil événement n' avait pas été " prévu " . En vérité , la possibilité et même la probabilité d' un " hyperterrorisme " font l' objet de débats d' experts et même d' oeuvres romanesques ( Tom Clancy Clancy ) depuis des années . Pareillement , le jour où des armes de destruction massive - nucléaires , chimiques ou bactériologiques - seraient effectivement utilisées par une unité active étatique ou non étatique , on ne pourrait pas dire que cela n' avait pas été " prévu " . Toute la difficulté tient dans ce que les sociétés humaines ne prennent les catastrophes au sérieux que lorsqu' elles se produisent , et , lorsque c' est le cas , elles ont tendance à les oublier : on peut donner entre autres l' exemple du respect des règles de sécurité dans les zones sismiques . S' il en est ainsi , c' est que , pour prévenir ou limiter les conséquences d' une catastrophe possible , il faut des mesures qui se heurtent aux intérêts tangibles de toutes sortes d' autres unités actives , lesquelles s' emploient à les empêcher ou à les atténuer . La prévention est un art de même nature et aussi complexe que la réforme . De ce point de vue , l' autopsie du 11 septembre est aisée . Ce qui est en cause , c' est d' abord une conception des libertés . Aux États-Unis , il était possible de se présenter dans une école de pilotage sans avoir à justifier de son identité , et de payer les cours en espèces , en précisant que l' on n' avait pas besoin d' apprendre à décoller ou à atterrir , tout cela sans susciter de réactions particulières . En Grande-Bretagne , des groupes islamistes peuvent avoir pignon sur rue , et les conditions d' extradition sont tellement restrictives que les criminels se sentent protégés , au point que certains vont jusqu'à se demander s' il n' existe pas une sorte d' accord implicite du type : immunité du territoire britannique contre immunité des réseaux qui y sont implantés . La question du financement du terrorisme se rattache à celle des droits civils . Pour mettre en place et développer un réseau comme Al-Qaida , il faut beaucoup d' organisation et beaucoup de ressources . La lutte contre le terrorisme passe donc par une surveillance étroite des flux financiers , de leur origine et de leur destination , laquelle se heurte à une conception du secret bancaire que l' on a tendance à rattacher à la question des libertés . Le même genre de remarques peut s' appliquer à la sécurité du transport aérien en général . L' abaissement de la sécurité dans les aéroports comme pour le trafic lui-même est la conséquence d' une conception étroite de la compétitivité , où l' on oublie que l' économie est au service de l' homme et non l' inverse . Mais c' est surtout dans le domaine dit de l' " industrialisation militaire " que son rôle d' exécutif occulte s' est révélé . L' incapacité des services américains , la CIA ( Central Intelligence Agency ) et le FBI ( Federal Bureau of Investigation ) principalement , à anticiper et à déjouer les attentats du 11 septembre , qui les ont , en fait , pris au dépourvu , s' analyse en dernier ressort par l' inadaptation d' agences engluées dans des routines et par les très classiques conflits bureaucratiques . Dans le même ordre d' idées , comme le phénomène de la mondialisation concerne les unités actives de toute nature , y compris les organisations criminelles , la lutte contre le crime organisé - et en particulier le terrorisme - suppose des formes de coopération originales entre les États , notamment au niveau de leurs services secrets , de leurs polices et de leurs institutions judiciaires . Il s' agit de domaines où les traditions coopératives sont limitées et où , là encore , l' adaptation se heurte aux habitudes et aux intérêts corporatistes ou bureaucratiques . Les observations précédentes n' ont aucune prétention à l' exhaustivité . On pourrait poursuivre l' exercice . Elles visent seulement à expliquer ce qui , sur le coup , a pu paraître incompréhensible ou aberrant : Après un choc tellement considérable , on peut penser que chacun des pays potentiellement menacés a entrepris de surmonter les obstacles qui s' opposent à une prévention efficace . Mais , aux États-Unis comme ailleurs , les résistances sont énormes . Pour certains Américains et non des moindres ( George Soros ) , la " guerre contre le terrorisme " risque de saper les fondements mêmes de l' unité du pays . Les résistances sont également considérables sur le plan international , quand il s' agit de coordonner les activités de plusieurs États , car à l' affrontement des intérêts les plus tangibles se superposent les malentendus politiques au sens large , malentendus qui - on le rappellera dans la suite de ce texte - n' ont pas tardé à apparaître entre Washington et ses alliés , anciens ou nouveaux , après une brève union sacrée . Ainsi , dès le mois de décembre 2001 , le Parlement européen s' opposait -il à une coopération judiciaire renforcée avec les États-Unis . La réaction américaine Dans les heures qui ont suivi les attaques , le président George W. Bush a d' abord donné l' impression de s' en prendre à l' Islam en adoptant la rhétorique du " choc des civilisations " et en parlant d' une " guerre du Bien contre le Mal " . Très rapidement , il a pris conscience du piège et adopté la formule de la " guerre contre le terrorisme " . Expression ambiguë toutefois , car il n' existe aucune définition universellement acceptée du terrorisme , et , dans bien des cas , la frontière entre terrorisme et résistance est difficile , sinon impossible à tracer . Ephraïm Halévy , le chef du Mossad , le service de renseignement israélien , avait peu de chances de faire l' unanimité en déclarant : " La distinction entre bon et mauvais terrorisme n' a plus lieu d' être . Chacun doit choisir son camp : pour ou contre la terreur . " De fait , Israël , l' Inde , la Russie ou encore la Chine se sont engouffrés dans le boulevard ouvert par le président des États-Unis en assimilant les Palestiniens , les Pakistanais , les Tchétchènes et les Ouïgours aux criminels du 11 septembre . Au début de l' année 2002 , le président du Conseil espagnol , José Maria Aznar , déclarait ne faire " aucune différence " entre ces criminels et l' ETA ( Euskadi Ta Askartasuna , " Patrie basque et liberté " ) . En pratique , Washington a immédiatement accusé Al-Qaida et son chef Oussama Ben Laden . En identifiant aussi promptement l' agresseur , la Maison-Blanche a produit un immense soulagement , car rien n' était plus angoissant pour les opinions publiques américaine et même européennes que cette impression d' un ennemi mortel innommable et invisible . Avec Al-Qaida , on désignait aussi un État , l' Afghanistan . On savait en effet que le milliardaire saoudien , lui aussi à sa manière un apôtre de la guerre du Bien contre le Mal , tirait les ficelles du sinistre régime de ce mollah Omar dont les outrances , au fil des mois , avaient de plus en plus attiré l' attention du monde . comment un pays aussi puissant que les États-Unis , qui consacre des ressources aussi immenses à sa sécurité , a -t-il pu se laisser de la sorte agresser par surprise ? Contrairement à ce qui a été si souvent écrit ou dit , cette guerre a été des plus classiques , c' est-à-dire d' État à État . Ses objectifs ont été partiellement mais rapidement atteints . Les Talibans ont perdu le pouvoir et les infrastructures d' Al-Qaida ont été anéanties . Ces résultats furent salutaires pour le moral des Américains , mais aussi pour l' image des États-Unis dans le monde . Le nouveau gouvernement mis en place par les vainqueurs , dirigé par le Pachtoune royaliste Hamid Karzaï , n' a cependant guère les moyens d' instaurer son autorité sur l' ensemble du territoire afghan , malgré la Loya Jirga réunie au mois de juin . Le pays reste largement soumis à la rivalité des seigneurs de la guerre . L' influence talibane n' a pas disparu , et les réseaux de Ben Laden ont été d' autant moins démantelés qu' ils disposent d' appuis conséquents au Pakistan occidental . Quant à Ben Laden et au mollah Omar , ils courent toujours . De nombreux indices suggèrent qu' une partie de ces réseaux , bien implantés dans les pays occidentaux , conservent leur capacité de nuire . Les intérêts occidentaux , dans la mesure où ils constituent les cibles de Ben Laden et de ses émules , sont toujours menacés , même si des agressions en série , d' ampleur comparable à celles du 11 septembre , paraissent peu probables . Pour venir à bout d' Al-Qaida , toute la panoplie des mesures antiterroristes doit être mise en oeuvre , et nous avons vu plus haut que les principaux obstacles se situent au sein même des unités politiques menacées . Cela dit , il est vraisemblable qu' en affaiblissant les bases territoriales des organisations terroristes , on en a réduit considérablement les capacités , et donc le potentiel . A priori , de telles bases ne peuvent être localisées que dans les États qualifiés par les Américains de rogue states , expression que l' on peut traduire par " États voyous " , ou de failed states , c' est-à-dire les " États manqués " ou " incomplets " . Dans son discours sur l' état de l' Union , au début de 2002 , George W. Bush a désigné les principaux rogue states , en les réunissant dans un " axe du mal " . L' Afghanistan étant maintenant neutralisé , il s' agit principalement de l' Iran , de l' Irak et de la Corée du Nord Nord ; mais le concept est assez large pour inclure , le cas échéant , des pays tels que la Syrie ou la Libye . Par extension , le chef de l' exécutif américain situe les mouvements islamistes dans cet axe du mal . Quant aux failed states - c' est-à-dire les États où le gouvernement n' exerce pas ou mal son autorité sur l' ensemble de son territoire- , il y en a hélas beaucoup à des degrés divers , tels la Somalie , le Yémen , les Philippines , mais aussi la Colombie ou le Tadjikistan . Au cours des derniers mois , l' Amérique s' est efforcée d' élaborer des stratégies susceptibles de réduire les risques provenant de ces divers États : stratégie d' intervention dans les failed states ( envoi de forces spéciales aux Philippines et au Yémen par exemple , et il semble que la CIA pousse également ses pions en Algérie ) ; stratégie de prévention à l' encontre des rogue states . Une doctrine d' action préventive pourrait se heurter à de très sérieuses objections . C' est donc contre l' Afghanistan que les États-Unis sont entrés en guerre dès le 7 octobre , en se donnant pour objectif de renverser l' ordre taliban , de détruire les bases d' Al-Qaida et de saisir leurs chefs . Le cas de l' Irak est au centre des préoccupations , car , depuis son élection , George W. Bush paraît déterminé à renverser Saddam Hussein . Il ne s' agit pas seulement d' aller jusqu'au bout du processus engagé par son père en 1991 , à la suite de l' invasion du Koweït . En installant à Bagdad un régime qui leur serait favorable , les Américains renforceraient la sécurité d' Israël et accroîtraient considérablement leur marge de manoeuvre , tant vis-à-vis de l' Iran que de l' Arabie Saoudite , cette dernière étant particulièrement suspecte à leurs yeux depuis le 11 septembre . Encore faudrait -il pouvoir monter des opérations militaires permettant d' aboutir rapidement et sans provoquer l' éclatement du pays , et mettre en place un gouvernement efficace . Les alliés des États-Unis - ou du moins leurs gouvernements -ne manifestent aucune sympathie pour Saddam . Mais , d' une part , ils ne se montrent pas convaincus , à tort ou à raison , par les arguments de Washington sur une éventuelle complicité de Bagdad avec Al-Qaida ou sur l' imminence de l' acquisition de l' arme nucléaire par l' Irak ; et , d' autre part , ils redoutent les effets sur les opinions publiques des pays arabo-musulmans d' une opé-ration mal justifiée , et leurs conséquences . Cela dit , ils ne feront pas obstacle à la volonté des Américains , si leur détermination à agir militairement est suffisamment forte , quitte à adapter leur attitude en fonction des résultats . En ce qui concerne l' Iran , les Européens rejettent depuis longtemps la politique de double endiguement consistant à traiter ce pays comme l' Irak . Ils estiment que le régime des ayatollahs est de toute façon miné de l' intérieur comme l' était l' URSS de Brejnev . Quant à la Corée du Nord , les États-Unis eux-mêmes ont décidé de renouer le dialogue avec elle . D' une manière générale , les partenaires de l' Amérique considèrent que , même dans un système international hétérogène , aucun État ou groupe d' États n' a le droit d' attaquer un autre au seul motif qu' il pourrait s' en prendre à ses intérêts vitaux . Aux pires moments de la guerre froide , les États-Unis n' ont jamais envisagé une attaque préventive contre l' URSS , même lorsque le rapport des forces le leur aurait permis . On comprend donc pourquoi ceux -là mêmes , à l' extérieur des États-Unis , qui furent le plus sincèrement indignés par les attaques du 11 septembre ont par la suite exprimé , certes de façon généralement feutrée , des réserves vis-à-vis de certains aspects de la politique de Washington . Des réserves que le secrétaire d' État Colin Powell donne parfois l' impression de partager , comme lorsqu' il déclarait , au mois de juin : " Any use of preemptive force must be decisive . " Encore faut -il s' entendre sur le sens du mot decisive . Les causes du terrorisme À ce stade , il convient d' aborder la difficile question des causes du terrorisme . Le lecteur se rapportera au chapitre rédigé par Michel Wieviorka pour un traitement général du sujet - et à celui de Gilles Kepel pour l' analyse des liens entre terrorisme et islamisme . On se bornera ici à quelques remarques . Pour qu' une activité terroriste soit durable , il faut deux conditions . La première est l' existence d' unités actives - telles qu' Al-Qaida , le Jihad islamique ou l' ETA à l' époque contemporaine , l' Irgoun ou le groupe Stern au siècle dernier - et donc de groupes organisés partageant une même culture ou une même idéologie combative . La seconde est l' existence d' un réservoir humain permettant à ces groupes de se renouveler et de s' élargir . De ce point de vue , il en est des organisations terroristes comme des mouvements de libération dans les situations coloniales . Si les organisations terroristes qui ont sévi en Europe occidentale dans les années 1970 et au début des années 1980 n' ont pas survécu , ce n' est pas seulement grâce à l' efficacité des gouvernements , mais aussi et peut-être principalement parce que la force d' entraînement de l' idéologie anticapitaliste qui cimentait ces groupes était insuffisante pour assurer leur survie . Si , à l' inverse , les organisations terroristes irlandaises , basques ou corses résistent durablement aux contre-mesures , c' est qu' elles trouvent dans les peuples dont elles sont issues les ressources humaines nécessaires . Ce qui distingue Al-Qaida des formes plus ordinaires du terrorisme , c' est la conjugaison de l' ampleur des moyens hautement coordonnés mis en oeuvre , et de l' inhabituelle obscurité de l' idéologie dont ce réseau se réclame pour fonder ses actions . Chacun peut comprendre , ce qui ne veut pas dire approuver , que des groupes veuillent se battre par tous les moyens pour l' " indépendance " de l' Irlande du Nord , du pays basque ou de la Corse . On notera , incidemment , qu' à l' instar de la plupart des unités actives , les buts réels mais non avoués des organisations terroristes tendent à se déplacer et , en l' occurrence , à s' étendre à des activités criminelles ou " mafieuses " de toute nature , ce qui complique singulièrement les choses . Mais que veulent Ben Laden et ses partisans ? La haine des États-Unis et , plus généralement , de la culture occidentale est -elle un fondement idéologique suffisant pour assurer la survie d' une organisation comme Al-Qaida ? Faut -il penser que son gourou est l' expression d' un nouveau type de nihilisme ? Olivier Roy rejette le terme et lui préfère celui de néo-fondamentalisme . " ( ... ) Tous ces néo-fondamentalistes , loin d' incarner la résistance d' une authenticité musulmane face à l' occidentalisation , sont à la fois des produits et des agents de la déculturation dans un monde globalisé . ( ... ) Ben Laden n' est pas une réaction de l' islam traditionnel , mais un avatar aberrant de la globalisation , tant dans les instruments de son efficacité ( technicité , compétence , organisation ) que dans la déconnexion de son action par rapport aux sociétés réelles . Dans les cibles visées et dans l' anti-américanisme virulent , il reprend une tradition très occidentale du terrorisme symbolique , propre à la bande à Baader ou à Action directe , mais repensé à l' échelle des jeux vidéos et des films catastrophes d' Hollywood . " Ou bien faut -il supposer , avec Alexandre Adler , que Ben Laden est un stratège génial comme le fut Adolf Hitler , ou dans un autre genre Mao Zedong , qu' il a conçu un projet grandiose pour édifier une sorte de califat ou de théocratie capable de s' opposer à l' empire du Mal , c' est-à-dire , dans son imaginaire , à l' " empire américain " ? Selon cette perspective , le but des attentats du 11 septembre aurait été de déstabiliser l' Amérique , de la pousser à la faute et de provoquer des soulèvements en chaîne dans les terres islamiques , avec pour buts ultimes l' Égypte et l' Arabie Saoudite . Si l' on préfère la comparaison avec les Bolcheviks , pareille vision ne serait pas sans analogie avec les projets de révolution mondiale au début du XXe siècle . Contrairement à Lénine , à Mao ou à Hitler , Ben Laden n' a apparemment développé ses idées ni par écrit ni par oral , de sorte que ses adversaires en sont réduits à spéculer . Quoi qu' il en soit , on aurait tort d' écarter des hypothèses sous le prétexte qu' elles seraient apparemment folles . Certes , la révolution mondiale ne s' est pas produite comme l' avait rêvée les Bolcheviks , mais sans eux et sans leur délire la révolution d' Octobre n' eût pas eu lieu et l' histoire du siècle dernier eût été différente . Et s' il est vrai qu' Hitler a échoué , on peut penser qu' en prenant Mein Kampf à la lettre , le grand drame de la Seconde Guerre mondiale eût été épargné . En d' autres termes , le risque d' une déstabilisation à grande échelle du monde arabo-islamique doit être pris au sérieux . Pour y faire face , il est nécessaire de dépasser le cadre conceptuel , beaucoup trop étriqué , de la " guerre contre le terrorisme " . C' est pourquoi on n' échappe pas au débat sur les " causes du terrorisme " . Encore faut -il en poser correctement les termes . Bien souvent , en effet , le problème est formulé de façon partiale ou partielle . Par exemple , à l' argument selon lequel la pauvreté ou les inégalités seraient à la racine du terrorisme , on peut opposer que Ben Laden est milliardaire et que les exécutants d' Al-Qaida étaient des personnes sophistiquées et non de vulgaires endoctrinés des madrasas . À ceux qui établissent un lien direct entre la politique pro-israélienne des États-Unis et les attentats du 11 septembre , il est également facile de rétorquer que Ben Laden ne s' est jamais référé que marginalement au conflit israélo-palestinien . Le centre de gravité de sa propre mappemonde est situé plus à l' est . Certaines formulations ont l' inconvénient d' apparaître comme des critiques plus ou moins déguisées des États-Unis , accusés à la limite d' être eux-mêmes responsables du drame dont ils ont été les principales victimes . Ce que l' on peut et doit dire , en revanche , c' est que les cerveaux d' Al-Qaida ont l' art d' exploiter les misères du monde arabo-musulman pour y puiser des ressources humaines et y faire retentir leur idéologie . Que des révolutionnaires soient souvent issus de milieux privilégiés est une constante de l' Histoire . Rien de surprenant non plus à ce que les actions politiques des États-Unis , unique superpuissance depuis la chute de l' URSS , soient jugées dans le reste du monde à travers les lunettes de chacun . Que la politique américaine au Proche-Orient soit perçue comme excessivement pro-israélienne dans le monde arabo-islamique , ou que le soutien de Washington à certains régimes dits modérés - mais en tout cas non démocratiques - de la région ( Arabie Saoudite , Égypte ) y soit considéré comme cynique , ce sont là des faits politiques incontestables dont il convient d' apprécier justement la portée . Lorsque le prince Abdallah ou le président Moubarak , mais aussi la plupart des Européens , font grief à Washington de ses oscillations face à la guerre israélo-palestinienne , qui n' a cessé de s' étendre dramatiquement depuis l' été 2001 , et désapprouvent - quoique de façon feutrée - l' exigence formulée par le président Bush , le 24 juin , du remplacement de Yasser Arafat , ils expriment des attitudes non pas morales , mais politiques . On y reviendra plus loin . Les leaders arabes dits modérés , dont la légitimité interne n' est pas supérieure à celle du vieux combattant palestinien , redoutent d' être pris entre le marteau américain et l' enclume de leurs populations . Les gouvernements européens , qui ont du monde arabo-musulman une longue expérience , savent que le risque d' une déstabilisation est réel . S' agissant de l' Autorité palestinienne , les uns et les autres partagent sans doute ce jugement d' Edward Saïd : " Il faut édifier les fondements de la réforme à partir de forces vives de la société , celles qui , jour après jour , ont résisté à l' invasion et à l' occupation ( ... ) 6 . " La politique internationale forme un tout , et ce , dans la durée . Après le retrait de l' URSS d' Afghanistan en 1989 , les États-Unis se sont aussitôt détournés de ce pays , mais aussi du Pakistan , devenu sans intérêt à leurs yeux . Ils n' ont pas vu le danger du régime des Talibans et des connexions avec Islamabad . En pratique , ils ont même encouragé ces développements . Les moudjahidines avaient été leurs alliés pendant l' occupation soviétique et un Ben Laden se trouvait alors du " bon côté " . Ni les Américains , ni , semble , les Européens ne semblent avoir prêté attention à la complexité de la situation tribale et à la portée des camps où furent formés , entre autres , ces fameux " Afghans " qui devaient contribuer à mettre l' Algérie à feu et à sang . Dans les années 1990 , des responsables américains ont même caressé un moment l' idée de favoriser l' avènement d' un régime islamiste à Alger . Rappeler ces faits n' est pas insinuer que les Américains sont responsables de leur propre malheur et de celui des autres . Il s' agit seulement de montrer que certaines décisions qui n' ont pas immédiatement des conséquences globales peuvent en avoir par la suite . Lorsque les dirigeants arabes dits modérés et les Européens invitent les États-Unis à la prudence , ce n' est pas par pusillanimité , mais par prévoyance . En politique comme dans les affaires privées , la prudence est une vertu cardinale . Si l' on peut effectivement faire un reproche à la politique américaine , c' est de ne pas suffisamment prendre en compte l' expérience et le point de vue des autres . Nul n' a le monopole d' " avoir raison " . Mais l' Amérique est aujourd'hui menacée par l' hubris . Je reviendrai plus loin sur cette question , à propos de l' " unilatéralisme " . Le rééquilibrage du système international Dans l' immédiat , les attentats du 11 septembre ont provoqué un rééquilibrage du système international . Le trait principal , à mon sens , en est le renforcement des États . Cela peut surprendre à une époque où l' on s' inquiète surtout de la dissolution des notions de territoire ou de souveraineté . Le paradoxe n' est qu' apparent , car il s' agit justement d' empêcher que le monde ne s' enfonce dans le chaos d' une mondialisation des tribalismes . La Russie Le renforcement des États est manifeste dans ce que l' on peut appeler le retour de la Russie , un phénomène amorcé en fait , comme bien d' autres , avant le 11 septembre . Sur le plan intérieur , Vladimir Poutine est parvenu à redresser l' autorité du gouvernement central en reprenant largement en mains les " sujets " de la Fédération , en limitant l' emprise des " oligarques " , et en prenant ses distances vis-à-vis de la " famille " ( c' est-à-dire du clan Eltsine ) , quitte à prêter le flanc à la critique du point de vue des pratiques démocratiques occidentales contemporaines . Il faut insister sur le dernier mot , car , encore à l' époque du général de Gaulle , en France , le ministre de l' Information surveillait la télévision de très près . Dès le mois d' août 2001 , au moment du voyage de Condoleezza Rice à Moscou , on pouvait déceler les termes d' une nouvelle donne américano-russe , la Russie se résignant à un élargissement de l' Organisation du traité de l' Atlantique Nord ( OTAN ) s' étendant aux pays Baltes ainsi qu' à l' abrogation du traité ABM ( Anti-Ballistic Missiles Treaty ) de 1972 , avec , en contrepartie , une main plus libre en Tchétchénie et la perspective d' une adhésion à l' Organisation mondiale du commerce ( OMC ) . Le 11 septembre , le président Poutine a instantanément saisi les potentialités de la situation , et , au grand dam des conservateurs néo-communistes , il a fait clairement le choix d' une sorte de " Sainte-Alliance " avec les États-Unis . Ce choix avait des fondements objectifs . Depuis longtemps , déjà , Moscou s' efforçait de convaincre les Occidentaux de l' existence d' une menace terroriste à grande échelle d' origine islamiste et inscrivait le problème tchétchène dans cette perspective , alors qu' Américains et Européens privilégiaient les droits de l' homme comme unique grille de lecture . On comprend aussi pourquoi les Russes ont pu finalement trouver un intérêt au principe d' une défense antimissile essentiellement dirigée contre les " nouvelles menaces " liées au phénomène terroriste . C' est pour la même raison que , dans les mois suivants , le Kremlin n' a pas cherché à s' opposer au déploiement de forces américaines au Caucase et en Asie centrale - ce qui , naguère encore , était à peine concevable . L' équipe de Poutine est parvenue à la conclusion que , dans la situation économique difficile que traverse durablement le pays , ces déploiements pouvaient utilement contribuer à soulager l' effort de défense . Évidemment , il y a des limites à ce qui est acceptable , et Moscou ne verrait pas d' un bon ? il un excès d' activisme américain dans les anciennes républiques soviétiques concernées . Mais le Kremlin compte à la fois sur le jugement des dirigeants de ces pays et sur la vigilance de leurs autres voisins , principalement la Chine et l' Iran . L' avenir décidera de la pertinence de ces calculs . En ce qui concerne l' OTAN , les dirigeants de la Russie croient désormais ou affectent de croire que , puisque la menace d' un conflit traditionnel a disparu sur le théâtre européen , cette organisation a d' autant plus perdu de sa pertinence qu' elle n' est guère adaptée au phénomène du terrorisme . Sincèrement ou non , ils jugent que le nouvel élargissement , particulièrement aux pays baltes , sera pour l' OTAN davantage une source de problèmes que de solutions . Ils notent , comme les Européens eux-mêmes , que l' Alliance atlantique ne joue plus qu' un rôle marginal dans la nouvelle approche géostratégique américaine , si ce n' est qu' elle demeure , sur le plan politique , le principal forum de sécurité transatlantique . À cet égard , ils attachent une grande importance à la revalorisation des relations entre l' OTAN et la Russie . Celle -ci s' est manifestée , en mai 2002 , par l' entrée en vigueur d' un nouveau Conseil OTAN-Russie , en même temps qu' un accord sur la réduction des deux tiers des arsenaux nucléaires des deux anciennes superpuissances . Désormais , la Russie dispose , non pas d' un droit de veto , mais d' une voix significative au sein de l' organisation . On doit certes toujours se souvenir de ce mot de Bismarck : " La Russie n' est jamais ni aussi forte ni aussi faible qu' il n' y paraît . " Il n' empêche que , dans le contexte actuel , tous ces résultats de la diplomatie du Kremlin sont assez remarquables . Mieux encore : grâce au choix de Poutine le 11 septembre , Bush , né aux relations internationales après la guerre froide , et qui dit considérer son partenaire moscovite comme " un homme moderne " , a définitivement enterré la hache de guerre . La guerre froide est vraiment " terminée " . Anticipant sur l' avenir , Américains et Européens ont décidé de reconnaître à la Russie le statut d' économie de marché , lui ouvrant ainsi effectivement la perspective d' une prochaine adhésion à l' OMC . Pour couronner le tout , lors de la réunion de Kananaskis ( Canada ) , à la fin du mois de juin , la Russie s' est vu offrir - en même temps que des engagements financiers importants pour renforcer la sécurité de ses armements nucléaires - un fauteuil à part entière au G8 , qui , désormais , mérite pleinement son sigle . Enfin , aussi bien les Américains que les Européens envisagent dorénavant le partenariat énergétique avec la Russie de manière plus constructive , avec moins d' arrière-pensées . Dans leur évaluation des risques , les premiers ne sont désormais pas loin de considérer que la Russie est plus sûre que le Moyen-Orient . Le développement de l' industrie du pétrole et du gaz est au centre de la stratégie de reconstruction économique de Moscou . Dans ces conditions , c' est toute la géopolitique du Moyen-Orient , mais aussi celle du Caucase et de l' Asie centrale - laquelle est au centre des préoccupations de l' Administration américaine , et d' abord du vice-président Dick Cheney , dont on connaît le rôle auprès de George W. Bush - qui vont se trouver modifiées . La Chine Quoique de façon moins spectaculaire que la Russie , la République populaire de Chine ( RPC ) n' a pas , elle non plus , hésité à se joindre à la Sainte-Alliance . L' annonce en a été faite à l' occasion d' une réunion au sommet du Forum de coopération économique Asie-Pacifique ( APEC ) , à Shanghai , quelques semaines après les attentats . Là encore , le rapprochement avec les États-Unis était en fait entamé avant le 11 septembre , après des relations difficiles pendant les premiers mois de la présidence de George W. Bush , celui -ci n' ayant pas encore décidé s' il devait considérer l' empire du Milieu comme un partenaire ou comme le futur rival ou adversaire à la place de la défunte URSS . Certes , la Russie a des raisons plus solides que la Chine de vouloir s' ancrer à l' Occident . Plus de 85 % de sa population vit à l' ouest de l' Oural , et la petite vingtaine de millions d' habitants répartie dans les extrémités de l' est se trouve bien isolée face à l' Asie surpeuplée . De plus , bien que la culture russe soit profondément singulière , elle se rattache évidemment davantage à l' Europe qu' à l' Asie . Mais la Chine avait deux raisons principales d' affirmer sa solidarité avec les États-Unis au lendemain du 11 septembre . D' une part , elle doit faire face à ses propres problèmes de minorité , essentiellement au Xinjiang et au Tibet . Un peu comme la Russie au Caucase , elle espère désormais davantage de compréhension du côté occidental . D' autre part , et là encore comme la Russie , quoique dans des conditions tout à fait différentes , la Chine entend se consacrer durablement à son développement économique et à la solution des immenses problèmes sociaux qui en résultent , et préparer ainsi la " quatrième modernisation " , celle de la démocratie . Pour cela , il faut minimiser les occasions de conflits extérieurs . Une bonne entente avec les États-Unis est donc cruciale . En pratique , Pékin a joué un rôle déterminant auprès d' Islamabad , après le 11 septembre . Les deux pays , qui forment une alliance de revers par rapport à l' Inde , sont en effet très proches et leur lien a survécu aux vicissitudes de l' histoire du second XXe siècle . En faisant pression sur le général Moucharraf pour que celui -ci lâche les Talibans ( dont les systèmes de commandement dépendaient des Pakistanais ) et accepte de coopérer avec les États-Unis , la RPC a apporté sa contribution à la victoire de George W. Bush contre le régime du mollah Omar . Avant même le 11 septembre , le spectre d' une alliance sino-russe aux dépens des Occidentaux avait par ailleurs été écarté . Certes , les deux pays avaient signé , en juillet 2001 , un traité d' amitié et de coopération pour 20 ans . Pareil traité se justifie en soi , étant donné les priorités des uns et des autres . Sitôt signé , Vladimir Poutine avait pris soin de déclarer qu' il n' y aurait pas d' alliance anti-américaine avec la Chine . La question pouvait se poser à l' époque . Depuis le 11 septembre , elle est devenue complètement caduque . Le Pakistan Les relations entre les grands pays du Nord étant ainsi affermies , la question -clef du Pakistan se présente sous de meilleurs auspices . Question -clef , car , depuis la partition de 1947 , et même après l' indépendance du Bangladesh , en 1971 , on s' interroge sur la viabilité d' une unité politique particulièrement fragile , en raison de ses nombreuses et importantes fractures internes . Sur le plan idéologique , les Occidentaux n' ont jamais manifesté de sympathie pour un pays qu' ils comprennent mal et dont les gouvernements démocratiques - ou d' apparence démocratique - sont régulièrement balayés par des coups d' État , le dernier en date étant celui qui a porté le général Moucharraf au pouvoir en octobre 1999 . À tort ou à raison , beaucoup d' observateurs pensent que l' unité du Pakistan ne tient qu' à l' existence de la tension avec l' Inde à propos du Cachemire , laquelle servirait à justifier l' ampleur et le rôle des forces armées , en particulier le niveau élevé du budget de défense . Comme en Inde , l' accès à l' arme nucléaire a été une préoccupation constante des militaires pakistanais , et , dans les années 1970 , alors que l' Inde s' activait avec succès dans cette direction , on agitait déjà le spectre de la " bombe islamique " . La crainte de cette " bombe islamique " a d' ailleurs joué un rôle décisif dans la politique de non-prolifération de l' Administration Carter , à laquelle la France , auparavant laxiste dans ce domaine , s' est ralliée sous l' autorité du président Giscard d' Estaing . Malgré tous les efforts pour les en empêcher , Indiens et Pakistanais sont parvenus à leurs fins . La victoire des nationalistes hindous en 1998 a mis en quelque sorte le feu aux poudres . En procédant à des essais nucléaires , l' Inde a brisé le tabou , et le Pakistan lui a aussitôt emboîté le pas . Concrètement , la question se posait au lendemain du 11 septembre de savoir si le général Moucharraf contrôlait effectivement son pays . Jusqu'à quel point , se demandait -on comme naguère à propos de l' Algérie , l' armée était -elle noyautée par les forces islamistes , en particulier par Al-Qaida ? Dans quelle mesure le gouvernement pouvait -il contrôler l' ISI ( Inter Service Intelligence ) , c' est-à-dire la puissante organisation de services secrets à laquelle on impute aussi bien l' " invention " des Talibans que l' entretien de la guerre au Cachemire ? Peut-être Ben Laden a -t-il spéculé sur la fragilité du Pakistan : en attirant les Américains dans le piège pachtoune , le pays n' allait -il pas se casser ? Al-Qaida n' allait -elle pas mettre la main sur l' ISI et sur la bombe ? Si tel a bien été le calcul , il a été déjoué , en tout cas jusqu'à ce jour , et ce , au moins pour trois raisons . Sans doute l' armée est -elle moins " noyautée " et l' ISI moins autonome qu' on ne le pense . De plus , toutes les pressions internationales qui se sont exercées sur le général Moucharraf ont pointé dans la même direction . Enfin , celui -ci a réagi en homme d' État , avec sang-froid et courage . Dans un discours de janvier 2002 , il n' a pas hésité à se prononcer clairement pour un État de droit . Cela dit , la question fondamentale de la fragilité du Pakistan demeure . Moucharraf a lâché les Talibans . Il est cependant probable que les réseaux d' Al-Qaida sont encore actifs sur le territoire pakistanais . Peut-être Ben Laden et le mollah Omar y vivent -ils cachés . Mais tout indique que ce lâchage n' est pas une duperie . Il semble également que le général-président coopère avec les États-Unis pour que la " bombe islamique " ne tombe pas entre les mains des islamistes . Mais le général peut -il se permettre de céder aussi sur le Cachemire sans risque de saper le pouvoir qu' il est jusqu'ici parvenu à maintenir ? Comme l' affaire israélo-palestinienne , la question du Cachemire est de celles qui paraissent simples quand on les considère de loin et sans passion , et deviennent inextricables lorsque l' on s' en rapproche , a fortiori lorsque l' on y est engagé émotionnellement . Du point de vue de Sirius , le dossier pakistanais est plutôt convaincant , puisque , après la partition , le rattachement du Cachemire à l' Inde n' a tenu qu' à la décision d' un maharadja sans doute manipulé , alors que la raison démographique ou géographique aurait conduit à l' autre branche de l' alternative . Depuis 1947 , le désaccord sur le Cachemire est la manifestation vivante du drame d' une séparation jamais complètement acceptée du côté indien . La victoire du BJP ( Parti du peuple indien ) et du nationaliste Atal Bihari Vajpayee , en mars 1998 , a ravivé des braises jamais éteintes , d' autant plus que le nouveau Premier ministre a fait procéder , comme on l' a rappelé , à des essais nucléaires . L' ISI est -il à l' origine des attentats contre le Parlement de New Delhi , en décembre 2001 , et au Cachemire ? Et s' il en est ainsi , comme on peut l' imaginer , jusqu'à quel point le général Moucharraf lui-même a -t-il été obligé de participer aux décisions ? En tout cas , la tension n' a cessé de monter au fil des mois . Au printemps , Washington avait toutes les raisons de craindre que le Pakistan ne dégarnisse sa frontière avec l' Afghanistan , pour redéployer les forces en direction de l' Himalaya . Pour les États-Unis , il est clair que la question du Cachemire est devenue cruciale puisqu' un dérapage pourrait y avoir des conséquences catastrophiques pour la lutte contre Al-Qaida . Imagine-ton Imagine-ton , dans le contexte actuel , le retentissement d' un échange nucléaire entre les deux frères séparés ? C' est pourquoi le président Bush a dépêché dans la région son ministre de la Défense , Donald Rumsfeld ( en juin ) . Mais Washington ne saurait se contenter d' ordonner à Islamabad d' empêcher les attentats au Cachemire . Qu' on le veuille ou non , il y a terrorisme et terrorisme , et une bonne stratégie antiterroriste n' est possible que sur la base d' une juste analyse des causes de tels actes . En fait , dans la vaste révision d' ensemble de leur politique étrangère , les États-Unis sont désormais obligés de trouver une voie pour , à la fois , renforcer les liens avec l' Inde ( d' autant que de graves problèmes risquent de surgir au Népal où sévit un mouvement révolutionnaire " maoïste " ) et avec le Pakistan , dont le maintien de l' unité revêt désormais un caractère vital . En particulier , la superpuissance ne peut éviter de s' interposer dans le conflit du Cachemire , pas plus qu' elle ne peut laisser Israéliens et Palestiniens face à face . Du temps de la guerre froide , le jeu régional était dominé par le croisement de deux alliances implicites , celle entre l' Union soviétique et l' Inde , et celle entre les États-Unis et le Pakistan , que venait compliquer le facteur chinois . Dorénavant , la recherche d' un modus vivendi , sinon d' une réconciliation , entre les frères séparés est devenu une priorité . Là comme ailleurs , on peut prévoir que le réalisme va , au moins pour un temps , l' emporter sur l' idéologie : mieux vaut , dans l' immédiat , un Pakistan effectivement gouverné par un régime autoritaire , mais un État solide participant activement à la Sainte-Alliance , qu' un Pakistan théoriquement démocratique mais corrompu , impuissant et , en définitive , friable . L' Europe face à son destin Face à ces événements , l' Europe n' apparaît pas grandie . Certes , l' immense majorité des Européens a fortement ressenti l' émotion si bien traduite dans un article rédigé à chaud par le directeur du journal Le Monde , Jean-Marie Colombani , et commençant par cette phrase : " Dans ce moment tragique où les mots paraissent si pauvres pour dire le choc que l' on ressent , la première chose qui vient à l' esprit est celle -ci : nous sommes tous Américains ! " Mais , en politique , les émotions ne dominent pas durablement la scène . George W. Bush a rapidement signifié que les États-Unis entendaient régler seuls leur querelle , et que , dans la guerre contre Al-Qaida , ils n' attendaient des Européens que des concours ponctuels , lesquels ne leur ont pas été marchandés . Certes , sur l' insistance de Lord Robertson , le 12 septembre , l' OTAN a décidé d' activer le fameux article du traité de l' Atlantique Nord , mais il ne pouvait s' agir que d' un symbole dont l' impact fut à peu près nul . À long terme cependant , la coopération des États européens est indispensable , comme l' est celle des États-Unis , pour toutes les questions déjà évoquées ici , telles que le renseignement , la lutte contre le blanchiment de l' argent , etc. Dans l' immédiat et dans l' ordre des opérations militaires , les Européens et l' Union européenne , en tant que telle , furent marginalisés . On peut penser que tel aurait aussi été le cas si , au lieu de s' en prendre au sol américain , Al-Qaida avait frappé des cibles sur le Vieux Continent . Et l' on peut craindre que tel serait le cas si pareille tragédie devait se produire . Il en est ainsi parce que notre Union ne s' est pas encore dotée d' une véritable défense commune , ni au niveau des procédures de décision , ni au niveau des moyens . Ce n' est pas la seule raison . Nécessité d' une politique extérieure commune On ne saurait concevoir une politique de défense réellement commune sans , parallèlement , une politique étrangère commune . Il y a une trentaine d' années , on discutait gravement de la notion d' Union économique et monétaire ( UEM ) et de la question de savoir si l' union économique devait précéder l' union monétaire - ou inversement . Dans la réalité , on a fait les deux dans un même élan stratégique . Incidemment , il convient de saluer l' extraordinaire succès du passage concret à l' euro , au début de l' année 2002 , c' est-à-dire la mise en circulation des billets et des pièces de la nouvelle monnaie . S' agissant de la politique étrangère et de sécurité commune ( PESC ) , il en ira nécessairement de même . Certes , des petits pas significatifs ont été accomplis dans la bonne direction , particulièrement depuis la rencontre franco-britannique de Saint-Malo , en 1998 , en ce qui concerne la défense ; et , dans le domaine de la politique étrangère , on ne doit pas sous-estimer les avancées . Par exemple , en août 2001 , Javier Solana , le Haut représentant pour la PESC , a largement contribué à forger un arrangement compliqué mais viable en Macédoine , qui a abouti au désarmement de la guérilla albanaise . L' Union européenne s' apprête également à assumer les responsabilités de l' OTAN au Kosovo . Elle a agi de façon cohérente vis-à-vis de l' ex-Yougoslavie , dont le dernier avatar est une nouvelle fédération entre la Serbie et le Monténégro . Peut-être cependant l' Union devrait -elle se montrer plus active dans cette région , car les ressentiments demeurent chez les Serbes , dont beaucoup suivent avec sympathie la pugnacité de Milosevic au Tribunal pénal international pour l' ex-Yougoslavie de La Haye . Dans l' état actuel des choses , l' Union européenne en tant que telle reste incapable d' affirmer et de défendre ses intérêts les plus fondamentaux , pour ne pas dire vitaux . On prendra deux exemples : la Russie et le Proche ou Moyen-Orient . Il est géopolitiquement évident que , dans le contexte post-soviétique , l' idée même d' Union européenne implique la formulation d' un concept russo-euro-péen . Les Russes y aspirent , car , dans cette phase très perturbée de leur histoire , ils ressentent avec lucidité notre communauté de destin . Il existe désormais un Conseil OTAN-Russie et un G8 , mais pas encore de structure où l' Union européenne en tant que telle et la Russie puissent débattre et discuter de leurs intérêts communs , par exemple à propos de Kaliningrad . Dès lors que la Lituanie entre dans l' Union , la question du transit entre cette ville -dont on ne saurait remettre en cause l' appartenance à la Fédération de Russie sans bousculer tout l' édifice mis en place en 1990 , au moment de la réunification allemande - et le reste du pays devient en effet une affaire européenne , et non plus lituanienne . Quant au Proche et au Moyen-Orient , c' est , également dans une perspective à long terme , une région d' intérêt vital pour l' Europe , à cause de la géographie . Qu' il s' agisse du conflit israélo-palestinien , de l' Irak ou de l' Iran , ceux des pays européens auxquels l' histoire a conféré un poids pour ces sujets raisonnent à peu près de la même façon . Ils préconisent une approche plus équilibrée entre Israéliens et Palestiniens , une politique de containment vis-à-vis de l' Irak , mais sans intervention militaire massive aussi longtemps qu' une situation de légitime défense n' aura pas été établie , et une politique de détente bien contrôlée à l' égard de l' Iran . Dans les trois cas , les principaux pays européens divergent beaucoup moins entre eux qu' entre chacun d' eux et les États-Unis . Mais , étant divisés pour des raisons secondaires , ils en sont réduits à un rôle supplétif - ce qui ne veut pas dire nul - par rapport aux États-Unis et à des gestes dérisoires , comme de financer les infrastructures de l' Autorité palestinienne avant d' assister , impuissants , à leur destruction , puis sans doute d' être conviés à les financer de nouveau . La nécessité de s' adapter à un monde nouveau interdit de renvoyer la question de la politique extérieure commune aux calendes grecques . Certes , pour qu' une unité politique puisse élaborer et mettre en oeuvre une politique extérieure commune , il faut que cette unité en soit effectivement une . Or les arguments contraires ne manquent pas , et l' existence de bureaucraties anciennes souvent pénétrées de leurs traditions , au demeurant fort respectables , n' arrange pas les choses . Pourtant , lorsque l' on regarde concrètement , et non plus abstraitement , les grands enjeux planétaires , comment ne pas conclure à la possibilité sinon à la nécessité d' une Union qui en soit une ? J' ai développé ailleurs un parallèle entre la construction européenne au sens du processus en cours depuis maintenant 45 ans , et la construction nationale telle qu' en parlait Ernest Renan . Les deux aventures sont différentes mais se ressemblent . Il s' agit de traduire dans les faits , et donc d' abord dans des institutions , un " vouloir vivre ensemble " fondé sur une intelligence du passé et sur un projet commun . Il est tentant , à propos de l' Europe , de transposer ce cri de Massimo D' Azeglio , l' un des chefs modérés du Risorgimento , lors de la première session du Parlement du royaume d' Italie nouvellement unifié : " Nous avons fait l' Italie , maintenant nous devons faire les Italiens . " À présent , la priorité est de faire l' Europe , avant de faire les Européens , encore que la combinaison de la libre circulation et de l' euro y contribue puissamment . Le défi est principalement d' ordre institutionnel . En décembre 2001 , le Conseil européen de Laeken a décidé de créer une Convention sur l' avenir de l' Union européenne , afin de préparer la réforme des institutions , et de porter à sa tête l' ancien président Valéry Giscard d' Estaing . La tâche est immense et mérite le qualificatif d' historique . L' élargissement de l' Union est inscrit dans les faits , et son hétérogénéité augmente . Ainsi , au cours des derniers mois , a -t-on assisté à la victoire des socialistes ( ex-communistes ) en Pologne , et à une remise en cause des disciplines économiques et financières . Une Union de plus en plus large , hétérogène et bancale sur le plan institutionnel , serait vouée à l' éclatement . Comment aboutir au contraire à une Union effectivement large , mais cohérente et bien gouvernée ? Tel est le défi que la Convention doit surmonter . En attendant l' aboutissement de ses travaux , l' Europe continuera d' être marginalisée dans les grandes affaires du monde . En s' arrogeant le droit d' intervenir préemptivement et unilatéralement , c' est-à-dire sans l' accord de la " communauté internationale " incarnée par le Conseil de sécurité des Nations unies , les États-Unis prendraient des risques , même vis-à-vis de leurs alliés les plus proches comme la Grande-Bretagne . Ben Laden a -t-il spéculé sur un affaiblissement du moral de l' Amérique après le 11 septembre ? Si tel fut le cas , il s' est évidemment trompé . La mobilisation patriotique a été extraordinaire et durable . La nation s' est massivement rangée derrière George W. Bush , qui s' est ainsi trouvé une mission à la hauteur de l' Histoire . Unilatéralisme américain ? Pendant des mois , la " guerre contre le terrorisme " aura été le principal sinon l' unique objet de ses préoccupations et aura servi de sésame pour tenter de restaurer une autorité présidentielle sévèrement affaiblie depuis le Watergate , au début des années 1970 . C' est seulement à l' approche des mid-term elections de novembre 2002 que la petite politique tend à reprendre le dessus , au moins de manière apparente car elle n' a jamais vraiment disparu . Le peuple américain a donc remarquablement réagi , mais , au moins sur un plan , avec une certaine naïveté collective . D' où vient , demande en effet l' homme de la rue depuis le 11 septembre , " qu' on ne nous aime pas et même qu' on nous haïsse à ce point " ? L' un des traits de la culture américaine auquel participent aussi bien les citoyens fraîchement naturalisés , et qui constitue une force autant qu' une faiblesse , est en effet cette modalité d' ethnocentrisme selon laquelle on affirme de bonne foi l' universalité et donc la supériorité absolue de sa culture . L' immense majorité des Américains , dont George W. Bush est à cet égard un représentant exemplaire , ne doutent pas que le " modèle américain " soit l' horizon indépassable pour tout habitant de notre planète . Et lorsque des voix contraires parviennent à se faire entendre , on les ignore ou on les attribue à des forces obscurantistes . Tel est souvent le cas dans les conférences internationales où les pays du Tiers-Monde disposent d' un siège à part entière , comme à la conférence mondiale contre le racisme et les discriminations , réunie à Durban quelques jours seulement avant les attentats . On y assista à une véritable levée de boucliers contre la prétention des Occidentaux à imposer leurs valeurs et contre leur hypocrisie , puisqu' ils utilisent souvent , en pratique , deux poids et deux mesures . Certes , à Durban , les États-Unis ont fait une concession à l' air du temps en acceptant de s' " excuser " pour l' esclavage . Ils n' en ont pas moins , avec Israël , claqué la porte le 3 septembre , lorsque l' accusation de racisme a été retournée contre eux . Évidemment , la bonne conscience américaine suscite de l' animosité et même de la haine , lorsque , dans l' exercice de la politique extérieure , elle se conjugue à la force au sens le plus large du terme . Tout ceci n' explique pas directement Ben Laden , et le justifie encore moins , pas plus que des considérations purement sociologiques suffiraient à expliquer Hitler . Mais il y a toujours des diables d' homme parmi les hommes . Ben Laden en est un , et il a su exploiter un anti-occidentalisme , et particulièrement un anti-américanisme , dont les racines s' étaient sourdement étendues depuis la chute de l' URSS , cependant que les vainqueurs de la guerre froide projetaient leurs rêves sonores sur la fin de l' histoire . La politique étrangère des États-Unis reflète nécessairement l' universalisme ethnocentrique inhérent à ce pays . Dans ce domaine comme dans d' autres , la forme et le fond sont intimement liés , mais l' un ne détermine pas entièrement l' autre . De ce point de vue , le style très direct et même abrupt du président George W. Bush convient incontestablement mieux à l' intérieur qu' à l' extérieur de son pays . On dirait que le 43e président s' ingénie à heurter les Barbares . Les Barbares , ce sont les autres , de même que les Arabes distinguent la " terre de l' islam " ( Dar al Islam ) et la " terre de la guerre " ( Dar al Harb ) . Parmi les manifestations les plus récentes de cette forme de violence , on notera le conflit sur l' acier , mais surtout le rejet catégorique et sans nuance de la Cour pénale internationale et , début juillet , le coup de force américain au Conseil de sécurité des Nations unies ( chantage sur la prorogation du mandat de la Mission des Nations unies en Bosnie-Herzégovine ( MINUBH ) ) pour modifier le statut de la Cour à leur convenance . Isolée , Washington a dû renoncer à certaines de ses exigences et accepter un compromis . Mais ni le droit international , ni le Conseil de sécurité n' en sont sortis totalement indemnes . À force de répétition , ce type de comportement ne contribue pas à atténuer les effets de ce qui est ressenti par le reste du monde comme de l' arrogance . Or , la première puissance mondiale est simplement convaincue de son bon droit , sa Constitution et son Bill of Rights l' emportant , pour elle , sur les lois internationales . Sur le fond , la politique extérieure américaine manifeste structurellement une méfiance profonde vis-à-vis des institutions internationales et , plus généralement , du " multilatéralisme " . Les Français sont bien placés pour le comprendre , car le temps n' est pas si loin où le général de Gaulle qualifiait l' ONU de " machin " . La France s' est progressivement accoutumée à cette nouvelle forme de diplomatie , d' une part parce qu' elle participe de l' essence du processus européen , et d' autre part en raison de la diminution du poids relatif de notre pays dans le monde . De nos jours , les Américains ont parfois tendance à voir dans l' ONU une machine de guerre à leur encontre . Ils tolèrent mal le partage de la décision au sein de l' OTAN , comme on l' a constaté en 1999 , à l' occasion des opérations contre la Serbie de Milosevic , où le général Clark n' a cessé de se plaindre de ne pas avoir les coudées suffisamment franches . Les événements du 11 septembre ont certes conduit les États-Unis , par mesure de précaution , à régler leurs arriérés de paiement à l' ONU . Ils ont également favorisé , comme on l' a vu , l' aboutissement d' un accord avec la Russie sur le désarmement nucléaire . Mais , en ce qui concerne les Nations unies , une mesure tactique n' est pas un changement de stratégie . Quant à la nouvelle relation avec la Russie , elle ne traduit d' aucune manière un retour à la philosophie de l' " arms control " , élaborée et mise en oeuvre pendant la période soviétique . Ce que l' on appelle " unilatéralisme " , c' est d' abord le rejet du multilatéralisme institutionnalisé , qu' il convient de distinguer du " multilatéralisme à la carte " , nouvelle dénomination mise à la mode par Richard Haass , le directeur du Policy Planning Staff du département d' État . Il s' agit là d' une dénomination équivoque , car elle ne vise que les coalitions de circonstance . Le rejet n' est pas total : les États-Unis ont appris à s' accommoder de l' OMC . Mais il l' est pour ce qui concerne les grandes affaires politiques . Sur ce point , l' immense État américain n' a pas de meilleur allié que le petit État israélien , lequel , typiquement , a signé le traité créant la Cour pénale internationale en décembre 2000 , mais n' est pas près de le ratifier , la CPI étant d' avance soupçonnée d' impartialité , malgré toutes les précautions prises . Cela dit , la question du multilatéralisme , dans l' état actuel des relations internationales , ne se pose pas en termes de tout ou rien . Les grands États ( grands par la superficie et la population comme la Chine , l' Inde ou même la Russie ) , dont la situation le leur permet , s' efforcent autant que possible d' en rester à la diplomatie bilatérale traditionnelle . Quand on parle de l' unilatéralisme américain , c' est aussi , plus spécifiquement , à la nature de leurs relations avec leurs alliés que l' on pense . À l' époque de la guerre froide , dans le cadre de l' Alliance atlantique , on débattait ad nauseam de l' équilibre ou plutôt du déséquilibre du processus décisionnel au sein de l' organisation , et du contenu de la notion de " consultation " entre le grand frère et les autres . À présent , l' OTAN n' a plus la même centralité dans les relations transatlantiques , et les questions naguère jugées périphériques occupent le devant de la scène . L' asymétrie n' en est que plus frappante . Tel est le cas face au conflit israélo-palestinien . Après une phase initiale d' indifférence , due notamment à l' échec de la politique de Bill Clinton , le nouveau président avait compris , dès avant le 11 septembre , la nécessité de s' impliquer dans le dossier . Au lendemain des attentats , il a d' abord semblé vouloir rééquilibrer la politique américaine en se prononçant explicitement , dès le 2 octobre , puis le 10 novembre à l' Assemblée générale des Nations unies - ce qu' aucun de ses prédécesseurs n' avait osé faire - en faveur d' un État palestinien . En mars 2002 , la résolution 1397 du Conseil de sécurité de l' ONU , introduite par les États-Unis , a affirmé une " vision de la région où deux États , Israël et la Palestine , vivent côte à côte dans des frontières sûres et reconnues " . En pratique , cependant , George W. Bush a laissé les mains libres à Ariel Sharon , allant même , après l' intervention pour le moins musclée de Tsahal à Jénine , jusqu'à qualifier le chef du gouvernement israélien d' " homme de paix " , ce qui a dû surprendre l' intéressé lui-même . À cette époque , le président avait demandé au Premier ministre de retirer " sans délai " les troupes engagées dans les villes sous autorité palestinienne , mais les délais ont été bien longs et le retrait réversible . Le 19 avril , les États-Unis ont introduit la résolution 1405 du Conseil de sécurité , décidant de l' envoi d' une commission d' " établissement des faits " à Jénine ; puis ils ont changé d' avis et mis Kofi Annan dans une situation fort embarrassante . Washington a ensuite proposé l' ouverture d' une conférence internationale sur le Moyen-Orient , mais la Maison-Blanche s' est aussitôt employée à en minimiser la portée . Le 24 juin , le président ne l' a pas même mentionnée . Dans son discours ce jour -là , il a subordonné tout progrès vers la création d' un État palestinien au remplacement de Yasser Arafat , ajoutant ce nom illustre à la liste des leaders arabo-musulmans dont les États-Unis veulent la tête . En fait , George W. Bush a oscillé au rythme des nombreuses visites d' Ariel Sharon . Tous les observateurs voient dans cette attitude l' effet de ce qu' outre-Atlantique on appelle les lobbies : lobby juif mais aussi lobby des chrétiens conservateurs . Ce sont ces mêmes lobbies qui ont fait campagne sur le thème de la pusillanimité , voire de l' antisémitisme , des Européens en général , et des Français en particulier , au point de provoquer l' étonnement du Conseil représentatif des institutions juives de France ( CRIF ) et une vigoureuse réaction du président Jacques Chirac . Bush , quant à lui , songe aux élections de novembre 2002 . Il veut que les républicains récupèrent une partie d' un électorat traditionnellement acquis aux démocrates . Ce que l' on appelle unilatéralisme , c' est aussi la surdétermination de certains aspects cruciaux de la politique étrangère par la politique intérieure . Du côté européen , on peut résumer l' attitude vis-à-vis du conflit israélo-palestinien de la façon suivante : Arafat ne s' est pas montré à la hauteur de l' Histoire depuis Camp David II , et la corruption de l' Autorité palestinienne n' est pas douteuse ; mais la responsabilité de Sharon - qui s' est toujours opposé aux plans de paix , que ce soit le traité avec l' Égypte ou le processus d' Oslo , et qui s' est engouffré dans la brèche du 11 septembre en présentant la guerre contre les Palestiniens comme une modalité de la grande guerre contre le terrorisme - est non moins écrasante . Pour parvenir à la paix , la communauté internationale doit mettre en oeuvre les moyens de pression considérables - positifs et négatifs - dont elle dispose vis-à-vis des deux parties , lesquelles dépendent en effet massivement de l' extérieur pour leur survie . Pour atteindre un objectif final - sur lequel ils sont aujourd'hui largement d' accord - , une action mieux coordonnée entre Américains et Européens est nécessaire , les uns et les autres ayant vocation à être les garants ultimes du maintien de la paix une fois rétablie , laquelle pourrait être en particulier assurée par une force d' interposition présente sur le terrain . Sur un plan évidemment moins dramatique , la surdétermination de la politique étrangère par la politique intérieure s' est également manifestée , au cours des derniers mois , sur le plan commercial . En décidant brutalement de protéger par des barrières tarifaires le secteur sidérurgique , en perdition parce qu' il n' a pas su entreprendre les restructurations nécessaires , et d' augmenter massivement les subventions aux agriculteurs , le président Bush est allé à l' encontre de la politique de libre-échange dont il avait fait un axe majeur de son projet initial , quitte à susciter l' ire de plusieurs de ses partenaires étrangers , et même celle d' une partie de la droite républicaine bien représentée par le Wall Street Journal . Sa popularité , qui commençait à fléchir au milieu de 2001 , est brusquement remontée pour atteindre des sommets sans précédents depuis Franklin D. Roosevelt . Dans les deux cas , les décisions ont été prises exclusivement en fonction de considérations électorales , à charge pour le talentueux représentant pour le Commerce , Robert Zoellick , de défendre imperturbablement l' indéfendable en bâtissant un discours dont il ne croit probablement pas un mot . Mais il n' en a cure . Pour conclure ces remarques complémentaires sur la politique extérieure américaine depuis le 11 septembre , on ajoutera quelques mots sur l' Amérique latine . Au début de sa présidence , George W. Bush , qui est texan , avait fait une priorité de la constitution d' une zone de libre-échange couvrant l' ensemble du continent . Peut-être aurait -il activement poursuivi ce but si les circonstances n' avaient durablement détourné son attention . Dans la pratique , la politique latino-américaine de la nouvelle Administration , conduite par Otto Reich , une personnalité très controversée qui n' a toujours pas été confirmée par le Sénat , suscite des interrogations . D' un côté , il semble bien que les États-Unis n' aient pas été étrangers à la tentative de coup d' État contre le président vénézuélien Hugo Chavez , dont le populisme a tout pour leur déplaire . Cette tentative a échoué . De l' autre , Washington a complètement laissé tomber l' Argentine , dont une fraction importante de la population s' enfonce dans la misère . On dirait que , pour Washington , aujourd'hui , contrairement à un pays dont les difficultés économiques sont également sévères comme la Turquie , la valeur géopolitique de la carte argentine est nulle . Si Buenos Aires veut de l' aide , il faut d' abord réformer . Et si aucun des gouvernements qui s' y succèdent n' y parvient , advienne que pourra . Sur quelle configuration le chaos argentin peut -il déboucher ? Quel type d' événements serait de nature à forcer Washington à réagir ? Autant de questions sur lesquelles on ne peut , actuellement , que spéculer . Dans l' immédiat , ni aux États-Unis , ni au Brésil , on ne semble craindre la propagation d' une crise considérée comme très spécifique . La défiance des marchés financiers à l' égard du Brésil tient davantage à l' incertitude qui entoure la succession du président Fernando Henrique Cardoso . En introduction du précédent RAMSES , j' avais retenu pour commencer le thème du ralentissement économique . Un an plus tard , alors qu' elle a subi deux chocs supplémentaires , l' économie mondiale résiste . Le premier choc , celui du 11 septembre , a été remarquablement absorbé , malgré son effet direct sur d' importants secteurs d' activités , comme les transports aériens ou les assurances , et son effet indirect sur la consommation des ménages aux États-Unis . Un mois à peine après les attentats , la bourse de New York a pu rouvrir avec succès , malgré la désorganisation de Wall Street . Le second choc fut l' affaire Enron et celles qui s' ensuivirent . Cette fois , c' est la confiance dans la bonne gouvernance du système capitaliste qui s' est trouvée gravement ébranlée . En fait , en moins de deux ans , trois mythes particulièrement porteurs se sont évaporés : les cycles économiques avaient disparu , l' Amérique était invulnérable , et la concurrence avait atteint un tel degré de perfection que le marché attribuait sa vraie valeur à chaque entreprise . L' attitude péremptoire des thuriféraires de la mondialisation qui déclinaient ces mythes sans exprimer la moindre réserve a d' ailleurs contribué à susciter des réactions parfois excessives mais souvent salutaires . En tout cas , il a fallu se résoudre à reconnaître que l' on n' en avait pas fini avec les cycles , et qu' à l' aube d' une nouvelle révolution industrielle , de grandes entreprises peuvent commettre de grandes erreurs . La puissante Amérique a été ensanglantée dans deux de ses symboles , et elle sait maintenant qu' elle vit à l' ombre d' une épée de Damoclès . Enfin , l' opprobre est brusquement jeté sur le capitalisme , que l' on disait transparent grâce aux analystes financiers , aux agences de notation et naturellement aux sociétés d' audit . Il n' est pas surprenant , dans ces conditions , que les bourses se soient trouvées malmenées , avec des mouvements de grande ampleur . L' une des raisons pour lesquelles l' économie réelle n' a pas , jusqu'à présent , davantage souffert du faisceau des circonstances défavorables est l' efficacité de la coopération entre les banques centrales , déterminante dans les périodes critiques . Cela dit , si la crise boursière devait s' aggraver , on voit mal comment l' économie réelle ne finirait pas par en être affectée . Le moindre indice favorable ou défavorable sur la croissance de l' activité aux États-Unis suscite une réaction excessive des marchés , extrêmement nerveux . L' incertitude est lourde à court terme . À moyen et long terme , les raisons d' optimisme ne manquent pas . La révolution des technologies de l' information n' a pas été abolie par les faux pas de certaines entreprises , et , d' une manière générale , comme l' a si bien démontré Schumpeter dans son ouvrage célèbre Capitalisme , socialisme et démocratie , le capitalisme survit en s' adaptant et en se transformant sans cesse . Quant aux États-Unis , ils ont déjà prouvé qu' aucun Al-Qaida n' était près de les mettre à genoux . Cela dit , la prévision est l' art le plus frustrant . La mondialisation nous réserve sûrement bien d' autres " surprises " . Dans un essai aussi concis que brillant où elle soutient que le monde est déjà devenu chaotique , Thérèse Delpech manifeste un pessimisme excessif à mes yeux , mais elle trouve le mot juste en disant que le " phénomène de surprise stratégique pourrait à lui seul caractériser la période qui s' ouvre " . La plus étonnante des surprises stratégiques , dans la première année du siècle , sera venue d' une grotte quelque part en Afghanistan . Thierry de Montbrial , directeur de l' Ifri , membre de l' Académie des sciences morales et politiques 13 juillet 2002